Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 24-PCD-379

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’exécution de la loi qui enquête sur les incidents mettant en cause un agent et impliquant un décès, une blessure grave, la décharge d’une arme à feu contre une personne ou une allégation d’agression sexuelle. Selon la définition de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales (Loi sur l’UES), « agents » s’entend des agents de police, des agents spéciaux employés par la Commission des parcs du Niagara et des agents de la paix en vertu de la Loi sur l’Assemblée législative. La compétence de l’UES s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux en Ontario.

En vertu de la Loi sur l’UES, le directeur de l’UES doit établir, d’après les preuves recueillies dans le cadre d’une enquête, s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un agent a commis une infraction criminelle. Si de tels motifs existent, le directeur a le pouvoir de faire porter une accusation criminelle contre cet agent. Par contre, en l’absence de tels motifs, le directeur ne peut pas porter d’accusation. Dans ce cas, un rapport d’enquête est rédigé et rendu public, sauf s’il portait sur des allégations d’agression sexuelle, auquel cas le directeur de l’UES peut consulter la personne concernée et exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas publier le rapport pour protéger la vie privée de la personne concernée.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales

En vertu de l’article 34, certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment :

  • le nom d’un agent impliqué, d’un agent témoin, d’un témoin civil ou d’une personne concernée, ainsi que tout renseignement permettant d’identifier ces personnes;
  • des renseignements qui pourraient amener à ce que l’identité d’une personne ayant signalé avoir été agressée sexuellement soit révélée dans le contexte de l’agression sexuelle;
  • des renseignements qui, de l’avis du directeur de l’UES, peuvent présenter un risque de préjudice grave pour une personne;
  • des renseignements qui divulguent des techniques ou méthodes d’enquête;
  • des renseignements dont la diffusion est interdite ou restreinte par la loi;
  • des renseignements pour lesquels la protection de la vie privée d’une personne obtenue grâce à leur non?publication l’emporte clairement sur l’intérêt public de les publier.

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée

En vertu de l’article 14 (article relatif à l’exécution de la loi), certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment :

  • des renseignements qui révèlent des
  • des renseignements dont on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • les noms de personnes, y compris des témoins civils et des agents impliqués et témoins;
  • des renseignements sur le lieu de l’incident;
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête;
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé

En vertu de cette loi, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’exécution de la loi.

Exercice du mandat

En vertu de l’article 15 de la Loi sur l’UES, l’UES peut enquêter sur la conduite d’agents (agents de police, agents spéciaux de la Commission des parcs du Niagara ou agents de la paix en vertu de Loi sur l’Assemblée législative) qui pourrait avoir entraîné un décès, des blessures graves, une agression sexuelle ou la décharge d’une arme à feu contre une personne.

Une personne subit une « blessure grave » qui relève de la compétence de l’UES si, selon le cas : elle subit une blessure pour laquelle elle est admise à l’hôpital, elle souffre d’une fracture du crâne, d’un membre, d’une côte ou d’une vertèbre, elle souffre de brûlures sur une grande partie du corps, ou elle subit une perte de la vision ou de l’ouïe par suite d’une blessure.

De plus, une « blessure grave » désigne toute autre blessure subie par une personne susceptible d’avoir des répercussions sur la santé ou le confort de cette personne et qui n’est pas de nature passagère ou bénigne.

Le présent rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur le décès d’un homme de 59 ans (le « plaignant »).

L’enquête

Notification de l’UES[1]

Le 12 septembre 2024, à 9 h 39 [HE][2], la Police provinciale de l’Ontario a signalé ce qui suit à l’UES.

Dans l’après-midi du 11 septembre 2024, la Police provinciale a été appelée au Northern Store, à Pickle Lake, car des hommes en état d’ébriété traînaient à l’avant du magasin. Alors que les agents s’occupaient de certains individus, ils ont entendu quelqu’un tomber derrière eux. D’après le bruit de la chute, on aurait dit que la personne s’était cogné la tête sur le sol. Les agents sont allés voir comment se portait l’individu — le plaignant — et ont appelé les services médicaux d’urgence (SMU). Les SMU sont arrivés sur les lieux et, après avoir examiné le plaignant, ont déclaré qu’il n’avait rien. Il n’avait aucune blessure visible et le plaignant n’avait mentionné aucune douleur. Les agents ont arrêté le plaignant pour ivresse dans un lieu public. Il n’a pas résisté et aucune force n’a été utilisée contre lui. Le plaignant a été transporté au poste du détachement de la Police provinciale. Durant le trajet vers le poste du détachement, il était conscient et lucide, et parlait avec les agents. Dans les images captées au poste du détachement, on voit le plaignant sortir lui?même du véhicule de police et marcher par ses propres moyens pour se rendre dans les installations de détention. Il a été soumis à la procédure de mise en détention, puis placé dans une cellule. Par la suite, des membres du personnel sont venus jeter un coup d’œil sur lui à intervalles réguliers. Vers 2 h 40, l’agente responsable des détenus a constaté que le plaignant avait de la difficulté à respirer. Il était inconscient et haletait. Les SMU ont été appelés et le plaignant a été transporté au poste de soins infirmiers de Mishkeegogamang, où son état s’est aggravé. Les médecins ont téléphoné à sa famille et le plaignant a été transporté par avion au Centre régional des sciences de la santé de Thunder Bay (CRSSTB)[3].

L’équipe

Date et heure de l’envoi de l’équipe : 12 septembre 2024 à 17 h

Date et heure d’arrivée de l’UES sur les lieux : 12 septembre 2024 à 17 h 42

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 3

Nombre d’enquêteurs spécialistes des

sciences judiciaires de l’UES assignés : 1

Personne concernée (« plaignant ») :

Homme de 59 ans; décédé

Témoins civils (TC)

TC no 1 A participé à une entrevue

TC no 2 A participé à une entrevue

TC no 3 A participé à une entrevue

TC no 4 A participé à une entrevue

Les témoins civils ont participé à des entrevues entre le 7 octobre 2024 et le 15 octobre 2024.

Agentes impliquées (AI)

AI no 1 N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue, comme la loi l’y autorise en tant qu’agente impliquée; déclaration écrite reçue et examinée

AI no 2 N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue ni à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agente impliquée

Agents témoins (AT)

AT no 1 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées

AT no 2 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées

AT no 3 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées

AT no 4 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées

AT no 5 A participé à une entrevue

Les agents témoins ont participé à des entrevues entre le 10 octobre 2024 et le 7 mai 2025.

Témoin employé du service (TES)

TES A participé à une entrevue

Le témoin employé du service a participé à une entrevue le 15 octobre 2024.

Délai d’enquête

Le 7 novembre 2025, le Service de médecine légale de l’Ontario a fourni à l’UES une opinion d’expert sur le décès du plaignant.

Éléments de preuve

Les lieux

Les événements en question se sont déroulés à l’extérieur du Northern Store, au 6, rue Koval, à Pickle Lake, et dans une cellule du Détachement de Pickle Lake de la Police provinciale.

Preuve d’expert

Examen post-mortem et rapports toxicologiques

Le plaignant est décédé au CRSSTB le 14 septembre 2024.

Le 18 septembre 2024, un pathologiste a procédé à un examen post-mortem du plaignant. Le rapport final a été achevé le 24 janvier 2025.

L’examen post-mortem révèle que le plaignant a subi un traumatisme crânien sans lésion superficielle visible sur le cuir chevelu. Une fracture linéaire de l’os temporo-pariétal droit a été constatée, ce qui a mené à un hématome extradural sous-jacent, à un œdème cérébral, à un déplacement de la ligne médiane et à une hernie. Les blessures à la tête peuvent s’expliquer par une chute sur une surface dure. Le délai entre la blessure et la perte de conscience du plaignant est courant dans le cas d’un hématome extradural. C’est ce que l’on appelle communément « l’intervalle libre », pendant lequel la taille de l’hématome extradural continue de croître jusqu’à ce que l’état neurologique de la personne se détériore rapidement.

Les tests toxicologiques ont permis de détecter du tétrahydrocannabinol, du cannabidiol, du carboxytétrahydro-cannabinol, du bêta-hydroxybutyrate, de l’acétone et de l’éthanol. La concentration de bêta-hydroxybutyrate était élevée, mais inférieure à la fourchette considérée comme significative sur le plan pathologique (>250 mg/L).

Le décès a été attribué à un traumatisme crânien.

Rapport de consultation du Service de médecine légale de l’Ontario

Dans une lettre adressée à l’UES le 7 novembre 2025, le Service de médecine légale de l’Ontario fait les observations suivantes relativement au décès du plaignant :

[Traduction]

  • Je suis d’accord avec les conclusions et les opinions formulées dans le rapport d’autopsie et avec la cause du décès. La cause du décès est un traumatisme crânien avec fracture du crâne ayant provoqué un hématome extradural mortel. L’hématome extradural était inévitablement fatal. La seule chance de survie était une intervention neurochirurgicale.

  • La question sous-jacente dans cette affaire est de savoir si des témoins non médicaux auraient nécessairement dû conclure que le plaignant nécessitait des soins médicaux ou chirurgicaux urgents. Je ne peux répondre à cette question.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou de photographies[4]

Enregistrement vidéo — Northern Store

[Les enregistrements ne montrent qu’une partie de ce qui s’est passé devant le Northern Store et on n’y voit pas la chute du plaignant.]

Le 11 septembre 2024, vers 15 h 9 min 38 s, un homme vêtu d’un T-shirt bleu et d’un manteau brun, et portant un sac à dos, se dirige en titubant vers l’avant du Northern Store. Trois autres hommes traînent devant le Northern Store. Un cinquième homme se joint au groupe. Le TC no 2 rejoint le groupe à l’avant du magasin, puis le TC no 1, ce qui porte le groupe à sept personnes. Le groupe finit par se disperser.

Vers 15 h 12 min 15 s, deux véhicules identifiés de la Police provinciale, conduits par l’AT no 2 et l’AT no 1, arrivent au Northern Store et s’arrêtent. On voit l’AT no 2 marcher avec un homme qui porte un T-shirt rouge, depuis le côté gauche du Northern Store. L’homme qui porte un mateau brun, le TC no 2 et le TC no 1 se dirigent vers l’extrémité droite du Northern Store, en s’éloignant des véhicules de police. L’AT no 1 se rend au véhicule de l’AT no 2 et l’aide à y faire monter l’homme avec un manteau brun.

Vers 15 h 16 min 15 s, l’AT no 1 entre dans le Northern Store. Il en sort ensuite en tenant ce qui semble être une serviette.

Vers 15 h 23 min 14 s, une ambulance arrive au Northern Store et un ambulancier paramédical parle avec les agents. L’ambulancier se rend ensuite sur le côté gauche du magasin et sort du champ de la caméra.

Vers 15 h 25 min 14 s, l’ambulancier paramédical se rend à l’ambulance, puis revient avec une trousse médicale.

Vers 15 h 30 min 48 s, l’ambulancier paramédical remet son matériel dans l’ambulance.

Vers 15 h 31 min 25 s, on voit le plaignant qui se tient debout et marche avec l’ambulancier paramédical et l’AT no 2. Il porte un sac à dos. Le plaignant longe le côté conducteur de l’ambulance et sort du champ de la caméra. Le TC no 1 est également présent. L’ambulancier paramédical entre dans le Northern Store.

Vers 15 h 34 min 20 s, l’AT no 2 quitte les lieux à bord de son véhicule de police.

Enregistrement provenant du système de caméra intégrée au véhicule (SCIV) de l’AT no 2 (heures fondées sur l’heure de l’Est)

Le 11 septembre 2024, vers 16 h 32 min 35 s, la portière arrière du côté conducteur s’ouvre. L’AT no 2 tente de faire monter le plaignant dans le véhicule de police, mais le plaignant se montre réticent. L’AT no 2 dit : [Traduction[5]] « Vous y serez en sécurité. » Une femme [que l’on croit être la TC no 1] s’adresse au plaignant. Ses propos sont indiscernables, mais on l’entend dire au plaignant : « Écoute. » L’agent ajoute : « Écoutez votre enfant », puis le plaignant monte sur la banquette arrière. Il porte un jean, un chandail gris et un manteau de couleur sombre. Il n’est pas menotté. Il semble être en état d’ébriété. L’AT no 2 informe le répartiteur que les SMU ont examiné le plaignant et qu’ils ont déclaré que le plaignant n’avait rien, et qu’il a été arrêté pour ivresse dans un lieu public. Le plaignant reste assis sans broncher sur la banquette arrière.

Vers 16 h 39 min 24 s, l’AT no 2 demande : « Ça va, [prénom du plaignant]? » Le plaignant marmonne : « Ouais. »

Vers 16 h 43 min 24 s, la portière arrière du côté conducteur s’ouvre. L’agent aide le plaignant à sortir sa jambe gauche du véhicule de police. Le plaignant sort et l’agent lui demande : « Vous souvenez-vous d’être tombé? » Le plaignant répond : « Non. »

L’agent demande : « Voulez-vous prendre ma main? » Le plaignant répond : « Non. »

Enregistrement vidéo — Détachement de Pickle Lake de la Police provinciale — aire de détention (heures fondées sur l’heure de l’Est)

Le 11 septembre 2024, vers 16 h 44 min 3 s, le plaignant entre dans la salle de mise en détention en compagnie de l’AT no 2. Il n’est pas menotté. Il s’assoit sur un banc près du comptoir de mise en détention.

Vers 16 h 44 min 46 s, il retire son manteau en le passant par-dessus sa tête et le dépose dans un bac sur le plancher. Il porte un jean, un T-shirt, des espadrilles et une ceinture. Il retire ensuite tous ses effets personnels et les place lui-même dans le bac.

Vers 16 h 46 min 1 s, le plaignant se lève, se dirige vers un mur et pose ses mains dessus. L’AT no 2 et un autre agent le fouillent. Le plaignant quitte ensuite l’aire de mise en détention en passant par la porte menant aux cellules.

Vers 16 h 47, le plaignant entre dans la cellule. Il n’y a pas de lit dans la cellule. Il s’allonge tranquillement sur le sol, sur le côté gauche. Il alterne plusieurs fois entre son côté gauche, son dos et son côté droit.

Vers 17 h 7 min 27 s, le TES apporte une couverture dans la cellule et la place entre les barreaux. Le plaignant continue de changer de position, dormant parfois sur le côté, parfois sur le dos.

Vers 22 h 8 min 18 s, un agent escorte le TC no 3 jusqu’à la cellule. On lui remet une couverture et il s’allonge sur le sol, en face du plaignant.

Vers 1 h 24 min 57 s, le 12 septembre 2024, l’AI no 1 entre dans la cellule en tenant un bac à effets personnels. Elle touche l’épaule droite du plaignant, puis son cou et de nouveau son épaule droite. Le plaignant, qui est couché sur son côté gauche, roule sur le dos. L’AI no 1 semble frictionner son sternum. Le TES se tient à la porte de la cellule et semble parler à l’AI no 1, laquelle continue de frictionner le sternum du plaignant.

Vers 1 h 26 min 34 s, l’AI no 1 sort de la cellule.

Vers 1 h 28 min 2 s, le TC no 3 s’approche du plaignant et semble essayer de le réveiller. Il se dirige vers un évier, puis revient vers le plaignant et vérifie son poignet gauche. Le TC no 3 retourne ensuite s’allonger sur le plancher tandis que le plaignant reste étendu sur le dos.

Le TES vient jeter un coup d’œil sur la cellule de façon périodique.

Vers 3 h 36 min 40 s, le TES se tient à la porte de la cellule.

Vers 3 h 39 min 3 s, l’AI no 1 entre dans la cellule et se dirige vers le plaignant. Elle frictionne son sternum et le fait rouler sur le côté gauche en position latérale de sécurité.

Vers 3 h 39 min 54 s, l’AI no 1 sort de la cellule en laissant la porte ouverte.

Vers 3 h 40 min 54 s, l’AI no 1 retourne dans la cellule. Elle fait de nouveau rouler le plaignant sur le côté gauche. L’AT no 3 arrive et place une couverture sous la tête du plaignant.

Vers 3 h 46 min 19 s, l’AI no 1 sort de la cellule, tandis que l’AT no 3 maintient le plaignant en position latérale.

Vers 3 h 52 min 48 s, l’AI no 1 revient dans la cellule, réveille le TC no 3 et le fait sortir.

Vers 3 h 58 min 27 s, une ambulancière paramédicale entre dans la cellule en compagnie de l’AI no 1. L’ambulancière paramédicale prodigue des soins au plaignant avec l’aide d’un homme en civil. Une civière est apportée dans la cellule.

Vers 4 h 22 min 30 s, l’ambulancière paramédicale et les agents placent le plaignant sur la civière et le sortent de la cellule.

Enregistrements de communications de la Police provinciale (heures fondées sur l’heure de l’Est)

Le 11 septembre 2024, entre 16 h 15 et 16 h 27, environ, l’AT no 2 diffuse par radio qu’un homme a perdu connaissance devant le Northern Store de la rue Koval et qu’ils ont besoin d’une ambulance. L’AT no 1 signale ensuite qu’une ambulance est sur les lieux. Plus tard, l’AT no 1 diffuse par radio qu’il est en chemin vers le poste du détachement avec deux hommes. Un communicateur de la Police provinciale demande qu’une ambulance se rende sur la rue Koval pour une personne qui a perdu connaissance. Des agents de la Police provinciale sont sur les lieux.

Le 12 septembre 2024, vers 3 h 40 min 13 s, l’AI no 1 informe le répartiteur qu’elle a besoin d’une ambulance au détachement pour le plaignant. Le plaignant dort très profondément et halète, et elle n’arrive pas à le réveiller.

Vers 3 h 41 min 3 s, la Police provinciale appelle les SMU et demande qu’une ambulance se rende aux cellules de la Police provinciale de Pickle Lake pour un homme de 59 ans que l’on n’arrive pas à tirer de son sommeil. L’homme n’est pas complètement réveillé, il est conscient, mais a de la difficulté à respirer.

Vers 3 h 42 min 2 s, un sergent du Centre de communication de la Police provinciale s’entretient avec l’AI no 1. L’AI no 1 indique qu’un homme de 59 ans, le plaignant, a été placé en détention pour ivresse dans un lieu public. Avant d’être amené au détachement, il était tombé au Northern Store. Les SMU s’étaient rendus sur les lieux, l’avaient examiné et avaient déclaré qu’il allait bien. Le plaignant avait ensuite été placé dans une cellule au poste du Détachement de Pickle Lake.

À 0 h 20, l’AI no 1 s’était rendue dans la cellule afin de le libérer. Elle avait essayé de le réveiller, mais il dormait très profondément. Elle lui avait frictionné le sternum. Puisque cela n’avait eu aucun effet et qu’il demeurait profondément endormi, elle avait décidé de le laisser dormir encore quelques heures. Par la suite, un gardien avait indiqué que le plaignant haletait et avait du mal à respirer. L’AI no 1 était allée voir ce qui en était. Le plaignant avait de la difficulté à respirer, elle l’avait roulé sur le côté et il avait commencé à mieux respirer.

Les SMU étaient arrivés sur les lieux et l’avaient intubé. L’AI no 1 était montée dans l’ambulance pour aider l’ambulancière paramédicale qui était seule. Le plaignant avait ensuite été transporté à la clinique et était toujours inconscient. Rien ne s’était produit dans les cellules : le plaignant n’était pas tombé.

Éléments obtenus auprès du service de police

Sur demande, l’UES a obtenu les éléments suivants auprès de la Police provinciale entre le 17 septembre 2024 et le 7 octobre 2024 :

  • Rapport d’arrestation, rapport d’incident général, rapport supplémentaire, rapport sur la détention
  • Enregistrements de communications
  • Rapport sur les détails de l’incident
  • Images provenant d’un SCIV
  • Images provenant de l’aire de détention
  • Photos médico-légales prises au CRSSTB
  • Notes — AT no 1, AT no 2, AT no 3 et AT no 4
  • Manuel de soins aux prisonniers
  • Guide de soins aux prisonniers

Éléments obtenus auprès d’autres sources

L’UES a obtenu les éléments suivants auprès d’autres sources entre le 9 octobre 2024 et le 7 novembre 2025 :

  • Enregistrement vidéo fourni par le Northern Store
  • Rapport sur la demande d’ambulance auprès des Northwest EMS
  • Rapport toxicologique préparé par le Centre des sciences judiciaires
  • Rapport préliminaire de l’autopsie réalisée par le Service de médecine légale de l’Ontario
  • Rapport d’examen post-mortem préparé par le Bureau du coroner
  • Rapport de consultation sur le décès du plaignant préparé par le Service de médecine légale de l’Ontario

Description de l’incident

Le scénario suivant ressort des éléments de preuve recueillis par l’UES, lesquels comprennent des entrevues avec des agents témoins et des témoins civils. Comme la loi les y autorise, ni l’une ni l’autre des agentes impliquées n’a accepté de participer à une entrevue avec l’UES ni d’autoriser la transmission de leurs notes. L’AI no 1 a toutefois fourni une déclaration écrite à l’UES.

Dans l’après-midi du 11 septembre 2024, le plaignant se trouvait à l’extérieur du Northern Store, au 6, rue Koval, à Pickle Lake, lorsqu’il est tombé et s’est cogné la tête sur le sol. Il avait bu et était en état d’ébriété. À ce moment?là, l’AT no 1 et l’AT no 2 se trouvaient sur les lieux et s’occupaient d’autres personnes qu’ils venaient d’arrêter pour ivresse dans un lieu public. Ils ont entendu le plaignant tomber et sont allés lui porter assistance. Puisqu’ils craignaient que le plaignant se soit frappé la tête, les agents ont demandé que les SMU se rendent sur les lieux.

Le TC no 4, un ambulancier paramédical qui travaillait seul, est arrivé au magasin et a examiné le plaignant pour détecter tout signe de traumatisme crânien. Il n’a trouvé aucun signe de traumatisme apparent. L’ambulancier paramédical a conclu qu’il n’y avait aucune inquiétude immédiate pour la santé du plaignant et a aidé l’AT no 2 à le soulever du sol.

Le plaignant a été arrêté pour ivresse dans un lieu public et l’AT no 2 l’a conduit au Détachement de Pickle Lake de la Police provinciale. Au poste, il a été fouillé et placé dans une cellule vers 15 h 47, puis il s’est endormi. Le plaignant était chancelant, mais il s’est déplacé par ses propres moyens pendant toute la procédure de mise en détention. Un garde civil — le TES — était chargé de surveiller les détenus dans les cellules.

Le plaignant dormait dans sa cellule. Vers 0 h 30, le 12 septembre 2024, l’AI no 1 est entrée dans la cellule en vue de libérer le plaignant. Puisqu’elle n’arrivait pas à le réveiller, elle a décidé de le libérer plus tard dans la matinée et a quitté la cellule.

Quelques heures plus tard, le TES trouvait que le plaignant faisait des bruits respiratoires anormaux et a alerté l’AI no 1. L’agente est entrée dans la cellule et a constaté que le plaignant avait de la difficulté à respirer. Elle a tenté en vain de le réveiller, notamment en lui frottant le sternum, et a décidé d’appeler les SMU.

Une ambulancière paramédicale et un pompier sont arrivés dans la cellule vers 3 h. Le plaignant a été placé dans une ambulance et emmené au poste de soins infirmiers de Mishkeegogamang. Il a ensuite été transporté à l’hôpital à Thunder Bay, où il est décédé le 14 septembre 2024.

Cause du décès

Le pathologiste chargé de l’autopsie était d’avis que le décès du plaignant était dû à un traumatisme crânien. Le plaignant avait subi « une fracture linéaire de l’os temporo-pariétal droit, ce qui a mené à un hématome épidural, à un œdème cérébral, à un déplacement de la ligne médiane et à une hernie ».

Dispositions législatives pertinentes

Article 215 du Code criminel — Devoir de fournir les choses nécessaires à l’existence

215 (1) Toute personne est légalement tenue :

c) de fournir les choses nécessaires à l’existence d’une personne à sa charge, si cette personne est incapable, à la fois :

(i) par suite de détention, d’âge, de maladie, de troubles mentaux, ou pour une autre cause, de se soustraire à cette charge,

(ii) de pourvoir aux choses nécessaires à sa propre existence.

(2) Commet une infraction quiconque, ayant une obligation légale au sens du paragraphe (1), omet, sans excuse légitime, de remplir cette obligation, si :

b) à l’égard d’une obligation imposée par l’alinéa (1)c), l’omission de remplir l’obligation met en danger la vie de la personne envers laquelle cette obligation doit être remplie, ou cause, ou est de nature à causer, un tort permanent à la santé de cette personne.

Articles 219 et 220 du Code criminel — Négligence criminelle causant la mort

219 (1) Est coupable de négligence criminelle quiconque :

a) soit en faisant quelque chose;

b) soit en omettant de faire quelque chose qu’il est de son devoir d’accomplir,

montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui.

(2) Pour l’application du présent article, devoir désigne une obligation imposée par la loi.

220 Quiconque, par négligence criminelle, cause la mort d’une autre personne est coupable d’un acte criminel passible :

a) s’il y a usage d’une arme à feu lors de la perpétration de l’infraction, de l’emprisonnement à perpétuité, la peine minimale étant de quatre ans;

b) dans les autres cas, de l’emprisonnement à perpétuité.

Article 31 de la Loi sur les permis d’alcool et la réglementation des alcools — Ivresse

31 (1) Nul ne doit être en état d’ivresse :

a) dans un lieu où le public accède sur invitation ou permission;

b) dans la partie d’une habitation à plusieurs logements qui sert à l’usage commun.

(2) Un agent de police ou un agent de protection de la nature peut, sans mandat, procéder à l’arrestation de quiconque contrevient au paragraphe (1) si, à son avis, la protection d’autres personnes exige cette mesure.

Analyse et décision du directeur

Le 12 septembre 2024, le plaignant a eu une urgence médicale alors qu’il était sous la garde de la Police provinciale. Il est décédé le 14 septembre 2024. L’UES a été avisée de l’incident et a lancé une enquête. Deux agentes de la Police provinciale ont été désignées comme étant les agentes impliquées : L’AI no 1 (l’agente qui a eu les interactions les plus directes et les plus importantes avec le plaignant pendant qu’il était en détention) et l’AI no 2 (l’agente de supervision principale qui était ultimement responsable des soins aux prisonniers et de leur surveillance). L’enquête est maintenant terminée. Après examen de la preuve, je n’ai aucun motif raisonnable de conclure que l’une ou l’autre des agentes impliquées a commis une infraction criminelle en lien avec le décès du plaignant.

Les infractions possibles à l’étude dans cette affaire sont le défaut de fournir les choses nécessaires à l’existence et la négligence criminelle causant la mort, en contravention des articles 215 et 220 du Code criminel, respectivement. Pour engager la responsabilité dans ces deux infractions, il faut démontrer plus qu’un simple manque de diligence. La première infraction repose, en partie, sur une conduite constituant un écart marqué par rapport au degré de diligence qu’une personne raisonnable aurait exercé dans les circonstances. La deuxième infraction repose sur une conduite encore plus grave qui témoigne d’une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui. Pour prouver une telle infraction, il faut démontrer que la négligence constituait un écart marqué et important par rapport à la norme de diligence raisonnable. Dans l’affaire en question, il faut donc déterminer si l’AI no 1 ou l’AI no 2 n’a pas fait preuve de la diligence requise et si ce manque de diligence, le cas échéant, pourrait avoir mis la vie du plaignant en danger ou causé son décès, et pourrait être considéré comme suffisamment grave pour justifier l’imposition d’une sanction pénale. À mon avis, cela n’est pas le cas.

Je suis convaincu que le plaignant était légalement détenu par la police lors des événements qui se sont soldés par son urgence médicale dans les cellules. Le plaignant, qui était en état d’ébriété et chancelant alors qu’il se trouvait au Northern Store, est tombé et a perdu connaissance momentanément. Il était manifestement passible d’arrestation en vertu de l’article 31 de la Loi de 2019 sur les permis d’alcool et la réglementation des alcools.

Je suis également persuadé que la preuve ne permet d’établir raisonnablement que l’une ou l’autre des agentes impliquées a transgressé les limites de la prudence prescrites par le droit criminel au cours de leurs interactions avec le plaignant. L’AI no 1 aurait dû appeler les services médicaux lorsqu’elle n’a pas réussi à réveiller le plaignant dans sa cellule vers 0 h 30. En effet, en raison de la vulnérabilité particulière des personnes en état d’ébriété, la politique de la Police provinciale prévoit que des soins médicaux d’urgence doivent être immédiatement demandés lorsqu’une personne en état d’ébriété ne peut être réveillée. L’AI no 1 a plutôt décidé de laisser le plaignant « cuver son vin » et de le libérer plus tard dans la matinée, à son réveil. D’autre part, bien que la décision de l’AI no 1 soit discutable, elle n’était pas totalement dénuée de fondement. Compte tenu de ses interactions antérieures avec le plaignant, elle a cru qu’il était simplement plongé dans un sommeil profond en raison de son état d’ébriété. De plus, rien n’indique que l’AI no 1 était au courant que le plaignant s’était cogné la tête lors de sa chute. Si elle l’avait su, il aurait été plus problématique qu’elle n’ait pas immédiatement appelé les services médicaux d’urgence. On avait plutôt informé l’AI no 1 que le plaignant avait été examiné par un ambulancier paramédical sur les lieux de l’arrestation et que ce dernier avait déclaré que le plaignant n’avait rien. Enfin, dès que l’agente a appris que le plaignant avait de la difficulté à respirer, elle a travaillé avec le répartiteur pour lui prodiguer des soins et faire venir les ambulanciers paramédicaux. Au vu de ce qui précède, et si l’on met en balance le fait que l’AI no 1 a omis d’obtenir des soins médicaux d’urgence pour le plaignant lorsqu’elle l’a vu pour la première fois et les circonstances atténuantes, je ne peux raisonnablement conclure que le manquement de l’AI no 1 constituait un écart marqué par rapport à la norme de diligence raisonnable, et encore moins un écart marqué et substantiel.

Par conséquent, j’en conclus qu’il n’y a pas lieu de porter des accusations criminelles contre l’AI no 1 dans cette affaire. Il en va de même pour l’AI no 2, laquelle n’était pas directement impliquée dans la situation et n’a pas eu de contact direct avec le plaignant.

Il convient de noter que l’UES a renvoyé les questions relatives à la supervision du plaignant dans les cellules au commissaire de la Police provinciale aux fins d’examen par son service. Comme l’exige l’article 35.1 de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales, cette question sera également soumise à l’Agence des plaintes contre les forces de l’ordre.

Date : 28 novembre 2025

Approuvé électroniquement par

Joseph Martino

Directeur

Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) Sauf indication contraire, les renseignements fournis dans cette section reflètent les renseignements fournis à l’UES au moment de la notification. Ils ne reflètent pas nécessairement les faits constatés par l’UES dans le cadre de son enquête. [Retour au texte]
  • 2) Toutes les heures indiquées dans le présent rapport se fondent sur l’heure du Centre (HC), sauf s’il est indiqué qu’il s’agit de l’heure de l’Est (HE). [Retour au texte]
  • 3) Le plaignant est ensuite décédé à l’hôpital, à Thunder Bay, le 14 septembre 2024. [Retour au texte]
  • 4) Les documents suivants contiennent des renseignements personnels délicats qui ne sont pas divulgués, comme le prévoit le paragraphe 34 (2) de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales. Les principaux éléments des documents sont résumés ci-dessous. [Retour au texte]
  • 5) NdT: Tous les dialogues sont des traductions. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.