Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 16-OCI-098

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu une allégation d’agression sexuelle.

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur les blessures graves subies par le plaignant, un homme de 47 ans, lorsqu’il a été appréhendé par la police, en vertu de la Loi sur la santé mentale (LSM), le 15 avril 2016 vers 15 h 50.

L’enquête

Notification de l’UES

Le Service de police du grand Sudbury (SPGS) a avisé l’UES des blessures graves subies par le plaignant le 15 avril 2016.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 3

Plaignant

A participé à une entrevue; dossiers médicaux obtenus et examinés

Témoins civils

TC no 1 A participé à une entrevue

TC no 2 A participé à une entrevue

TC no 3 A participé à une entrevue

TC no 4 A participé à une entrevue

TC no 5 A participé à une entrevue

Agents témoins

AT no 1 A participé à une entrevue

AT no 2 A participé à une entrevue

Agent impliqué

AI N’a pas consenti à participer à une entrevue ni à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.

Éléments de preuve

Éléments obtenus auprès du service de police

L’UES a demandé les documents suivants au SPGS, qu’elle a obtenus et examinés :

  • rapport d’arrestation,
  • système de répartition assisté par ordinateur – détail d’événement,
  • notes des AT no 1 et AT no 2,
  • rapport supplémentaire, et
  • sommaire des dépositions des AT no 1 et AT no 2.

Description de l’incident

Le 15 avril 2016, le plaignant était chez lui, à Sudbury, lorsqu’il a consommé des stupéfiants illégaux. Le 9-1-1 a reçu deux appels le concernant. L’un demandait la police et une ambulance pour un homme qui brandissait un morceau de bois et causait des troubles dans l’immeuble. L’autre demandait qu’on vienne à l’aide d’un homme qui avait des difficultés à respirer. Des ambulanciers se sont rendus sur place et ont rencontré le plaignant dans le hall d’entrée de l’immeuble. Le plaignant était agressif et confus, et il est sorti en déclarant qu’il avait l’intention de marcher dans la rue, face aux véhicules qui y circulaient. L’AI a appréhendé le plaignant en vertu de la Loi sur la santé mentale, mais le plaignant a résisté activement à tout effort en vue de le menotter. Dans la lutte qui a suivi, le plaignant et l’AI sont tous deux tombés à terre. Finalement menotté, le plaignant a continué de résister aux efforts en vue de l’emmener à l’hôpital. L’AI et l’AT no 2 ont mis le plaignant à terre une deuxième fois. Après que les ambulanciers lui aient administré un sédatif, le plaignant a commencé à se détendre et a été emmené à l’hôpital. À l’hôpital, on a constaté que le plaignant avait une psychose induite par la cocaïne, une côte fracturée et un pneumothorax (un poumon affaissé).

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 25 (1), Code criminel3 – Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :

a) soit à titre de particulier;

b) soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public;

c) soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public

d) soit en raison de ses fonctions,

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Article 17, Loi sur la santé mentale – Intervention de l’agent de police

17 Si un agent de police a des motifs raisonnables et probables de croire qu’une personne agit ou a agi d’une façon désordonnée et qu’il a des motifs valables de croire que cette personne :

a) soit a menacé ou tenté de s’infliger des lésions corporelles ou menace ou tente de le faire;

b) soit s’est comportée ou se comporte avec violence envers une autre personne ou de manière à lui faire craindre qu’elle lui causera des lésions corporelles;

c) soit a fait ou fait preuve de son incapacité de prendre soin d’elle-même,

et qu’en plus, il est d’avis que cette personne souffre, selon toute apparence, d’un trouble mental d’une nature ou d’un caractère qui aura probablement l’une des conséquences suivantes :

d) elle s’infligera des lésions corporelles graves;

e) elle infligera des lésions corporelles graves à une autre personne;

f) elle subira un affaiblissement physique grave,

et qu’il serait dangereux d’agir selon les termes de l’article 16, il peut amener sous garde cette personne dans un lieu approprié afin qu’elle soit examinée par un médecin.

Analyse et décision du directeur

Le 15 avril 2016, le plaignant était chez lui, à Sudbury, lorsqu’il a consommé des stupéfiants illégaux qui ont provoqué une réaction indésirable. Quelqu’un a appelé le 9-1-1 pour demander une ambulance et la police. Par la suite, le plaignant a été arrêté par l’AI en vertu de la Loi sur la santé mentale (LSM) et transporté à l’hôpital où il a été constaté qu’il avait une psychose induite par la cocaïne, une côte fracturée et un pneumothorax (un poumon affaissé).

Le témoignage des nombreuses personnes présentes lors de l’interaction entre le plaignant et la police permet de savoir clairement ce qui s’est produit pendant l’incident. Tous les témoins ont indiqué que le plaignant était agressif et combatif. Plusieurs d’entre eux ont également confirmé que le plaignant avait fait des déclarations qui semblaient indiquer son intention d’aller dans la rue, au milieu de la circulation, pour mettre fin à ses jours. Ce n’est qu’après que le plaignant a indiqué son intention de se suicider en marchant au milieu de la circulation puis a commencé à se diriger vers une rue à quatre voies, que l’AI a pris des mesures pour limiter ses mouvements. Les éléments de preuve indiquent clairement que l’AI, à ce moment-là et compte tenu de ce qu’il savait, aurait manqué à ses obligations professionnelles s’il n’avait pas tenté d’empêcher le plaignant de s’approcher de la rue.

La preuve indique qu’à l’arrivée des ambulanciers, le plaignant n’était vêtu que d’un pantalon, était très agité et semblait confus. Des témoins ont noté une lacération dans le cou du plaignant ainsi que des égratignures à la poitrine ou à l’épaule, du côté gauche. Le plaignant a commencé à crier et est sorti de l’immeuble. On a appelé la police. L’AI est arrivé en premier, suivi de l’AT no 2 environ 15 minutes plus tard. Selon des témoins, le plaignant a déclaré son intention d’aller dans la circulation et a commencé à marcher dans la rue avant l’arrivée de l’AT no 2. L’AI a appréhendé le plaignant en vertu de la LSM. Lorsque l’AI a tenté de le menotter, le plaignant est devenu physiquement agressif et s’est débattu. À un moment donné, le plaignant est tombé dans l’herbe en bordure de la rue, atterrissant sur le côté, et l’AI est tombé sur lui. Une fois à terre, le plaignant a donné des coups de pied, comme s’il était en train de pédaler, afin de résister à tout effort de l’AI de le maîtriser. Les ambulanciers ont demandé des renforts policiers pour aider l’AI. Des témoins ont vu l’AI placer son genou sur le haut du dos du plaignant pour finir de le menotter.

L’AT no 2 a déclaré aux enquêteurs qu’à son arrivée, l’AI avait déjà menotté le plaignant. Le plaignant criait et se débattait tandis que l’AI le maintenait à terre. L’AT s’est avancé pour aider l’AI qui lui a expliqué qu’il avait dû arrêter et menotter le plaignant pour l’empêcher de s’engager à pied dans la circulation. L’AT no 2 a entendu le plaignant crier : [traduction] « Ils veulent m’avoir » et « Ils me coupent les mains! ». Le témoignage de l’AT no 2 confirme celui de tous les témoins civils selon lesquels, lorsque le plaignant a été escorté jusqu’à la civière, il a repoussé celle-ci d’un coup de pied, et l’AI et l’AT no 2 ont dû le mettre à terre. L’AT no 2 a décrit cette deuxième mise à terre comme étant contrôlée et en douceur.

Aucun des témoins présents n’ont vu l’AI, ni aucun autre policier, frapper ou donner des coups au plaignant.

Les éléments de preuve ne permettent pas de déterminer avec certitude si le plaignant s’est blessé avant son interaction avec la police ou s’il a été blessé lorsqu’il a été mis à terre après avoir mentionné son intention de se suicider en marchant au milieu de la circulation, puis en commençant à mettre cette intention à exécution. Néanmoins, il est tout à fait clair que même si l’AI a causé cette blessure en essayant de sauver la vie du plaignant, il n’a pas utilisé plus de force que ce qui était justifié dans les circonstances.

En vertu du paragraphe 25 (1) du Code criminel3, les agents de police ont le droit d’utiliser la force dans l’exécution de leurs fonctions légitimes, mais seulement dans la limite de ce qui est raisonnablement nécessaire dans les circonstances. S’agissant d’abord de la légalité de l’appréhension du plaignant, il ressort clairement des déclarations des témoins que le plaignant était hors de contrôle, combatif, et qu’il avait manifesté son intention d’aller à pied dans la circulation. En vertu de l’article 17 de la LSM, un agent de police qui a des motifs raisonnables et probables de croire qu’une personne a menacé de s’infliger des lésions corporelles et qu’elle souffre d’un trouble mental d’une nature qui aura probablement pour conséquence qu’elle s’infligera des lésions corporelles graves, peut amener sous garde cette personne dans un lieu approprié afin qu’elle soit examinée par un médecin. Après avoir examiné les éléments de preuve dont je dispose, je conclus que l’AI avait les motifs raisonnables et probables qu’exige l’article 17 et que l’appréhension du plaignant était donc légalement justifiée dans les circonstances.

En ce qui concerne la force utilisée par l’AI pour tenter de mettre le plaignant sous garde et l’empêcher de mener à terme son intention de se suicider, je conclus que ses actes étaient justifiés dans les circonstances et qu’il n’a pas utilisé plus de force que nécessaire pour appréhender le plaignant qui était clairement hors de contrôle et n’était pas complètement lucide en raison de sa consommation de stupéfiants illégaux. Étant donné qu’il avait déjà déclaré à l’AI son intention de mettre fin à sa vie en sautant dans la circulation, qu’il avait commencé à mettre cette intention à exécution malgré les efforts de l’AI de le raisonner et qu’il ignorait les ordres de l’AI de s’arrêter, il incombait à l’AI de faire tout ce qui était en son pouvoir pour empêcher le plaignant de mettre sa menace à exécution. En outre, à la lumière de la manière violente dont le plaignant a réagi quand on a voulu l’amener à l’hôpital et de son comportement combatif et agressif envers les ambulanciers et l’AI, je conclus que si sa blessure s’est produite lorsqu’il est tombé et que l’AI est tombé sur lui, ce dernier n’a utilisé que la force nécessaire dans les circonstances, et qu’il était tenu d’agir de la sorte pour empêcher le plaignant de se blesser ou de mettre fin à sa propre vie. Il est clair que l’AI a augmenté progressivement et de manière mesurée la force qu’il a utilisée pour surmonter la résistance que lui opposait le plaignant et l’intention de ce dernier de mettre fin à ses jours, et que cette force n’excède pas ce qui était raisonnablement nécessaire dans les circonstances pour procéder à une mise sous garde légitime.

En dernière analyse, je suis convaincu, pour les motifs exposés ci-dessus, que la mise sous garde du plaignant et la manière dont elle a été exécutée étaient licites, malgré la blessure que ce dernier a subie – si elle a effectivement été causée par l’AI – ce que je ne peux pas conclure sur la base des preuves dont je dispose. Par conséquent, j’ai des motifs raisonnables d’être convaincu que les actes de l’agent sont restés dans les limites prescrites par le droit criminel et qu’il n’y a donc pas lieu de croire qu’il a commis une infraction criminelle. Aucune accusation ne sera donc portée dans cette affaire.

Date : 9 août 2017

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.