Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 20-OCD-117

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (« LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :
  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :
  • le nom de tout agent impliqué;
  • le nom de tout agent témoin;
  • le nom de tout témoin civil;
  • les renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel lié à la santé de personnes identifiables. 

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES concernant le décès d’une femme de 24 ans (la « plaignante »).

L’enquête

Notification de l’UES

Le 21 mai 2020, à 18 h 43, le Service de police régional de Niagara (SPRN) a avisé l’UES de ce qui suit.

Le 20 mai 2020, à 17 h 20, la plaignante a été emmenée au commissariat de police.

Le 21 mai 2020, entre 14 h 2 et 14 h 4, la plaignante a participé à une enquête sur le cautionnement par vidéo, puis a été remise sous garde. Peu après le retour de la plaignante dans sa cellule, on l’a vu prendre quelque chose depuis son entrejambe et le placer dans sa bouche. À 14 h 22, la plaignante s’est couchée sur le lit, sous une couverture. À 15 h 13, on pouvait voir la jambe de la plaignante hors du lit. À 16 h 50, des agents spéciaux se sont rendus à sa cellule pour voir si elle allait bien et ont constaté qu’elle était inconsciente. À 17 h 15, le décès de la plaignante a été constaté.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 3
Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 1

Plaignante :

Femme de 24 ans, décédée


Agents témoins (AT)

AT no 1 A participé à une entrevue
AT no 2 Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire
AT no 3 Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire
AT no 4 Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire
AT no 5 A participé à une entrevue
AT no 6 A participé à une entrevue
AT no 7 A participé à une entrevue

Les agents témoins ont participé à des entrevues entre le 1er et le 16 juin 2020.


Témoins employés de la police (TEP)

TEP no 1 A participé à une entrevue
TEP no 1 A participé à une entrevue
TEP no 1 A participé à une entrevue

Les témoins employés de la police ont participé à des entrevues le 5 juin 2020.


Agent impliqué (AI)

AI N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue ni à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué



Éléments de preuve

Les lieux

Le 20 mai 2020, la plaignante a été placée dans une cellule dans le corridor des femmes.

À l’arrivée de l’enquêteur spécialiste des sciences judiciaires de l’UES, le 21 mai 2020, la plaignante était couchée sur le dos, par terre, directement devant sa cellule. Les bras de la plaignante étaient au dessus de sa tête et on l’avait intubée. Elle portait un pantalon et des chaussettes ainsi qu’un t shirt qui avait été coupé. Il y avait d’autres signes de l’intervention des services médicaux d’urgence sur le plancher près de la plaignante, ainsi qu’un sac de déchets médicaux. Un défibrillateur externe automatisé se trouvait sur le plancher et on pouvait voir qu’il avait été déployé. De même, des électrodes de défibrillateur étaient fixées au torse de la défunte.

Des caméras de système de télévision en circuit fermé se trouvaient à l’entrée nord du corridor, et une autre caméra se trouvait à l’intérieur de la cellule de la plaignante, au coin nord-est du plafond. Les écrans reliés à ces caméras se trouvaient à la réception de la zone de garde et dans une salle spécifique surveillée par des agents spéciaux. Il y avait également un autre ensemble d’écrans installés dans le bureau du sergent chef, au rez de chaussée du bâtiment, à l’extérieur de la zone de garde.

Deux couloirs principaux reliaient la réception de la zone de garde à la cellule de la plaignante.

La cellule de la plaignante n’était pas bien visible depuis le bureau du sergent chef et ceux des agents spéciaux.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou photographiques

Sommaire de la vidéo de l’aire de mise en détention et des cellules du commissariat du SPRN

Le 20 mai 2020, à 17 h 13, la plaignante est emmenée à la cellule de détention du commissariat du SPRN par l’AT no 3 et l’AT no 4. À l’arrivée de la plaignante, l’AT no 5 vérifie sa température au moyen d’un thermomètre électrique et place un masque sur son visage. La plaignante est ensuite emmenée dans l’aire de mise en détention, où l’AT no 5 lui dit qu’elle est filmée et que ses propos sont enregistrés.

À 17 h 17 min 38 s, l’AT no 3 indique que la plaignante a été emmenée au commissariat pour non respect d’une condition de probation, que son arrestation a eu lieu à 16 h 45 et que l’AT no 1 (de l’unité de lutte contre la criminalité de rue) est l’agent ayant procédé à l’arrestation.

À 17 h 18, l’AT no 5 demande à la plaignante si elle a consommé de la drogue ou de l’alcool aujourd’hui, ou si elle a une blessure ou une maladie, notamment une maladie contagieuse. La plaignante répond que non. Lorsque l’AT no 5 lui demande si elle souffre d’une maladie mentale, la plaignante répond qu’elle est atteinte d’un trouble de stress post traumatique, d’anxiété et de dépression, et qu’elle ne prend pas de médicament sur ordonnance. La plaignante devient agitée et commence à pleurer lorsque l’AT no 5 lui demande si elle tentera de se faire du mal ou de s’échapper pendant sa détention. En pleurant, elle fait signe que non de la tête en réponse aux questions qu’on lui pose.

L’AT no 5 dit à la plaignante qu’elle vérifiera encore une fois sa température, puisqu’il faisait chaud dans le véhicule de police et qu’elle a transpiré. La plaignante devient encore plus agitée et fait signe que non de la tête lorsque l’AT no 5 lui demande si elle présente des symptômes s’apparentant à ceux de la grippe. La plaignante confirme qu’elle a subi un test de dépistage de la COVID 19 la semaine précédente et que les résultats étaient négatifs.

On emmène ensuite la plaignante près du mur situé directement en face du bureau des agents spéciaux, et un agent spécial la fouille. L’agent ne semble rien trouver pendant la fouille. Peu après, la plaignante est escortée dans une salle située devant le bureau de mise en détention, où elle parle à son avocat. Ensuite, on escorte la plaignante et on la place dans une cellule.

La plaignante a été escortée hors de sa cellule à quelques reprises le 20 mai 2021 et le 21 mai 2020, pour différentes raisons.

Le 21 mai 2020, à 14 h 1, la plaignante est escortée hors de la cellule par deux agents spéciaux [on sait maintenant que la plaignante a participé à une enquête sur le cautionnement par vidéo]. À 14 h 3, les deux agents spéciaux ramènent la plaignante dans sa cellule.

À 14 h 3, la plaignante entre dans la cellule et lance un masque sur le sol, mais le ramasse ensuite et le donne à l’agent spécial. Une fois la porte de la cellule fermée, la plaignante s’assoit sur le banc et semble très troublée. Elle place ses mains sur son visage et se penche au dessus de ses jambes. Il semble y avoir une tasse sur le plancher, près de ses pieds, et une couverture qui recouvre le bas de son corps.

À 14 h 7, la plaignante, assise les jambes croisées sur le banc, se retourne de manière à tourner le dos à la porte de la cellule, et elle semble placer ses deux mains et bras sous la couverture, qui est étendue sur ses cuisses. La plaignante sort ses mains de la couverture, demeure en position assise et se penche. Elle semble regarder quelque chose qui se trouve dans ses mains.

À 14 h 8 min 41 s, la plaignante se lève et se rend au lavabo et à la toilette en tenant une tasse. Devant la toilette, elle semble placer ses mains dans son pantalon, à l’avant, puis elle étire le bras pour placer la tasse près du lavabo.

À 14 h 9, la plaignante semble placer sa main sur sa bouche, pencher la tête vers l’arrière et prendre une gorgée du contenu de la tasse. Quelques secondes plus tard, elle revient au banc et place la couverture sur le bas de son corps. Elle se retourne et s’assoit face à la porte de la cellule.

À 14 h 14, la plaignante se rend au lavabo, prend la tasse et la ramène avec elle jusqu’au banc. À ce moment là, la plaignante s’accroupit et semble placer sa main gauche dans son pantalon, à l’avant, après quoi elle se rassoit sur le banc, dos à la porte de la cellule. Tandis qu’elle est assise sur le banc, les jambes croisées, elle semble regarder un objet qu’elle tient dans ses mains et agiter celui ci.

À 14 h 15 min 50 s, la plaignante prend une gorgée dans la tasse, place une main devant sa bouche, penche sa tête vers l’arrière et prend une autre gorgée. Ensuite, elle se lève et replace ses mains dans son pantalon, puis elle se rassoit sur le banc, les jambes croisées sur celui ci.

À 14 h 20 min 7 s, la plaignante se rend au lavabo et semble placer une tasse dans celui ci, puis elle retourne vers le banc. Quelques secondes plus tard, la plaignante, debout, place son pied droit sur le banc et sa main droite dans son pantalon, à l’avant. Elle se rassoit ensuite sur le banc, les jambes croisées, et regarde ses mains, penchée vers l’avant.

À 14 h 21 min 24 s, la plaignante prend une gorgée dans la tasse, place sa main sur sa bouche et penche sa tête vers l’arrière. Elle répète le tout à 14 h 22 min 5 s et à 14 h 22 min 28 s.

À 14 h 22 min 47 s, la plaignante marche jusqu’à la toilette et semble se pencher vers celle ci. Elle se lave ensuite les mains, retourne au banc et place la couverture autour d’elle. La plaignante se couche sur le banc, sur son côté gauche, la tête face à la porte de la cellule. Elle est ainsi couchée sur son côté gauche et sa jambe droite est sur sa jambe gauche.

À partir de 14 h 29 environ et jusqu’à 15 h 12, la plaignante est couchée sur le côté et bouge peu ou reste immobile.

À 15 h 12 min 4 s, les jambes de la plaignante se déplacent lentement vers le bord du banc et, peu après, sa jambe droite glisse hors du banc et son pied se rapproche lentement du sol.

À 16 h 52 min 30 s, le TEP no 2 entre dans la cellule et se penche vers la plaignante. Cette dernière ne bouge pas. Le TEP no 1 est debout près du seuil de la porte de la cellule.

À 16 h 53 min 29 s, le TEP no 2 et le TEP no 1 sortent la plaignante de la cellule et la couchent sur le dos directement à l’extérieur de la cellule. Les agents spéciaux commencent à effectuer des manœuvres de réanimation cardiorespiratoire (RCR) au moyen d’un défibrillateur et de compressions thoraciques.

À 17 h 0 min 34 s, des ambulanciers paramédicaux arrivent sur les lieux avec une civière, puis effectuent des manœuvres de RCR.

À 17 h 19 min 9 s, les ambulanciers paramédicaux et le personnel de la police sortent de l’aire des cellules, laissant le corps de la plaignante sur le sol.

Vérifications de la cellule par les agents spéciaux – 21 mai 2020

À 14 h 20 min 36 s, un agent spécial se déplace dans le couloir principal depuis la gauche de la porte de la cellule de la plaignante. Il semble avoir un objet ou une carte dans la main droite. La plaignante semble être assise sur le banc.

À 14 h 55 min 9 s, le TEP no 1 arrive depuis la gauche de la porte de la cellule de la plaignante et regarde dans la cellule à travers la vitre. Il semble que la plaignante est couchée sur le banc avec la tête près de la porte de la cellule. L’AT no 1 semble utiliser une carte et la glisser dans plusieurs lecteurs tandis qu’il marche dans le couloir.

Enregistrements de communications

Sommaire des enregistrements des communications – 21 mai 2020

Le SPRN a fourni des enregistrements de communications qui ne sont pas horodatés.

Le 21 mai 2020, l’AT no 7 a demandé que l’on envoie une ambulance au quartier général du SPRN et a dit au répartiteur que la plaignante avait été trouvée inconsciente dans sa cellule. L’AT no 7 a également dit qu’un défibrillateur externe automatisé avait été utilisé pour tenter de réanimer la plaignante. L’AT no 7 a ajouté que l’aide d’agents de police supplémentaires était nécessaire.

Éléments obtenus auprès du Service de police

Sur demande, l’UES a obtenu les documents et éléments suivants du SPRN, et les a examinés :
• résumé des appels;
• enregistrements des communications;
• enregistrement d’incident concernant le défibrillateur;
• recherche d’identité effectuée par les agents;
• copie papier du rapport d’incident général;
• ordonnance générale – personnes sous garde;
• ordonnance générale – fouille et saisie;
• copie papier du dossier d’information;
• notes du TEP no 3;
• notes de l’AT no 7;
• notes de l’AT no 5;
• notes de l’AT no 2;
• notes de l’AT no 1;
• notes de l’AT no 4;
• notes de l’AT no 6;
• notes du TEP no 2;
• notes de l’AT no 3;
• notes du TEP no 1;
• occupation de la cellule – 21 mai 2020;
• renseignements sur la chronologie des événements transmis par les agents;
• rapport sur les effets personnels;
• capture d’écran – information sur l’arrestation – arrestation;
• capture d’écran – enregistrement;
• capture d’écran – information sur l’arrestation – détails;
• contrevenant connu – sommaire;
• rapports d’incident (3);
• capture d’écran de l’horaire des agents (3);
• rapport de mort subite;
• vidéos de l’aire d’enregistrement et de la cellule.

Éléments obtenus auprès d’autres sources

L’UES a également obtenu les éléments suivants de sources autres que la police, et les a examinés :
• résultats préliminaires de l’autopsie du Service de médecine légale de l’Ontario;
• rapport d’autopsie du Service de médecine légale de l’Ontario, daté du 30 juillet 2020;
• lettre d’avis du Service de médecine légale de l’Ontario, datée du 6 octobre 2020;
• lettre d’avis d’un spécialiste tiers, datée du 17 mai 2021.

Description de l’incident

Il est possible d’établir clairement les événements qui se sont produits au moyen des éléments de preuve recueillis par l’UES, dont des entrevues avec divers membres du personnel de la police qui ont interagi avec la plaignante pendant qu’elle était sous garde et un enregistrement vidéo montrant la période qu’elle a passée dans la cellule. L’AI n’a pas consenti à se soumettre à une entrevue ni à ce qu’on remette ses notes, comme la loi l’y autorise.

Dans l’après midi du 20 mai 2020, la plaignante a été arrêtée par l’AT no 1 pour avoir manqué à une condition de sa probation, selon laquelle elle devait rester à sa résidence sauf si elle était accompagnée d’un tiers. Deux jours plus tôt, l’AT no 1 avait vu la plaignante seule sur Lundy’s Lane, se rendant à une résidence soupçonnée être un endroit où l’on consommait de la drogue.

La plaignante a été arrêtée sans incident et transportée au commissariat de police. Avant de la placer dans une cellule, les agents ont demandé à la plaignante si elle avait consommé de la drogue ou de l’alcool, et elle a répondu que non. La plaignante a été placée dans une cellule vers 17 h 30.

La période de détention de la plaignante a été relativement calme jusqu’à 14 h 3 environ le lendemain, alors qu’elle semblait agitée à son retour dans la cellule après une comparution par vidéo. On lui a refusé la libération sous caution et on allait l’envoyer dans un établissement correctionnel. À compter de 14 h 7 environ, la plaignante, à de multiples reprises, a récupéré des quantités de fentanyl qui se trouvaient dans son pantalon, puis les a ingérées. Cela s’est poursuivi jusqu’à 14 h 22 approximativement, lorsque la plaignante s’est couchée sur son côté gauche sur le banc de la cellule, sa jambe droite sur sa jambe gauche.

Vers 15 h 12, les jambes de la plaignante ont bougé lentement vers le bord du banc. Peu après, sa jambe droite a glissé du banc et son pied est tombé, lentement, vers le plancher.

Le TEP no 1 a trouvé la plaignante inconsciente dans sa cellule vers 16 h 45. L’agent responsable – l’AT no 7 – a été avisé de la situation. Elle a appelé une ambulance tandis que le TEP no 1 et le TEP no 2 ont commençaient les manœuvres de RCR. Les ambulanciers paramédicaux sont arrivés au commissariat vers 17 h et ont pris la relève. La plaignante n’a pas pu être réanimée, et son décès a été constaté à 17 h 15.

Cause du décès

À la lumière de l’autopsie, le médecin légiste a conclu que le décès de la plaignante était attribuable à une intoxication au fentanyl.

Dispositions législatives pertinentes

Articles 219 du Code criminel -- Négligence criminelle

219 (1) est coupable d’une négligence criminelle quiconque :
a) soit en faisant quelque chose;
b) soit en omettant de faire quelque chose qui est de son devoir d’accomplir, montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui.

(2) Pour l’application du présent article, devoir désigne une obligation imposée par la loi.

Articles 220 du Code criminel -- Négligence criminelle

220 Quiconque, par négligence criminelle, cause la mort d’une autre personne est coupable d’un acte criminel passible :
a) s’il y a usage d’une arme à feu lors de la perpétration de l’infraction, de l’emprisonnement à perpétuité, la peine minimale étant de quatre ans;
b) dans les autres cas, de l’emprisonnement à perpétuité.

L’article 215 du Code criminel – Défaut de fournir les choses nécessaires à l’existence

215 (1) Toute personne est légalement tenue :

c) de fournir les choses nécessaires à l’existence d’une personne à sa charge, si cette personne est incapable, à la fois :
(i) par suite de détention, d’âge, de maladie, de troubles mentaux, ou pour une autre cause, de se soustraire à cette charge,
(ii) de pourvoir aux choses nécessaires à sa propre existence.

(2) Commet une infraction quiconque, ayant une obligation légale au sens du paragraphe (1), omet, sans excuse légitime, de remplir cette obligation, si :
b) à l’égard d’une obligation imposée par l’alinéa (1)c), l’omission de remplir l’obligation met en danger la vie de la personne envers laquelle cette obligation doit être remplie, ou cause, ou est de nature à causer, un tort permanent à la santé de cette personne.

Analyse et décision du directeur

Le 21 mai 2020, la plaignante est décédée d’une surdose de drogue alors qu’elle se trouvait dans une cellule du commissariat du SPRN. L’AI, l’agent responsable du commissariat pendant une partie de la période au cours de laquelle la plaignante était sous garde, a été désigné comme agent impliqué aux fins de l’enquête de l’UES. Après avoir examiné les éléments de preuve, j’estime qu’il n’y a aucun motif raisonnable de croire que l’AI a commis une infraction criminelle relativement au décès de la plaignante.

Les infractions possibles à l’étude sont l’omission de fournir les choses nécessaires à l’existence et la négligence criminelle causant la mort, lesquelles se rapportent aux articles 215 et 220 du Code criminel, respectivement. La première infraction est fondée, en partie, sur une conduite constituant un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans les mêmes circonstances. La deuxième infraction est réservée aux cas de négligence plus graves; elle s’applique aux comportements qui montrent une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui. Cette infraction n’est établie que si le comportement adopté constitue un écart à la fois marqué et important par rapport à la diligence dont ferait preuve une personne raisonnable dans des circonstances de même nature. Dans l’affaire qui nous concerne, la question est de savoir s’il y a eu, de la part de l’AI, un manque de diligence qui aurait causé le décès de la plaignante ou qui y aurait contribué, et, le cas échéant, s’il est suffisamment grave pour justifier des sanctions criminelles. À mon avis, ce n’est pas le cas.

On peut relever deux éléments de négligence potentielle dans les interactions des agents avec la plaignante. Le premier concerne le fait que la plaignante a pu se rendre dans la cellule en ayant sur elle des substances illicites, ce qui porte à se demander si les agents en ont fait suffisamment pour bien vérifier si elle avait de la drogue en sa possession. Plus précisément, il semble que la plaignante a fait l’objet d’au moins deux fouilles par dessus ses vêtements, soit une fois sur les lieux de son arrestation et une autre fois au commissariat; cependant, les agents auraient-ils également dû procéder à une fouille à nu?

Il y a des arguments qui appuient les deux choix possibles à cet égard. D’une part, on avait vu la plaignante se rendre à une résidence soupçonnée être un endroit où l’on consommait de la drogue dans les jours précédant son arrestation; d’ailleurs, elle venait de sortir de cet endroit lorsqu’elle a été arrêtée par l’AT no 1. Dans ces circonstances, alors qu’aucune drogue n’avait été trouvée pendant les premières fouilles, il aurait peut-être été prudent de la part des agents de vérifier si elle avait caché des substances sur sa personne, sous ses vêtements. Par contre, la plaignante n’avait pas été arrêtée pour une infraction liée à la drogue, ce qui donne à penser que les agents n’avaient peut être pas de motifs raisonnables de croire qu’elle était en possession de substances illégales. De même, au moment de son admission, la plaignante a dit qu’elle n’avait pas consommé de drogue, et, pendant la majeure partie de sa détention, elle n’a pas donné l’impression d’être sous l’influence d’une telle substance. Dans ce dossier, en gardant à l’esprit la mise en garde de la Cour suprême du Canada dans R. c. Golden, [2001] 3 RCS 679, selon laquelle les fouilles à nu doivent être strictement réservées aux cas dans lesquels il y a des motifs raisonnables et probables de croire qu’elles sont nécessaires, je ne suis pas convaincu que la décision de ne pas procéder à une telle fouille dans cette affaire était sans fondement. En outre, il n’est pas certain qu’une fouille à nu, si elle avait été effectuée, aurait permis de trouver la drogue, puisqu’il est tout à fait possible que la plaignante avait inséré les substances dans son vagin.

Le deuxième élément qu’il faut examiner de près concerne la qualité de la surveillance exercée auprès de la plaignante tandis qu’elle se trouvait dans la cellule. Il convient, tout particulièrement, de se pencher sur la période de près de deux heures pendant laquelle personne n’a vérifié son état, soit approximativement entre 15 h (environ 50 minutes après le moment où elle a semblé commencer à consommer le fentanyl qu’elle avait en sa possession) et 16 h 45, heure à laquelle on a constaté qu’elle était inconsciente. Selon la politique applicable, il aurait fallu vérifier l’état de la plaignante toutes les 30 minutes. Si cela avait été fait, il aurait été tout à fait possible qu’on remarque beaucoup plus tôt la situation de détresse médicale dans laquelle elle se trouvait et qu’on puisse lui prodiguer les soins nécessaires pour lui sauver la vie. En effet, les éléments de preuve médicaux indiquent que le décès de la plaignante n’était pas inévitable après qu’elle eut fini d’ingérer le fentanyl. Cela signifie que si, par exemple, on avait pu lui administrer un antidote, comme la naloxone, avant que son cœur cesse de battre, même au dernier instant, il est probable que la plaignante aurait survécu. L’agent spécial qui semble avoir effectué le plus de vérifications, le TEP no 1, affirme que d’autres tâches qu’il devait effectuer l’ont empêché de vérifier l’état de la plaignante pendant cette période critique. Même si l’on peut s’attendre à certains délais causés par la charge de travail d’un gardien à un moment ou à un autre, je ne suis pas persuadé qu’un délai de près de deux heures était justifié dans le cas présent.

Cela dit, si l’agent spécial a commis des erreurs dans l’exécution de ses tâches, je ne suis pas en mesure de conclure, sur la base de motifs raisonnables, que l’AI a quoi que ce soit à voir avec les erreurs du TEP no 1. Même si l’AI, l’agent chargé des cellules entre 15 h et 16 h 30, était ultimement responsable de la santé et du bien être des détenus conformément à la politique officielle, il était clairement établi que les agents spéciaux étaient ceux qui, dans les faits, devaient effectuer les tâches de surveillance des détenus et répondre à leurs besoins. Cela ne signifie pas que les membres du personnel de niveau supérieur occupant des postes comme celui de l’AI ne peuvent jamais être tenus responsables pour les erreurs des personnes qu’ils supervisent. S’ils sont au courant de circonstances qui doivent être corrigées et n’y font rien, ou s’ils omettent de faire preuve de diligence dans les opérations générales relatives aux cellules, ils peuvent très bien faire l’objet de sanctions. Toutefois, dans le cas présent, puisque la période pendant laquelle il était responsable des lieux et où l’on a omis de vérifier les cellules aux intervalles requis a été relativement courte, l’AI n’a pas joué un rôle d’une grande ampleur dans les événements en question. De même, il ne semble pas non plus que le système en place dans l’installation ait permis au sergent de prendre connaissance, de quelque façon que ce soit, de l’omission de faire toutes les vérifications nécessaires des cellules [1]. Dans cette affaire, il n’y a pas de motifs raisonnables de croire que l’AI n’a pas respecté les limites de diligence prescrites par le droit criminel en ce qui a trait au décès de la plaignante.

En conclusion, je suis convaincu que l’AI a agi en toute légalité tout au long de la période de détention de la plaignante alors qu’il était responsable des cellules; il n’y a donc aucun motif de porter des accusations criminelles dans cette affaire et le dossier est clos.


Date : 12 juillet 2021

Approuvé par voie électronique par

Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) Je ferai part de cette situation au chef de police dans ma lettre. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.