Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 16-TCI-314

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu à une allégation d’agression sexuelle.

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, a priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Le présent rapport porte sur l’enquête menée par l’UES concernant une blessure grave subie par un homme de 35 ans après une interaction avec un policier le 14 décembre 2016 à l’extérieur d’une succursale de la Régie des alcools de l’Ontario (LCBO) de Scarborough, en Ontario.

L’enquête

Notification de l’UES

Le 14 décembre 2016 à 19 h 30, le Service de police de Toronto (SPT) a avisé l’UES qu’un homme avait été blessé durant sa détention le 14 décembre 2016 à 15 h.

Le représentant du SPT a indiqué que les agents répondaient à l’appel d’une succursale de la LCBO située sur le chemin Brimley concernant le vol d’alcool. Les agents de police ont arrêté un homme à l’extérieur de la succursale. Il s’est battu avec les agents et a été amené au sol. L’homme a été transporté à l’hôpital où le personnel soignant a constaté que le plaignant souffrait d’une fracture de l’os nasal.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 4

Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 1

Plaignant :

Homme de 35 ans, a participé à une entrevue; ses dossiers médicaux ont été obtenus et examinés

Témoins civils

TC no 1 A participé à une entrevue

TC no 2 A participé à une entrevue

TC no 3 A participé à une entrevue

TC no 4 A participé à une entrevue

TC no 5 A participé à une entrevue

TC no 6 A participé à une entrevue

Agents témoins

AT no 1 A participé à une entrevue

AT no 2 A participé à une entrevue

Agents impliqués

AI A participé à une entrevue; ses notes ont été reçues et examinées

Éléments de preuve

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio et de photographies

Les enquêteurs de l’UES ont fait le tour du secteur à la recherche d’enregistrements audio ou vidéo et de photographies. Ils ont été en mesure de mettre la main sur les images captées par le système de télévision en circuit fermé de la succursale de la LCBO. Les comptes rendus des événements offerts par le plaignant, l’AI et l’AT no 1 à l’intérieur de la succursale concordent avec les images captées par les caméras. Bien que les caméras n’aient pas capté l’interaction physique entre le plaignant et l’AI à l’extérieur de la succursale, elles ont capté des images montrant le plaignant sortir de la succursale pour se diriger à l’extérieur vers le stationnement. Les images captées par le système de surveillance montrent le plaignant tentant de retirer sa veste ouverte, sur son épaule droite, alors qu’il court dans le stationnement en étant suivi par l’AI.

Éléments obtenus auprès des services policiers

L’UES a demandé les éléments et documents suivants au SPT, qu’elle a obtenus et examinés :

  • rapport comprenant le détail des événements;
  • notes de l’AT no 1 et de l’AT no 2.

Description de l’incident

Le 14 décembre 2016, le plaignant se trouvait dans une succursale de la LCBO située sur le chemin Brimley. Il a choisi deux bouteilles de vodka et les a placées dans un sac qu’il avait emporté dans le magasin avec lui. L’AI et l’AT no 1, membres du Groupe d’intervention communautaire du SPT, se trouvaient à l’intérieur du bureau de la succursale et examinaient l’écran du système de surveillance lorsqu’ils ont vu les gestes du plaignant. En conséquence, l’AI, qui était alors habillé en civil, est sorti du bureau pour aller sur le plancher du magasin et se rapprocher du plaignant. L’AI a vu que le sac du plaignant semblait lourd et il pouvait entendre les bouteilles s’entrechoquer dans le sac.

Le plaignant s’est dirigé vers la caisse avec une canette de bière à la main. Le plaignant a laissé la bière à la caisse et a marché rapidement vers la sortie avant de courir dans le stationnement de la succursale. L’AI est également sorti en courant du magasin, il a crié au plaignant qu’il était un agent de police et lui a ordonné de s’arrêter. Le plaignant a continué de courir.

L’AI a rattrapé le plaignant et a agrippé sa veste. Il y a eu une interaction, et le plaignant ainsi que l’AI sont tombés au sol. Il y a eu une altercation, puis le plaignant a été arrêté et menotté.

Puisque le plaignant saignait du nez, on a appelé une ambulance et le plaignant a été transporté à l’hôpital où on l’a examiné. Le médecin traitant ne pouvait exclure que le plaignant souffrait d’une « fracture moyennement déplacée de l’os nasal » [traduction].

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 25(1), Code criminel3 — Protection des personnes chargées de l’application et de l’exécution de la loi

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :

  1. soit à titre de particulier,
  2. soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public,
  3. soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public,
  4. soit en raison de ses fonctions,

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Paragraphe 322(1), Code criminel3 – Vol

322 (1) Commet un vol quiconque prend frauduleusement et sans apparence de droit, ou détourne à son propre usage ou à l’usage d’une autre personne, frauduleusement et sans apparence de droit, une chose quelconque, animée ou inanimée, avec l’intention :

  1. soit de priver, temporairement ou absolument, son propriétaire, ou une personne y ayant un droit de propriété spécial ou un intérêt spécial, de cette chose ou de son droit ou intérêt dans cette chose;
  2. soit de la mettre en gage ou de la déposer en garantie;
  3. soit de s’en dessaisir à une condition, pour son retour, que celui qui s’en dessaisit peut être incapable de remplir;
  4. soit d’agir à son égard de telle manière qu’il soit impossible de la remettre dans l’état où elle était au moment où elle a été prise ou détournée.

(2) Un individu commet un vol quand, avec l’intention de voler une chose, il la déplace ou fait en sorte qu’elle se déplace, ou la fait déplacer, ou commence à la rendre amovible.

Analyse et décision du directeur

Le 14 décembre 2016, le plaignant se trouvait dans une succursale de la LCBO située sur le chemin Brimley, dans la ville de Toronto. Le plaignant a choisi deux bouteilles de vodka et les a placées dans un sac qu’il avait emporté dans le magasin avec lui. L’AI et l’AT no 1, membres du Groupe d’intervention communautaire du SPT, se trouvaient à l’intérieur de la succursale à ce moment et participaient à des efforts visant à contrer les vols fréquents survenant dans cette succursale. L’AI était habillé en civil, alors que l’AT no 1 portait un uniforme du SPT. Au moment où le plaignant cachait les deux bouteilles de vodka, les agents l’observaient sur l’écran du système de surveillance dans le bureau de la succursale. Les deux agents ont vu le plaignant marcher dans l’allée des bouteilles de vodka et lever et descendre la tête de façon répétée pour voir si quelqu’un le surveillait; même si les deux agents n’ont pas vu le plaignant dissimuler les bouteilles, ils l’ont vu entrer dans l’allée avec un sac de transport vide et en sortir avec un sac visiblement lourd et plein. Par conséquent, l’AI est sorti du bureau et est allé sur le plancher du magasin pour se rapprocher du plaignant; à ce moment, l’AI a vu que le sac du plaignant semblait lourd et il pouvait entendre les bouteilles s’entrechoquer dans son sac.

Ensuite, le plaignant a pris une bouteille de bière et a tenté d’aller la payer, mais il n’avait pas assez d’argent. Il a donc abandonné la bière et a quitté le magasin en transportant son sac qui contenait toujours les deux bouteilles de vodka. Une fois le plaignant sorti du magasin, il s’est mis à courir. L’AI est également sorti en courant du magasin, il a crié au plaignant qu’il était un agent de police et lui a ordonné de s’arrêter. Le plaignant a continué de courir.

Le plaignant soutient que l’AI l’a rattrapé, l’a tiré vers le sol et lui a frappé le visage sur la chaussée. Le plaignant prétend que c’est ce qui lui a brisé le nez et lui a causé une coupure au front. Si cette version du récit des événements est exacte, il n’y a pas de débat à savoir si l’AI a utilisé une force excessive pour appréhender le plaignant.

En revanche, l’AI a indiqué avoir appréhendé le plaignant en toute légalité à la lumière de motifs raisonnables, puisqu’il croyait que ce dernier venait tout juste de voler de la marchandise à la LCBO. Il a tenté d’immobiliser le plaignant alors que celui‐ci courrait avec les biens volés, il l’a rattrapé et l’a agrippé par la veste. Le plaignant s’est ensuite arrêté brusquement, ce qui a eu pour effet de causer une collision entre l’AI et le plaignant, entraînant ces derniers au sol. L’AI soutient qu’il n’a jamais frappé le plaignant ni ne lui a asséné de coup, mais que le plaignant s’est probablement blessé lorsqu’ils sont tombés au sol, et qu’il avait employé une force raisonnable pour appréhender le plaignant.

Trois civils ont été témoins de l’interaction entre le plaignant et l’AI; aucun des témoins ne soutient le récit des événements tel qu’il a été raconté par le plaignant. Aucun des témoins n’a vu l’AI tirer le plaignant par le col et le jeter au sol, ni n’ont vu l’AI frapper le plaignant de quelque manière que ce soit.

Le plaignant a plus tard été transporté à l’hôpital où il a été examiné; toutefois, les dossiers médicaux indiquent qu’au vu de toutes les traces laissées par des chirurgies antérieures en raison des « multiples précédentes fractures aux os du visage » [traduction], on ne pouvait au mieux que soupçonner la présence d’une fracture moyennement déplacée de l’os nasal. Après un examen plus approfondi, un addenda a été ajouté au dossier confirmant que le plaignant avait déjà subi une fracture comminutive de l’os nasal il y a deux ans, et que « bien qu’une fracture aiguë de l’os nasal ne puisse être définitivement exclue […] ce que l’on constate pourrait simplement être le fruit de changements chroniques liés au traumatisme de 2014 » [traduction]. Par conséquent, il est difficile de déterminer si le plaignant a subi une fracture de l’os nasal durant son altercation avec l’AI le 14 décembre 2016, ou si les seules blessures subies ont été une éraflure au front et un saignement de nez.

Dans l’ensemble des témoignages, les allégations du plaignant sont entièrement contredites par les trois témoins civils indépendants; par ailleurs, je ne suis pas enclin à croire les allégations du plaignant voulant que l’AI lui ait frappé la tête sur la chaussée brisant son nez et lui causant une coupure au front. En plus d’être contredit par le témoignage des trois témoins civils, le témoignage du plaignant relatant la façon dont il a été blessé est contredit par les images captées par le système de surveillance de la succursale de la LCBO puisqu’on y voit clairement le plaignant retirer sa veste lorsqu’il court, par conséquent l’AI ne peut avoir contrôlé le mouvement de la tête du plaignant en l’attrapant par le col de sa veste. Finalement, la blessure a été décrite par tous les témoins comme s’apparentant davantage à une éraflure ou à une écorchure causée par la friction avec la chaussé, plutôt que par l’impact du front avec la chaussée. Les dossiers médicaux décrivent également les blessures au front comme étant des éraflures et non une lacération.

En vertu du paragraphe 25(1) du Code criminel3, les agents de police ont le droit d’employer la force dans l’exécution de leurs fonctions légitimes, mais seulement dans la limite de ce qui est raisonnablement nécessaire dans les circonstances. Si l’on se penche d’abord sur la légitimité de l’appréhension du plaignant, il est clair, selon les observations de l’AI et de l’AT no 1, que le plaignant volait des biens de la LCBO et qu’il était passible d’arrestation en raison d’infractions au Code criminel3, c’est‐à‐dire le vol d’un objet de moins de 5 000 $ et la possession d’un bien volé de moins de 5 000 $.Par conséquent, la poursuite et l’appréhension du plaignant étaient légalement justifiées dans les circonstances.

En ce qui concerne l’intensité de la force utilisée par l’AI lors de sa tentative pour appréhender le plaignant, je conclus que les gestes pour agripper le plaignant étaient plus que justifiés dans les circonstances et qu’il n’a pas utilisé plus de force que nécessaire pour appréhender le plaignant, qui avait clairement l’intention de fuir avec les biens volés. Je conclus que le degré de force avec lequel la tête du plaignant peut avoir frappé le sol a peut‐être été plus grand que ce qui a été souhaité par l’AI, puisque l’élan de la course de l’AI, combiné à l’arrêt soudain du plaignant, a entraîné la collision du plaignant et de l’AI et leur chute sur la chaussée, causant des blessures au visage du plaignant. Bien qu’il soit loin d’être certain que le plaignant se soit brisé le nez durant sa chute, même si cette blessure avait été causée par les efforts de l’AI visant à appréhender un suspect en fuite, je ne peux conclure qu’il s’agissait d’un usage de la force excessif. La jurisprudence pertinente concernant l’usage de la force est claire,l’on ne peut s’attendre à ce que les agents apprécient avec exactitude la mesure de la force qu’ils doivent utiliser (R. c. Baxter [1975] 27 C.C.C. [2d] 96 [ONCA]) ou l’on ne peut juger ceux‐ci au regard d’une norme de perfection (R. c. Nasogaluak [2010] 1 R.C.S. 206).

Pour conclure, je suis convaincu, pour les motifs qui précèdent, que l’arrestation de l’homme et la manière dont elle a été exécutée étaient légitimes, nonobstant la blessure subie, même si je devais conclure que sa blessure a été causée par l’AI et qu’elle n’existait pas déjà, ce que je ne suis pas enclin à faire. Par conséquent, j’ai des motifs raisonnables de croire que l’AI a agi dans les limites prescrites par le droit criminel et qu’il n’y a donc pas lieu de porter des accusations dans cette affaire.

Date : Le 15 août 2017

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.