Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 16-OCI-128

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu une allégation d’agression sexuelle.

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur la fracture de l’os orbitaire droit subie par un homme de 29 ans lors de son arrestation le 21 mai 2016.

L’enquête

Notification de l’UES

Le 21 mai 2016, à 20 h 10, le Service de police de London (SPL) a avisé l’UES d’une blessure sous garde survenue ce matin-là.

Le SPL donné le rapport suivant : la nuit précédente, à 0 h 25, l’agent impliqué a appréhendé le plaignant chez ses parents. On croyait que le plaignant logeait dans un foyer de groupe, une condition que lui avait imposée un tribunal. Au moment de son arrestation, le plaignant a accepté de se rendre à l’hôpital de London pour y suivre un traitement dans le cadre de programmes de santé mentale et de lutte contre les dépendances. L’AI a conduit le plaignant à l’hôpital où le personnel a estimé qu’il n’y avait aucune raison de l’admettre. L’AI a communiqué avec le foyer de groupe et découvert qu’il n’y avait aucun lit de libre pour le plaignant.

à leur sortie de l’hôpital, l’AI a décidé d’arrêter le plaignant pour avoir enfreint les conditions de sa mise en liberté sous caution. Cette décision a entraîné une altercation physique au cours de laquelle l’AI a frappé le plaignant au visage. Le plaignant a ensuite été conduit au poste du SPL où il a été placé dans une cellule. Lors de son enregistrement au poste de police, on a noté qu’il avait des blessures au visage, mais sans qu’elles soient considérées comme graves. Le plaignant a refusé des soins et a déclaré qu’il n’irait pas à l’hôpital.

Après avoir été libéré du poste de police, le plaignant a été conduit à l’hôpital en ambulance.

Le SPL a appris plus tard ce jour-là que le plaignant avait une fracture de la paroi orbitaire droite ainsi qu’une fracture du sinus. Le plaignant a été hospitalisé non pas pour ses blessures, mais pour un traitement dans le cadre des programmes de santé mentale et de lutte contre les dépendances; son hospitalisation devrait se prolonger pendant un certain temps.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 3

Nombre de spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 0

Plaignant : Homme de 29 ans; dossiers médicaux reçus et examinés

Témoins civils

TC no 1 N’a pas participé à une entrevue [1]

TC no N’a pas participé à une entrevue

TC no A participé à une entrevue [2]

TC no 4 A participé à une entrevue

TC no 5 N’a pas participé à une entrevue [3]

TC no 6 A participé à une entrevue

TC no 7 A participé à une entrevue

Témoins employés de la police

TEP no 1 A participé à une entrevue

TEP no 2 A participé à une entrevue

Agents témoins

AT no 1 A participé à une entrevue

AT no 2 A participé à une entrevue

AT no 3 A participé à une entrevue

AT no 4 A participé à une entrevue

AT no 5 A participé à une entrevue

En outre, les notes de deux autres agents ont été reçues et examinées.

Agent impliqué

AI no 1 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

éléments de preuve

Les lieux

Il n’y a pas eu d’examen des lieux.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio et de photographies

Enregistrement de vidéosurveillance à l’hôpital :

L’enregistrement de surveillance de l’hôpital contenait des enregistrements vidéo couleur, sans audio.

On y voit l’AI et le plaignant arriver dans la zone de triage à 23 h 21, le 20 mai 2016. Après l’évaluation par l’infirmière du triage, le plaignant et l’AI se sont déplacés et apparaissent et disparaissent à différents moments sur la vidéo.

à 0 h 25 min 8 s, le 21 mai 2016, le plaignant retourne dans la zone de triage, suivi de l’AI. Le plaignant est assis sur un siège et l’AI semble parler à l’infirmière du triage. Environ dix secondes plus tard, l’AI s’approche du plaignant, et dans les dix secondes qui suivent, il le saisit par l’épaule gauche de sa chemise, le fait se lever et l’escorte jusqu’à un mur. Il semble alors essayer de placer le plaignant contre le mur pour le menotter. Le plaignant résiste aux efforts de l’agent et se déplace vers un fauteuil où il s’assoit et tente de se recroqueviller.

L’AI force alors le plaignant à s’allonger à plat ventre sur le sol. L’AI place immédiatement son genou droit sur le dos du plaignant et lui met le bras gauche dans le dos. Tout en tenant le bras gauche du plaignant de la main gauche, l’AI utilise sa main droite pour attacher la menotte. Le plaignant se débat en gardant son bras droit tendu au-dessus de sa tête et il place son avant-bras sous sa tête pendant environ deux secondes lorsque l’AI lui attache la main gauche. Le plaignant relève la tête et le haut de son corps en se tordant sur le sol, prenant appui sur son avant-bras droit. L’AI se relève légèrement. Il place ses pieds sur le sol tout en maintenant ses mains dans le dos du plaignant et frappe la tête du plaignant de son genou droit à 0 h 25 min 58 s, soit environ 10 secondes après l’avoir plaqué à terre.

Le plaignant continue de résister, mais l’autre menotte est déjà attachée lorsque le personnel de sécurité de l’hôpital arrive sur place. Le plaignant est immédiatement relevé et escorté à l’extérieur de la zone de triage.

La vidéo révèle que la menotte n’était pas bien attachée au poignet gauche du plaignant avant que l’AI donne le coup de genou. Comme le plaignant continuait de résister après avoir reçu le coup de genou, on voit clairement l’AI qui rattache la menotte à son poignet gauche.

Photographie à l’enregistrement :

La photo prise à l’enregistrement au poste de police qui a été remise à l’UES confirme que le plaignant n’avait aucune blessure visible à ce moment-là.

Sur la photo prise de lui le lendemain, on voit une enflure et une rougeur autour de son œil droit.

Enregistrements des communications

Les enregistrements des communications ne présentaient pas d’intérêt particulier pour l’enquête.

Documents obtenus auprès du Service de police

L’UES a demandé les documents suivants au SPL, qu’elle a obtenus et examinés :

  • Résumé détaillé d’appel – 20 mai 2016, violation des conditions de la mise en liberté sous caution;
  • Résumés détaillés d’appels – Système de répartition assistée par ordinateur – plaintes des 11, 16, 18 et 20 mai 2016;
  • Dossiers de détention (texte narratif) – 21 mai et 22 mai 2016;
  • Dossier de détention rempli par l’AT no 5; 22 mai 2016 à 22 h 25;
  • Lettre de divulgation – 31 mai 2016;
  • Résumé d’incident avec les déclarations de l’AT no 4 et de l’AT no 7 (copie papier);
  • Photo signalétique – 21 mai 2016;
  • Photo signalétique – 22 mai 2016;
  • Sommaire de la déposition - AT no 1 (copie papier d’incident général) et AI;
  • Notes de l’AT no 1, de l’AT no 2 et de l’AT no 4;
  • Notes – deux autres agents;
  • Rapports d’incidents – 9 mai 2016;
  • Rapport d’incident – 16 mai 2016;
  • Rapports d’incidents – 17 mai 2016;
  • Rapport d’incident – 18 mai 2016;
  • Rapport d’incident – 20 mai 2016 (moins la déclaration de l’AI);
  • Rapports d’incidents – 22 mai 2016;
  • Photo du plaignant avec renseignements à l’enregistrement – 21 mai 2016;
  • Photo du plaignant – 22 mai 2016;
  • Intervention de la police - le plaignant; et
  • Rapport sur les articles présentés lors de l’entrevue du TEP no 2 – 21 mai 2016.

Description de l’incident

Le 20 mai 2016, le SPL a reçu un appel demandant que la police se rende à une résidence où se trouvait le plaignant, dont la présence était indésirable et qui faisait l’objet d’une ordonnance judiciaire lui interdisant de se rendre dans cette résidence et lui ordonnant de résider dans un foyer local. Lorsque l’AI est arrivé à la résidence, il n’y a pas trouvé le plaignant, mais il l’a repéré dans un dépanneur des environs.

Le plaignant avait volé un sac de croustilles au magasin, mais plutôt que de l’arrêter, l’AI a tenté de trouver un endroit où il pourrait passer la nuit, car il était évident qu’il souffrait de troubles de santé mentale. Néanmoins, le foyer d’accueil où le plaignant avait reçu l’ordre de loger ne pouvait pas le prendre, et un deuxième foyer d’accueil a demandé à la police de le faire sortir quand il est devenu évident que le plaignant refusait de respecter les règles. En dernier recours, l’AI a conduit le plaignant à l’hôpital, qui n’a pas non plus consenti à le garder en vertu de la Loi sur la santé mentale.

L’AI a alors décidé de placer le plaignant en état d’arrestation pour avoir enfreint son engagement et de le mettre sous garde au poste de police pour la nuit. Lorsque l’AI a tenté de menotter le plaignant, ce dernier a résisté et une lutte s’est ensuivie. L’AI a plaqué le plaignant au sol et lui a donné un coup de genou au visage. Le plaignant n’avait aucune blessure visible jusqu’à ce qu’on le conduise au poste de police et le place dans une cellule; néanmoins, une visite à l’hôpital le lendemain a confirmé le diagnostic d’une fracture de l’os orbital droit.

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 145 (3), Code criminel – Omission de se conformer à une condition d’une promesse ou d’un engagement 145 (3) Quiconque, étant en liberté sur sa promesse remise ou son engagement contracté devant un juge de paix ou un juge et étant tenu de se conformer à une condition de cette promesse ou de cet engagement, ou étant tenu de se conformer à une ordonnance prise en vertu des paragraphes 515(12), 516(2) ou 522(2.1), omet, sans excuse légitime, dont la preuve lui incombe, de se conformer à cette condition ou ordonnance est coupable :

  • soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de deux ans;
  • soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

Paragraphe 25 (1), Code criminel – Protection des personnes autorisées 25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :

  • soit à titre de particulier;
  • soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public;
  • soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
  • soit en raison de ses fonctions, est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Analyse et décision du directeur

Le 21 mai 2016, le plaignant a été arrêté par l’AI pour violation de son engagement, en contravention du paragraphe 145(3) du Code criminel. Au cours de son interaction avec la police, le plaignant a subi une fracture de l’os orbitaire droit. Il est allégué que l’AI a causé cette blessure en faisant usage d’une force excessive.

Les enquêteurs de l’UES ont eu la chance de pouvoir récupérer les séquences vidéo du système de sécurité de l’hôpital qui permettent de savoir exactement ce qui s’est passé dans la nuit du 20 mai 2016 au 21 mai. La vidéo révèle ce qui suit :

23 h 21 min 9 s L’AI et le plaignant entrent dans la zone de triage 2;

23 h 23 min 38 s Le plaignant est assis dans un fauteuil devant l’infirmière responsable du triage. L’infirmière n’est pas dans le champ de vision de la caméra, mais on peut voir l’AI à côté du plaignant tout au long du triage;

23 h 42 min 48 s Le plaignant sort de la pièce, mais l’AI est encore là et semble parler à l’infirmière du triage;

23 h 44 min 10 s L’AI semble sortir de la zone de triage;

0 h 25 min 9 s Le plaignant retourne dans la zone de triage, suivi de l’AI. Le plaignant s’assied dans un fauteuil de la salle d’attente tandis que l’AI retourne au poste de l’infirmière du triage et semble lui parler;

0 h 25 min 20 s Le plaignant est assis dans la salle d’attente et se lève lorsque l’AI s’approche, mais se rassoit lorsque l’AI lui fait signe de venir;

0 h 25 min 28 s L’AI s’approche du plaignant et se tient devant lui, semblant lui parler;

0 h 25 min 33 s L’AI saisit le plaignant par l’épaule gauche de son chandail et le force à se relever. Les deux se dirigent alors vers la sortie. Alors qu’ils sont presque à la porte, le plaignant tire son bras pour se dégager et les deux hommes se retrouvent dans le coin;

0 h 25 min 40 s L’AI pousse le plaignant contre le mur;

0 h 25 min 43 s Le plaignant se débat et atterrit sur le côté dans une chaise, dans le coin de la salle d’attente, tout en luttant contre l’AI qui ne l’a pas lâché et est par-dessus lui. On voit alors l’AI mettre le plaignant à terre d’une manière qui semble contrôlée.

0 h 25 min 52 s On voit le plaignant au sol, à plat ventre, en train de lutter contre l’AI qui est à genoux et essaye de le menotter. On voit beaucoup de mouvement, car l’AI semble essayer de maîtriser le plaignant qui résiste activement. L’AI essaie d’empêcher le plaignant de bouger en appuyant le genou droit sur l’épaule du plaignant et tente de lui dégager le bras gauche de desous son torse. Le plaignant se relève alors en partie, avançant vers l’avant sur le sol et obligeant ainsi l’AI à avancer lui aussi. On peut voir que l’AI a de la difficulté à trouver prise sur le sol parce que ses pieds glissent. Il est clair, à partir des différents angles de prise de vue, que l’AI ne frappe pas le plaignant et ne lui donne aucun coup de pied ou de poing lorsqu’il essaye de le menotter, mais qu’il semble essayer de le maintenir à terre avec son genou. Un agent de sécurité de l’hôpital arrive lorsque l’AI parvient à attacher la main droite du plaignant dans le dos;

0 h 27 min 13 s On voit le plaignant sortir de l’hôpital, les menottes aux poings et escorté par l’AI et l’agent de sécurité de l’hôpital.

L’AI a accepté de participer à une entrevue avec les enquêteurs de l’UES et a décrit les faits comme suit : le 20 mai 2016, l’AI a été envoyé chez les parents du plaignant qui avaient appelé la police lorsque leur fils est rentré chez eux à sa sortie de prison. Lors de leur appel, ils ont expliqué qu’ils avaient peur du plaignant et ne le voulaient pas chez eux. Lorsque l’AI est arrivé sur place, le plaignant n’était plus chez ses parents, mais l’AI l’a repéré par la suite dans un centre commercial des environs.

L’AI croyait que le plaignant était sous l’influence de drogues lorsqu’il l’a rencontré, parce qu’il parlait rapidement, en sautant d’un sujet à un autre, sans parvenir à se concentrer. Le plaignant a dit à l’AI qu’il voulait récupérer ses affaires chez ses parents et qu’il aimait sa mère. L’AI a également remarqué que le plaignant avait volé un sac de croustilles dans le magasin. L’AI était convaincu que le plaignant avait des troubles mentaux, mais ne pensait pas avoir des motifs suffisants pour l’appréhender en vertu de la Loi sur la santé mentale. C’était également l’avis de l’AT no 4, qui était présent à ce moment-là. L’AI a appris que le plaignant avait été libéré sous caution à la condition de résider dans un foyer d’accueil local. Il a donc appelé le foyer en question, mais on lui répondu que le plaignant ne s’était pas enregistré et qu’il n’y avait pas de place pour lui au foyer. L’AI a ressenti de la compassion pour le sort du plaignant et a accepté de le conduire à un centre d’assistance sans rendez-vous.

L’AI croyait que le plaignant pourrait être logé dans ce centre; il a donc laissé le plaignant à cet endroit et est retourné dans son véhicule de police pour remplir les rapports requis. Il a alors reçu un appel radio lui demandant de retourner au centre pour venir chercher le plaignant qui refusait d’écouter le personnel.

L’AI a ensuite conduit le plaignant à l’hôpital et l’a escorté dans la zone de triage. L’AI a dit à l’infirmière, la TC no 7, qu’il croyait que le plaignant avait des troubles de santé mentale. La TC no 7 l’a avisé qu’il n’était pas possible d’admettre le plaignant à l’hôpital en vertu de la Loi sur la santé mentale. L’AI est alors retourné à son véhicule et a communiqué par radio avec le sergent de patrouille, l’AT no 1, pour l’informer de la situation. L’AT no 1 lui a dit d’arrêter le plaignant pour avoir enfreint la condition de sa libération sous caution relative à son lieu de résidence. L’AI était d’avis qu’il avait fait tout son possible pour le plaignant et ne pouvait plus rien faire d’autre.

Alors que l’AI était assis dans son véhicule de police, il a vu le plaignant sortir de l’hôpital. Craignant que le plaignant s’en aille, l’AI est retourné avec lui au triage et a parlé à la TC no 7, qui confirmé que le plaignant ne serait pas admis à l’hôpital cette nuit-là. L’AI s’est alors approché du plaignant et lui a expliqué qu’il était en état d’arrestation pour avoir violé les conditions de sa mise en liberté sous caution et qu’il pourrait retourner à l’hôpital dans la matinée. Le plaignant s’est mis en colère et a commencé à jurer, en disant à l’AI qu’il ne partirait pas et qu’il voulait voir le médecin. L’AI a posé sa main droite sur le plaignant et lui a dit qu’il était en état d’arrestation. Le plaignant s’est retourné, mais sans bouger de son siège. L’AI l’a tiré pour l’obliger à se relever, mais le plaignant a commencé à résister. L’AI a alors dit au plaignant de cesser de résister et a essayé de lui placer les bras dans le dos. Le plaignant s’est débattu et les deux hommes se sont alors retrouvés dans un coin de la pièce, le dos du plaignant contre la poitrine de l’AI. Le plaignant a continué de résister physiquement et a déclaré à l’AI qu’il avait besoin de voir un médecin et qu’il n’irait pas en prison.

L’AI a précisé que, comme on le lui a enseigné lors de sa formation de policier, il a estimé qu’il serait préférable de mettre le plaignant à terre pour le menotter et qu’il s’était donc tourné vers sa droite et avait mis le plaignant à terre de manière contrôlée. Le plaignant s’est retrouvé sur le sol, le bras droit sous le corps et le bras gauche dégagé. L’AI a expliqué qu’en mettant le plaignant à terre, il s’était lui-même cogné le genou sur le sol et avait dû par la suite recevoir des soins pour une contusion à ce genou.

L’AI a ajouté que le plaignant continuait de résister une fois sur le sol et qu’il avait dû utiliser son genou droit pour le maintenir à terre afin de le maîtriser et de dégager son bras droit de dessous son torse pour le menotter. L’AI a indiqué qu’il avait visé l’épaule et le haut du bras droit du plaignant, mais que comme le plaignant bougeait, il l’avait atteint au visage. Le plaignant s’est plaint qu’il lui avait fait mal et son nez saignait. Le plaignant a alors dégagé son bras droit et l’AI a fini de le menotter. L’agent de sécurité de l’hôpital est arrivé à ce moment-là et a aidé à escorter le plaignant hors de l’hôpital.

Aucune blessure au visage ou à l’œil n’est visible sur la photo du plaignant prise au poste de police à 0 h 53 min 17 s. Dans la soirée suivante, quand le plaignant a été arrêté de nouveau, il a été photographié à 22 h 22 min 46 s et sur cette deuxième photo, il semble avoir un œil au beurre noir et enflé ainsi qu’un pansement sur le visage, sous l’œil. Le TEP no 1 et le TEP no 2, qui étaient présents au moment de l’enregistrement du plaignant au poste de police, ont déclaré qu’ils n’avaient vu absolument aucun signe de blessure sur le plaignant à son arrivée, ce que confirme la photo prise par le TEP no 2. Le TEP no 1 et le TEP no 2 ont toutefois ajouté qu’environ 20 à 30 minutes plus tard, ils ont remarqué que le plaignant avait une blessure sur le côté droit du visage. Lorsque le plaignant est retourné à l’hôpital à 13 h 11, le 21 mai 2016, ses dossiers médicaux indiquent qu’il a dit s’être blessé en heurtant son visage contre un mur de briques. Je ne suis donc pas en mesure de déterminer définitivement l’origine de la blessure du plaignant. Même si l’on présume que le plaignant a été blessé lors de sa lutte avec l’AI à l’hôpital, je trouve inhabituel qu’il n’y ait eu absolument aucun signe de blessure lorsqu’il a été enregistré et photographié au poste de police et que la TC no 7, qui a été témoin de l’ensemble l’interaction entre l’AI et le plaignant, n’ait pas observé ce qui aurait pu causer cette blessure.[4] D’après les dossiers médicaux, le plaignant a dit s’être blessé en heurtant un mur de briques alors qu’il essayait d’entrer de force chez ses parents.

Toutefois, si on examine toutes les preuves, les témoins semblent d’accord sur le fait qu’il y a eu une interaction physique entre le plaignant et l’AI à l’hôpital lorsque l’AI a tenté d’arrêter et de menotter le plaignant pour avoir enfreint les conditions de sa libération sous caution. Cette interaction physique est entièrement enregistrée sur la vidéo de sécurité et corroborée par les déclarations des témoins.

En vertu du paragraphe 25 (1) du Code criminel, les agents de police ont le droit d’utiliser la force dans l’exécution de leurs fonctions légitimes, mais seulement dans la limite de ce qui est raisonnablement nécessaire dans les circonstances. Tout d’abord, en ce qui concerne la légitimité de l’appréhension du plaignant, il est clair qu’au moment de son interaction avec la police, il était tenu de respecter les conditions de sa libération sous caution qui exigeaient qu’il loge dans un foyer d’accueil. Il a violé cette condition lorsqu’il a omis de s’enregistrer au foyer pour y résider comme il le devait. L’appréhension et l’arrestation du plaignant étaient donc légalement justifiées dans les circonstances.[5] à ce sujet, je crois qu’il est intéressant de noter que l’AI a fait tout son possible pour éviter d’arrêter le plaignant, notamment en ignorant le fait qu’il avait volé un sac de croustilles au magasin et qu’il avait violé les conditions de sa libération sous caution, et qu’il ne l’a mis en état d’arrestation qu’en dernier recours, lorsque toutes ses autres tentatives avaient échoué.

En ce qui concerne la force utilisée par l’AI dans ses tentatives de maîtriser le plaignant, je conclus que ses actes, comme le montre clairement la vidéo du système de sécurité, étaient justifiés dans les circonstances et qu’il n’a pas utilisé plus de force que nécessaire pour maitriser le plaignant qui résistait clairement à son menottage et refusait de quitter l’hôpital. On voit clairement sur la vidéo que l’AI a eu du mal à maîtriser le plaignant et qu’il a agi en réaction à une situation qui évoluait rapidement, alors qu’il était seul avec le plaignant et que ce dernier refusait de se laisser arrêter et lui opposait une résistance physique active. Les tribunaux ont été très clairs en ce qui concerne le degré de force qu’un agent peut exercer dans l’exercice de ses fonctions légitimes et le fait qu’on ne peut pas s’attendre à ce que les policiers apprécient avec exactitude le degré de force qu’ils emploient dans leur intervention (R. c. Baxter [1975], 27 C.C.C. (2d) 96 (C.A. Ont.) et qu’on ne devrait pas leur appliquer la norme de la perfection (R. c. Nasogaluk [2010] 1 RCS 6). Même si je ne suis pas en mesure de déterminer avec certitude l’origine de la blessure du plaignant et si le plaignant a été blessé par l’AI alors qu’il essayait de le maîtriser et de procéder à son arrestation, je ne peux pas conclure que cela constituait un usage excessif de la force. Dans cette affaire, il est clair que l’AI a augmenté progressivement et de manière mesurée la force employée pour surmonter la résistance et l’énergie surprenante que lui opposait le plaignant, et que cette force n’excède pas ce qui était raisonnablement nécessaire dans les circonstances pour procéder à sa mise sous garde légitime.

En dernière analyse, je suis convaincu, pour les motifs exposés ci-dessus, que la mise sous garde du plaignant et la manière dont elle a été exécutée étaient licites, malgré la blessure que ce dernier peut avoir subie lors de son arrestation. Par conséquent, j’ai des motifs raisonnables d’être convaincu que les actes de l’agent sont restés dans les limites prescrites par le droit criminel et qu’il n’y a donc pas lieu de porter des accusations dans cette affaire.

Date : 15 août 2017

Original signé par
Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) [1] Les TC 1 et TC 2 étaient impliqués dans l’appel initial demandant que des policiers se rendent à la résidence [Retour au texte]
  • 2) [2] Le TC 3 était l’agent de sécurité partenaire du TC 4. Ni l’un ni l’autre n’étaient présents lors de l’arrestation ou du menottage du plaignant. Le TC 3 ne s’est pas présenté pour un entretien et n’a rédigé aucune note sur l’incident. [Retour au texte]
  • 3) [3] Le TC 5 était le superviseur des TC 3 et TC 4 et n’était pas présent lors de l’incident. [Retour au texte]
  • 4) L'AI a toutefois indiqué avoir vu le plaignant saigner du nez après le coup de genou. [Retour au texte]
  • 5) [5] Je mentionne cela en dépit du fait que le foyer avait indiqué à l’AI qu’ils n’avaient pas d’espace pour loger le plaignant à cause d’une infestation de punaises. Même si, dans ces circonstances, il est possible que le plaignant n’aurait pas été reconnu coupable d’une violation de sa mise en liberté sous caution, cela n’empêche pas le fait que l’AI avait des motifs raisonnables de croire que le plaignant avait effectivement violé une condition de sa mise en liberté. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.