Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 19-OCD-183

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (« LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :
  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :
  • le nom de tout agent impliqué;
  • le nom de tout agent témoin;
  • le nom de tout témoin civil;
  • les renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel lié à la santé de personnes identifiables. 

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES concernant le décès d’un homme de 35 ans (le « plaignant »).

L’enquête

Notification de l’UES

Le 6 août 2019, à 20 h 25, le Service de police de Chatham-Kent (SPCK) a signalé ce qui suit. À 19 h, des agents du SPCK se sont rendus à une résidence sur la rue Grant, à Chatham, pour prêter main-forte aux services médicaux d’urgence (SMU) dans un cas de surdose. Lorsque les agents de police sont arrivés sur place, le plaignant était sur une civière et on était en voie de le placer dans une ambulance. Un agent du SPCK est monté dans l’ambulance et a accompagné le plaignant jusqu’à l’hôpital. Le plaignant était combatif, mais on s’employait à restreindre ses mouvements. Deux autres agents du SPCK sont arrivés à l’hôpital en même temps que l’ambulance. Sur place, le plaignant a continué de se débattre et crachait vers les agents et le personnel de l’hôpital. Les agents ont dû intervenir physiquement pour l’immobiliser. Une dose de Narcan a été administrée au plaignant, qui, par la suite, a cessé de présenter des signes vitaux. Il a été réanimé, puis a de nouveau cessé de présenter des signes vitaux. Le décès du plaignant a été constaté à 19 h 46.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 4
Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 2

Plaignant :

Homme de 35 ans, décédé

Témoins civils (TC)

TC no 1 A participé à une entrevue
TC no 2 A participé à une entrevue
TC no 3 N’a pas participé à une entrevue (plus proche parent)
TC no 4 A participé à une entrevue
TC no 5 A participé à une entrevue
TC no 6 A participé à une entrevue
TC no 7 A participé à une entrevue
TC no 8 A participé à une entrevue

Agents témoins (AT)

AT no 1 A participé à une entrevue; ses notes ont été reçues et examinées
AT no 2 A participé à une entrevue; ses notes ont été reçues et examinées

Agent impliqué (AI)

AI N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue ni à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué


Éléments de preuve

Les lieux

Des ambulanciers paramédicaux ont transporté le plaignant de sa résidence jusque dans l’ambulance. Une fois le plaignant à bord de l’ambulance, l’AI est entré dans le véhicule par l’arrière; ensuite, l’ambulance s’est dirigée vers l’établissement hospitalier de l’Alliance Chatham-Kent pour la santé. Sur place, dans les deux minutes suivant son entrée dans la salle de traumatologie, le plaignant a cessé de présenter des signes vitaux et on a entrepris des manœuvres de réanimation cardiopulmonaire.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou photographiques


Enregistrement du système de télévision en circuit fermé (TVCF) d’une résidence sur la rue Grant

Un enquêteur de l’UES a obtenu une copie de l’enregistrement du système de TVCF d’une résidence de la rue Grant.

À 18 h 50 min 5 s, une ambulance dont les gyrophares sont en fonction se gare devant la résidence du plaignant.

À 18 h 50 min 27 s, un ambulancier paramédical descend de l’ambulance par la portière côté conducteur; puis, à 18 h 51 min 12 s, les ambulanciers paramédicaux emmènent une civière vers la résidence.

À 18 h 59 min 58 s, un véhicule de police du SPCK se gare derrière l’ambulance, puis un autre véhicule du SPCK se gare derrière celui-ci.

À 18 h 59 min 59 s, un ambulancier paramédical court de l’arrière de l’ambulance jusqu’à la portière côté conducteur.

À 19 h 0 min 0 s, le deuxième véhicule de police recule, suivi de l’ambulance et du premier véhicule de police.

À 19 h 0 min 13 s, l’ambulance, suivie des deux véhicules de police du SPCK, quitte les lieux; ses gyrophares sont en marche.

Enregistrements de communications

Le SPCK a fourni une copie des enregistrements de ses communications du 6 août 2019.

À 18 h 43, un homme appelle au 9 1 1 et demande qu’on envoie une ambulance à une résidence sur la rue Grant. À 18 h 52, un préposé du centre intégré de répartition d’ambulances de Wallaceburg appelle le SPCK et demande qu’on dépêche des agents de police à une résidence sur la rue Grant pour venir en aide à un homme de 35 ans [on sait maintenant qu’il s’agit du plaignant]. Le plaignant a eu une réaction à une boisson qu’une personne inconnue lui a donnée, et les ambulanciers paramédicaux ont demandé la présence d’agents de police.

À 18 h 54 min, les SMU demandent de l’aide en urgence. Les ambulanciers paramédicaux ont besoin d’assistance pour gérer un patient à la même adresse sur la rue Grant. À 18 h 58 min, un agent de police indique que des unités [on sait maintenant qu’il s’agit de l’AI, de l’AT no 1 et de l’AT no 2] sont sur les lieux. À 18 h 59 min, un agent de police fait savoir que le plaignant est combatif et que l’AI accompagnera le personnel des SMU dans l’ambulance; l’AT no 1 et l’AT no 2 suivront l’ambulance. À 19 h 9 min, un agent de police déclare que le plaignant, sur son lit d’hôpital, ne présente plus de signes vitaux et qu’on entreprend des manœuvres de réanimation cardiopulmonaire.

À 19 h 14, l’AI appelle un sergent (certaines parties de la conversation sont inaudibles). L’AI déclare que le plaignant ne présente plus de signes vitaux, mais que des manœuvres de réanimation sont toujours en cours. Le plaignant se trouvait dans l’ambulance lorsque les agents sont arrivés sur les lieux et l’AI est monté dans l’ambulance parce que le plaignant était combatif. L’AI et un ambulancier paramédical [on sait maintenant qu’il s’agit du TC no 5] se sont employés à maîtriser le plaignant pendant le trajet vers l’hôpital. Le plaignant était menotté à la civière des SMU. Une fois dans la salle de traumatologie, le plaignant s’est redressé et a tenté de donner des coups de poing et des coups de pied aux membres du personnel infirmier. L’AI, l’AT no 1 et l’AT no 2 ont alors immobilisé le plaignant, à qui l’on avait mis un masque anti-crachat. L’AI a immobilisé la tête et les bras du plaignant, pendant que l’AT no 1 et l’AT no 2 faisaient de même avec ses pieds. L’AI, l’AT no 1 et l’AT no 2 ont retenu le plaignant pendant quelques minutes alors qu’il tentait toujours de provoquer une bagarre. Le personnel de l’hôpital effectuait son évaluation lorsque quelqu’un a dit que le plaignant était inconscient. L’AI, l’AT no 1 et l’AT no 2 ont alors relâché leur emprise sur le plaignant. L’AI indique que le personnel médical continue de tenter des manœuvres depuis, mais que le plaignant ne présente toujours pas de signes vitaux. L’AI fait savoir qu’il restera à l’hôpital en compagnie de l’AT no 2 et que l’AT no 1 retournera sur les lieux de l’incident. La famille du plaignant se trouve à l’hôpital et il pourrait y avoir un problème. Selon ce qu’elle rapporte, quelqu’un a mis quelque chose dans la boisson du plaignant et, par la suite, ce dernier s’est mis à parler de façon incompréhensible.

À 19 h 22, l’AI téléphone au sergent pour l’informer que le personnel médical a détecté un faible pouls chez le plaignant. L’AI a parlé à une ambulancière paramédicale [on sait maintenant qu’il s’agit de la TC no 6] et a ainsi pu confirmer que le plaignant a eu une réaction allergique à une boisson. Selon ce qui a été rapporté, le plaignant a pris une douche et, par la suite, son comportement était différent.

À 19 h 32, l’AI appelle le sergent et l’informe que le plaignant a de nouveau cessé de présenter des signes vitaux. Le personnel médical poursuit les manœuvres de réanimation cardiopulmonaire à l’endroit du plaignant. Les ambulanciers paramédicaux ont informé l’AI qu’on leur a dit que le plaignant agissait de façon bizarre depuis 30 minutes lorsque les SMU ont été appelés. Le sergent indique qu’il pourrait s’agir d’un délire actif et l’AI dit que les médecins ont donné quelques doses de Narcan au plaignant, qu’ils ont obtenu un faible pouls, puis que celui-ci a cessé de nouveau de présenter des signes vitaux. Le médecin a dit qu’il était possible que le plaignant ait consommé de la méthamphétamine et du fentanyl.

À 19 h 44, l’AI appelle le sergent. Le médecin [on sait maintenant qu’il s’agit du TC no 8] a informé l’AI que le plaignant va mourir. Le personnel médical effectue des manœuvres de réanimation cardiopulmonaire depuis un moment pour le maintenir en vie. Le plaignant a consommé une substance qui empêche son cœur de battre et le TC no 8 croit que le tout est attribuable à une substance frelatante.

À 19 h 49, l’AT no 2 appelle pour confirmer qu’on a constaté le décès du plaignant à 19 h 43.

Éléments obtenus auprès du Service de police

Sur demande, l’UES a obtenu les documents et éléments suivants du SPCK, et les a examinés :
  • rapport chronologique des événements;
  • enregistrement des communications du 911;
  • rapport d’incident général;
  • notes de l’AT no 2;
  • notes de l’AT no 1;
  • résumé de témoignage anticipé de l’AT no 2;
  • résumé de témoignage anticipé de l’AT no 1.

Éléments obtenus auprès d’autres sources

L’UES a également obtenu les éléments suivants d’autres sources, et les a examinés :
  • enregistrement du système de TVCF d’une résidence de la rue Grant;
  • rapport d’appel d’ambulance;
  • rapport d’incident des SMUTC no 5;
  • rapport d’incident des SMUTC no 6;
  • dossiers médicaux – établissement hospitalier de l’Alliance Chatham-Kent pour la santé;
  • rapport d’autopsie et rapport toxicologique (fournis à l’UES le 25 août 2020).

Description de l’incident

Le scénario qui suit est fondé sur les éléments de preuve recueillis par l’UES, notamment des entrevues menées auprès de deux agents qui ont eu affaire au plaignant quelques instants avant son décès, ainsi que d’ambulanciers paramédicaux et de membres du personnel hospitalier, en plus du rapport d’autopsie. L’AI n’a pas consenti à se soumettre à une entrevue ni à ce qu’on remette ses notes, comme la loi l’y autorise.

Dans la soirée du 6 août 2019, l’AI, avec son partenaire, l’AT no 1, et l’AT no 2 ont été envoyés à une résidence sur la rue Grant. Les ambulanciers paramédicaux avaient été appelés sur les lieux plus tôt pour s’occuper d’un homme – le plaignant – qui, selon ce qui avait été rapporté, avait eu une réaction à une substance qu’il avait consommée. Les ambulanciers paramédicaux – l’AT no 6 et l’AT no 5 – avaient dû composer avec une situation chaotique à leur arrivée à la résidence. Le plaignant était en position assise en haut d’un escalier qui se trouvait en face de la porte du rez-de-chaussée; il parlait de façon incompréhensible, de l’écume au bord des lèvres, et il agitait ses membres. De même, son frère s’était montré agressif envers les ambulanciers paramédicaux, leur criant de sortir le plaignant de la maison; à un certain moment, il avait saisi les jambes de son frère et tenté de le tirer pour le descendre dans l’escalier jusqu’au rez-de-chaussée. Souhaitant éviter que le plaignant subisse des blessures, le TC no 5 avait soulevé celui-ci par le haut du corps et aidé son frère à le transporter au rez-de-chaussée. C’est environ à ce moment que la TC no 6, inquiète pour sa sécurité personnelle et celle de son partenaire, avait demandé que la police soit dépêchée sur les lieux.

Le plaignant avait déjà été placé sur la civière apportée par les ambulanciers paramédicaux et se trouvait à l’extérieur au moment où les agents sont arrivés. Comme le plaignant crachait de façon incontrôlable, l’AI a demandé à l’AT no 1 de récupérer son masque anti-crachat, qu’on a ensuite mis au plaignant. L’AI a accompagné les ambulanciers paramédicaux dans l’ambulance jusqu’à l’hôpital. L’AT no 1 et l’AT no 2 ont suivi l’ambulance dans leurs véhicules.

Une fois à l’hôpital, soit après quelques minutes seulement, le plaignant a été rapidement évalué et immédiatement dirigé à la salle de traumatologie « B ». Ses bras avaient été menottés aux côtés de la civière par l’AI. Il était clair que le plaignant était dans un état grave et que sa vie était en danger. Le plaignant a continué à s’agiter dans la salle de traumatologie. Le médecin traitant – le TC no 8 – a ordonné qu’on immobilise le plaignant à l’aide de matériel de contrainte d’ordre médical.

L’AI, l’AT no 1 et l’AT no 2 ont aidé à maintenir le plaignant sur la civière pendant qu’un membre du personnel infirmier – le TC no 7 – tentait de placer le matériel de contrainte d’ordre médical sur ses chevilles. L’AT no 1 se trouvait du côté gauche du plaignant et maintenait sa jambe gauche étendue sur la civière, pendant que l’AT no 2 faisait la même chose avec la jambe droite du plaignant, de l’autre côté de la civière. L’AI se trouvait à la gauche de l’AT no 2 et, par intermittence, appuyait sur le haut de la poitrine du plaignant.

À un certain moment, le plaignant s’est redressé, le haut de son corps ne touchant plus la civière, et l’AT no 1 l’a recouché de force [1]. Plus précisément, l’agent l’a repoussé sur la civière d’une main. Peu de temps après, l’AI a utilisé l’une de ses mains, ou les deux, pour maintenir le côté gauche de la tête du plaignant sur la civière.

Quelques minutes après son entrée dans la salle de traumatologie, le plaignant a cessé de présenter des signes vitaux. Le personnel médical l’a transféré sur une civière de l’hôpital et on a entrepris des manœuvres de réanimation cardiopulmonaire et d’autres manœuvres de réanimation. Le plaignant n’a pas pu être réanimé; son décès a été constaté à 19 h 46. 

Cause du décès

À la lumière de l’autopsie, le médecin légiste a conclu que le décès du plaignant était attribuable à « un arrêt cardiorespiratoire chez un homme présentant une intoxication aiguë à la méthamphétamine, qui souffrait d’un délire agité et qui a dû être immobilisé physiquement ». [traduction]

Dispositions législatives pertinentes

Articles 219 du Code criminel -- Négligence criminelle causant la mort

219 (1) est coupable d’une négligence criminelle quiconque :
a) soit en faisant quelque chose;
b) soit en omettant de faire quelque chose qui est de son devoir d’accomplir, montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui. 
(2) Pour l’application du présent article, devoir désigne une obligation imposée par la loi.

220 Quiconque, par négligence criminelle, cause la mort d’une autre personne est coupable d’un acte criminel passible :
a) s’il y a usage d’une arme à feu lors de la perpétration de l’infraction, de l’emprisonnement à perpétuité, la peine minimale étant de quatre ans;
b) dans les autres cas, de l’emprisonnement à perpétuité.

Analyse et décision du directeur

Le plaignant est décédé dans un hôpital de Chatham le 6 août 2019. Étant donné que des agents du SPCK ont aidé les ambulanciers paramédicaux à voir au transport du plaignant vers l’hôpital et, par la suite, à le maintenir immobilisé pendant qu’il était à l’hôpital, l’UES a été avisée et a entrepris une enquête. L’un des agents du SPCK – l’AI – a été désigné comme agent impliqué aux fins de l’enquête de l’UES. Après avoir examiné les éléments de preuve, j’estime qu’il n’y a aucun motif raisonnable de croire que l’AI a commis une infraction criminelle relativement au décès du plaignant.

L’infraction possible à l’étude est la négligence criminelle causant la mort, aux termes de l’article 220 du Code criminel. L’infraction est réservée aux comportements qui constituent une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui et qui causent la mort ou qui contribuent à celle-ci. La simple négligence n’est pas suffisante pour établir qu’il y a eu négligence criminelle. Ce qui est nécessaire, entre autres, est une conduite qui constitue un écart marqué et important par rapport à la diligence dont aurait fait preuve une personne raisonnable dans les mêmes circonstances. Dans l’affaire qui nous concerne, la question à trancher consiste à déterminer s’il y a eu, dans la façon dont les agents concernés ont interagi avec le plaignant, un manque de diligence qui pourrait avoir un lien avec le décès de celui-ci et qui est suffisamment grave pour justifier des sanctions criminelles. À mon avis, ce n’est pas le cas.

D’abord, il convient de noter que les agents ont exercé leurs fonctions légitimes tout au long de leur interaction avec le plaignant. Ils s’acquittaient de leur devoir premier, soit celui de protéger et de préserver la vie, lorsqu’ils ont répondu à l’appel pour aider les ambulanciers paramédicaux à la résidence de la rue Grant. De même, ils sont restés dans les limites de ce devoir alors qu’ils accompagnaient le plaignant à l’hôpital et qu’ils s’employaient à le garder sous contrôle. Le plaignant était dans un état d’agitation extrême, décrit par certains témoins comme un délire actif, et avait besoin de soins médicaux immédiats. Il ne pouvait obtenir ces soins à moins que quelqu’un le maîtrise suffisamment pour rendre possibles l’évaluation et le traitement médicaux.

Dans ce contexte, la question à examiner est celle du caractère raisonnable des interventions des agents. Il s’agit donc, essentiellement, de la conduite de l’AT no 1 et de l’AI dans la salle de traumatologie, plus précisément leur utilisation de la force pour immobiliser le haut du corps et la tête du plaignant sur la civière. Je ne vois aucun problème quant à la force employée par l’AT no 1 et l’AT no 2 pour garder les jambes du plaignant sous contrôle. Sous la direction du TC no 8, le TC no 7 tentait d’attacher du matériel de contrainte d’ordre médical aux chevilles du plaignant et avait clairement besoin que les agents l’empêchent d’agiter ses jambes.

Selon certains des témoignages recueillis, l’AT no 1, en repoussant le plaignant sur la civière, aurait placé sa main autour du cou de celui-ci pendant un court moment. D’après ces déclarations, le plaignant se serait redressé à une hauteur d’environ huit centimètres et l’AT no 1 l’aurait alors agrippé par le cou, tenu ainsi pendant trois ou quatre secondes, puis repoussé sur la civière avec force. Le visage du plaignant serait devenu rouge vif à ce moment-là. Il a aussi été rapporté, dans une autre description de cet incident, que le plaignant aurait fait un mouvement menaçant en direction du TC no 5, des agents de police et du personnel infirmier et que l’AT no 1 aurait réagi en poussant le menton du plaignant à l’aide de sa main; alors que l’AT no 1 repoussait le plaignant, sa main aurait glissé du menton vers la gorge de celui-ci, après quoi l’agent aurait retiré sa main.

Il a aussi été rapporté que l’AI aurait exercé une pression sur le cou du plaignant alors qu’il le maintenait contre la civière. On a en effet signalé que les doigts et/ou le pouce de l’AI ont été vus sur le cou du plaignant, pinçant son artère carotide. L’agent aurait maintenu son emprise pendant deux à cinq secondes, puis aurait retiré sa main alors qu’il semblait que le plaignant ne présentait plus de signes vitaux. Selon une autre version des événements, l’AI aurait utilisé sa main gauche pour appuyer sur la joue droite du plaignant de façon à tourner sa tête vers la gauche, en disant à l’AT no 1 de lâcher le plaignant, car il avait la maîtrise de la situation. Son pouce sur la mâchoire du plaignant et ses doigts près des yeux de ce dernier, l’AI aurait maintenu son emprise pendant 5 et 15 secondes, tout au plus. Peu de temps après, le plaignant a cessé de présenter des signes vitaux et on a entrepris des manœuvres de réanimation cardiopulmonaire.

Même s’il y a des incohérences dans les témoignages recueillis quant à la force manuelle utilisée par les agents pour maintenir la partie supérieure du corps et la tête du plaignant sur la civière, je suis convaincu qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’il y a bel et bien eu usage de la force, dans une mesure ou une autre. Il convient de noter que l’AT no 1 nie avoir fait usage de la force de la manière rapportée dans les déclarations en question. L’agent a plutôt indiqué que son contact avec le plaignant dans la salle de traumatologie s’est limité à maintenir en place le bas de la jambe gauche de celui-ci. De plus, aucune des autres personnes présentes dans la salle ayant participé à une entrevue avec l’UES, soit le TC no 8, l’AT no 2 et les membres du personnel infirmier, n’a déclaré avoir été témoin de l’usage d’une force de cette nature, bien qu’il soit très possible que ces personnes n’aient pas été en mesure de le voir ou qu’elles ne l’aient pas remarqué, étant donné la nature chaotique des événements qui se déroulaient sur les lieux. Enfin, il y a des incohérences dans les déclarations selon lesquelles l’AI aurait touché le cou du plaignant pour ce qui est de la nature exacte de ce contact. Malgré ces difficultés, je ne peux écarter les éléments de preuve d’après lesquels il y aurait eu une certaine forme de compression dans la région du cou, particulièrement en raison des ecchymoses qui ont été détectées lors de l’autopsie, aux côtés gauche et droit du cou du plaignant. Alors, que faire de ces éléments de preuve?

D’une part, il semblerait certainement, du point de vue d’un profane, qu’appliquer une pression dans la région du cou d’une personne qui est clairement dans une situation de détresse médicale aiguë est une mauvaise idée. Il n’est pas nécessaire de posséder une grande expertise pour comprendre qu’une perturbation du système respiratoire et/ou cardiovasculaire d’un patient dans un tel état est susceptible d’avoir des conséquences médicales néfastes.

D’autre part, les éléments de preuve sont ambigus quant à savoir si les agents ont intentionnellement posé leurs mains ou leurs doigts sur le cou du plaignant ou si un tel contact était involontaire – par exemple, si la main de l’AT no 1 a glissé du menton du plaignant vers le cou et le haut de la poitrine de celui-ci. Il faut aussi tenir compte de la situation mouvementée dans laquelle se trouvaient les parties. Si l’AT no 1 et l’AI ont agi de façon imprudente, ils l’ont fait dans une atmosphère tendue où les personnes rassemblées autour du plaignant croyaient qu’il était impératif de l’immobiliser pour être en mesure de lui administrer les soins médicaux dont il avait besoin de toute urgence. Enfin, outre son incidence en tant que « facteur de stress » lié à la contention, dans la même mesure que les autres moyens de contrainte physique utilisés à l’endroit du plaignant dans les instants ayant précédé son décès (menottes, etc.), il n’y a aucun élément de preuve pathologique montrant sans conteste que la pression exercée dans la région du cou du plaignant a entraîné un arrêt cardiaque réflexe par stimulation de la bifurcation de la carotide [2].

À la lumière de ce qui précède, je ne suis pas en mesure de conclure, sur la base d’un jugement raisonnable, que les erreurs des agents, s’il s’agissait bien d’erreurs, constituaient un écart marqué par rapport à la norme de diligence qu’aurait respecté une personne raisonnable dans les mêmes circonstances.

Ainsi, puisqu’il n’y a pas de motifs raisonnables de croire que l’AT no 1 et l’AI ont commis l’infraction criminelle de négligence criminelle causant la mort, il n’y a aucun motif de porter des accusations criminelles dans cette affaire. Par conséquent, le dossier est clos.


Date : 12 avril 2021

Approuvé par voie électronique par

Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) Il n’est pas clair si les menottes qui avaient été mises au plaignant avaient été enlevées d’un côté, voire des deux côtés. [Retour au texte]
  • 2) Voir le rapport d’autopsie daté du 14 août 2020. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.