Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 16-PCI-086

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu une allégation d’agression sexuelle.

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur les blessures graves subies par le plaignant lors de son arrestation pour avoir pointé une arme à feu, le 15 février 2016.

L’enquête

Notification de l’UES

L’UES a été avisée de l’incident le 31 mars 2016 par le détachement du comté de Perth de la Police provinciale de l’Ontario. La Police provinciale a signalé que, six semaines auparavant, soit le 15 février 2016, deux agents avaient intercepté un camion pour enquêter sur ses occupants. Le plaignant a été arrêté pour avoir pointé une arme à feu, puis libéré sans condition lorsque la personne qui s’était plaint à la police a changé son récit.

Le 16 février 2016, on a diagnostiqué une fracture de la sixième côte gauche antérieure du plaignant. Un ami du plaignant a avisé la Police provinciale de cette blessure en son nom.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 3

Plaignant

Homme de 76 ans; a participé à une entrevue, dossiers médicaux obtenus et examinés

Témoins civils

TC no 1 A participé à une entrevue

TC no 2 A participé à une entrevue

TC no 3 A participé à une entrevue

Agents témoins

AT no 1 A participé à une entrevue

AT no 2 A participé à une entrevue

AT no 3 A participé à une entrevue

AT no 4 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées. Armes à feu saisies dans le camion, après l’incident.

Agents impliqués

AI no 1 A participé à une entrevue et ses notes ont été revues et examinées

AI no 2 A participé à une entrevue et ses notes ont été revues et examinées

Éléments de preuve

Documents obtenus auprès du Détachement du comté de Perth de la Police provinciale et du Service de police de Stratford (SPS)

L’UES a demandé au Détachement du Comté de Perth de la Police provinciale de l’Ontario et au SPS les documents suivants, qu’elle a obtenus et examinés :

  • Rapport d’arrestation,
  • Chronologie des événements,
  • Notes des AT nos 1, 2, 3 et 4,
  • Notes des agents impliqués nos 1 et 2,
  • Résumé de l’incident,
  • Avis d’infraction provinciale (2) - pour le TC no 1, and
  • Déclaration de témoin du TC no 3.

Description de l’incident

Le 15 février 2016, juste avant 18 heures, des agents de la Police provinciale de l’Ontario et du SPS ont répondu à un appel selon lequel deux personnes dans un camion gris avaient tiré des coups de feu dans un terrain situé à proximité de County Road 111 et de Line 26, dans le canton de Perth, et avait pointé une arme à feu sur un particulier en le menaçant. La police a donc localisé le camion et l’a intercepté. Le TC no 1 était le conducteur du camion et le plaignant était le passager. L’AT no 1 a arrêté le TC no 1 sans problème. L’AI no 1 et l’AI no 2 ont ordonné au plaignant de sortir du camion, de reculer dans leur direction et de s’agenouiller, puis de s’allonger sur le ventre. Le plaignant a obtempéré, mais ne s’est pas allongé sur la chaussée. L’AI no 1 s’est avancé pour menotter le plaignant dans le dos. L’AI no 2 était à droite du plaignant et l’AI no 2 à gauche. Les agents ont forcé le plaignant à s’allonger au sol, à plat ventre. Le plaignant ne résistait pas, mais il continuait de bouger. Pour l’immobiliser, l’AI no 1 a placé son genou gauche sur le bas du dos du plaignant. L’AI no 2, quant à lui, a placé son genou droit dans le dos du plaignant et lui a saisi le bras droit.

En se penchant vers l’avant pour saisir les poignets du plaignant, l’AI no 1 a exercé une pression croissante de son genou vers l’avant et vers le bas sur le dos du plaignant. Le dos du plaignant a émis un craquement. L’AI no 2 a menotté le plaignant dans le dos et l’a aidé à se relever, puis l’a fait s’assoir à l’arrière de son véhicule de police.

L’AI no 1 s’est ensuite rendu au domicile du TC no 3 pour recueillir sa déclaration. Il a été déterminé qu’aucune infraction criminelle n’avait été commise. Le plaignant et le TC no 1 ont été libérés sans condition.

Le lendemain, le plaignant est allé à un hôpital où il a été constaté qu’il avait une fracture à la sixième côte gauche.

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 25 (1), Code criminel - Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :

a) soit à titre de particulier;

b) soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public;

c) soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public

d) soit en raison de ses fonctions,

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Analyse et décision du directeur

Le 15 février 2016, des agents de la Police provinciale de l’Ontario ont répondu à un appel selon lequel deux hommes dans un camion gris Toyota avaient tiré des coups de feu dans un champ et avaient pointé une arme à feu sur un particulier en le menaçant. Ce véhicule a donc été arrêté et les AI no 1 et no 2 ont fait sortir le plaignant du véhicule et l’ont menotté. Il est allégué qu’au cours de la procédure d’appréhension du plaignant, celui-ci a subi une fracture de la sixième côte gauche par suite d’un coup de genou ou de pied donné par un des agents.

En vertu du paragraphe 25 (1) du Code criminel, les agents de police ont le droit d’utiliser la force dans l’exécution de leurs fonctions légitimes, mais seulement dans la limite de ce qui est raisonnablement nécessaire dans les circonstances. En premier lieu, en ce qui concerne la légalité de l’appréhension du plaignant, l’enregistrement sonore des communications du 15 février 2016 montre clairement qu’un appel avait été diffusé aux agents de la Police provinciale de l’Ontario, à toutes les unités disponibles, suite au signalement d’un incident d’armes à feu impliquant le passager d’une camionnette Toyota, un homme d’un certain âge, qui avait pointé son fusil sur un adolescent de 16 ans à bord d’une motoneige. Compte tenu des déclarations de la personne qui a appelé le 9-1-1, ces agents avaient des motifs raisonnables de croire qu’un certain nombre d’infractions au Code criminel avaient été commises, notamment, mais sans s’y limiter, le braquage d’une arme à feu et le port d’arme dans un dessein dangereux pour la paix publique, en contravention des paragraphes 87 (1) et 88 (1) du Code criminel, respectivement. L’appréhension du plaignant était donc légalement justifiée dans les circonstances. Par la suite, ces allégations ont été retirées, mais au moment de l’arrestation du plaignant, les agents étaient fondés à l’appréhender compte tenu des renseignements dont ils disposaient à ce moment-là.

L’AI no 1 a indiqué qu’il était arrivé à l’endroit où le camion avait été arrêté au même moment que l’AI no 2. Du fait de la nature de l’allégation, les deux agents sont sortis de leurs véhicules respectifs leurs armes au point. À leur arrivée, l’AT no 1 était déjà en train de menotter et d’arrêter le TC no 1. L’AI no 1 a déclaré qu’il avait crié au plaignant de sortir du véhicule et de marcher à reculons vers lui, les mains en l’air, et que le plaignant avait obtempéré. L’AI no 1 a ensuite ordonné au plaignant de s’agenouiller, puis de s’allonger à plat ventre sur la chaussée. Le plaignant s’est mis à genoux, mais ne s’est pas allongé. L’AI no 2 s’est alors avancé pour menotter le plaignant, et celui-ci a commencé à s’agiter. L’AI no 1 et l’AI no 2 se sont tous deux approchés et ont mis le plaignant à plat ventre avec précautions. Le plaignant bougeait, mais sans résister violemment. L’AI no 1 a appuyé sur le bas du dos du plaignant de son genou gauche pour le maîtriser. Il s’est ensuite penché vers l’avant pour saisir les poignets du plaignant afin d’aider à le menotter et, ce faisant, il a exercé une pression accrue avec son genou et a entendu un craquement dans le dos du plaignant. L’AI no 1 a déclaré qu’il n’avait pas entendu le plaignant crier de douleur ou dire quoi que ce soit. Une fois le menottage terminé, les deux agents ont aidé le plaignant à se relever puis à s’assoir dans le véhicule de police. L’AI no 1 affirme qu’il a demandé au plaignant si ça allait, et que celui-ci a répondu par l’affirmative. L’AI no 1 a indiqué qu’il n’avait pas intentionnellement blessé le plaignant, mais a admis qu’il était possible qu’il l’ait fait par inadvertance en appuyant de son genou sur le dos du plaignant.

La déclaration de l’AI no 2 aux enquêteurs est cohérente avec la description de l’événement donné par l’AI no 1, avec quelques détails additionnels. L’AI no 2 a indiqué qu’il avait lui-même placé son genou droit sur le dos du plaignant, tout en essayant d’attacher les menottes. En outre, il a déclaré que lorsque l’AI no 1 a placé son genou sur le dos du plaignant tout en saisissant son bras gauche, il a entendu un craquement dans le dos du plaignant et que ce dernier avait alors poussé un gémissement. L’AI no 2 pensait, comme l’AI no 1, qu’il était possible que l’AI no 1 ait causé la blessure lorsqu’il a exercé une pression sur le dos du plaignant. Il a en outre indiqué que le plaignant lui avait dit plus tard, après avoir été libéré, que lorsque les policiers l’avaient allongé au sol, cela lui avait fait très mal.

Aucun autre agent présent sur les lieux n’a eu de contact physique avec le plaignant.

D’après toutes les preuves, j’accepte le fait que le plaignant a été blessé ou qu’une blessure antérieure a été aggravée lorsque l’AI no 1 a mis son genou sur son dos pour l’empêcher de bouger et le menotter. Les déclarations des deux agents impliqués, qui ont indiqué avoir entendu un craquement dans le dos du plaignant lorsque l’AI no 1 a appuyé son genou dessus, et la déclaration de l’AI no 2 selon lequel le plaignant a poussé un gémissement de douleur, sont cohérentes avec cette version des faits.

En ce qui concerne le degré de la force utilisée par les agents dans leurs tentatives en vue d’arrêter et de menotter le plaignant, après avoir examiné tous les éléments de preuve, je conclus que leurs actes étaient justifiés dans les circonstances et qu’ils n’ont pas exercé plus de force que nécessaire pour procéder à l’arrestation du plaignant. D’après ce qu’on leur avait dit, les agents pensaient qu’ils appréhendaient deux hommes armés qui avaient pointé une arme à feu sur un jeune de 16 ans et tiré des coups de feu. Par conséquent, leurs actes pour procéder à une appréhension présentant un risque élevé compte tenu de la présence d’armes à feu et pour mettre les deux hommes hors d’état de nuire aussi rapidement que possible étaient complètement justifiées.

En dernière analyse, même si je suis convaincu que l’AI no 1 a causé ou aggravé une blessure à une côte du plaignant quand il a appuyé de son genou sur le dos de ce dernier pour l’immobiliser tout en essayant de le menotter, je conclus qu’en vertu du paragraphe 25 (1) du Code criminel, les agents impliqués n’ont pas utilisé plus de force que ce qui était raisonnablement nécessaire dans l’exécution de leurs fonctions licites en appréhendant un homme qui, selon les allégations, était armé et avait déjà menacé un jeune de son arme à feu. Je suis donc convaincu, pour les motifs exposés ci-dessus, que la mise sous garde du plaignant et la manière dont elle a été exécutée étaient licites, malgré la blessure que le plaignant a peut-être subie. La jurisprudence est claire : même si les policiers doivent agir en fonction de la fâche à accomplir, on ne peut pas s’attendre à ce qu’ils apprécient avec exactitude le degré de force qu’ils emploient dans leur intervention (R. c. Baxter [1975], 27 C.C.C. (2d) 96 (C.A. Ont.) et on ne devrait pas leur appliquer la norme de la perfection (R. c. Nasogaluk [2010] 1 RCS 206). Par conséquent, j’ai des motifs raisonnables d’être convaincu que les actes des agents sont restés dans les limites prescrites par le droit criminel et qu’il n’y a donc pas lieu de porter des accusations dans cette affaire.

Date : 24 juillet 2017

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.