Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 18-OFD-030
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Contenus:
Mandat de l’UES
L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.
En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.
En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.
Restrictions concernant la divulgation de renseignements
Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (« LAIPVP »)
En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :- de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
- de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.
En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :
- le nom de tout agent impliqué;
- le nom de tout agent témoin;
- le nom de tout témoin civil;
- les renseignements sur le lieu de l’incident;
- les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête;
- d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête
Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)
En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel lié à la santé de personnes identifiables.Autres instances, processus et enquêtes
Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.Exercice du mandat
La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave (y compris une allégation d’agression sexuelle).
On doit englober dans les «â€‰blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de «â€‰blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.
Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur le décès par balle d’un homme de 21 ans (le plaignant) survenu le 3 février 2018, lors d’un affrontement avec la police.
On doit englober dans les «â€‰blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de «â€‰blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.
Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur le décès par balle d’un homme de 21 ans (le plaignant) survenu le 3 février 2018, lors d’un affrontement avec la police.
L’enquête
Notification de l’UES
Le 3 février 2018, vers 11 h 28 du matin, le Service de police de Timmins (SPT) a avisé l’UES d’un décès par arme à feu. Le SPT a donné le rapport suivant : ce matin-là, à 10 h 22, des agents de police ont répondu à un appel pour assistance au garage d’ambulances situé au 500, boulevard Algonquin Est, à Timmins.
Lorsque les policiers sont arrivés, ils ont trouvé un homme, dont ils ignoraient l’identité, dont le comportement était étrange. Les policiers ont essayé de lui parler, mais il s’est enfui à pied. Les policiers l’ont poursuivi à pied et la poursuite s’est terminée derrière le garage des ambulances. L’homme était armé d’un couteau et criait aux policiers de lui tirer une balle dans la tête. Une arme à impulsion a été déployée, mais s’est révélée inefficace. L’homme s’est précipité sur l’agent impliqué (AI), qui a fait feu avec son pistolet de service. L’homme a été emmené à l’hôpital où son décès a été prononcé peu après.
L’équipe de l’UES
Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 5 Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 3
Le samedi 3 février, à 11 h 36, cinq enquêteurs et trois enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires (ESSJ) de l’UES ont été chargés d’enquêter sur le décès du plaignant. L’UES est arrivée sur les lieux à 20 h le jour même et a immédiatement ouvert une enquête. Les enquêteurs de l’UES ont fait le tour du secteur où l’incident s’est produit. Les ESSJ ont examiné le lieu de l’incident, l’ont filmé, photographié et l’ont mesuré à l’aide d’une station totalisatrice Sokkia.
Le conseil d’administration des services sociaux du district de Cochrane avait des séquences vidéo brutes liées aux événements entourant l’incident. Le personnel du ministère des Finances (MFO) a aidé à améliorer certaines parties de ces vidéos. Malheureusement, en raison de la distance importante entre la caméra et le lieu de l’incident, les vidéos n’étaient pas aussi claires qu’on l’aurait souhaité. En focalisant sur le lieu de l’incident et en grossissant afin de mieux voir les lieux, les images sont devenues extrêmement pixélisées.
À la suite d’une enquête préliminaire, les enquêteurs de l’UES ont désigné l’AI le 3 février 2018. Le 12 février 2018, l’AI a renoncé à ses droits en vertu de la Loi sur les services policiers (LSP) et a fourni une déclaration aux enquêteurs de l’UES; il n’a toutefois pas consenti à leur remettre une copie de ses notes, comme la loi l’y autorise.
Plaignant :
Homme de 21 ans, décédé
Témoins civils
TC no 1 A participé à une entrevue
TC no 2 A participé à une entrevue
TC no 3 A participé à une entrevue
TC no 4 A participé à une entrevue
TC no 5 A participé à une entrevue
TC no 6 A participé à une entrevue
TC no 7 A participé à une entrevue
TC no 8 A participé à une entrevue
TC no 9 A participé à une entrevue
TC no 10 A participé à une entrevue
TC no 11 A participé à une entrevue
TC no 12 A participé à une entrevue
TC no 13 A participé à une entrevue
TC no 14 A participé à une entrevue
TC no 15 A participé à une entrevue
TC no 16 A participé à une entrevue
Les membres de la famille du plaignant n’ont pas consenti à participer à une entrevue avec les enquêteurs de l’UES.
Agents témoins
AT no 1 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées
AT no 2 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées
AT no 3 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées
AT no 4 Notes reçues et examinées; entrevue jugée non nécessaire
AT no 5 Notes reçues et examinées; entrevue jugée non nécessaire
AT no 6 Notes reçues et examinées; entrevue jugée non nécessaire
AT no 7 Notes reçues et examinées; entrevue jugée non nécessaire
AT no 8 Notes reçues et examinées; entrevue jugée non nécessaire
Témoins civils
TC no 1 A participé à une entrevue TC no 2 A participé à une entrevue
TC no 3 A participé à une entrevue
TC no 4 A participé à une entrevue
TC no 5 A participé à une entrevue
TC no 6 A participé à une entrevue
TC no 7 A participé à une entrevue
TC no 8 A participé à une entrevue
TC no 9 A participé à une entrevue
TC no 10 A participé à une entrevue
TC no 11 A participé à une entrevue
TC no 12 A participé à une entrevue
TC no 13 A participé à une entrevue
TC no 14 A participé à une entrevue
TC no 15 A participé à une entrevue
TC no 16 A participé à une entrevue
Les membres de la famille du plaignant n’ont pas consenti à participer à une entrevue avec les enquêteurs de l’UES.
Agents témoins
AT no 1 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées AT no 2 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées
AT no 3 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées
AT no 4 Notes reçues et examinées; entrevue jugée non nécessaire
AT no 5 Notes reçues et examinées; entrevue jugée non nécessaire
AT no 6 Notes reçues et examinées; entrevue jugée non nécessaire
AT no 7 Notes reçues et examinées; entrevue jugée non nécessaire
AT no 8 Notes reçues et examinées; entrevue jugée non nécessaire
Les enquêteurs de l’UES ont obtenu et examiné une copie des notes rédigées par les agents témoins (AT) no 4 à 8 dans leurs carnets de service. D’après ces notes, ces agents ne sont pas directement intervenus dans les événements qui ont précédé la fusillade et ils ne sont arrivés sur les lieux qu’après l’incident. Les enquêteurs ne leur ont donc pas demandé de participer à une entrevue.
Description de l’incident
Le 3 février 2018, à 10 h 09 du matin, des ambulanciers paramédicaux des services médicaux d’urgence (SMU) du district de Cochrane, au 500, boulevard Algonquin Est, dans la ville de Timmins, ont demandé l’aide de la police au sujet d’un homme (maintenant identifié comme étant le plaignant) qui était entré dans le garage des ambulances.
Avant l’arrivée de la police, le plaignant est entré dans le garage et a dit aux ambulanciers paramédicaux qu’il voulait que quelqu’un lui tire une balle dans la tête. Les SMU ont de nouveau appelé le centre de communication du SPT pour dire que l’homme avait des hallucinations et demandait avec insistance qu’on lui tire dans la tête.
Alors que les ambulanciers paramédicaux essayaient de lui parler, le plaignant s’est mis deux couteaux sous la gorge et a demandé s’il devait le faire lui-même. Les ambulanciers paramédicaux ont réussi à convaincre le plaignant de retirer les couteaux de sa gorge et lui ont calmement demandé de sortir du garage. Le plaignant a obéi et est allé dans le stationnement à l’arrière du bâtiment.
Le premier agent du SPT arrivé sur les lieux, l’AT no 1, a garé son véhicule de patrouille, est sorti de son véhicule et a essayé de parler au plaignant. Le plaignant s’est jeté sur lui en tenant les deux couteaux. L’AT no 1 a immédiatement bondi en arrière et a battu en retraite du côté passager de son véhicule de police, tout en dégageant son arme à impulsion et en la pointant en direction du plaignant. Le plaignant s’est alors éloigné du véhicule de police et est sorti du stationnement en courant vers le nord, en direction du lac Gillies. L’AT no 1 a poursuivi le plaignant à pied. Tout en continuant de courir, le plaignant a jeté par terre son sac à dos et l’un des couteaux.
L’AT no 1 a contacté par radio les autres membres du SPT pour les avertir que le plaignant était armé de couteaux et qu’il se dirigeait vers le lac Gillies. L’AI a entendu ces messages radio et s’est rendu dans son véhicule de police jusqu’au stationnement de la zone de protection de la nature du lac Gillies, où il a vu le plaignant traverser le stationnement en courant vers le nord, en direction du lac enneigé.
L’AI est sorti de son véhicule de police et a poursuivi le plaignant sur le lac gelé. Comme il y avait beaucoup de neige sur le lac, il était difficile d’avancer. Sur une séquence de vidéosurveillance du service d’ambulance, on voit le plaignant s’arrêter et se retourner, face à l’AI. Malheureusement, la vidéo est de mauvaise qualité en raison de la grande distance entre la caméra et l’incident, et d’un arbre qui bloque partiellement la vue. L’incident est également partiellement enregistré par la caméra à bord du véhicule de police de l’AI. L’AI a sorti son arme à impulsion et l’a pointée sur le plaignant, en lui disant de lâcher le couteau, mais le plaignant a refusé. L’AI a alors déchargé son arme à impulsion directement sur le plaignant, mais sans effet apparent. Le plaignant s’est avancé vers l’AI, le couteau toujours à la main.
L’AI a lâché son arme à impulsion, a dégainé son pistolet de service (ce qu’on peut voir sur la séquence de vidéosurveillance) et a tiré une volée de quatre coups sur le plaignant. Le plaignant s’est effondré en avant dans la neige, à environ deux mètres de l’AI. Le plaignant était conscient et tenait toujours le couteau, tout en étant partiellement assis dans la neige. L’AI a continué de lui ordonner de laisser tomber le couteau, tout en maintenant son arme pointée sur lui en attendant l’arrivée d’autres policiers.
Deux autres agents sont ensuite arrivés et ont retiré le couteau de la main du plaignant. Peu après, à l’arrivée d’un troisième agent, les quatre agents ont porté le plaignant en marchant sur le lac jusqu’à une ambulance. Le plaignant a ensuite été transporté à l’hôpital, où son décès a été déclaré à 10 h 45.
Cause du décès
Le 5 février 2018, une autopsie du plaignant a été effectuée. Le médecin légiste a conclu que le décès résultait de multiples blessures par balle. Le 1er septembre 2018, l’UES a reçu le rapport final de l’autopsie, confirmant que de multiples blessures par balle ayant entraîné une exsanguination (perte de sang) et un choc hémorragique étaient la cause immédiate du décès.
Avant l’arrivée de la police, le plaignant est entré dans le garage et a dit aux ambulanciers paramédicaux qu’il voulait que quelqu’un lui tire une balle dans la tête. Les SMU ont de nouveau appelé le centre de communication du SPT pour dire que l’homme avait des hallucinations et demandait avec insistance qu’on lui tire dans la tête.
Alors que les ambulanciers paramédicaux essayaient de lui parler, le plaignant s’est mis deux couteaux sous la gorge et a demandé s’il devait le faire lui-même. Les ambulanciers paramédicaux ont réussi à convaincre le plaignant de retirer les couteaux de sa gorge et lui ont calmement demandé de sortir du garage. Le plaignant a obéi et est allé dans le stationnement à l’arrière du bâtiment.
Le premier agent du SPT arrivé sur les lieux, l’AT no 1, a garé son véhicule de patrouille, est sorti de son véhicule et a essayé de parler au plaignant. Le plaignant s’est jeté sur lui en tenant les deux couteaux. L’AT no 1 a immédiatement bondi en arrière et a battu en retraite du côté passager de son véhicule de police, tout en dégageant son arme à impulsion et en la pointant en direction du plaignant. Le plaignant s’est alors éloigné du véhicule de police et est sorti du stationnement en courant vers le nord, en direction du lac Gillies. L’AT no 1 a poursuivi le plaignant à pied. Tout en continuant de courir, le plaignant a jeté par terre son sac à dos et l’un des couteaux.
L’AT no 1 a contacté par radio les autres membres du SPT pour les avertir que le plaignant était armé de couteaux et qu’il se dirigeait vers le lac Gillies. L’AI a entendu ces messages radio et s’est rendu dans son véhicule de police jusqu’au stationnement de la zone de protection de la nature du lac Gillies, où il a vu le plaignant traverser le stationnement en courant vers le nord, en direction du lac enneigé.
L’AI est sorti de son véhicule de police et a poursuivi le plaignant sur le lac gelé. Comme il y avait beaucoup de neige sur le lac, il était difficile d’avancer. Sur une séquence de vidéosurveillance du service d’ambulance, on voit le plaignant s’arrêter et se retourner, face à l’AI. Malheureusement, la vidéo est de mauvaise qualité en raison de la grande distance entre la caméra et l’incident, et d’un arbre qui bloque partiellement la vue. L’incident est également partiellement enregistré par la caméra à bord du véhicule de police de l’AI. L’AI a sorti son arme à impulsion et l’a pointée sur le plaignant, en lui disant de lâcher le couteau, mais le plaignant a refusé. L’AI a alors déchargé son arme à impulsion directement sur le plaignant, mais sans effet apparent. Le plaignant s’est avancé vers l’AI, le couteau toujours à la main.
L’AI a lâché son arme à impulsion, a dégainé son pistolet de service (ce qu’on peut voir sur la séquence de vidéosurveillance) et a tiré une volée de quatre coups sur le plaignant. Le plaignant s’est effondré en avant dans la neige, à environ deux mètres de l’AI. Le plaignant était conscient et tenait toujours le couteau, tout en étant partiellement assis dans la neige. L’AI a continué de lui ordonner de laisser tomber le couteau, tout en maintenant son arme pointée sur lui en attendant l’arrivée d’autres policiers.
Deux autres agents sont ensuite arrivés et ont retiré le couteau de la main du plaignant. Peu après, à l’arrivée d’un troisième agent, les quatre agents ont porté le plaignant en marchant sur le lac jusqu’à une ambulance. Le plaignant a ensuite été transporté à l’hôpital, où son décès a été déclaré à 10 h 45.
Cause du décès
Le 5 février 2018, une autopsie du plaignant a été effectuée. Le médecin légiste a conclu que le décès résultait de multiples blessures par balle. Le 1er septembre 2018, l’UES a reçu le rapport final de l’autopsie, confirmant que de multiples blessures par balle ayant entraîné une exsanguination (perte de sang) et un choc hémorragique étaient la cause immédiate du décès.Éléments de preuve
Les lieux
Premier lieu
L’incident a débuté dans le stationnement à l’arrière du bâtiment des ambulances des SMU du district de Cochrane, au 500, boulevard Algonquin Est à Timmins. Il y avait de nombreuses caméras de vidéosurveillance sur l’extérieur de ce bâtiment. Un gros banc de neige bordait le coin nord-est du stationnement. Un sac à dos et un couteau d’office à manche noir reposaient sur le sol enneigé au pied du banc de neige. Des pylônes avaient été placés à l’endroit où un véhicule de police du SPT avait été initialement garé, mais le SPT les avait ensuite déplacés parce qu’il avait besoin de ce véhicule.Le stationnement à l’arrière du bâtiment des ambulances des SMU. Le sac à dos et le couteau abandonnés sont visibles en arrière-plan sur la photo, au pied du banc de neige, juste à droite du centre.
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Deuxième lieu
Le lieu final était sur le lac Gillies, à l’endroit où le plaignant a été abattu. Des maisons bordent la rive nord du lac. La zone de protection de la nature est située au 100, Lakeshore Road, à Timmins.Le lac était gelé et enneigé. Un sentier pédestre était également couvert de neige. Un grand nombre d’empreintes de pas étaient visibles dans la neige. Un porte-clés, des taches rougeâtres (probablement du sang) et du tissu étaient visibles à des endroits entre le sentier et la rive du lac. Ces endroits étaient sécurisés par des pylônes.
À l’aide d’un détecteur de métal, les enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES ont examiné les lieux en suivant un quadrillage et ont repéré quatre douilles de cartouche usagées de calibre .40 et un projectile. Des étiquettes AFID (identification anti-félons de l’arme à impulsion) (confettis avec numéro de série sous forme de code à barres qui sont déchargés en même temps que l’arme à impulsion), ainsi qu’une porte de cartouche d’arme à impulsion, ont également été récupérées à cet endroit.
Schéma des lieux
Éléments de preuve matériels
Fouille judiciaire du sac à dos du plaignant
Le sac à dos et un couteau étaient par terre, au coin nord-est du stationnement, au pied d’un gros banc de neige. Les enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES ont fouillé le sac à dos du plaignant au laboratoire de l’UES. Le sac contenait une liste, titrée « To do » (choses à faire), écrite à la main dans un carnet d’adresses et portant, entre autres, la mention suivante [traduction] « Tuer tous les flics de la ville ». Les deux couteaux
Un agent du SPT a retiré le premier couteau de la main gauche du plaignant après que celui-ci a été blessé par balle, car il craignait que le couteau ne disparaisse dans la neige profonde. Cet agent a placé le couteau dans un sachet de saisie sur le lieu de la fusillade et l’a sécurisé dans une boîte à preuves au poste du SPT. Cette boîte a ensuite été remise aux enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES. Il s’agissait d’un couteau de cuisine à lame de métal de 5 cm et manche de 7 cm. Le deuxième couteau a été trouvé au coin nord-est du stationnement, au pied d’un gros banc de neige, près du sac à dos abandonné par le plaignant. Il s’agissait d’un couteau d’office à lame de métal de 5,9 cm et manche de 10 cm.
Données téléchargées de l’arme à impulsion
Les données extraites de l’arme à impulsion en possession de l’AI ont révélé que celle-ci était en bon état de fonctionnement et qu’elle avait été utilisée une fois à 10 h 14 min 57 sec le 3 février 2018, ce qui correspond à sa décharge immédiatement avant le tir de l’arme à feu sur le plaignant. L’arme à impulsion a été déchargée pendant cinq secondes, avant de repasser en mode d’économie d’énergie de 20 minutes. Éléments de preuves médicolégaux
Rapport de toxicologie
Le rapport de toxicologie note la présence de diverses drogues, notamment de méthamphétamine, de cocaïne et de tétrahydrocannabinol (THC). Le rapport souligne aussi que la concentration de méthamphétamine détectée dans le sang du plaignant devrait produire « un niveau de toxicité élevé ». Le rapport indique que les manifestations comportementales de la consommation de méthamphétamine peuvent inclure une élocution rapide ou confuse, la transpiration, un pouls rapide, l’agitation, la paranoïa et un comportement violent ou agressif. De plus, l’utilisation prolongée de méthamphétamine entraîne généralement un état psychotique qui se manifeste par un comportement violent, généralement en réponse à des délires paranoïaques. Le rapport énumère les effets possibles de la consommation de cocaïne sur le comportement : excitation, euphorie, comportement plus risqué, vision trouble, hallucinations, paranoïa, idées délirantes, délire agité et convulsions.Rapport sur les armes à feu
L’arme à feu de l’AI, les douilles et une balle tirée et endommagée récupérées sur le lac Gillies à l’endroit où le plaignant a été abattu, ainsi que les vêtements du plaignant, ont été soumis à la Section des armes à feu du Centre des sciences judiciaires (CSJ) pour examen. Cet examen a révélé que les quatre douilles de balle provenaient de l’arme à feu de l’AI; il n’était pas possible de déterminer l’origine de la balle endommagée.
L’examen des vêtements du plaignant a révélé que la distance entre la bouche de l’arme à feu de l’AI et le plaignant était supérieure à 40 cm (16 pouces) au moment de sa décharge; il n’était pas possible de déterminer plus précisément la distance.
L’examen du pantalon du plaignant a confirmé que deux projectiles avaient frappé le plaignant dans le bas du corps (sans qu’on puisse déterminer dans quel ordre), l’un pénétrant la jambe et ressortant à l’arrière (bord extérieur) et l’autre pénétrant le devant de sa taille, après avoir traversé son manteau.
Le manteau du plaignant a révélé le passage de trois projectiles (sans qu’on puisse déterminer dans quel ordre) : l’un a traversé la manche droite, de l’avant à l’arrière; le deuxième est entré sur le devant de la taille (c’est la même balle qui a ensuite continué et est entrée dans le pantalon du plaignant, à la même hauteur); et le troisième est entré par l’arrière.
Témoignage d’expert
Le lundi 5 février 2018, un médecin légiste a procédé à l’autopsie du plaignant à l’Unité de médecine légale de la région du Nord-Est, à Sudbury. À la fin de l’autopsie, il a conclu que les multiples blessures par balle étaient la cause du décès.Le 12 septembre 2018, l’UES a reçu le rapport final d’autopsie, y compris le rapport de toxicologie. Le rapport d’autopsie confirme que la « cause immédiate du décès » était de multiples blessures par balle. Il précise que même si, sur le plan médical, la blessure par balle au torse est la plus grave des blessures constatées, l’exsanguination (perte de sang) résultant des trois autres blessures aurait également contribué au décès. Selon le rapport, les mécanismes de décès les plus probables sont l’exsanguination et le choc hémorragique.
Le rapport note la présence de quatre blessures par balle sur le corps du plaignant. Le médecin légiste a précisé qu’il n’était pas en mesure de déterminer l’ordre dans lequel ces blessures avaient été subies ni la portée du tir (la distance entre le pistolet et le plaignant au moment où les blessures ont été causées) pour aucune de ces blessures.
Le rapport donne la liste suivante de ces quatre blessures :
Blessure no 1 —En haut à gauche du dos. La balle a pénétré la paroi thoracique postérieure (dos) gauche, traversé les lobes supérieur et inférieur du poumon, et est ressortie par la paroi thoracique antérieure (devant) gauche. La trajectoire de cette balle était de l’arrière à l’avant, légèrement vers le bas, légèrement de droite à gauche.
Blessure no 2 —Au bassin (région pubienne). La balle a pénétré dans le bassin, à gauche de la ligne médiane, et est ressortie par la fesse droite. La trajectoire de cette balle était de l’avant à l’arrière, vers le bas, de gauche à droite.
Blessure no 3 —La balle a pénétré la cuisse antérieure droite et est ressortie par le muscle latéral (côté) de la cuisse. La trajectoire de cette balle était de l’avant à l’arrière, légèrement vers le bas, de gauche à droite.
Blessure no 4 —La blessure était au haut antérieur du bras droit. La balle a pénétré le biceps droit et est ressortie par le haut postérieur du bras droit. La trajectoire de la balle était de l’avant à l’arrière.
Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou de photographies
Enregistrement du téléphone du TC no 3
Un enquêteur de l’UES a copié et examiné les enregistrements vidéo pris par le TC no 3 sur son téléphone cellulaire le 6 février 2018. Tous les enregistrements contenaient des images vidéo qui captaient une partie de l’interaction entre le plaignant et les agents de police peu après la fusillade. Dans la vidéo, le TC no 3 commente ce qu’il voit comme suit : [traduction] « Des coups ont été tirés. Ils ont d’abord déchargé un Taser sur lui, il n’a pas bougé, il ne s’est pas arrêté, alors… J’ai entendu trois coups de feu. Je ne vois pas grand-chose d’ici. Je suis de l’autre côté de Gillies. Le suspect a commencé à courir, il s’est arrêté, puis il a commencé à courir vers l’agent… Il fait froid dehors ».
Sur la vidéo, on voit un agent du SPT en uniforme (identifié maintenant comme étant l’AT no 3) traversant le lac en courant d’ouest en est, vers l’endroit où se trouvent trois autres agents de police (identifiés maintenant comme étant l’AI, l’AT no 2 et l’AT no 1). On peut entendre une voix masculine, vraisemblablement celle d’un des agents du SPT présents, disant [traduction] « mets-toi à terre » ou « reste à terre ». L’enregistrement du téléphone cellulaire corrobore les témoignages des témoins civils, des agents témoins et de l’agent impliqué.
Vidéo de la caméra à bord du véhicule de police de l’AI :
Le véhicule de police de l’AI était équipé d’une caméra avec fonction audio. Cette caméra a été activée à 10 h 22, alors que l’AI roulait vers l’ouest sur l’avenue Moneta. On peut entendre les messages radio transmis depuis le véhicule de l’AI alors qu’il roulait vers le nord sur la rue Railway. On peut voir l’AI s’approchant d’un panneau d’arrêt, à l’intersection de la rue Railway et de l’avenue Knox, puis faire un virage à gauche pour contourner une camionnette rouge. L’AI allume alors les feux d’urgence de son véhicule de police et traverse l’intersection en direction nord sur Brunette Road. La vidéo a capturé le son du véhicule de police de l’AI en train d’accélérer après qu’un agent (identifié maintenant comme étant l’AT no 1) annonce par radio « Il a deux couteaux ». L’AI active alors la sirène de son véhicule et se dirige vers le nord sur Brunette Road. L’AT no 1 annonce ensuite par radio « Il se dirige vers le lac Gillies », puis « Un homme autochtone, manteau noir, sac à dos, il a laissé tomber le sac à dos.
La caméra révèle que l’AI traverse l’intersection du boulevard Algonquin Est et se dirige vers le nord sur Brunette Road. On entend l’AT no 1 répéter que l’homme a deux petits couteaux et se dirige vers le lac Gillies. L’AI entre ensuite dans le stationnement de la zone de protection de la nature du lac Gillies, où il annonce qu’il voit l’homme (identifié maintenant comme étant le plaignant). On voit sur la vidéo le plaignant qui traverse en courant le stationnement et se dirige vers le lac, au nord-ouest.
Le plaignant passe en courant à la hauteur du véhicule du TC no 1, côté passager, et continue en courant dans la neige épaisse jusqu’au lac gelé. On peut voir l’AI conduire son véhicule de police du côté gauche (conducteur) du véhicule du TC no 1.
On voit ensuite, dans le coin en haut et à gauche de la vidéo, l’AI qui court dans la neige sur le lac pour essayer de rattraper le plaignant. On entend un message radio de l’AT no 1 l’avertissant que le plaignant a un couteau en main. Peu après, on entend sur la radio une voix qui dit : [traduction] « Lâche le couteau! Lâche le couteau, OK? » de la radio de la voiture de l’AI. On ne voit pas l’interaction entre l’AI et le plaignant sur la vidéo du véhicule de l’AI, car ils sont hors du champ de la caméra.
On voit par contre le TC no 1 en train de fermer la portière de son véhicule, côté conducteur, et commencer de se diriger vers le lac. On voit l’AT no 1 passer en courant à la hauteur du véhicule du TC no 1, côté passager, et continuer dans la neige en direction du lac. On peut voir qu’il a de la difficulté à courir dans la neige.
Vidéo de la caméra à bord du véhicule de police de l’AT no 2
Le véhicule de police de l’AT no 2 était aussi équipé d’une caméra avec fonction audio. On voit d’abord sur la vidéo l’AT no 2 derrière le bâtiment des SMU, au 500 boulevard Algonquin Est, à Timmins. On voit l’AT no 2 faire demi-tour dans son véhicule de police et se diriger vers Lakeshore Road en tournant à droite. Il parcourt une courte distance sur Lakeshore Road, puis fait un virage à droite pour entrer dans le stationnement de la zone de protection de la nature du lac Gillies. On entend sur la radio de la voiture de l’AT no 2 une voix (vraisemblablement de l’AI) qui dit : [traduction] « Lâche le couteau! Lâche le couteau, OK? »
L’AT no 2 accélère dans l’allée d’entrée et lorsqu’il approche du stationnement, on voit un policier (maintenant identifié comme étant l’AT no 1) traverser le stationnement en courant vers le nord, en direction du lac Gillies.
L’AT no 2 immobilise son véhicule de police directement à côté de celui de l’AI. On voit ensuite sur la vidéo l’AI debout dans la neige sur le lac Gillies, près de la rive, qui pointe son pistolet sur le plaignant qui semble accroupi dans la neige. L’AI paraît ajuster sa position, comme il s’enfonçait dans la neige épaisse, son arme à feu toujours pointée en direction du plaignant.
Enregistrements des caméras de vidéosurveillance des SMU du district de Cochrane
Le 5 février 2018, le conseil d’administration des services sociaux du district de Cochrane a remis aux enquêteurs de l’UES un DVD contenant des enregistrements vidéo bruts pris avant la fusillade ainsi que des images pixélisées de la fusillade. Toutes les caméras de vidéosurveillance installées à l’intérieur et à l’extérieur du bâtiment des SMU étaient des modèles activés par le mouvement. Les enregistrements contiennent des images vidéo, mais pas d’audio. Il y avait des caméras de vidéosurveillance à l’intérieur du garage des ambulances ainsi qu’à l’extérieur, sur la façade nord, vers le stationnement et le lac.
Un enquêteur de l’UES a examiné les vidéos et a constaté que l’horodatage des enregistrements était cohérent et correspondait à l’heure réelle. Ces enregistrements correspondaient également aux heures enregistrées sur les transmissions radio du SPT, sur les relevés du système de répartition assistée par ordinateur (RAO), ainsi qu’aux témoignages des ambulanciers paramédicaux et de l’AT no 1, en ce qui concerne ce qui s’est passé au moment où le plaignant est entré dans le garage des ambulances puis s’est avancé vers l’AT no 1 dans le stationnement.
On voit sur ces vidéos le plaignant initialement à l’extérieur, faisant les cent pas dans le stationnement du garage des ambulances. On voit une ambulance arriver et entrer dans le garage, après quoi le plaignant court derrière l’ambulance pour la suivre à l’intérieur.
À l’intérieur du garage des ambulances, on voit le plaignant debout derrière une ambulance, regardant fixement les fenêtres arrière. On voit un ambulancier paramédical (identifié maintenant comme le TC no 16) parler au plaignant, pendant que les autres ambulanciers les observent. Le plaignant se met ensuite les deux mains sur la gorge et il semble que deux objets pointus dépassent de ses gants.
Les vidéos enregistrées à l’extérieur du bâtiment concordent aussi avec les témoignages des ambulanciers paramédicaux et de l’AT no 1. On voit le plaignant s’avancer vers l’AT no 1 alors que ce dernier sort de son véhicule de police. On voit ensuite l’AT no 1 battre en retraite du côté passager du véhicule, en pointant son arme à impulsion en direction du plaignant. On ne voit rien dans la vidéo qui permettrait de penser que l’AT no 1 a déchargé son arme à impulsion sur le plaignant. On voit ensuite le plaignant s’éloigner de l’AT no 1 en courant et se diriger vers un gros banc de neige. L’AT no 1 suit le plaignant à pied, franchissant le stationnement et le banc de neige, son arme à impulsion toujours en main.
La caméra de vidéosurveillance des SMU a également enregistré des images sur le lac, au loin, où des mouvements ont été capturés. La caméra a capté les événements ayant conduit à la fusillade sur le lac, mais étant donné la distance, il est difficile de bien voir; les agrandissements ont rendu les images très pixelisées.
Sur une image pixelisée, on peut voir quelqu’un, apparemment le plaignant, se déplacer vers le nord depuis l’autre côté du banc de neige, puis sur le lac. Sur une seconde image pixélisée, on peut voir quelqu’un, sans doute l’AI, suivant de près le plaignant. On voit l’AI s’arrêter soudainement, à la suite de quoi un grand arbre obscurcit la vidéo. Peu après, l’AI commence à reculer dans la neige, apparaissant quelque peu déséquilibré en raison de l’épaisseur de la couche de neige et du fait qu’il glisse continuellement sur la glace sous la neige. On peut voir le plaignant avancer rapidement vers l’AI.
On peut voir alors l’AI baisser le bras, tout en continuant de reculer, ce qui suggère que c’est le moment où il lâche son arme à impulsion pour saisir son arme à feu. Les deux hommes sortent alors du champ de la caméra et disparaissent derrière un gros banc de neige.
Enregistrements des communications
Communications radio
Les enregistrements des communications radio des SMU et du SPT pour les événements du 3 février 2018 qui ont conduit au décès du plaignant concordent avec les imprimés du RAO (système de répartition assistée par ordinateur) ainsi qu’avec les enregistrements des caméras des véhicules du SPT et les enregistrements de vidéosurveillance des SMU. En outre, les communications radio corroborent les déclarations des agents de police concernés, des témoins civils et des pièces justificatives fournies par le SPT.L’enregistrement des communications révèle les éléments suivants :
10 h 09 min 27 s : Le centre de communication des SMU reçoit un appel de la base des SMU demandant de l’aide à la base parce qu’un intrus vient d’y entrer.
10 h 09 min 27 s : La répartitrice des SMU demande à la répartitrice du SPT d’envoyer la police à la base des services médicaux parce qu’un intrus vient d’entrer dans la base et qu’ils ont besoin d’aide. Un agent appelle ensuite pour demander des éclaircissements, et la répartitrice lui répond qu’on ne sait pas ce qui se passe.
10 h 10 min 05 s : La répartitrice demande à deux unités de se rendre à la base des SMU.
10 h 11 min 26 s : Les SMU font un appel de suivi disant qu’un homme est entré, qu’il a des hallucinations et qu’il demande qu’on lui tire une balle dans la tête.
10 h 12 min 48 s : La répartitrice indique [traduction] « si vous pouvez entrer par la porte arrière. L’homme hallucine et demande qu’on lui tire une balle dans la tête. Les SMU demandent maintenant 10-2000, c’est urgent. »
10 h 13 min 30 s : L’AT no 1 signale [traduction] « Il a deux couteaux. Vers le lac Gillies (l’agent est à bout de souffle). Homme autochtone, manteau noir, sac à dos rouge et noir. Vient de jeter le sac à dos. Il a deux… apparemment des petits couteaux, dans chaque main. Il se dirige vers le lac Gillies… allez au lac Gillies. »
L’AI répond : [traduction] « Je m’arrête. Je le vois. »
10 h 14 min 36 s : AT no 1 : [traduction] « Fais attention. Il a deux couteaux en main. »
10 h 14 min 40 s : entend l’AI dire, de l’extérieur de son véhicule de police, [traduction] « Lâche les couteaux! Laisse tomber les couteaux, OK? »
10 h 15 min 04 s : Un agent dit que le plaignant respire et qu’on a besoin des SMU.
10 h 16 min 47 s : On entend un agent dire [traduction] : « Quelqu’un a tiré! Quelqu’un a tiré! Est-ce qu’une ambulance est en route vers le lac Gillies? »
La répartitrice répond : « Les SMU ont été avertis. »
Éléments obtenus auprès du Service de police
L’UES a demandé les éléments et documents suivants au SPT, qu’elle a obtenus et examinés :- Enregistrement de l’appel des SMU au centre de communication du SPT;
- Enregistrement des communications radio de la police;
- Enregistrements des caméras des véhicules de police de l’AI et de l’AT no 2;
- Rapport général lié à cet incident;
- Registre d’attribution d’équipement;
- Rapport sur les détails de l’événement;
- Rapport sur personne disparue concernant le plaignant en date du 15 janvier 2018;
- Notes des AT no 1 à no 8;
- Procédure : recours à la force (avril 2018);
- Registre de gestion des lieux;
- Étiquettes de propriété du SPT;
- Demande du SPT au CIPC;
- Registres de formation pour l’AI et les AT nos 1 à 3;
- Dossiers de formation du plaignant d’un service de police précédent.
- Rapport sur les armes à feu du Centre des sciences judiciaires;
- Photo des lieux prise par un TC après la fusillade;
- Rapports généraux (x38) et rapports supplémentaires (x4) déposés par le Service de police de la nation Nishnawbe-Aski concernant le plaignant;
- Rapports d’incident (personne) liés au plaignant détenus par le SPNA
- SMU – Rapport d’incident par le TC no 15;
- SMU – Rapport d’incident par le TC no 18;
- SMU – Rapport d’incident par un témoin non désigné;
- SMU – Rapports généraux d’incident (x3);
- Dossiers médicaux du plaignant concernant ses antécédents de santé mentale;
- Rapport d’optimisation d’images par le ministère des Finances (MFO);
- Vidéo optimisée par le MFO;
- Séquences de vidéosurveillance de l’intérieur du garage des SMU et de l’extérieur du bâtiment situé au 500, boulevard Algonquin Est, à Timmins;
- Vidéo prise par le TC no 2 sur son téléphone cellulaire, avec commentaire audio;
- Vidéos (x 3) prises par le TC no 3 sur son téléphone cellulaire, avec commentaire audio;
- Enregistrements de vidéosurveillance du kiosque surplombant le lac Gillies.
Dispositions législatives pertinentes
Paragraphe 25(1) du Code criminel -- Protection des personnes autorisées
25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :a) soit à titre de particulierest, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.
b) soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
c) soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
d) soit en raison de ses fonctions
25 (3) Sous réserve des paragraphes (4) et (5), une personne n’est pas justifiée, pour l’application du paragraphe (1), d’employer la force avec l’intention de causer, ou de nature à causer la mort ou des lésions corporelles graves, à moins qu’elle n’estime, pour des motifs raisonnables, que cette force est nécessaire afin de se protéger elle-même ou de protéger toute autre personne sous sa protection, contre la mort ou contre des lésions corporelles graves.
Article 27 du Code criminel -- Recours à la force pour empêcher la perpétration d’une infraction
27 Toute personne est fondée à employer la force raisonnablement nécessaire :a) pour empêcher la perpétration d’une infraction :(i) d’une part, pour laquelle, si elle était commise, la personne qui la commet pourrait être arrêtée sans mandat,b) pour empêcher l’accomplissement de tout acte qui, à son avis, basé sur des motifs raisonnables, constituerait une infraction mentionnée à l’alinéa a).
(ii) d’autre part, qui serait de nature à causer des blessures immédiates et graves à la personne ou des dégâts immédiats et graves aux biens de toute personne;
Article 34 du Code criminel -- Défense -- emploi ou menace d’emploi de la force
34 (1) N’est pas coupable d’une infraction la personne qui, à la fois :a) croit, pour des motifs raisonnables, que la force est employée contre elle ou une autre personne ou qu’on menace de l’employer contre elle ou une autre personne(2) Pour décider si la personne a agi de façon raisonnable dans les circonstances, le tribunal tient compte des faits pertinents dans la situation personnelle de la personne et celle des autres parties, de même que des faits pertinents de l’acte, ce qui comprend notamment les facteurs suivants :
b) commet l’acte constituant l’infraction dans le but de se défendre ou de se protéger -- ou de défendre ou de protéger une autre personne -- contre l’emploi ou la menace d’emploi de la force
c) agit de façon raisonnable dans les circonstances
a) la nature de la force ou de la menace
b) la mesure dans laquelle l’emploi de la force était imminent et l’existence d’autres moyens pour parer à son emploi éventuel
c) le rôle joué par la personne lors de l’incident
d) la question de savoir si les parties en cause ont utilisé ou menacé d’utiliser une arme
e) la taille, l’âge, le sexe et les capacités physiques des parties en cause
f) la nature, la durée et l’historique des rapports entre les parties en cause, notamment tout emploi ou toute menace d’emploi de la force avant l’incident, ainsi que la nature de cette force ou de cette menace;1. f.1) l’historique des interactions ou communications entre les parties en causeg) la nature et la proportionnalité de la réaction de la personne à l’emploi ou à la menace d’emploi de la force
h) la question de savoir si la personne a agi en réaction à un emploi ou à une menace d’emploi de la force qu’elle savait légitime
Paragraphe 88(1) du Code criminel -- Port d’arme dans un dessein dangereux
88 (1) Commet une infraction quiconque porte ou a en sa possession une arme, une imitation d’arme, un dispositif prohibé, des munitions ou des munitions prohibées dans un dessein dangereux pour la paix publique ou en vue de commettre une infraction.Analyse et décision du directeur
Le 3 février 2018, vers 10 h 09, le centre de communication du Service de police de Timmins (SPT) a reçu un appel du centre de communication des Services médicaux d’urgence (SMU), demandant l’aide de la police au bâtiment des ambulances situé au 500, boulevard Algonquin, à Timmins. La seule information fournie lors de cet appel était qu’un intrus était entré dans le bâtiment et qu’on avait besoin de l’aide de la police. Des unités de police ont répondu à l’appel.
À 10 h 16, une unité de police a diffusé un message radio indiquant que des coups de feu avaient été tirés et qu’ils avaient besoin immédiatement des SMU.
À 10 h 45, le décès du plaignant, un homme de 21 ans, a été déclaré à l’hôpital. Une autopsie a révélé que le plaignant avait été touché par quatre coups de feu tirés par l’agent impliqué (AI) et qu’il était décédé des suites de l’exsanguination (perte de sang) résultant des quatre blessures par balle.
L’UES a immédiatement ouvert une enquête dans le but de déterminer ce qui s’est passé durant les sept minutes écoulées entre le premier appel demandant l’aide de la police et les coups de feu tirés sur le plaignant, si le décès du plaignant était justifié aux termes de la loi, ou s’il y avait des motifs de porter des accusations criminelles contre l’agent de police responsable de ce décès.
Au cours de l’enquête, dix-sept civils qui ont été témoins passifs ou actifs de diverses interactions avec le plaignant ont été interrogés, ainsi que huit témoins de la police; l’AI a également accepté de participer à une entrevue. Outre les témoignages oculaires, l’enquête a considérablement bénéficié de l’enregistrement de vidéosurveillance des événements qui se sont déroulés entre le moment où le plaignant est entré dans le garage des ambulances au 500, boulevard Algonquin Est, et celui où il a été abattu sur le lac Gillies, ainsi que la narration en temps réel des événements sur les enregistrements des communications de la police. Les enregistrements pris par deux témoins civils sur leurs téléphones cellulaires ont également été utiles pour l’enquête. Bien qu’il soit difficile de distinguer clairement la fusillade, qui a été enregistrée à distance depuis le bâtiment des ambulances sur une vidéo quelque peu obscurcie par la présence d’un arbre bloquant certaines parties de l’incident, grâce à l’amélioration de cette vidéo et aux vidéos enregistrées par les caméras à bord de divers véhicules de police, il a été possible d’extrapoler une chronologie précise des événements, dont nous donnons un résumé ci-après.
On voit le plaignant entrer dans le champ de la caméra dans le stationnement du bâtiment des ambulances, puis courir et suivre une ambulance qui entre dans une baie du garage lorsque la porte du garage s’ouvre. Une fois à l’intérieur, on peut voir le plaignant derrière l’ambulance. Le TC no 16 – un ambulancier paramédical et le conducteur de l’ambulance – sort du véhicule et voit le plaignant debout dans la baie de garage, près de l’ambulance. Le plaignant est entièrement vêtu, mais il déclare au TC no 16 qu’il veut aller à l’hôpital parce qu’il est tout nu. Le TC no 16 en conclut immédiatement que quelque chose ne tourne pas rond chez le plaignant. [1]
La TC no 13, une autre ambulancière paramédicale qui était encore assise dans l’ambulance, a entendu le plaignant dire au TC no 16 qu’il avait consommé de la cocaïne. Elle a alors appelé le service de répartition des SMU sur sa radio portative pour demander l’aide de la police.
Le plaignant a ensuite serré les poings et commencé à dire [traduction] : « Tout ce que je veux, c’est qu’on me tire une balle dans ma maudite tête. » La TC no 13 a immédiatement décroché le téléphone du service de répartition dans le garage et appelé une deuxième fois pour demander l’aide immédiate de la police. On lui a répondu que la police était déjà en route.
L’enregistrement des communications confirme cette preuve : dans l’appel de suivi, la répartitrice des SMU dit à celle du SPT, à 10 h 11 min 26 s, que l’homme qui est entré dans le garage a des hallucinations et demande qu’on lui tire dans la tête.
La TC no 14, une ambulancière paramédicale, a vu le plaignant, tenant deux couteaux qui dépassaient de ses gants, placer ses mains à la gorge en disant : [traduction] « Peut-être que je vais simplement les utiliser sur moi-même! » La TC no 14 a immédiatement informé ses collègues que le plaignant était armé de deux couteaux. La TC no 14 et le TC no 16 ont alors calmement dit au plaignant de ne pas le faire. Le plaignant a replacé les couteaux dans ses gants et a commencé à marcher vers l’aire des bureaux; les ambulanciers lui ont dit de s’arrêter. La TC no 13 ouvert l’une des portes du garage et a demandé au plaignant de partir, ce qu’il a fait. Alors que la TC no 13 refermait la porte, les ambulanciers ont vu l’agent témoin (TC) no 1 entrer dans le stationnement dans son véhicule de police identifié.
Les ambulanciers ont alors rouvert la porte du garage et ont observé l’interaction entre l’AT no 1 et le plaignant. Selon leur témoignage, l’AT no 1 faisait signe au plaignant de rester où il était, mais ce dernier s’est soudainement précipité vers lui. La TC no 14, qui observait l’interaction, a dit qu’elle craignait que le plaignant attaque l’AT no 1 avec les couteaux; la TC no 13 a dit que le plaignant avait foncé en avant vers l’AT no 1, les couteaux en mains. L’AT no 1 s’est précipité derrière son véhicule de police pour se mettre à l’abri, a sorti son arme à impulsion et l’a pointée en direction du plaignant. Le plaignant s’est retourné et a couru vers le coin du stationnement où il a laissé tomber son sac à dos et l’un de ses couteaux, puis a franchi le banc de neige. L’AT no 1 l’a suivi à pied, à une certaine distance derrière lui. [2]
Cette preuve est confirmée par les cinq ambulanciers paramédicaux interrogés ainsi que par l’AT no 1, par les enregistrements des communications et par les séquences de vidéosurveillance du bâtiment des ambulances.
Dans l’enregistrement des communications radio de la police, à 10 h 13 min 30 s, on entend l’AT no 1 sur sa radio, à bout de souffle et semblant courir, ce qui confirme qu’il utilise sa radio portable pendant qu’il poursuit le plaignant à pied. On l’entend dire [traduction] : « Il a deux couteaux. Vers le lac Gillies ». Il donne ensuite une description du plaignant, avant de poursuivre : « Il vient de jeter son sac à dos. Il a deux… apparemment des petits couteaux, dans chaque main. Il se dirige vers le lac Gillies… allez au lac Gillies.
Cette preuve est confirmée par le sac à dos et l’un des deux couteaux qu’on a retrouvés au pied du banc de neige, au coin du stationnement du bâtiment des ambulances, en direction de la zone de protection de la nature et du lac Gillies.
On entend ensuite l’AI, qui répondait aussi à l’appel des SMU, dire : [traduction] « J’arrive. Je le vois ».
Les ambulanciers paramédicaux perdent alors le plaignant et l’AT no 1 de vue, mais onze autres TC indépendants les voient.
La TC no 2, qui était chez elle, a entendu des sirènes dehors. Elle a regardé par la fenêtre pour voir ce qui se passait et a vu un véhicule de police se diriger vers le stationnement du côté sud du lac Gillies, ses feux d’urgence et sa sirène activés, et le plaignant courant vers le nord en direction du lac. Elle a ensuite vu l’AI sortir de son véhicule de police et commencer à poursuivre le plaignant à pied. La TC no 2 a également vu l’AT no 1 sortir du stationnement sud et courir dans la même direction que le plaignant, mais à une certaine distance derrière lui. La TC no 2 a précisé que le plaignant s’est arrêté lorsqu’il est arrivé au sentier de motoneige qui traverse le lac et qu’il s’est retourné pour faire face à l’AI. L’AI a alors soudainement commencé à reculer pour s’éloigner du plaignant, qui s’est jeté sur lui. La TC no 2 a ensuite entendu une volée de trois coups de feu et a vu le plaignant tomber à terre. La TC no 2 était certaine que l’AT no 1 n’est arrivé qu’après les coups de feu. La TC no 2 a ensuite vu le plaignant en position assise dans la neige, les deux policiers se tenant à environ cinq à dix pieds de lui. Le plaignant s’est ensuite écroulé sur le dos dans la neige; les policiers se sont alors approchés, l’ont retourné, l’ont relevé et l’ont porté jusqu’à une ambulance qui attendait à proximité.
La TC no 8 a vu le plaignant debout sur le lac, à environ 15 pieds de l’AI qui tendait les bras vers lui, ce que la TC no 8 a interprété comme étant l’AI faisant des signes au plaignant pour l’avertir de ne pas s’approcher de lui ou de cesser de bouger. La TC no 8 a vu ensuite le plaignant lever les mains en l’air et avancer d’un pied vers l’AI, dans ce qu’elle a décrit comme un trébuchement ou un faux pas, puis continuer d’avancer vers l’AI, les mains toujours en l’air. La TC no 8 a alors détourné le regard, puis a entendu une volée de trois coups de feu. Peu après, un deuxième policier est arrivé et est allé sur le lac.
De façon similaire, le bruit des sirènes a attiré l’attention du TC no 3. Il a vu un véhicule portant les inscriptions du SPT dans le parc de stationnement de la zone de protection de la nature du lac Gillies. Le TC no 3 a également vu le plaignant courir vers le nord sur le lac Gillies, dans la neige qui lui arrivait jusqu’aux genoux. Le TC no 3 a alors vu l’AI poursuivre le plaignant, à pied, en direction nord sur le lac, l’AI étant à environ 10 à 15 verges (9,1 à 13,7 mètres) derrière le plaignant. Il n’y avait aucun autre policier à cet endroit à ce moment-là. Le TC no 3 a entendu l’AI dire au plaignant de lever les mains en l’air, de faire demi-tour et de revenir vers lui. Il a ensuite vu le plaignant s’arrêter, faire demi-tour les mains en l’air, mais baisser ensuite subitement les mains et commencer à courir à fond de train vers l’agent.
Le TC no 3 a alors vu l’AI sortir son arme à impulsion et a entendu le son de la décharge de cette arme. Il a reconnu ce son pour l’avoir déjà entendu à une autre occasion. Cependant, le plaignant n’est pas tombé à terre et le TC no 3 en a déduit que l’arme à impulsion n’avait pas fonctionné correctement. Le TC no 3 a estimé qu’au moment du déploiement de l’arme à impulsion, l’AI et le plaignant étaient à environ dix pieds l’un de l’autre. Le TC no 3 a ensuite vu le plaignant continuer de courir vers l’AI, qui a alors dégainé rapidement son arme à feu. Moins de trois secondes après le déploiement de l’arme à impulsion, le TC no 3 a entendu une volée de trois coups de feu. Le TC no 3 a estimé qu’au moment où il a entendu ces coups de feu, le plaignant n’était plus qu’à cinq pieds de l’AI. Le TC no 3 a ensuite vu le plaignant s’écrouler à terre. Deux autres agents sont alors arrivés.
Le TC no 3 a ensuite activé la fonction vidéo de son téléphone cellulaire et, bien qu’il n’ait pas capturé la fusillade proprement dite, il a répété ce qu’il venait de voir quelques secondes auparavant. Cette version des événements a été fournie aux enquêteurs de l’UES et confirme tout à fait les éléments de preuve donnés par le TC no 3 dans sa déclaration. Je trouve que cette preuve, enregistrée quelques secondes à peine après les événements, est extrêmement convaincante, car il n’y a aucune chance que les souvenirs du témoin se soient effacés ou que les faits se soient embrouillés dans sa mémoire. Dans son récit, on l’entend dire : [traduction] « Il y a eu des coups de feu. Ils ont d’abord déchargé un Taser sur lui, il n’a pas bougé, il ne s’est pas arrêté, alors… J’ai entendu trois coups de feu. Je ne vois pas grand-chose d’ici. Je suis de l’autre côté de Gillies. Le suspect a commencé à courir, il s’est arrêté, puis il a commencé à courir vers l’agent ».
Le TC no 1 était garé dans le parc de stationnement de la zone de protection de la nature, face au lac Gillies, lorsqu’il a vu le plaignant passer en courant sur la droite de son véhicule, suivi de l’AI environ dix secondes plus tard, sur la gauche. Le TC no 1 décrit les deux hommes courant sur le lac gelé, dans une neige d’une profondeur d’un pied à un pied et demi, ce qui gênait le plaignant qui essayait de courir. Le TC no 1 a vu le plaignant s’arrêter et se retourner pour faire face à l’AI, alors qu’il était à environ 25 pieds de la rive du lac. L’AI a alors sorti son arme à impulsion et a dit au plaignant de s’arrêter, ou qu’il allait décharger son arme à impulsion.
Le TC no 1 a estimé que la distance séparant le plaignant et le policier était d’environ 15 à 20 pieds lorsque le plaignant s’est arrêté et s’est tourné vers le policier. Le TC no 1 a alors entendu le son d’une décharge électrique, qu’il a associé à la décharge de l’arme à impulsion, mais a observé que cela n’avait eu aucun effet sur le plaignant, qui se trouvait à environ dix pieds de l’AI lors cette décharge. Immédiatement après la décharge de l’arme à impulsion, le TC no 1 a vu le plaignant courir vers l’AI. Craignant que l’AI soit en difficulté et ait besoin d’aide, le TC no 1 est alors sorti de son véhicule. Alors qu’il sortait de son véhicule, le TC no 1 a entendu trois coups de feu en succession rapide. Quelques secondes après les coups de feu, le TC no 1 a vu arriver l’AT no 1, qui lui a dit de remonter dans sa voiture. Le TC no 1 a ensuite entendu l’AT no 1 s’exclamer dans sa radio portable : [traduction] « Quelqu’un a tiré! Quelqu’un a tiré! »
L’enregistrement des communications confirme ce témoignage en révélant qu’un agent de police est arrivé à 10 h 16 min 47 s et a déclaré [traduction] : « Quelqu’un a tiré! Quelqu’un a tiré! Est-ce qu’une ambulance est en route vers le lac Gillies? ». D’autres policiers sont ensuite arrivés et ont porté le plaignant jusqu’à une ambulance qui venait d’arriver.
Le TC no 7 a entendu trois ou quatre coups de feu depuis son salon et a vu le plaignant étendu dans la neige et deux policiers se dirigeant vers lui depuis le stationnement de l’aire de conversation du lac Gillies, suivis de près par un troisième policier. Le TC no 7 a ensuite vu les agents de police soulever le plaignant et le porter vers une ambulance qui venait d’arriver. À un moment donné, les agents sont tombés dans la neige. Sur l’enregistrement de la caméra de vidéosurveillance, on peut voir aussi que la profondeur de la neige entrave le mouvement des agents et que, à un moment donné, ils tombent alors qu’ils transportent le plaignant.
Un témoin civil, le TC no 4, a donné une description qui était complètement contredite à la fois par les autres témoins civils indépendants et par la séquence de vidéosurveillance. Le TC no 4 a dit qu’il avait entendu un coup de feu de chez lui et que, lorsqu’il avait regardé dehors, il avait vu le plaignant agenouillé dans la neige face à deux policiers. Il a affirmé que les deux policiers étaient à environ dix pieds du plaignant et que celui qui était sur la droite avait les genoux pliés et les bras tendus, dans une position qui, selon le TC no 4, indiquait que le policier pointait une arme à feu sur le plaignant. Le TC no 4 a dit qu’il avait ensuite vu l’agent tirer trois coups de feu, en succession rapide, sur le plaignant alors que celui-ci était à genoux. Le TC 4 a alors vu ces deux policiers se rapprocher du plaignant, tandis que deux autres policiers se sont mis aussi à courir sur la glace en direction du plaignant.
D’après les preuves écrasantes des autres TC indépendants, confirmées par les séquences des caméras de vidéosurveillance et des caméras à bord des véhicules, il est clair que les témoins ont entendu trois ou quatre coups de feu en succession rapide et qu’aucune arme à feu n’a été déchargée par la suite, que le plaignant n’était par terre qu’après ces trois ou quatre coups de feu et que, même si l’AI a continué de pointer son arme à feu sur le plaignant, il n’a pas tiré d’autres coups de feu. Tous les autres témoins, ainsi que la séquence vidéo, confirment que l’AI était seul sur le lac avec le plaignant lorsque le plaignant a couru vers lui et que l’AI a fait feu. Par conséquent, je ne peux pas accepter le témoignage du TC no 4 comme étant exact et je le rejette en faveur de celui des autres TC, des enregistrements vidéo et des preuves matérielles.
Les divers enregistrements vidéo confirment les dépositions de dix des onze témoins civils, ainsi que des témoins de la police. Ils annulent sans aucun doute la version des événements donnée par le TC no 4.
Sur la vidéo, on voit le plaignant, lors de son interaction initiale avec l’AT no 1 sur le stationnement du bâtiment des ambulances, « se précipiter » sur l’AT no 1, qui recule immédiatement pour se mettre à l’abri derrière son véhicule de police et dégage son arme à impulsion, sans toutefois avoir la possibilité de la décharger sur le plaignant, qui s’éloigne en courant. L’AT no 1 suit alors le plaignant, tout en alertant par radio le centre de répartition et ses collègues que le plaignant est armé de deux couteaux.
Sur la vidéo prise par la caméra à bord du véhicule de patrouille de l’AI, on voit le plaignant dépasser en courant la voiture du TC no 1, qui est garée dans le stationnement de la zone de protection de la nature du lac Gillies, et l’AI sortant de son véhicule de police et le poursuivant à pied. Sur l’enregistrement audio de la caméra du véhicule, on entend ensuite l’AI dire au plaignant, d’une voix plutôt calme, [traduction] « Lâche les couteaux. Laisse tomber les couteaux, OK? » Ceci est également enregistré sur l’enregistrement des communications, qui indique que cela s’est passé à 10 h 14 min 36 s.
La vidéo de la caméra du véhicule et la vidéo du système de vidéosurveillance du bâtiment des ambulances confirment que l’AI court sur le lac à la poursuite du plaignant et qu’à un moment donné, le plaignant se retourne et fait face à l’AI, qui commence alors à reculer, mais est gêné dans ses mouvements parce qu’il s’enfonce dans la neige profonde et a du mal à garder l’équilibre. Initialement, on voit l’AI avec un objet à la main, vraisemblablement son arme à impulsion d’après le témoignage des témoins indépendants, pendant que le plaignant s’approche. Les mouvements du plaignant peuvent être décrits comme rapides et dynamiques, alors que l’AI tente immédiatement de s’éloigner et d’augmenter la distance qui les sépare, mais il est de nouveau freiné par la neige profonde. On voit alors l’AI saisir son arme de poing, probablement après avoir jeté par terre son arme à impulsion après sa décharge inefficace, comme l’ont décrit les témoins, tandis que le plaignant continue de s’approcher rapidement de lui. Dans les 28 secondes qui suivent l’ordre donné par l’AI de lâcher les couteaux, on entend un agent dire qu’on a besoin des SMU (l’enregistrement correspondant est à 10 h 15 min 04 sec.). Malheureusement, on n’entend pas clairement le tir de l’arme à feu sur les enregistrements et il est donc difficile de déterminer exactement le moment où les coups de feu ont été tirés, si ce n’est de conclure qu’ils ont eu lieu durant ces 28 secondes.
L’AI a déclaré qu’après avoir entendu la transmission radio de l’AT no 1, il avait traversé le boulevard Algonquin Est en direction du lac Gillies pour se rendre au stationnement de la zone de protection de la nature du lac Gillies, où il avait immédiatement vu le plaignant se diriger vers le nord en direction du lac. Voyant le plaignant passer à côté du véhicule du TC no 1 et se diriger vers le lac enneigé, l’AI est sorti son véhicule de police et l’a suivi. L’AI a expliqué qu’il était difficile de courir dans la neige, parce qu’elle arrivait jusqu’aux genoux.
L’AI a dit qu’il s’était lancé à la poursuite du plaignant parce qu’il pensait avoir des motifs raisonnables de l’arrêter pour des infractions liées à la possession d’armes, étant donné le message radio de l’AT no 1 disant que le plaignant était en possession de deux couteaux et qu’il présentait donc un risque pour la sécurité du public.
Tout en poursuivant le plaignant, l’AI a envisagé ses options en matière de recours à la force et a décidé, en se fondant sur sa formation, que le moyen le plus efficace et le moins préjudiciable d’appréhender le plaignant serait d’utiliser son arme à impulsion. Il l’a donc tirée de la ceinture de son uniforme. L’AI a estimé qu’il avait parcouru environ 25 mètres sur le lac gelé lorsque le plaignant s’est arrêté et s’est retourné vers lui, dans ce qu’il a décrit comme une position de confrontation, un couteau dans la main gauche et la main droite dissimulée dans le dos. L’AI a alors déchargé son arme à impulsion sur le plaignant, mais sans effet, probablement en raison de l’épaisseur des vêtements du plaignant, qui empêchait les sondes d’entrer en contact avec sa peau.
Après la décharge de l’arme à impulsion, le plaignant a continué d’avancer vers l’AI, le couteau à la main. L’AI a essayé de reculer et de s’éloigner du plaignant, mais n’y est pas parvenu, car la neige était trop profonde, ce qui rendait la manœuvre difficile. L’AI a expliqué que le plaignant n’était qu’à environ sept mètres de lui et qu’il se rapprochait plus vite que lui-même ne parvenait à reculer. L’AI a déclaré qu’à ce moment-là, il n’avait aucun moyen de battre en retraite et qu’il était pris au piège.
L’AI a expliqué qu’il croyait que le plaignant était prêt à le poignarder et à le tuer. Il a donc immédiatement laissé tomber son arme à impulsion, a dégainé son arme de poing et a tiré une volée de trois à quatre coups. L’AI a indiqué que son intention était de viser le bas du corps du plaignant, car il n’avait pas l’intention de le tuer. Le plaignant est tombé dans la neige, mais en restant partiellement assis, le couteau toujours à la main; en conséquence, l’AI a dit qu’il ne pouvait pas déterminer si le plaignant avait effectivement été touché. L’AI a continué d’ordonner au plaignant de laisser tomber le couteau, tout en maintenant son arme à feu pointée sur lui. Même s’il était clair que le plaignant était toujours conscient, il n’a pas répondu ni lâché le couteau.
Lorsque d’autres agents sont arrivés, l’AT no 2 s’est prudemment avancé vers le plaignant et lui a retiré le couteau de la main, tandis que l’AI continuait de le couvrir de son arme à feu.
L’AT no 2 a dit que le plaignant tenait fermement le couteau et qu’il avait dû faire un certain effort pour le lui enlever. L’AT no 2 a ensuite placé le couteau dans sa propre poche afin de ne pas le perdre dans la neige profonde.
Deux fils conducteurs de l’arme à impulsion se trouvaient entre l’arme et le manteau du plaignant. L’arme à impulsion gisait dans la neige, les fils toujours attachés; elle a été récupérée et saisie. Les données téléchargées à partir de l’arme à impulsion de l’AI ont confirmé qu’elle avait été déchargée une seule fois, à 10 h 14 min 57 du matin, ce qui signifie, selon l’horodateur de l’enregistrement des communications, que l’AI a tiré les coups de feu environ sept secondes après la décharge sans effet de son arme à impulsion.
Lorsque le plaignant a été examiné par la suite, on a trouvé un ruban électrique noir enroulé autour de sa taille, du ruban vert pour peintre autour de la poitrine, qui maintenait en place du matériel d’emballage pour la viande, ainsi qu’un ruban électrique noir enroulé autour de la jambe droite. L’enquête de l’UES n’a pu trouver aucune explication quant aux raisons pour lesquelles le plaignant s’était « vêtu » de façon aussi insolite. [3]
Après le transfert du plaignant à l’hôpital en ambulance, l’AI a relaté aux deux autres policiers présents ce qui s’était passé avant qu’il fasse feu sur le plaignant. Ce récit concorde avec celui qu’il a fourni dans sa déclaration aux enquêteurs de l’UES et est parfaitement compatible avec celui de tous les témoins civils, à l’exception du témoin dont j’ai écarté le témoignage, ainsi que des autres témoins de la police, des enregistrements audios, des observations faites sur les lieux et des preuves matérielles. Je suis donc convaincu que la version des événements fournie par l’AI est un récit fidèle de ce qui s’est passé. Toutefois, pour évaluer les éléments de preuve, je me suis principalement appuyé sur les témoignages de 10 des 11 témoins civils présents sur les lieux, et surtout sur le témoignage du TC no 1, qui était le mieux placé pour voir ce qui se passait, ainsi que des TC no 3, TC no 8 et TC no 2, qui ont tous observé l’interaction entre l’AI et le plaignant dans les secondes qui ont précédé les coups de feu tirés par l’AI, ainsi que sur les différents enregistrements vidéo.
En me fondant sur cette preuve extrêmement convaincante, je conviens donc de ce qui suit : l’AI a poursuivi le plaignant sur la surface gelée du lac Gillies, qui était recouverte de neige à hauteur des genoux, rendant les manœuvres difficiles; l’AI avait des motifs raisonnables d’appréhender le plaignant sous une accusation de possession d’une arme dangereuse pour la paix publique, en contravention de l’article 88 du Code criminel; une fois sur le lac gelé, le plaignant s’est retourné pour faire face à l’AI et a refusé de lâcher son arme; comme le plaignant s’avançait vers lui, l’AI a déchargé son arme à impulsion, en vain puisque le plaignant a continué d’avancer; le plaignant avait un bras levé, brandissant un couteau, et avançait rapidement vers l’AI qui, en raison de la profondeur de la neige, ne pouvait pas reculer aussi rapidement que le plaignant s’approchait de lui; enfin, le plaignant ayant réduit la distance qui le séparait de l’AI et refusant de s’arrêter ou de déposer son arme, l’AI a tiré trois ou quatre coups de feu, qui ont atteint mortellement le plaignant.
Avant de conclure, je souhaite aborder le rapport d’autopsie dans lequel le médecin légiste a noté que trois des balles tirées par l’AI avaient traversé le corps du plaignant d’avant en arrière, tandis que la quatrième avait pénétré le dos et était ressortie par la poitrine. Bien que, à première vue, cela peut soulever des doutes quant à la position du plaignant par rapport à l’AI lorsque celui-ci a fait feu, il est indiscutable, tant par la preuve vidéo que par celle des TC indépendants, que lorsque l’AI a fait feu, le plaignant lui faisait face et s’avançait vers lui. Bien que cela puisse sembler incompatible avec la preuve médico-légale, je ne peux que supposer que, lorsque l’AI a fait feu, sous le coup de la première balle ou d’une des balles suivantes, le corps du plaignant s’est tordu ou a pivoté, en sorte que la dernière balle l’a atteint dans le dos. Je conclus, en m’appuyant sur l’ensemble de la preuve, que lorsque l’AI a commencé à faire feu, le plaignant était entièrement tourné face à lui. Même si je ne suis pas un expert dans ce domaine, je remarque que certains écrits corroborent la conclusion selon laquelle, pendant le temps nécessaire pour décharger une arme à feu, un corps peut changer de direction en sorte qu’une balle l’atteigne dans le dos. Cette conclusion est en outre appuyée par le fait que la balle qui est entrée par-derrière l’a fait suivant un angle descendant, ce qui semble compatible avec le fait que le plaignant s’est penché en avant après avoir été frappé initialement, de sorte que le dernier des projectiles est entré par la gauche du haut de son dos et ressorti par le côté droit de sa cage thoracique. [4]
L’analyse et le droit
Selon les faits tels que je les ai établis, la question qui reste à trancher est donc de savoir si l’utilisation d’une force létale par l’AI contre le plaignant était justifiée, ou si les coups de feu que l’AI a tirés sur le plaignant constituaient une utilisation excessive de la force dans ces circonstances et fournissent des motifs raisonnables de porter des accusations criminelles contre l’AI pour avoir causé la mort du plaignant.
En vertu du paragraphe 25 (1) du Code criminel, un agent de police, s’il agit pour des motifs raisonnables, a le droit d’utiliser autant de force que nécessaire pour exécuter une fonction légitime. En outre, conformément au paragraphe 3 de ce même article :
À ce titre, pour que l’AI puisse bénéficier d’une protection contre des poursuites en vertu de l’article 25, il doit être établi qu’il exécutait une fonction légitime, qu’il agissait avec des motifs raisonnables et qu’il n’a pas employé plus de force que nécessaire. De plus, conformément au paragraphe 3, comme il y a eu un décès, il faut également établir si l’AI a eu recours à une force létale parce qu’il estimait, pour des motifs raisonnables, que cette force était nécessaire pour se protéger lui-même ou pour protéger d’autres personnes contre la mort ou contre des lésions corporelles graves.
Considérons d’abord la légalité de la tentative d’appréhension du plaignant. Il ressort clairement des messages radio de l’AT no 1 qu’il existait des motifs raisonnables de croire que le plaignant était en possession d’une arme dangereuse pour la paix publique, en contravention de l’article 88 du Code criminel. Je suis donc convaincu que la poursuite et l’arrestation du plaignant étaient légalement justifiées dans les circonstances.
En ce qui concerne les autres exigences visées par les paragraphes 25 (1) et 25 (3), je garde à l’esprit l’état du droit applicable tel qu’il a été énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Nasogaluak, [2010] 1 R.C.S. 206, à savoir :
La Cour décrit comme suit le critère requis en vertu de l’article 25 :
La décision rendue par le juge Power de la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans Chartier v. Greaves, [2001] O.J. No. 634, telle qu’elle a été adoptée par la Cour suprême du Canada dans la décision susmentionnée, énonce d’autres dispositions pertinentes du Code criminel à prendre en considération, comme suit :
De plus, la Cour énonce un certain nombre d’autres principes juridiques tirés des précédents juridiques cités, dont les suivants : [traduction]
Sur la base des principes de droit qui précèdent, je dois établir si l’AI :
Pour ce qui est du premier de ces deux critères, il ressort clairement de la déclaration de l’AI qu’il croyait qu’il risquait de mourir ou de subir de graves lésions corporelles au moment où il a fait feu. Cette conviction était fondée sur le fait qu’il avait vu le plaignant avancer rapidement vers lui un couteau à la main, que le plaignant avait refusé de s’arrêter ou de laisser tomber son arme, et que la décharge antérieure de l’arme à impulsion n’avait eu aucun effet. La seule option qui lui restait pour empêcher efficacement le plaignant de l’attaquer avec le couteau était d’utiliser son arme à feu.
Étant donné les renseignements dont disposait l’AI au moment où il a fait feu et tué le plaignant, j’estime que, subjectivement, il avait des motifs raisonnables de croire que sa vie était en danger, et que ses observations des actes du plaignant et les renseignements fournis par l’AT no 1 auraient raisonnablement amené l’AI à croire qu’il courait le risque imminent d’être grièvement blessé, voire tué, par le plaignant.
En examinant le caractère raisonnable des actes de l’AI et la question de savoir s’il a envisagé ou non d’utiliser des moyens moins mortels de recours à la force avant d’utiliser son arme à feu, je tiens compte du fait que l’AI a indiqué dans sa déclaration – et l’enregistrement des communications le confirme – qu’il a ordonné au plaignant de laisser tomber ses armes, mais que ces instructions semblaient être tombées dans l’oreille d’un sourd. L’AI a également déclaré, comme le confirment plusieurs des TC indépendants ainsi que les indices matériels retrouvés sur les lieux et les données de téléchargement de l’arme à impulsion, qu’il avait déjà employé la seule autre option de recours à la force moins meurtrière (l’arme à impulsion) à sa disposition pour arrêter le plaignant, laquelle, à cause des vêtements épais du plaignant, ou peut-être à cause du ruban isolant qu’il s’était appliqué sur tout le corps, s’était avérée inefficace, ne lui laissant ainsi que son arme à feu comme alternative viable. Sur cette base, il est clair que l’AI, dans le bref délai de sept secondes ou moins dont il disposait après avoir déployé son arme à impulsion, et alors que le plaignant s’avançait rapidement vers lui en tenant une arme mortelle, semble avoir envisagé toutes ses options avant de faire feu.
J’ai qualifié le couteau en possession du plaignant comme une arme mortelle, même après avoir constaté que le couteau retrouvé sur les lieux semblait de taille assez réduite, la lame étant décrite comme ayant une longueur de 5 cm. Bien que certains puissent penser que ce petit couteau ne constituait pas une menace sérieuse pour la vie ou la sécurité de l’AI, je tiens à préciser que je n’ai aucune hésitation à conclure que le plaignant était tout à fait capable de causer des blessures graves, sinon la mort, s’il avait pu continuer d’avancer vers l’AI jusqu’au point où il aurait pu attaquer l’AI avec cette arme. À cet égard, je prends particulièrement note des faits exposés dans la décision R v. Lenard Phillips, (1995) OJ No 4152 OGD, dans laquelle M. Phillips a été déclaré coupable d’avoir utilisé un canif pour le meurtre de l’agent Eric Nystedt; M. Phillips a poignardé l’agent Nystedt à la cuisse avec ce petit couteau, évitant ainsi son armure corporelle, a entaillé son artère fémorale, ce qui a entraîné sa mort quasi immédiate par exsanguination. Ce canif était encore plus petit que le couteau du plaignant.
Pour déterminer s’il existait ou non des motifs objectivement raisonnables de croire que la vie de l’AI était en danger, il suffit de se reporter aux témoignages du TC no 1, qui est sorti de son véhicule quand il a constaté que l’AI était en difficulté et pourrait avoir besoin de son aide, de la TC no 3, qui a décrit le plaignant comme se précipitant sur l’agent, du TC no 8 qui a observé le plaignant lever les mains au-dessus de ses épaules, puis avancer vers l’AI, et du TC no 2 qui a vu l’AI reculer pour s’éloigner du plaignant, qui s’est alors jeté sur lui.
De plus, il faut tenir compte du témoignage de l’AT no 2, qui a dû retirer le couteau des mains du plaignant, qui le tenait encore fermement, même après avoir été blessé par balles, ce que confirment les témoins indépendants qui ont vu le plaignant tenir une arme lorsqu’il s’est avancé vers l’AI, ainsi que le témoignage de l’AT no 1 qui, lorsqu’il avait été confronté plus tôt par le plaignant qui se précipitait vers lui les couteaux à la main, s’était mis à l’abri derrière son véhicule de police, un luxe, malheureusement, que l’AI n’avait pas quand le plaignant s’est jeté sur lui alors qu’il reculait dans la neige profonde.
Je remarque que dans son entrevue avec les enquêteurs de l’UES, l’AT no 1 a précisé que lorsqu’il s’est dirigé en courant vers l’AI et le plaignant, d’après ses observations, il était convaincu que la vie de l’AI était en danger ou qu’il risquait d’être gravement blessé, et qu’il pensait que l’AI n’avait pas d’autres choix que de faire feu à ce moment-là.
De plus, bien que je ne puisse pas dire ce que pensait le plaignant quand il s’est jeté sur l’AI, il faut noter que l’UES a trouvé une liste de « choses à faire » écrite à la main sur une page du carnet d’adresses découvert dans le sac à dos abandonné par le plaignant près du bâtiment des ambulances. Même si rien ne permet de déterminer quand le plaignant a rédigé cette liste ou s’il était sérieux quand il l’a écrite (ou, s’il était sérieux, s’il avait l’intention de mettre à exécution tous les éléments de cette liste simultanément), je note que le premier des actes violents mentionnés dans cette liste de choses à faire était de « tuer tous les flics en ville ». Même si l’AI n’en connaissait pas l’existence, cette liste éclaire ma réflexion en suggérant qu’il est fort possible que lorsqu’il avançait vers l’AI, le plaignant avait des intentions qui été loin d’être inoffensives, ou qui n’auraient certainement pas paru l’être. [5]
Après avoir examiné attentivement l’ensemble de la preuve et du droit relatif à la justification du recours à la force avec l’intention de causer la mort ou des lésions corporelles graves, lorsqu’on estime, pour de motifs raisonnables, que c’est nécessaire afin de se protéger soi-même contre la mort ou contre des lésions corporelles graves, je conclus que, dans toutes les circonstances, l’AI a raisonnablement cru que le plaignant mettait sa vie en danger et que de tirer sur le plaignant était donc justifié. J’estime qu’il aurait été imprudent et téméraire de la part de l’AI de risquer sa vie en attendant de voir si le plaignant, couteau en main, continuerait de se rapprocher de lui, surtout dans une situation où, du fait de l’épaisse couche de neige, l’AI avait de la difficulté à se déplacer et se trouvait en danger immédiat de blessure grave ou de mort. En outre, j’estime que l’AI ne pouvait pas se permettre de prendre ce risque face à un homme de 6 pi 3 po et 183 lb brandissant un couteau.
Je conclus donc, au vu de l’ensemble de la preuve, que les coups de feu tirés par l’AI, qui ont atteint et tué le plaignant, étaient justifiés en vertu des paragraphes 25 (1) et (3) du Code criminel et que l’AI, en se protégeant contre la mort ou des lésions corporelles graves que le plaignant aurait pu lui infliger, n’a pas utilisé plus de force qu’il n’était nécessaire pour atteindre son objectif légitime. En conséquence, je suis donc convaincu, pour des motifs raisonnables, que les actes de l’AI, malgré le décès tragique qui en a résulté, sont restés dans les limites prescrites par le droit criminel et qu’il n’y a aucune raison de porter des accusations criminelles dans cette affaire.
Date : 18 octobre 2018
Original signé par
Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales
À 10 h 16, une unité de police a diffusé un message radio indiquant que des coups de feu avaient été tirés et qu’ils avaient besoin immédiatement des SMU.
À 10 h 45, le décès du plaignant, un homme de 21 ans, a été déclaré à l’hôpital. Une autopsie a révélé que le plaignant avait été touché par quatre coups de feu tirés par l’agent impliqué (AI) et qu’il était décédé des suites de l’exsanguination (perte de sang) résultant des quatre blessures par balle.
L’UES a immédiatement ouvert une enquête dans le but de déterminer ce qui s’est passé durant les sept minutes écoulées entre le premier appel demandant l’aide de la police et les coups de feu tirés sur le plaignant, si le décès du plaignant était justifié aux termes de la loi, ou s’il y avait des motifs de porter des accusations criminelles contre l’agent de police responsable de ce décès.
Au cours de l’enquête, dix-sept civils qui ont été témoins passifs ou actifs de diverses interactions avec le plaignant ont été interrogés, ainsi que huit témoins de la police; l’AI a également accepté de participer à une entrevue. Outre les témoignages oculaires, l’enquête a considérablement bénéficié de l’enregistrement de vidéosurveillance des événements qui se sont déroulés entre le moment où le plaignant est entré dans le garage des ambulances au 500, boulevard Algonquin Est, et celui où il a été abattu sur le lac Gillies, ainsi que la narration en temps réel des événements sur les enregistrements des communications de la police. Les enregistrements pris par deux témoins civils sur leurs téléphones cellulaires ont également été utiles pour l’enquête. Bien qu’il soit difficile de distinguer clairement la fusillade, qui a été enregistrée à distance depuis le bâtiment des ambulances sur une vidéo quelque peu obscurcie par la présence d’un arbre bloquant certaines parties de l’incident, grâce à l’amélioration de cette vidéo et aux vidéos enregistrées par les caméras à bord de divers véhicules de police, il a été possible d’extrapoler une chronologie précise des événements, dont nous donnons un résumé ci-après.
On voit le plaignant entrer dans le champ de la caméra dans le stationnement du bâtiment des ambulances, puis courir et suivre une ambulance qui entre dans une baie du garage lorsque la porte du garage s’ouvre. Une fois à l’intérieur, on peut voir le plaignant derrière l’ambulance. Le TC no 16 – un ambulancier paramédical et le conducteur de l’ambulance – sort du véhicule et voit le plaignant debout dans la baie de garage, près de l’ambulance. Le plaignant est entièrement vêtu, mais il déclare au TC no 16 qu’il veut aller à l’hôpital parce qu’il est tout nu. Le TC no 16 en conclut immédiatement que quelque chose ne tourne pas rond chez le plaignant. [1]
La TC no 13, une autre ambulancière paramédicale qui était encore assise dans l’ambulance, a entendu le plaignant dire au TC no 16 qu’il avait consommé de la cocaïne. Elle a alors appelé le service de répartition des SMU sur sa radio portative pour demander l’aide de la police.
Le plaignant a ensuite serré les poings et commencé à dire [traduction] : « Tout ce que je veux, c’est qu’on me tire une balle dans ma maudite tête. » La TC no 13 a immédiatement décroché le téléphone du service de répartition dans le garage et appelé une deuxième fois pour demander l’aide immédiate de la police. On lui a répondu que la police était déjà en route.
L’enregistrement des communications confirme cette preuve : dans l’appel de suivi, la répartitrice des SMU dit à celle du SPT, à 10 h 11 min 26 s, que l’homme qui est entré dans le garage a des hallucinations et demande qu’on lui tire dans la tête.
La TC no 14, une ambulancière paramédicale, a vu le plaignant, tenant deux couteaux qui dépassaient de ses gants, placer ses mains à la gorge en disant : [traduction] « Peut-être que je vais simplement les utiliser sur moi-même! » La TC no 14 a immédiatement informé ses collègues que le plaignant était armé de deux couteaux. La TC no 14 et le TC no 16 ont alors calmement dit au plaignant de ne pas le faire. Le plaignant a replacé les couteaux dans ses gants et a commencé à marcher vers l’aire des bureaux; les ambulanciers lui ont dit de s’arrêter. La TC no 13 ouvert l’une des portes du garage et a demandé au plaignant de partir, ce qu’il a fait. Alors que la TC no 13 refermait la porte, les ambulanciers ont vu l’agent témoin (TC) no 1 entrer dans le stationnement dans son véhicule de police identifié.
Les ambulanciers ont alors rouvert la porte du garage et ont observé l’interaction entre l’AT no 1 et le plaignant. Selon leur témoignage, l’AT no 1 faisait signe au plaignant de rester où il était, mais ce dernier s’est soudainement précipité vers lui. La TC no 14, qui observait l’interaction, a dit qu’elle craignait que le plaignant attaque l’AT no 1 avec les couteaux; la TC no 13 a dit que le plaignant avait foncé en avant vers l’AT no 1, les couteaux en mains. L’AT no 1 s’est précipité derrière son véhicule de police pour se mettre à l’abri, a sorti son arme à impulsion et l’a pointée en direction du plaignant. Le plaignant s’est retourné et a couru vers le coin du stationnement où il a laissé tomber son sac à dos et l’un de ses couteaux, puis a franchi le banc de neige. L’AT no 1 l’a suivi à pied, à une certaine distance derrière lui. [2]
Cette preuve est confirmée par les cinq ambulanciers paramédicaux interrogés ainsi que par l’AT no 1, par les enregistrements des communications et par les séquences de vidéosurveillance du bâtiment des ambulances.
Dans l’enregistrement des communications radio de la police, à 10 h 13 min 30 s, on entend l’AT no 1 sur sa radio, à bout de souffle et semblant courir, ce qui confirme qu’il utilise sa radio portable pendant qu’il poursuit le plaignant à pied. On l’entend dire [traduction] : « Il a deux couteaux. Vers le lac Gillies ». Il donne ensuite une description du plaignant, avant de poursuivre : « Il vient de jeter son sac à dos. Il a deux… apparemment des petits couteaux, dans chaque main. Il se dirige vers le lac Gillies… allez au lac Gillies.
Cette preuve est confirmée par le sac à dos et l’un des deux couteaux qu’on a retrouvés au pied du banc de neige, au coin du stationnement du bâtiment des ambulances, en direction de la zone de protection de la nature et du lac Gillies.
On entend ensuite l’AI, qui répondait aussi à l’appel des SMU, dire : [traduction] « J’arrive. Je le vois ».
Les ambulanciers paramédicaux perdent alors le plaignant et l’AT no 1 de vue, mais onze autres TC indépendants les voient.
La TC no 2, qui était chez elle, a entendu des sirènes dehors. Elle a regardé par la fenêtre pour voir ce qui se passait et a vu un véhicule de police se diriger vers le stationnement du côté sud du lac Gillies, ses feux d’urgence et sa sirène activés, et le plaignant courant vers le nord en direction du lac. Elle a ensuite vu l’AI sortir de son véhicule de police et commencer à poursuivre le plaignant à pied. La TC no 2 a également vu l’AT no 1 sortir du stationnement sud et courir dans la même direction que le plaignant, mais à une certaine distance derrière lui. La TC no 2 a précisé que le plaignant s’est arrêté lorsqu’il est arrivé au sentier de motoneige qui traverse le lac et qu’il s’est retourné pour faire face à l’AI. L’AI a alors soudainement commencé à reculer pour s’éloigner du plaignant, qui s’est jeté sur lui. La TC no 2 a ensuite entendu une volée de trois coups de feu et a vu le plaignant tomber à terre. La TC no 2 était certaine que l’AT no 1 n’est arrivé qu’après les coups de feu. La TC no 2 a ensuite vu le plaignant en position assise dans la neige, les deux policiers se tenant à environ cinq à dix pieds de lui. Le plaignant s’est ensuite écroulé sur le dos dans la neige; les policiers se sont alors approchés, l’ont retourné, l’ont relevé et l’ont porté jusqu’à une ambulance qui attendait à proximité.
La TC no 8 a vu le plaignant debout sur le lac, à environ 15 pieds de l’AI qui tendait les bras vers lui, ce que la TC no 8 a interprété comme étant l’AI faisant des signes au plaignant pour l’avertir de ne pas s’approcher de lui ou de cesser de bouger. La TC no 8 a vu ensuite le plaignant lever les mains en l’air et avancer d’un pied vers l’AI, dans ce qu’elle a décrit comme un trébuchement ou un faux pas, puis continuer d’avancer vers l’AI, les mains toujours en l’air. La TC no 8 a alors détourné le regard, puis a entendu une volée de trois coups de feu. Peu après, un deuxième policier est arrivé et est allé sur le lac.
De façon similaire, le bruit des sirènes a attiré l’attention du TC no 3. Il a vu un véhicule portant les inscriptions du SPT dans le parc de stationnement de la zone de protection de la nature du lac Gillies. Le TC no 3 a également vu le plaignant courir vers le nord sur le lac Gillies, dans la neige qui lui arrivait jusqu’aux genoux. Le TC no 3 a alors vu l’AI poursuivre le plaignant, à pied, en direction nord sur le lac, l’AI étant à environ 10 à 15 verges (9,1 à 13,7 mètres) derrière le plaignant. Il n’y avait aucun autre policier à cet endroit à ce moment-là. Le TC no 3 a entendu l’AI dire au plaignant de lever les mains en l’air, de faire demi-tour et de revenir vers lui. Il a ensuite vu le plaignant s’arrêter, faire demi-tour les mains en l’air, mais baisser ensuite subitement les mains et commencer à courir à fond de train vers l’agent.
Le TC no 3 a alors vu l’AI sortir son arme à impulsion et a entendu le son de la décharge de cette arme. Il a reconnu ce son pour l’avoir déjà entendu à une autre occasion. Cependant, le plaignant n’est pas tombé à terre et le TC no 3 en a déduit que l’arme à impulsion n’avait pas fonctionné correctement. Le TC no 3 a estimé qu’au moment du déploiement de l’arme à impulsion, l’AI et le plaignant étaient à environ dix pieds l’un de l’autre. Le TC no 3 a ensuite vu le plaignant continuer de courir vers l’AI, qui a alors dégainé rapidement son arme à feu. Moins de trois secondes après le déploiement de l’arme à impulsion, le TC no 3 a entendu une volée de trois coups de feu. Le TC no 3 a estimé qu’au moment où il a entendu ces coups de feu, le plaignant n’était plus qu’à cinq pieds de l’AI. Le TC no 3 a ensuite vu le plaignant s’écrouler à terre. Deux autres agents sont alors arrivés.
Le TC no 3 a ensuite activé la fonction vidéo de son téléphone cellulaire et, bien qu’il n’ait pas capturé la fusillade proprement dite, il a répété ce qu’il venait de voir quelques secondes auparavant. Cette version des événements a été fournie aux enquêteurs de l’UES et confirme tout à fait les éléments de preuve donnés par le TC no 3 dans sa déclaration. Je trouve que cette preuve, enregistrée quelques secondes à peine après les événements, est extrêmement convaincante, car il n’y a aucune chance que les souvenirs du témoin se soient effacés ou que les faits se soient embrouillés dans sa mémoire. Dans son récit, on l’entend dire : [traduction] « Il y a eu des coups de feu. Ils ont d’abord déchargé un Taser sur lui, il n’a pas bougé, il ne s’est pas arrêté, alors… J’ai entendu trois coups de feu. Je ne vois pas grand-chose d’ici. Je suis de l’autre côté de Gillies. Le suspect a commencé à courir, il s’est arrêté, puis il a commencé à courir vers l’agent ».
Le TC no 1 était garé dans le parc de stationnement de la zone de protection de la nature, face au lac Gillies, lorsqu’il a vu le plaignant passer en courant sur la droite de son véhicule, suivi de l’AI environ dix secondes plus tard, sur la gauche. Le TC no 1 décrit les deux hommes courant sur le lac gelé, dans une neige d’une profondeur d’un pied à un pied et demi, ce qui gênait le plaignant qui essayait de courir. Le TC no 1 a vu le plaignant s’arrêter et se retourner pour faire face à l’AI, alors qu’il était à environ 25 pieds de la rive du lac. L’AI a alors sorti son arme à impulsion et a dit au plaignant de s’arrêter, ou qu’il allait décharger son arme à impulsion.
Le TC no 1 a estimé que la distance séparant le plaignant et le policier était d’environ 15 à 20 pieds lorsque le plaignant s’est arrêté et s’est tourné vers le policier. Le TC no 1 a alors entendu le son d’une décharge électrique, qu’il a associé à la décharge de l’arme à impulsion, mais a observé que cela n’avait eu aucun effet sur le plaignant, qui se trouvait à environ dix pieds de l’AI lors cette décharge. Immédiatement après la décharge de l’arme à impulsion, le TC no 1 a vu le plaignant courir vers l’AI. Craignant que l’AI soit en difficulté et ait besoin d’aide, le TC no 1 est alors sorti de son véhicule. Alors qu’il sortait de son véhicule, le TC no 1 a entendu trois coups de feu en succession rapide. Quelques secondes après les coups de feu, le TC no 1 a vu arriver l’AT no 1, qui lui a dit de remonter dans sa voiture. Le TC no 1 a ensuite entendu l’AT no 1 s’exclamer dans sa radio portable : [traduction] « Quelqu’un a tiré! Quelqu’un a tiré! »
L’enregistrement des communications confirme ce témoignage en révélant qu’un agent de police est arrivé à 10 h 16 min 47 s et a déclaré [traduction] : « Quelqu’un a tiré! Quelqu’un a tiré! Est-ce qu’une ambulance est en route vers le lac Gillies? ». D’autres policiers sont ensuite arrivés et ont porté le plaignant jusqu’à une ambulance qui venait d’arriver.
Le TC no 7 a entendu trois ou quatre coups de feu depuis son salon et a vu le plaignant étendu dans la neige et deux policiers se dirigeant vers lui depuis le stationnement de l’aire de conversation du lac Gillies, suivis de près par un troisième policier. Le TC no 7 a ensuite vu les agents de police soulever le plaignant et le porter vers une ambulance qui venait d’arriver. À un moment donné, les agents sont tombés dans la neige. Sur l’enregistrement de la caméra de vidéosurveillance, on peut voir aussi que la profondeur de la neige entrave le mouvement des agents et que, à un moment donné, ils tombent alors qu’ils transportent le plaignant.
Un témoin civil, le TC no 4, a donné une description qui était complètement contredite à la fois par les autres témoins civils indépendants et par la séquence de vidéosurveillance. Le TC no 4 a dit qu’il avait entendu un coup de feu de chez lui et que, lorsqu’il avait regardé dehors, il avait vu le plaignant agenouillé dans la neige face à deux policiers. Il a affirmé que les deux policiers étaient à environ dix pieds du plaignant et que celui qui était sur la droite avait les genoux pliés et les bras tendus, dans une position qui, selon le TC no 4, indiquait que le policier pointait une arme à feu sur le plaignant. Le TC no 4 a dit qu’il avait ensuite vu l’agent tirer trois coups de feu, en succession rapide, sur le plaignant alors que celui-ci était à genoux. Le TC 4 a alors vu ces deux policiers se rapprocher du plaignant, tandis que deux autres policiers se sont mis aussi à courir sur la glace en direction du plaignant.
D’après les preuves écrasantes des autres TC indépendants, confirmées par les séquences des caméras de vidéosurveillance et des caméras à bord des véhicules, il est clair que les témoins ont entendu trois ou quatre coups de feu en succession rapide et qu’aucune arme à feu n’a été déchargée par la suite, que le plaignant n’était par terre qu’après ces trois ou quatre coups de feu et que, même si l’AI a continué de pointer son arme à feu sur le plaignant, il n’a pas tiré d’autres coups de feu. Tous les autres témoins, ainsi que la séquence vidéo, confirment que l’AI était seul sur le lac avec le plaignant lorsque le plaignant a couru vers lui et que l’AI a fait feu. Par conséquent, je ne peux pas accepter le témoignage du TC no 4 comme étant exact et je le rejette en faveur de celui des autres TC, des enregistrements vidéo et des preuves matérielles.
Les divers enregistrements vidéo confirment les dépositions de dix des onze témoins civils, ainsi que des témoins de la police. Ils annulent sans aucun doute la version des événements donnée par le TC no 4.
Sur la vidéo, on voit le plaignant, lors de son interaction initiale avec l’AT no 1 sur le stationnement du bâtiment des ambulances, « se précipiter » sur l’AT no 1, qui recule immédiatement pour se mettre à l’abri derrière son véhicule de police et dégage son arme à impulsion, sans toutefois avoir la possibilité de la décharger sur le plaignant, qui s’éloigne en courant. L’AT no 1 suit alors le plaignant, tout en alertant par radio le centre de répartition et ses collègues que le plaignant est armé de deux couteaux.
Sur la vidéo prise par la caméra à bord du véhicule de patrouille de l’AI, on voit le plaignant dépasser en courant la voiture du TC no 1, qui est garée dans le stationnement de la zone de protection de la nature du lac Gillies, et l’AI sortant de son véhicule de police et le poursuivant à pied. Sur l’enregistrement audio de la caméra du véhicule, on entend ensuite l’AI dire au plaignant, d’une voix plutôt calme, [traduction] « Lâche les couteaux. Laisse tomber les couteaux, OK? » Ceci est également enregistré sur l’enregistrement des communications, qui indique que cela s’est passé à 10 h 14 min 36 s.
La vidéo de la caméra du véhicule et la vidéo du système de vidéosurveillance du bâtiment des ambulances confirment que l’AI court sur le lac à la poursuite du plaignant et qu’à un moment donné, le plaignant se retourne et fait face à l’AI, qui commence alors à reculer, mais est gêné dans ses mouvements parce qu’il s’enfonce dans la neige profonde et a du mal à garder l’équilibre. Initialement, on voit l’AI avec un objet à la main, vraisemblablement son arme à impulsion d’après le témoignage des témoins indépendants, pendant que le plaignant s’approche. Les mouvements du plaignant peuvent être décrits comme rapides et dynamiques, alors que l’AI tente immédiatement de s’éloigner et d’augmenter la distance qui les sépare, mais il est de nouveau freiné par la neige profonde. On voit alors l’AI saisir son arme de poing, probablement après avoir jeté par terre son arme à impulsion après sa décharge inefficace, comme l’ont décrit les témoins, tandis que le plaignant continue de s’approcher rapidement de lui. Dans les 28 secondes qui suivent l’ordre donné par l’AI de lâcher les couteaux, on entend un agent dire qu’on a besoin des SMU (l’enregistrement correspondant est à 10 h 15 min 04 sec.). Malheureusement, on n’entend pas clairement le tir de l’arme à feu sur les enregistrements et il est donc difficile de déterminer exactement le moment où les coups de feu ont été tirés, si ce n’est de conclure qu’ils ont eu lieu durant ces 28 secondes.
L’AI a déclaré qu’après avoir entendu la transmission radio de l’AT no 1, il avait traversé le boulevard Algonquin Est en direction du lac Gillies pour se rendre au stationnement de la zone de protection de la nature du lac Gillies, où il avait immédiatement vu le plaignant se diriger vers le nord en direction du lac. Voyant le plaignant passer à côté du véhicule du TC no 1 et se diriger vers le lac enneigé, l’AI est sorti son véhicule de police et l’a suivi. L’AI a expliqué qu’il était difficile de courir dans la neige, parce qu’elle arrivait jusqu’aux genoux.
L’AI a dit qu’il s’était lancé à la poursuite du plaignant parce qu’il pensait avoir des motifs raisonnables de l’arrêter pour des infractions liées à la possession d’armes, étant donné le message radio de l’AT no 1 disant que le plaignant était en possession de deux couteaux et qu’il présentait donc un risque pour la sécurité du public.
Tout en poursuivant le plaignant, l’AI a envisagé ses options en matière de recours à la force et a décidé, en se fondant sur sa formation, que le moyen le plus efficace et le moins préjudiciable d’appréhender le plaignant serait d’utiliser son arme à impulsion. Il l’a donc tirée de la ceinture de son uniforme. L’AI a estimé qu’il avait parcouru environ 25 mètres sur le lac gelé lorsque le plaignant s’est arrêté et s’est retourné vers lui, dans ce qu’il a décrit comme une position de confrontation, un couteau dans la main gauche et la main droite dissimulée dans le dos. L’AI a alors déchargé son arme à impulsion sur le plaignant, mais sans effet, probablement en raison de l’épaisseur des vêtements du plaignant, qui empêchait les sondes d’entrer en contact avec sa peau.
Après la décharge de l’arme à impulsion, le plaignant a continué d’avancer vers l’AI, le couteau à la main. L’AI a essayé de reculer et de s’éloigner du plaignant, mais n’y est pas parvenu, car la neige était trop profonde, ce qui rendait la manœuvre difficile. L’AI a expliqué que le plaignant n’était qu’à environ sept mètres de lui et qu’il se rapprochait plus vite que lui-même ne parvenait à reculer. L’AI a déclaré qu’à ce moment-là, il n’avait aucun moyen de battre en retraite et qu’il était pris au piège.
L’AI a expliqué qu’il croyait que le plaignant était prêt à le poignarder et à le tuer. Il a donc immédiatement laissé tomber son arme à impulsion, a dégainé son arme de poing et a tiré une volée de trois à quatre coups. L’AI a indiqué que son intention était de viser le bas du corps du plaignant, car il n’avait pas l’intention de le tuer. Le plaignant est tombé dans la neige, mais en restant partiellement assis, le couteau toujours à la main; en conséquence, l’AI a dit qu’il ne pouvait pas déterminer si le plaignant avait effectivement été touché. L’AI a continué d’ordonner au plaignant de laisser tomber le couteau, tout en maintenant son arme à feu pointée sur lui. Même s’il était clair que le plaignant était toujours conscient, il n’a pas répondu ni lâché le couteau.
Lorsque d’autres agents sont arrivés, l’AT no 2 s’est prudemment avancé vers le plaignant et lui a retiré le couteau de la main, tandis que l’AI continuait de le couvrir de son arme à feu.
L’AT no 2 a dit que le plaignant tenait fermement le couteau et qu’il avait dû faire un certain effort pour le lui enlever. L’AT no 2 a ensuite placé le couteau dans sa propre poche afin de ne pas le perdre dans la neige profonde.
Deux fils conducteurs de l’arme à impulsion se trouvaient entre l’arme et le manteau du plaignant. L’arme à impulsion gisait dans la neige, les fils toujours attachés; elle a été récupérée et saisie. Les données téléchargées à partir de l’arme à impulsion de l’AI ont confirmé qu’elle avait été déchargée une seule fois, à 10 h 14 min 57 du matin, ce qui signifie, selon l’horodateur de l’enregistrement des communications, que l’AI a tiré les coups de feu environ sept secondes après la décharge sans effet de son arme à impulsion.
Lorsque le plaignant a été examiné par la suite, on a trouvé un ruban électrique noir enroulé autour de sa taille, du ruban vert pour peintre autour de la poitrine, qui maintenait en place du matériel d’emballage pour la viande, ainsi qu’un ruban électrique noir enroulé autour de la jambe droite. L’enquête de l’UES n’a pu trouver aucune explication quant aux raisons pour lesquelles le plaignant s’était « vêtu » de façon aussi insolite. [3]
Après le transfert du plaignant à l’hôpital en ambulance, l’AI a relaté aux deux autres policiers présents ce qui s’était passé avant qu’il fasse feu sur le plaignant. Ce récit concorde avec celui qu’il a fourni dans sa déclaration aux enquêteurs de l’UES et est parfaitement compatible avec celui de tous les témoins civils, à l’exception du témoin dont j’ai écarté le témoignage, ainsi que des autres témoins de la police, des enregistrements audios, des observations faites sur les lieux et des preuves matérielles. Je suis donc convaincu que la version des événements fournie par l’AI est un récit fidèle de ce qui s’est passé. Toutefois, pour évaluer les éléments de preuve, je me suis principalement appuyé sur les témoignages de 10 des 11 témoins civils présents sur les lieux, et surtout sur le témoignage du TC no 1, qui était le mieux placé pour voir ce qui se passait, ainsi que des TC no 3, TC no 8 et TC no 2, qui ont tous observé l’interaction entre l’AI et le plaignant dans les secondes qui ont précédé les coups de feu tirés par l’AI, ainsi que sur les différents enregistrements vidéo.
En me fondant sur cette preuve extrêmement convaincante, je conviens donc de ce qui suit : l’AI a poursuivi le plaignant sur la surface gelée du lac Gillies, qui était recouverte de neige à hauteur des genoux, rendant les manœuvres difficiles; l’AI avait des motifs raisonnables d’appréhender le plaignant sous une accusation de possession d’une arme dangereuse pour la paix publique, en contravention de l’article 88 du Code criminel; une fois sur le lac gelé, le plaignant s’est retourné pour faire face à l’AI et a refusé de lâcher son arme; comme le plaignant s’avançait vers lui, l’AI a déchargé son arme à impulsion, en vain puisque le plaignant a continué d’avancer; le plaignant avait un bras levé, brandissant un couteau, et avançait rapidement vers l’AI qui, en raison de la profondeur de la neige, ne pouvait pas reculer aussi rapidement que le plaignant s’approchait de lui; enfin, le plaignant ayant réduit la distance qui le séparait de l’AI et refusant de s’arrêter ou de déposer son arme, l’AI a tiré trois ou quatre coups de feu, qui ont atteint mortellement le plaignant.
Avant de conclure, je souhaite aborder le rapport d’autopsie dans lequel le médecin légiste a noté que trois des balles tirées par l’AI avaient traversé le corps du plaignant d’avant en arrière, tandis que la quatrième avait pénétré le dos et était ressortie par la poitrine. Bien que, à première vue, cela peut soulever des doutes quant à la position du plaignant par rapport à l’AI lorsque celui-ci a fait feu, il est indiscutable, tant par la preuve vidéo que par celle des TC indépendants, que lorsque l’AI a fait feu, le plaignant lui faisait face et s’avançait vers lui. Bien que cela puisse sembler incompatible avec la preuve médico-légale, je ne peux que supposer que, lorsque l’AI a fait feu, sous le coup de la première balle ou d’une des balles suivantes, le corps du plaignant s’est tordu ou a pivoté, en sorte que la dernière balle l’a atteint dans le dos. Je conclus, en m’appuyant sur l’ensemble de la preuve, que lorsque l’AI a commencé à faire feu, le plaignant était entièrement tourné face à lui. Même si je ne suis pas un expert dans ce domaine, je remarque que certains écrits corroborent la conclusion selon laquelle, pendant le temps nécessaire pour décharger une arme à feu, un corps peut changer de direction en sorte qu’une balle l’atteigne dans le dos. Cette conclusion est en outre appuyée par le fait que la balle qui est entrée par-derrière l’a fait suivant un angle descendant, ce qui semble compatible avec le fait que le plaignant s’est penché en avant après avoir été frappé initialement, de sorte que le dernier des projectiles est entré par la gauche du haut de son dos et ressorti par le côté droit de sa cage thoracique. [4]
L’analyse et le droit
Selon les faits tels que je les ai établis, la question qui reste à trancher est donc de savoir si l’utilisation d’une force létale par l’AI contre le plaignant était justifiée, ou si les coups de feu que l’AI a tirés sur le plaignant constituaient une utilisation excessive de la force dans ces circonstances et fournissent des motifs raisonnables de porter des accusations criminelles contre l’AI pour avoir causé la mort du plaignant.En vertu du paragraphe 25 (1) du Code criminel, un agent de police, s’il agit pour des motifs raisonnables, a le droit d’utiliser autant de force que nécessaire pour exécuter une fonction légitime. En outre, conformément au paragraphe 3 de ce même article :
(3)... une personne n’est pas justifiée, pour l’application du paragraphe (1), d’employer la force avec l’intention de causer, ou de nature à causer la mort ou des lésions corporelles graves, à moins qu’elle n’estime, pour des motifs raisonnables, que cette force est nécessaire afin de se protéger elle-même ou de protéger toute autre personne sous sa protection, contre la mort ou contre des lésions corporelles graves.
À ce titre, pour que l’AI puisse bénéficier d’une protection contre des poursuites en vertu de l’article 25, il doit être établi qu’il exécutait une fonction légitime, qu’il agissait avec des motifs raisonnables et qu’il n’a pas employé plus de force que nécessaire. De plus, conformément au paragraphe 3, comme il y a eu un décès, il faut également établir si l’AI a eu recours à une force létale parce qu’il estimait, pour des motifs raisonnables, que cette force était nécessaire pour se protéger lui-même ou pour protéger d’autres personnes contre la mort ou contre des lésions corporelles graves.
Considérons d’abord la légalité de la tentative d’appréhension du plaignant. Il ressort clairement des messages radio de l’AT no 1 qu’il existait des motifs raisonnables de croire que le plaignant était en possession d’une arme dangereuse pour la paix publique, en contravention de l’article 88 du Code criminel. Je suis donc convaincu que la poursuite et l’arrestation du plaignant étaient légalement justifiées dans les circonstances.
En ce qui concerne les autres exigences visées par les paragraphes 25 (1) et 25 (3), je garde à l’esprit l’état du droit applicable tel qu’il a été énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Nasogaluak, [2010] 1 R.C.S. 206, à savoir :
Les actes des policiers ne devraient pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Il ne faut pas oublier que ceux ci accomplissent un travail exigeant et dangereux et qu’ils doivent souvent réagir rapidement à des situations urgentes. Leurs actes doivent alors être appréciés selon ce que commande ce contexte difficile. Comme le juge Anderson l’explique dans l’arrêt R. v. Bottrell (1981), 60 C.C.C. (2 d) 211 (B.C.C.A.) :
[traduction] Pour déterminer si la force employée par le policier était nécessaire, les jurés doivent tenir compte des circonstances dans lesquelles le policier y a eu recours. [p. 218]
La Cour décrit comme suit le critère requis en vertu de l’article 25 :
Le paragraphe 25 (1) indique essentiellement qu’un policier est fondé à utiliser la force pour effectuer une arrestation légitime, pourvu qu’il agisse sur la foi de motifs raisonnables et probables et qu’il utilise seulement la force nécessaire dans les circonstances. Mais la question ne s’arrête pas là. Le paragraphe 25 (3) interdit également à un agent de police d’utiliser une trop grande force, c’est-à-dire une force de nature à causer la mort ou des lésions corporelles graves ou visant un tel but, à moins qu’il ne soit convaincu que cette force est nécessaire afin de se protéger ou de protéger toute autre personne sous sa protection contre la mort ou contre des lésions corporelles graves. La conviction de l’agent doit être objectivement raisonnable. Par conséquent, le recours à la force visé au par. 25 (3) doit être examiné à la lumière de motifs subjectifs et objectifs (Chartier v. Greaves, [2001] O.J. No. 634 (QL) (C.S.J.), par. 59).
La décision rendue par le juge Power de la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans Chartier v. Greaves, [2001] O.J. No. 634, telle qu’elle a été adoptée par la Cour suprême du Canada dans la décision susmentionnée, énonce d’autres dispositions pertinentes du Code criminel à prendre en considération, comme suit :
27. Recours à la force pour empêcher la perpétration d’un crime — Toute personne est fondée à employer la force raisonnablement nécessaire :a) pour empêcher la perpétration d’une infraction :(i) d’une part, pour laquelle, si elle était commise, la personne qui la commet pourrait être arrêtée sans mandat,(ii) d’autre part, qui serait de nature à causer des blessures immédiates et graves à la personne ou des dégâts immédiats et graves aux biens de toute personne;b) pour empêcher l’accomplissement de tout acte qui, à son avis, basé sur des motifs raisonnables, constituerait une infraction mentionnée à l’alinéa a).Par conséquent, cet article autorise le recours à la force pour empêcher la perpétration de certaines infractions. « Toute personne » inclurait un agent de police. La force ne doit pas dépasser ce qui est raisonnablement nécessaire. Par conséquent, un critère objectif est requis. La Cour d’appel de l’Ontario, dans R. v. Scopelliti (1981), 63 C.C.C. (2 d) 481, a statué que le recours à une force létale ne peut être justifié que dans des cas de légitime défense ou pour empêcher la perpétration d’un crime qui causera probablement des lésions à la fois graves et immédiates.34 (1) Légitime défense – Toute personne illégalement attaquée sans provocation de sa part est fondée à employer la force qui est nécessaire pour repousser l’attaque si, ce faisant, elle n’a pas l’intention de causer la mort ni des lésions corporelles graves.(2) Mesure de la justification – Quiconque est illégalement attaqué et cause la mort ou une lésion corporelle grave en repoussant l’attaque est justifié si :a) d’une part, il la cause parce qu’il a des motifs raisonnables pour appréhender que la mort ou quelque lésion corporelle grave ne résulte de la violence avec laquelle l’attaque a en premier lieu été faite, ou avec laquelle l’assaillant poursuit son dessein;b) d’autre part, il croit, pour des motifs raisonnables, qu’il ne peut pas autrement se soustraire à la mort ou à des lésions corporelles graves.Pour invoquer la défense visée au paragraphe (2) de l’article 34, un agent de police doit démontrer qu’il a été attaqué illégalement et qu’il a causé la mort ou des lésions corporelles graves à l’agresseur au moment où il a repoussé l’agression. L’agent de police doit démontrer qu’il avait des motifs raisonnables de croire qu’il risquait de mourir ou d’être grièvement blessé et qu’il croyait, de nouveau pour des motifs raisonnables, qu’il n’y avait aucun autre moyen d’éviter cela. Là aussi, l’utilisation du terme « raisonnable » nécessite l’application d’un critère objectif.
De plus, la Cour énonce un certain nombre d’autres principes juridiques tirés des précédents juridiques cités, dont les suivants : [traduction]
(h) Quel que soit l’article du Code criminel utilisé pour évaluer les actes de la police, la Cour doit prendre en considération la force qui était nécessaire dans les circonstances entourant l’événement en cause;(i) « Il faut tenir compte dans une certaine mesure du fait qu’un agent, dans les exigences du moment, peut mal mesurer le degré de force nécessaire pour restreindre un prisonnier. » Il en va de même pour l’utilisation de la force pour procéder à une arrestation ou empêcher un suspect de s’échapper. Comme le conducteur d’un véhicule confronté à une situation d’urgence soudaine, le policier « ne saurait être tenu de respecter une norme de conduite dont on aura ultérieurement déterminé, dans la quiétude d’une salle d’audience, qu’elle constituait la meilleure méthode d’intervention » (Foster v. Pawsey). En d’autres termes, c’est une chose que d’avoir le temps, dans un procès s’étalant sur plusieurs jours, de reconstituer et d’examiner les événements survenus le soir du 14 août, mais ç’en est une autre que d’être un policier se retrouvant au milieu d’une urgence avec le devoir d’agir et très peu de temps précieux pour disséquer minutieusement la signification des événements ou réfléchir calmement aux décisions à prendre. (Berntt v. Vancouver).(j) Les agents de police exercent une fonction essentielle dans des circonstances parfois difficiles et souvent dangereuses. La police ne doit pas être indûment entravée dans l’exécution de cette obligation. Les policiers doivent fréquemment agir rapidement et réagir à des situations urgentes qui surviennent soudainement. Leurs actes doivent donc être considérés à la lumière des circonstances.(k) « Il est à la fois déraisonnable et irréaliste d’imposer à la police l’obligation d’employer le minimum de force nécessaire susceptible de permettre d’atteindre son objectif. Si une telle obligation était imposée aux policiers, il en résulterait un danger inutile pour eux-mêmes et autrui. En pareilles situations, les policiers sont fondés à agir et exonérés de toute responsabilité s’ils n’emploient pas plus que la force qui est nécessaire en se fondant sur leur évaluation raisonnable des circonstances et des dangers dans lesquels ils se trouvent. » (Levesque v. Zanibbi et al.).
Sur la base des principes de droit qui précèdent, je dois établir si l’AI :
(1) était convaincu qu’il risquait la mort ou des lésions corporelles graves aux mains du plaignant au moment où il a déchargé son arme à feu;(2) si cette conviction était objectivement raisonnable, ou, en d’autres termes, si ses actes seraient jugés raisonnables par un observateur objectif qui aurait disposé de tous les renseignements dont disposait l’AI au moment où il a déchargé son arme à feu.
Pour ce qui est du premier de ces deux critères, il ressort clairement de la déclaration de l’AI qu’il croyait qu’il risquait de mourir ou de subir de graves lésions corporelles au moment où il a fait feu. Cette conviction était fondée sur le fait qu’il avait vu le plaignant avancer rapidement vers lui un couteau à la main, que le plaignant avait refusé de s’arrêter ou de laisser tomber son arme, et que la décharge antérieure de l’arme à impulsion n’avait eu aucun effet. La seule option qui lui restait pour empêcher efficacement le plaignant de l’attaquer avec le couteau était d’utiliser son arme à feu.
Étant donné les renseignements dont disposait l’AI au moment où il a fait feu et tué le plaignant, j’estime que, subjectivement, il avait des motifs raisonnables de croire que sa vie était en danger, et que ses observations des actes du plaignant et les renseignements fournis par l’AT no 1 auraient raisonnablement amené l’AI à croire qu’il courait le risque imminent d’être grièvement blessé, voire tué, par le plaignant.
En examinant le caractère raisonnable des actes de l’AI et la question de savoir s’il a envisagé ou non d’utiliser des moyens moins mortels de recours à la force avant d’utiliser son arme à feu, je tiens compte du fait que l’AI a indiqué dans sa déclaration – et l’enregistrement des communications le confirme – qu’il a ordonné au plaignant de laisser tomber ses armes, mais que ces instructions semblaient être tombées dans l’oreille d’un sourd. L’AI a également déclaré, comme le confirment plusieurs des TC indépendants ainsi que les indices matériels retrouvés sur les lieux et les données de téléchargement de l’arme à impulsion, qu’il avait déjà employé la seule autre option de recours à la force moins meurtrière (l’arme à impulsion) à sa disposition pour arrêter le plaignant, laquelle, à cause des vêtements épais du plaignant, ou peut-être à cause du ruban isolant qu’il s’était appliqué sur tout le corps, s’était avérée inefficace, ne lui laissant ainsi que son arme à feu comme alternative viable. Sur cette base, il est clair que l’AI, dans le bref délai de sept secondes ou moins dont il disposait après avoir déployé son arme à impulsion, et alors que le plaignant s’avançait rapidement vers lui en tenant une arme mortelle, semble avoir envisagé toutes ses options avant de faire feu.
J’ai qualifié le couteau en possession du plaignant comme une arme mortelle, même après avoir constaté que le couteau retrouvé sur les lieux semblait de taille assez réduite, la lame étant décrite comme ayant une longueur de 5 cm. Bien que certains puissent penser que ce petit couteau ne constituait pas une menace sérieuse pour la vie ou la sécurité de l’AI, je tiens à préciser que je n’ai aucune hésitation à conclure que le plaignant était tout à fait capable de causer des blessures graves, sinon la mort, s’il avait pu continuer d’avancer vers l’AI jusqu’au point où il aurait pu attaquer l’AI avec cette arme. À cet égard, je prends particulièrement note des faits exposés dans la décision R v. Lenard Phillips, (1995) OJ No 4152 OGD, dans laquelle M. Phillips a été déclaré coupable d’avoir utilisé un canif pour le meurtre de l’agent Eric Nystedt; M. Phillips a poignardé l’agent Nystedt à la cuisse avec ce petit couteau, évitant ainsi son armure corporelle, a entaillé son artère fémorale, ce qui a entraîné sa mort quasi immédiate par exsanguination. Ce canif était encore plus petit que le couteau du plaignant.
Pour déterminer s’il existait ou non des motifs objectivement raisonnables de croire que la vie de l’AI était en danger, il suffit de se reporter aux témoignages du TC no 1, qui est sorti de son véhicule quand il a constaté que l’AI était en difficulté et pourrait avoir besoin de son aide, de la TC no 3, qui a décrit le plaignant comme se précipitant sur l’agent, du TC no 8 qui a observé le plaignant lever les mains au-dessus de ses épaules, puis avancer vers l’AI, et du TC no 2 qui a vu l’AI reculer pour s’éloigner du plaignant, qui s’est alors jeté sur lui.
De plus, il faut tenir compte du témoignage de l’AT no 2, qui a dû retirer le couteau des mains du plaignant, qui le tenait encore fermement, même après avoir été blessé par balles, ce que confirment les témoins indépendants qui ont vu le plaignant tenir une arme lorsqu’il s’est avancé vers l’AI, ainsi que le témoignage de l’AT no 1 qui, lorsqu’il avait été confronté plus tôt par le plaignant qui se précipitait vers lui les couteaux à la main, s’était mis à l’abri derrière son véhicule de police, un luxe, malheureusement, que l’AI n’avait pas quand le plaignant s’est jeté sur lui alors qu’il reculait dans la neige profonde.
Je remarque que dans son entrevue avec les enquêteurs de l’UES, l’AT no 1 a précisé que lorsqu’il s’est dirigé en courant vers l’AI et le plaignant, d’après ses observations, il était convaincu que la vie de l’AI était en danger ou qu’il risquait d’être gravement blessé, et qu’il pensait que l’AI n’avait pas d’autres choix que de faire feu à ce moment-là.
De plus, bien que je ne puisse pas dire ce que pensait le plaignant quand il s’est jeté sur l’AI, il faut noter que l’UES a trouvé une liste de « choses à faire » écrite à la main sur une page du carnet d’adresses découvert dans le sac à dos abandonné par le plaignant près du bâtiment des ambulances. Même si rien ne permet de déterminer quand le plaignant a rédigé cette liste ou s’il était sérieux quand il l’a écrite (ou, s’il était sérieux, s’il avait l’intention de mettre à exécution tous les éléments de cette liste simultanément), je note que le premier des actes violents mentionnés dans cette liste de choses à faire était de « tuer tous les flics en ville ». Même si l’AI n’en connaissait pas l’existence, cette liste éclaire ma réflexion en suggérant qu’il est fort possible que lorsqu’il avançait vers l’AI, le plaignant avait des intentions qui été loin d’être inoffensives, ou qui n’auraient certainement pas paru l’être. [5]
Après avoir examiné attentivement l’ensemble de la preuve et du droit relatif à la justification du recours à la force avec l’intention de causer la mort ou des lésions corporelles graves, lorsqu’on estime, pour de motifs raisonnables, que c’est nécessaire afin de se protéger soi-même contre la mort ou contre des lésions corporelles graves, je conclus que, dans toutes les circonstances, l’AI a raisonnablement cru que le plaignant mettait sa vie en danger et que de tirer sur le plaignant était donc justifié. J’estime qu’il aurait été imprudent et téméraire de la part de l’AI de risquer sa vie en attendant de voir si le plaignant, couteau en main, continuerait de se rapprocher de lui, surtout dans une situation où, du fait de l’épaisse couche de neige, l’AI avait de la difficulté à se déplacer et se trouvait en danger immédiat de blessure grave ou de mort. En outre, j’estime que l’AI ne pouvait pas se permettre de prendre ce risque face à un homme de 6 pi 3 po et 183 lb brandissant un couteau.
Je conclus donc, au vu de l’ensemble de la preuve, que les coups de feu tirés par l’AI, qui ont atteint et tué le plaignant, étaient justifiés en vertu des paragraphes 25 (1) et (3) du Code criminel et que l’AI, en se protégeant contre la mort ou des lésions corporelles graves que le plaignant aurait pu lui infliger, n’a pas utilisé plus de force qu’il n’était nécessaire pour atteindre son objectif légitime. En conséquence, je suis donc convaincu, pour des motifs raisonnables, que les actes de l’AI, malgré le décès tragique qui en a résulté, sont restés dans les limites prescrites par le droit criminel et qu’il n’y a aucune raison de porter des accusations criminelles dans cette affaire.
Date : 18 octobre 2018
Original signé par
Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales
Notes
- 1) Le TC no 15 a également remarqué que le plaignant avait un comportement erratique et un affect inhabituel. Il a décrit le plaignant comme étant très confus et il l’a aussi entendu dire qu’il voulait aller à l’hôpital parce qu’il était tout nu. Il a entendu le plaignant déclarer qu’il « avait fait du crack » puis, après s’être mis les couteaux sous la gorge, qu’il allait se poignarder. Le TC no 15 a ajouté que le plaignant semblait furieux et délirant, comme s’il avait perdu tout sens de la réalité. [Retour au texte]
- 2) Il semble que l’AT no 1 n’a pas réalisé que le plaignant avait lâché un des couteaux, parce qu’il a dit à au moins deux reprises par la suite que le plaignant avait deux petits couteaux en sa possession. [Retour au texte]
- 3) Cela peut toutefois expliquer pourquoi l’utilisation de l’arme à impulsion n’a pas eu d’effet sur lui. [Retour au texte]
- 4) L’UES a reçu le rapport d’autopsie le 12 septembre 2018. Il décrit la trajectoire de la balle comme allant de l’arrière à l’avant, légèrement vers le bas, légèrement de droite à gauche. Cette trajectoire n’est pas incompatible avec les descriptions de la chute du plaignant ou de la preuve vidéo. [Retour au texte]
- 5) La liste, qui commence par [traduction] « quand je me tue… pété de rire », comprend également, parmi 11 autres éléments, des suggestions selon lesquelles le plaignant tuerait toutes les personnes inscrites sur sa liste et enfermerait quelqu’un dans le coffre d’une voiture de police et brûlerait cette personne à vif. Le fait que le plaignant aurait déjà tenté de se suicider est mentionné dans le rapport d’autopsie. Le rapport d’autopsie énumère de nombreux antécédents de toxicomanie (méthamphétamine et cannabis) et d’alcool, avec une admission antérieure forcée à l’hôpital avec un diagnostic différentiel de schizophrénie pour une psychose provoquée par une substance et une tentative antérieure de suicide. Je mentionne ce fait dans le présent rapport car, mis à part les commentaires qu’il a faits au personnel des SMU, selon lesquels il souhaitait simplement qu’on lui tire une balle dans la tête (information qui a été transmise à l’opératrice du 9-1-1) et qu’il s’était mis des couteaux à la gorge, suggérant peut-être qu’il était suicidaire, rien d’autre ne permet d’expliquer le comportement étrange du plaignant qui le conduirait à se précipiter sur un policier un couteau à la main. À moins, bien sûr, que les effets indésirables possibles des méthamphétamines et de la cocaïne, mentionnés dans le rapport d’autopsie, aient causé ou influencé le comportement du plaignant. [Retour au texte]
Note:
La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.