Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 16-PVD-126

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enqu&ecric;te, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu une allégation d’agression sexuelle.

Le rapport porte sur l’enquête menée par l’UES au sujet du décès d’un homme de 18 ans résultant d’une collision impliquant une seule automobile qui s’est produite le 19 mai 2016, dans le secteur de Jasper, en Ontario, en présence d’un agent de la Police provinciale de l’Ontario (O.P.P.) de Leeds.

L’enquête

Notification de l’UES

Le 19 mai 2016, à 9 h 23, la Police provinciale de l’Ontario (O.P.P.) a avisé l’UES de l’accident de la route. D’après l’O.P.P., un agent de l’O.P.P. de Leeds qui circulait en direction sud sur la route de comté 17, dans le village de Jasper, a aperçu un véhicule se dirigeant vers le nord sur la route de comté 17 à 100 km/h dans une zone où la limite était de 50 km/h. L’agent a fait demi-tour pour aller en direction nord sur la route de comté 17. Le véhicule, qui roulait à toute vitesse, a emprunté Kitley Line 2 et a alors quitté la route. Le conducteur a été éjecté.

Au moment où la notification a été communiquée, le nom du conducteur était toujours inconnu, et celui-ci était à l’hôpital, où on a constaté qu’il avait subi des blessures mettant sa vie en danger.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 5

Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 2

Nombre de spécialistes de la reconstitution des collisions assignés : 1

Plaignante

Homme de 18 ans décédé, pour qui le dossier médical a été obtenu et examiné

Témoins civils

TC no 1 A participé à une entrevue

TC no 2 A participé à une entrevue

TC no 3 A participé à une entrevue

L’UES a identifié neuf autres témoins civils, en ratissant le secteur dans les jours ayant suivi la collision. Par contre, aucun des témoins n’avait d’observations utiles à faire.

Agents témoins

AT no 1 A participé à une entrevue

AT no 2 A participé à une entrevue

AT no 3 A participé à une entrevue

AT no 4 A participé à une entrevue

AT no 5 A participé à une entrevue

Agents impliqué

AI A participé à une entrevue et ses notes ont été obtenues et examinées

Les éléments de preuve

Les lieux

Kitley Line 2 est une route à deux voies qui va en direction est et en direction ouest. Elle s’étire sur 4,5 kilomètres et relie la route de comté 17 à la route de comté 29. C’est une route relativement plane et droite. La surface se compose de gravier compacté et il n’y a aucune marque pour indiquer les voies. Kitley Line 2 est avant tout une route rurale avec des résidences de chaque côté et quelques terres agricoles. La collision est survenue à environ 1,7 kilomètre à l’ouest de la route de comté 17, dans le fossé nord de Kitley Line 2. Il n’y a pas de limite de vitesse d’affichée sur Kitley Line 2, mais une limite de 80 km/h est sous-entendue, comme pour toute route rurale, en vertu de l’article 128 du Code de la route.

Schéma des lieux

Schéma des lieux

Preuve d’expert

Rapport de reconstitution de la collision de l’UES

Le 19 mai 2016, le spécialiste de la reconstitution s’est rendu sur les lieux. Le 20 mai 2016, le véhicule de police que conduisait l’AI, une Taurus 2013 de Ford, a été examiné sur place par le spécialiste de la reconstitution de l’UES. Le moteur ne tournait pas, l’odomètre indiquait 125 481 kilomètres (km) et le levier de vitesse de la transmission était en position de stationnement. Le véhicule était équipé d’un radar de bord de marque Genesis II comportant une antenne avant et une antenne arrière. Le radar était en position de marche et indiquait une vitesse de 101 km/h pour le véhicule cible. Le véhicule de police était muni d’un terminal numérique mobile installé au centre et qui était en marche. Le module de commande des sacs gonflables de la Taurus de Ford a été téléchargé par l’outil d’extraction de données sur les collisions au moyen du connecteur de l’appareil de diagnostic. Aucun déploiement n’a été enregistré.

Le 20 mai 2016, le véhicule de marque Hyundai conduit par le plaignant a d’abord été examiné sur place. Tout le côté gauche, le capot, le coffre et le toit du véhicule étaient lourdement endommagés. Le moteur ne tournait pas, l’odomètre indiquait 79 243 kilomètres et le levier de vitesse de la transmission était en position « D » (marche avant). La ceinture de sécurité du conducteur était lâche sur le montant milieu et il n’y avait aucune marque d’étirement du tissu. La ceinture de sécurité du passager avant était en position rétractée et il y avait des marques d’étirement sur le tissu ainsi qu’une marque laissée par l’anneau boucle de la ceinture de sécurité. Après l’examen initial sur les lieux, le véhicule du plaignant a été remorqué. Le 25 mai 2016, à l’intérieur d’un garage fermé, le module de commande des sacs gonflables a été déboulonné et retiré du véhicule Hyundai pour une analyse. On a extrait les données sur la vitesse du véhicule, l’accélération du moteur et le freinage au moment du déploiement du sac gonflable. Les données indiquent qu’il y a eu deux incidents qui ont provoqué la collision, c’est-à-dire que deux incidents sont survenus à au plus cinq secondes d’intervalle. Selon le rapport de l’enregistreur de données routières (EDR) téléchargé à partir du module de commande des sacs gonflables dans le véhicule du plaignant, il semble que ce dernier allait à 170 km/h cinq secondes avant le premier incident (incident no 1), qui correspond probablement à l’entrée du véhicule dans le fossé et à l’impact de l’avant du véhicule côté conducteur, qui a fait pivoter le véhicule à très grande vitesse. Le deuxième incident enregistré par le module, soit l’incident no 2, indiquait que le véhicule du plaignant roulait à 168 km/h, probablement au moment où le véhicule a heurté un arbre du côté de la portière du conducteur, ce qui a provoqué le déploiement des sacs gonflables de ce côté.

La reconstitution effectuée par l’UES a fourni l’analyse qui suit. Le 19 mai 2016, vers 20 h 15, le plaignant conduisait son véhicule de marque Hyundai. La TC no 3 était une passagère assise sur le siège passager avant. Le temps était doux, il y avait quelques nuages et la chaussée était sèche. Le plaignant roulait vers l’ouest sur Kitley Line 2. À environ 1,7 kilomètre à l’ouest de la route de comté 17, le plaignant, qui filait à 170 km/h, a fait un virage à droite, ce qui a provoqué une embardée et la perte de contrôle du véhicule. Celui-ci est entré dans le fossé nord de Kitley Line 2 à très haute vitesse. Le véhicule du plaignant a pivoté dans le sens horaire et le coin avant gauche a percuté le fossé. En conséquence, le véhicule a continué de pivoter dans le même sens et s’est retrouvé dans les airs. Il a ensuite été projeté vers l’arrière dans une rangée d’arbres longeant le côté nord du fossé. Le toit et le côté gauche du véhicule ont heurté plusieurs gros arbres; le véhicule est alors tombé vers l’avant et s’est immobilisé face à l’est.

Le plaignant a été éjecté par le toit ouvrant du véhicule lorsque celui-ci s’est immobilisé brusquement. La TC no 3 n’a subi aucune blessure grave dans la collision. Le plaignant a été transporté à l’hôpital et est décédé peu après des suites des blessures subies dans la collision. L’AI était à environ 500 mètres derrière le véhicule du plaignant, et son véhicule de police a frappé les débris du véhicule du plaignant, qui se trouvaient au milieu de la chaussée. L’AI a immobilisé son véhicule face à l’ouest à quelque 40 mètres à l’ouest de l’amas de débris au centre de la chaussée.

Rapport post-mortem

Le 21 mai 2016, à 9 h 30, les enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES ont assisté à l’autopsie pour consigner l’examen post-mortem du plaignant. L’autopsie a pris fin à 12 h 55, et le pathologiste a conclu que le décès avait été causé par des blessures multiples.

Demandes faites au Centre des sciences judiciaires (CSJ)

Le 2 novembre 2016, l’UES a reçu une copie du rapport toxicologique établi par le CSJ. Selon ce rapport, des échantillons de sang et d’urine du plaignant ont été soumis au CSJ pour qu’il effectue un examen visant à indiquer la présence ou l’absence de drogues ou de poisons. Le rapport révèle que le sang fémoral du plaignant contenait 40 ng/ml de tétrahydrocannabinol, une quantité indéterminée de carboxy et 0,22 mg/l de benzoylecgonine.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio et de photographies

Les enquêteurs de l’UES ont ratissé le secteur à la recherche d’éléments de preuve sous forme d’enregistrements audio ou vidéo ou de photographies, mais ils n’ont rien trouvé de pertinent.

Enregistrements des communications

Enregistrements des communications de l’O.P.P.

20 h 16 min 0 s
L’AI a appelé le centre de communication de l’O.P.P. L’opérateur des systèmes de communication a répondu d’y aller.
20 h 16 min 7 s
AI : Je viens de tourner sur Kitley Line 3 en direction de la 29. J’ai fait demi-tour pour intercepter un véhicule et il s’est enfui à toute vitesse. Je n’ai pas tenté de l’arrêter. Il roule toujours sur Kitley Line 3 vers la 29 à toute vitesse.
20 h 16 min 27 s
Opérateur : 10-4. Avez-vous des détails?
20 h 16 min 44 s
AI : Il a eu un 10-50. Je n’ai pas tenté de l’arrêter. Il faut que je consulte mon GPS. Je suis environ à mi-chemin sur Kitley 3.
20 h 17 min 2 s
(D004) Autre agent : Copier. Je suis en route.
20 h 17 min 8 s
Opérateur : Le GPS indique que vous êtes sur la 2. Êtes-vous sur la 2 pour essayer de lui bloquer le chemin ou est il aussi sur la 2?
20 h 17 min 17 s
AI : Pouvons-nous avoir un 10-52 sur les lieux?
20 h 17 min 25 s
Opérateur : 10-4. Pouvez-vous quand même confirmer que vous êtes sur la 2 et non pas sur la 3? Le GPS indique la 2.
20 h 17 min 33 s
AI : Je revérifie. D’après mon GPS, il semble que vous ayez raison. Je suis sur Kitley 2.
Opérateur : 10-4.
20 h 17 min 42 s
AI : 10-52 rapidement, s’il vous plaît. Il y a ici une personne qui a les yeux ouverts, qui a de la difficulté à respirer mais qui ne semble pas cohérente.
Opérateur : 10-4.
20 h 18 min 19 s
AI : Il y a une passagère va bien, mais elle dit que l’autre personne a été éjectée. J’essaie de trouver un numéro de voirie. 10-52 aussi vite que possible.
20 h 19 min 19 s
Opérateur : 10-52 en route, et les pompiers aussi.
20 h 19 min 25 s
Sons inaudibles avec grésillements.
20 h 19 min 33 s
Unité D004 : Vous voulez vérifier si D102 est en route.
102 : Je suis en route.
306 : J’arrive de la 29 et du club de golf.
20 h 20 min 3 s
Opérateur : J’étais en 21 et j’ai entendu dire que quelqu’un avait été éjecté. Y a-t il plus d’un patient ou est-ce la même personne à qui vous avez parlé?
20 h 20 min 13 s
AI : La même personne. La passagère dit qu’il a été éjecté du véhicule.
Opérateur : 10-4.
20 h 20 min 52 s
AI : Puis-je avoir l’ETA pour le 10-52 ici.
20 h 21 min 3 s
Opérateur : 10-4, je les appelle.
20 h 21 min 48 s
Opérateur : Ils arrivent de Smiths Falls. Ils seront là dans 10 minutes.
20 h 21 min 57 s
AI : 10-4. La personne respire toujours, mais avec difficulté.
20 h 22 min 22 s
Opérateur : 302, je sais que vous n’avez pas poursuivi le véhicule. Je veux juste savoir s’il a commencé à s’enfuir parce que vous aviez essayé de l’arrêter ou seulement parce qu’il vous a aperçu?
20 h 22 min 35 s
AI : Je n’ai aucunement tenté de l’arrêter. Il roulait à 100 km/h dans une zone de 50 km/h. J’ai fait demi-tour et il s’est enfui à une vitesse qui semblait très rapide. Il est tourné sur Kitley Line 2, il y a eu un 10 50. Il était très loin devant moi.

Éléments de preuve du GPS

  • Le 19 mai 2016, à 20 h 14 min 30 s, la voiture de police était à 44.839823 de latitude et 75.943572 de longitude et roulait à 80,4 km/h. En prenant les données pour un tracé sur carte Google, on voit que le véhicule de police de l’AI se dirigeait vers le sud sur la route de comté 17, à environ 50,5 mètres au sud de Kilmarnock Road.
  • À 20 h 14 min 56 s, la voiture de l’AI se trouvait à 44.8365 de latitude et -75.939617 de longitude et la vitesse était de 0 km/h, ce qui signifie qu’elle était arrêtée sur la route de comté 17, à environ 539 mètres au sud de Kilmarnock Road. Elle est restée au même endroit jusqu’à 20 h 15 min 8 s.
  • À 20 h 15 min 39 s, la voiture de police de l’AI était à 44.843677 de latitude et 75.948538 de longitude et roulait à 165,2 km/h, ce qui signifie qu’elle allait en direction nord sur la route de comté 17, à environ 524 mètres au nord de Kilmarnock Road.
  • À 20 h 15 min 51 s, la voiture de police de l’AI était à 44.845635 de latitude et 75.951743 de longitude et sa vitesse était de 0 km/h. Le tracé sur la carte Google montre que la voiture était sur la route de comté 17, dans les environs de Kitley Line 2. Elle est restée au même endroit et à la même vitesse jusqu’à 20 h 15 min 54 s.
  • À 20 h 16 min 4 s, la voiture de l’AI était à 44.843905 de latitude et -75.95475 de longitude et roulait à 119,09 km/h. C’est donc dire qu’elle se dirigeait vers l’ouest sur Kitley Line 2, à environ 317 mètres à l’ouest de la route 17.
  • À 20  h 16 min 12 s, la position du véhicule de l’AI était de 44.842208 de latitude et 75.957388 de longitude, avec une vitesse de 131,49 km/h. Il se dirigeait donc vers l’ouest sur Kitley Line 2, à environ 600 mètres à l’ouest de la route de comté 17.
  • À 20 h 16 min 42 s, la voiture de l’AI était à 44.83588 de latitude et -75.967002 de longitude et avançait à 133,34 km/h. Elle allait donc vers l’ouest sur Kitley Line 2, à environ 1,63 km à l’ouest de la route de comté 17.

Éléments obtenus auprès du service de police

L’UES a demandé à l’O.P.P les documents suivants, qu’elle a obtenus et examinés :

  • le système de répartition assisté par ordinateur (liste des enregistrements des communications)
  • les données de GPS 20160519 de l’AI
  • les données de GPS, système de répartition assisté par ordinateur, 19 mai 2016, 20 h à 23 h, v2
  • les données de GPS, activation des gyrophares et vitesse de plus de 150 km/h (19 mai 2016)
  • les données de GPS, Data-legend for red and green square data references (WR 1208_34x44)
  • le rapport d’entrevue de la TC no 3
  • les notes des AT no 1, 2, 3, 4 et 5
  • le profil du plaignant (2), et
  • le profil du plaignant

Description de l’incident

Le 19 mai 2016, vers 20 h 14, le plaignant, âgé de 18 ans, conduisait un véhicule de marque Hyundai en compagnie de la TC no 3, qui était sur le siège passager avant. Le plaignant et la TC no 3 se dirigeaient vers le nord sur la route de comté 17 dans le hameau de Jasper. C’est à ce moment que l’AI, un agent de l’O.P.P. appartenant au détachement de Brockville, a aperçu le véhicule du plaignant qui filait à toute vitesse. L’AI se trouvait alors dans un véhicule de police de l’O.P.P. bien identifié. À l’aide de son radar, l’AI a mesuré la vitesse du véhicule du plaignant, qui était de 101 km/h dans une zone où la limite était de 50 km/h. Par la suite, l’AI a fait demi-tour en vue d’arrêter le véhicule automobile en vertu du Code de la route.

L’AI a attendu que les véhicules circulant en direction sud soient passés avant de faire demi-tour pour se diriger vers le nord sur la route 17 afin de rattraper le plaignant. Ce dernier a tourné à gauche sur Kitley Line 2. L’AI a ralenti son véhicule de police pour tourner à gauche lui aussi, mais ses manœuvres ont été entravées par les véhicules circulant en direction sud et il a dû s’arrêter quelques secondes pour les laisser passer.

À environ 1,7 kilomètre à l’ouest de la route de comté 17, le plaignant, qui filait à 170 km/h, a fait un virage à droite, ce qui a provoqué une embardée et la perte de maîtrise du véhicule. Celui-ci a percuté le fossé nord de Kitley Line 2 à très haute vitesse, a pivoté dans le sens horaire et s’est retrouvé dans les airs. Le véhicule a ensuite été projeté vers l’arrière, le toit et le côté gauche ont heurté plusieurs gros arbres, puis le véhicule est tombé vers l’avant et s’est immobilisé.

Le plaignant a été éjecté par le toit ouvrant du véhicule lorsque celui-ci s’est immobilisé brusquement. La TC no 3 n’a subi aucune blessure grave dans la collision. L’AI suivait le véhicule du plaignant au moment de l’impact et a avisé l’opérateur des systèmes de communication qu’il y avait eu une collision. Le plaignant a été transporté à l’hôpital pour des blessures mettant sa vie en danger. À 22 h 23, il a été transféré par ambulance à un deuxième hôpital où son décès a été constaté à 22 h 45.

Dispositions législatives pertinentes

Règlement de l’Ontario 266/10, Loi sur les services policiers – Amorce ou continuation de la poursuite

2 (1) Un agent de police peut poursuivre ou continuer de poursuivre un véhicule automobile en fuite qui ne s’immobilise pas :

  1. soit s’il a des motifs de croire qu’une infraction criminelle a été commise ou est sur le point de l’être;
  2. soit afin d’identifier le véhicule ou un particulier à bord du véhicule.

(2) Avant d’amorcer une poursuite visant l’appréhension de suspects, un agent de police s’assure qu’il ne peut recourir à aucune des solutions de rechange prévues dans la procédure écrite, selon le cas :

  1. du corps de police de l’agent, établie en application du paragraphe 6 (1), si l’agent est membre d’un corps de police de l’Ontario au sens de la Loi de 2009 sur les services policiers interprovinciaux;
  2. d’un corps de police dont le commandant local a été avisé de la nomination de l’agent en vertu du paragraphe 6 (1) de la Loi de 2009 sur les services policiers interprovinciaux, si l’agent a été nommé en vertu de la partie II de cette loi;
  3. du corps de police local du commandant local qui a nommé l’agent en vertu du paragraphe 15 (1) de la Loi de 2009 sur les services policiers interprovinciaux, si l’agent a été nommé en vertu de la partie III de cette loi.

3 (1) Un agent de police avise un répartiteur lorsqu’il amorce une poursuite visant l’appréhension de suspects.

Article 249, Code criminel – Conduite dangereuse

249 (1) Commet une infraction quiconque conduit, selon le cas :

  1. un véhicule à moteur d’une façon dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances, y compris la nature et l’état du lieu, l’utilisation qui en est faite ainsi que l’intensité de la circulation à ce moment ou raisonnablement prévisible dans ce lieu;

(4) Quiconque commet une infraction mentionnée au paragraphe (1) et cause ainsi la mort d’une autre personne est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans.

Article 219, Code criminel – Négligence criminelle

219 Est coupable de négligence criminelle quiconque :

  1. soit en faisant quelque chose;
  2. soit en omettant de faire quelque chose qu’il est de son devoir d’accomplir,

    montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui.

Article 220, Code criminel – Le fait de causer la mort par négligence criminelle

220 Quiconque, par négligence criminelle, cause la mort d’une autre personne est coupable d’un acte criminel passible :

  1. s’il y a usage d’une arme à feu lors de la perpétration de l’infraction, de l’emprisonnement à perpétuité, la peine minimale étant de quatre ans;
  2. dans les autres cas, de l’emprisonnement à perpétuité.

Paragraphe 128 (1), Code de la route – Vitesse

128 (1) Nul ne doit conduire un véhicule automobile à une vitesse supérieure :

  1. à 50 kilomètres à l’heure sur une voie publique située dans une municipalité locale ou une agglomération;
  2. malgré l’alinéa a), à 80 kilomètres à l’heure sur une voie publique qui n’est pas située dans une agglomération mais est située dans une municipalité locale qui avait le statut de canton le 31 décembre 2002 et, n’eût été l’édiction de la Loi de 2001 sur les municipalités, aurait conservé ce statut le 1er janvier 2003, si la municipalité est prescrite par règlement;
  3. à 80 kilomètres à l’heure sur une voie publique que le lieutenant-gouverneur en conseil désigne comme route à accès limité en vertu de la Loi sur l’aménagement des voies publiques et des transports en commun, qu’elle soit située ou non dans une municipalité locale ou une agglomération;
  4. à la vitesse prescrite pour les véhicules automobiles sur une voie publique conformément au paragraphe (2), (5), (6), (6.1) ou (7);
  5. à la vitesse maximale fixée en vertu du paragraphe (10) et affichée dans une zone de construction désignée en vertu du paragraphe (8) ou (8.1);
  6. à la vitesse maximale affichée sur une voie publique ou section de voie publique conformément à l’article 128.0.1.

Analyse et décision du directeur

Le 19 mai 2016, vers 20 h 14 et peu après, le plaignant, âgé de 18 ans, conduisait un véhicule automobile en direction nord sur la route de comté 17 dans le hameau de Jasper lorsque l’AI l’a aperçu. L’AI a mesuré la vitesse du véhicule du plaignant et, comme elle dépassait la limite permise, a fait demi-tour pour arrêter le véhicule automobile en vertu du Code de la route. Vers 20 h 17, le plaignant a eu une collision impliquant un seul véhicule et a été éjecté par le toit ouvrant de sa voiture. Son décès a été constaté en route pour l’hôpital.

Les témoins civils s’entendent tous pour dire que le plaignant roulait à une vitesse très élevée lorsqu’il a traversé Kitley Line 2 immédiatement avant l’impact. Chacun a remarqué l’arrivée d’un véhicule de police de l’O.P.P. après l’accident, mais le temps qui s’est écoulé avant l’arrivée du véhicule varie d’un témoignage à l’autre. Tous les témoins civils conviennent que la sirène de l’AI n’était pas activée à son arrivée, mais certains disent que ses feux d’urgence étaient activités et d’autres, qu’ils ne l’étaient pas.

L’AI a accepté d’avoir une entrevue avec les enquêteurs de l’UES et a indiqué qu’il circulait vers le sud sur la route de comté 17 en direction du hameau de Jasper lorsqu’il a aperçu le véhicule automobile du plaignant et a obtenu une lecture de vitesse fixe de 101 km/h sur son radar. L’AI a dit qu’il savait que la limite de vitesse à Jasper était de 50 km/h. Par conséquent, il s’est rangé sur l’accotement de droite dans l’intention de faire demi-tour et d’intercepter le véhicule du plaignant. Une fois sur l’accotement, l’AI a dû attendre environ dix secondes pour laisser passer les véhicules circulant en direction sud, puis il a fait demi-tour et s’est dirigé vers le nord sur la route 17 pour rattraper le plaignant. En se dirigeant vers le nord, l’AI a remarqué que le véhicule du plaignant était loin devant. L’AI a indiqué qu’il n’avait pas activé ses feux d’urgence pendant qu’il tentait de rattraper le plaignant. Le véhicule de police se trouvait à environ 300 mètres derrière le véhicule du plaignant lorsque l’AI a vu un gros nuage de poussière et s’est rendu compte que le plaignant avait fait un virage à gauche sur Kitley Line 2. L’AI a alors ralenti pour tourner à gauche lui aussi, mais ses manœuvres ont été entravées par les véhicules circulant en direction sud et il a dû s’arrêter quelques secondes pour les laisser passer. Une fois la voie libre, il a activé ses feux d’urgence et a vu le véhicule du plaignant qui roulait en direction ouest à environ un demi-kilomètre devant le véhicule de police sur Kitley Line 2. Dans son carnet, l’AI a noté qu’il avait éteint ses feux d’urgence tout de suite après son virage à gauche. Une fois sur Kitley Line 2, l’AI a fait savoir au moyen de la radio de la police qu’il avait fait demi-tour pour immobiliser un véhicule roulant à grande vitesse et qu’il n’avait pas activé ses feux d’urgence ni sa sirène. Il a précisé qu’il ne poursuivait pas le véhicule du plaignant parce qu’il n’était pas assez proche pour l’intercepter. L’AI a dit avoir baissé les yeux pour regarder son indicateur de vitesse et avoir constaté qu’il roulait à 120 km/h. Il a ensuite vu un gros nuage de poussière couvrant la chaussée, a ralenti et a vu une grande quantité de débris sur la chaussée ainsi qu’un véhicule dans le fossé à sa droite. L’AI a précisé que sa sirène et ses feux d’urgence n’étaient pas activés quand il a traversé l’amas de débris.

La chronologie des événements résulte d’une extrapolation qui a été faite à partir de données provenant à la fois du GPS de la voiture de police de l’AI, de la reconstitution des faits sur les lieux de l’accident et des registres sur les communications radio.

  • À 20 h 14 min 30 s, l’AI roulait vers le sud sur la route de comté 17 à environ 50,5 mètres au sud de Kilmarnock Road, à une vitesse de 80,4 km/h. Selon la déclaration de l’AI, c’est alors qu’il a vu le plaignant venir vers lui et qu’il a mesuré sa vitesse à l’aide du radar. Il a obtenu 101 km/h.
  • À 20 h 14 min 56 s, il a dû arrêter sur la route de comté 17, à environ 539 mètres au sud de Kilmarnock Road, où il est resté jusqu’à 20 h 15 min 8 s. Les éléments de preuve de l’AI indiquent que c’est alors qu’il est reparti pour faire un demi-tour afin de suivre le véhicule du plaignant.
  • à 20 h 15 min 39 s, il roulait en direction nord sur la route de comté 17 à environ 524 mètres au nord de Kilmarnock Road, à une vitesse de 165,2 km/h. Il est évident qu’à ce stade, l’AI poursuivait le véhicule du plaignant. Au lieu d’effectuer une « poursuite stratégique », comme le prescrit la politique sur les poursuites visant l’appréhension de suspects, qui exige qu’un véhicule de police se laisse distancer par le véhicule suspect, l’AI tentait de toute évidence de rattraper le véhicule du plaignant, puisqu’il roulait à 165,2 km/h.
  • À 20 h 15 min 51 s, il a dû s’arrêter sur la route de comté 17 dans le secteur de Kitley Line 2 et il est resté au même endroit jusqu’à 20 h 15 min 54 s. D’après la déclaration de l’AI, il a dû s’arrêter pour laisser passer des voitures qui arrivaient avant de pouvoir tourner à gauche sur Kitley Line 2.
  • À 20 h 16 min 0 s, l’AI a communiqué pour la première fois avec le centre de communication.
  • à 20 h 16 min 4 s, il se dirigeait vers l’ouest sur Kitley Line 2 à environ 317 mètres à l’ouest de la route 17, à une vitesse de 119,09 km/h.
  • À 20 h 16 min 7 s, l’AI a dit à l’opérateur des systèmes de communication : « Je viens de tourner sur Kitley Line 3 en direction de la 29. J’ai fait demi-tour pour intercepter un véhicule et il s’est enfui à toute vitesse. Je n’ai pas tenté de l’arrêter. Il roule toujours sur Kitley Line 3 vers la 29 à toute vitesse. »
  • À 20 h 16 min 12 s, il roulait en direction ouest sur Kitley Line 2 à environ 600 mètres à l’ouest de la route de comté 17 à 131,49 km/h.
  • À 20 h 16 min 42 s, il se dirigeait vers l’ouest sur Kitley Line 2 à approximativement 1,61 kilomètre à l’ouest de la route de comté 17 à 133,34 km/h.
  • À 20 h 16 min 44 s, il a dit à l’opérateur : « Il a eu un 10-50 [collision automobile]. Je n’ai pas tenté de l’arrêter. Il faut que je consulte mon GPS. Je suis environ à mi-chemin sur Kitley 3 ».
  • La collision automobile s’est produite sur Kitley Line 2 à environ 1,7 kilomètre à l’ouest de la route de comté 17.

Le Règlement de l’Ontario 266/10, intitulé Poursuites visant l’appréhension de suspects, qui a été pris en vertu de la Loi sur les services policiers, édicte ce qui suit :

  • 2 (1) Un agent de police peut poursuivre ou continuer de poursuivre un véhicule automobile en fuite qui ne s’immobilise pas :
    1. soit s’il a des motifs de croire qu’une infraction criminelle a été commise ou est sur le point de l’être;
    2. soit afin d’identifier le véhicule ou un particulier à bord du véhicule.
  • (2) Avant d’amorcer une poursuite visant l’appréhension de suspects, un agent de police s’assure qu’il ne peut recourir à aucune des solutions de rechange […].
  • (3) Avant d’amorcer une poursuite visant l’appréhension de suspects, l’agent de police décide si, afin de protéger la sécurité publique, le besoin immédiat d’appréhender un particulier à bord du véhicule automobile en fuite ou le besoin d’identifier le véhicule ou le particulier l’emporte sur le risque que peut présenter la poursuite pour la sécurité publique.
  • (4) Pendant une poursuite visant l’appréhension de suspects, l’agent de police réévalue continuellement la décision prise aux termes du paragraphe (3) et interrompt la poursuite lorsque le risque que celle-ci peut présenter pour la sécurité publique l’emporte sur le risque pour la sécurité publique que peut présenter le fait de ne pas appréhender immédiatement un particulier à bord du véhicule automobile en fuite ou de ne pas identifier le véhicule ou le particulier.
  • 3 (1) Un agent de police avise un répartiteur lorsqu’il amorce une poursuite visant l’appréhension de suspects.

L’AI a vu un automobiliste qui accélérait et s’est rangé pour faire demi-tour afin de le suivre et de l’intercepter. À aucun moment l’AI n’a eu des motifs de croire qu’un acte criminel avait été commis; il s’agissait d’un excès de vitesse prévu par le Code de la route. L’AI a dit que le véhicule automobile du plaignant, lorsqu’il a dépassé le véhicule de police sur la route 17, n’était plus dans les limites du hameau de Jasper; j’en déduis donc que si la limite de vitesse n’était pas déjà passée à 80 km/h, elle changerait incessamment. Je constate que le véhicule de police de l’AI roulait à 80,4 km/h. Par conséquent, d’après les éléments de preuve de l’AI, il est difficile de savoir si la limite de vitesse dans la zone où le plaignant filait à 100 km/h était de 50 km/h ou de 80 km/h; même s’il s’agit d’un excès de vitesse dans les deux cas, il est difficile de concevoir que le fait de dépasser la limite de vitesse de 20 km/h sur une route rurale puisse constituer une situation créant un « besoin immédiat d’appréhender un particulier ». De plus, je constate que le plaignant ne s’est pas enfui après avoir omis de s’arrêter, puisqu’il n’a jamais reçu l’ordre de s’immobiliser.

L’AI a poursuivi le véhicule automobile du plaignant à partir de l’endroit où il a réintégré la circulation après avoir fait demi-tour à 20 h 15 min 8 s jusqu’à ce que le véhicule du plaignant fasse une collision à 20 h 16 min 44 s. À aucun moment l’AI n’a communiqué avec le centre de communication pour indiquer qu’il faisait une poursuite, malgré le fait qu’il avait poursuivi le véhicule du plaignant sur la route de comté 17 à 165,2 km/h pendant près d’une minute avant d’appeler le répartiteur[1].

Sans vouloir jouer sur les mots, il ne fait aucun doute qu’un véhicule de police qui roule à une vitesse aussi élevée pour suivre un véhicule automobile effectue une poursuite. L’AI avait l’obligation d’aviser le répartiteur qu’il faisait une poursuite dès qu’il l’a amorcée, et en disant qu’il ne faisait que suivre un véhicule à quelque 165 km/h, il a déformé la réalité compte tenu du sens donné par la législation. L’AI a eu de nombreuses occasions d’aviser le répartiteur lorsqu’il s’est rangé en attendant de faire demi-tour et qu’il a vu le plaignant s’éloigner en accélérant, lorsqu’il a roulé pendant près d’une minute à très haute vitesse et lorsqu’il s’est immobilisé en attendant de pouvoir tourner à gauche sur Kitley Line 2, mais il n’a communiqué pour la première fois avec le répartiteur que lorsqu’il était déjà sur Kitley Line 2, où il roulait encore une fois à plus de 130 km/h sur une route de gravier dans une zone résidentielle rurale, et ce n’est qu’à ce moment qu’il a indiqué qu’un véhicule s’était éloigné en accélérant et qu’il n’avait pas tenté de l’intercepter.

Je n’arrive pas à m’imaginer qu’une personne raisonnable puisse croire que la remise d’une contravention pour excès de vitesse l’emporte sur le risque pour la sécurité publique que présente le fait de continuer la poursuite d’un véhicule automobile à la vitesse où roulait l’AI, surtout compte tenu du fait que l’excès de vitesse pour lequel l’AI a d’abord indiqué qu’il souhaitait intercepter le véhicule était négligeable comparativement aux vitesses atteintes par le plaignant et l’AI pendant la poursuite. L’utilisation des mots « poursuite » et « je n’essaie pas de l’intercepter » ne change rien à ce qui était visiblement une poursuite et ne dégage pas la police des obligations qu’elle a en vertu du règlement sur les poursuites visant l’appréhension de suspects. Conformément à ce règlement, « […] une poursuite visant l’appréhension de suspects a lieu lorsqu’un agent de police tente d’ordonner au conducteur d’un véhicule automobile de s’immobiliser, que le conducteur refuse d’obtempérer et que l’agent poursuit, en véhicule automobile, le véhicule en fuite afin de l’immobiliser […] ». Même si l’AI prétend n’avoir nullement essayé d’arrêter le véhicule, je ne vois aucune raison de poursuivre un véhicule à 165 km/h si ce n’est pour tenter de l’arrêter. Selon ses propres paroles, c. à-d. « J’ai fait demi-tour pour arrêter un véhicule et il s’est enfui à toute vitesse », il est évident qu’il essayait d’intercepter le véhicule lorsque celui-ci a accéléré. Ces paroles auraient toutefois dû être prononcées lorsqu’il s’est arrêté pour la première fois au bord de la route en attendant de faire demi-tour et non pas presque une minute après avoir amorcé la poursuite du véhicule à 165 km/h. Après avoir fait demi-tour, il aurait dû dire « J’ai amorcé une poursuite et je roule à 165 km/h » afin que l’opérateur des systèmes de communication soit en mesure de prendre la décision de mettre fin ou non à la poursuite.

Les éléments de preuve soumis par deux témoins indépendants sont en contradiction avec ceux de l’AI, qui dit n’avoir activé ses gyrophares que lorsqu’il est tourné à gauche pour emprunter Kitley Line 2, puis l’avoir éteint immédiatement. Les éléments de preuve des témoins civils et de l’AI sont aussi en contradiction en ce qui concerne la distance qui séparait l’AI du plaignant au moment de la collision. Dans l’ensemble, je suis très préoccupé par les nombreuses contradictions entre les éléments de preuve de l’AI et ceux des témoins civils.

Cela dit, le fait de ne pas avoir appliqué à la lettre les exigences de la Loi sur les services policiers ne constitue pas un motif raisonnable pour considérer qu’un crime a été commis.

Ce que je dois plutôt déterminer, c’est s’il existe ou non des motifs raisonnables de croire que l’AI a commis un crime et, surtout, si sa façon de conduire a rendu la situation dangereuse au point de représenter une infraction au paragraphe 249(1) du Code criminel ayant causé la mort d’une autre personne qui est interdite par le paragraphe 249(4) ou s’il s’est rendu coupable de négligence criminelle, d’après les dispositions de l’article 219 du Code criminel, et a ainsi causé la mort, selon les dispositions de l’article 220.

Conformément à l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Beatty, [2008] 1 R.C.S. 49, l’article 249 du Code criminel exige que la conduite soit dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances, « y compris la nature et l’état du lieu, l’utilisation qui en est faite ainsi que l’intensité de la circulation à ce moment ou raisonnablement prévisible dans ce lieu ». En outre, la conduite doit être telle qu’elle constitue « un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation que l’accusé ». L’infraction de négligence criminelle prévue à l’article 219, quant à elle, exige qu’il y ait [Traduction] « un écart marqué et important par rapport à la conduite d’un conducteur raisonnablement prudent dans des circonstances » où l’accusé « montre une insouciance […] téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui ». [R. c. Sharp (1984), 12 C.C.C. (3e) 426 (C.A. Ont.)].

Après avoir examiné tous les éléments de preuve, il m’apparaît clairement que l’AI conduisait probablement à une vitesse d’environ 85 km/h au-dessus de la limite permise pendant qu’il suivait le véhicule du plaignant. Il n’y a toutefois rien qui indique que la façon de conduire de l’AI ait créé un danger pour les autres usagers de la route ni qu’elle ait à quelque moment que ce soit perturbé la circulation. De plus, les conditions météorologiques étaient bonnes et la chaussée était sèche. Il semble néanmoins que la vitesse excessive de l’agent durant la poursuite du véhicule du plaignant ait eu une influence négative sur la conduite du plaignant et l’ait même amené à aller encore plus vite (et à atteindre 180 km/h) pour fuir l’AI. Pourtant, en fin de compte, je juge que le plaignant a, malheureusement, pris la décision de se sauver de la police et a ainsi roulé à une vitesse dangereuse sans tenir compte des autres usagers de la route ni de sa passagère, qui lui a demandé avec insistance à plusieurs reprises de ralentir.

J’estime que la conduite de l’AI n’a pas été de nature à représenter « un écart marqué par rapport à la norme » et encore moins « un écart marqué et important par rapport à la norme » et je ne peux pas établir de lien de cause à effet entre les agissements de l’AI et la collision à un seul véhicule qui a causé le décès du plaignant. Pour cette raison, j’estime que les éléments de preuve sont insuffisants pour établir qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un acte criminel a été commis et il n’y a donc pas lieu de porter des accusations dans cette affaire.

Date : 17 août 2017

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) [1] La distance totale parcourue entre le moment où l’AI a fait demi-tour et la collision était d’un peu plus de trois kilomètres et le laps de temps écoulé était de 1 minute 36 secondes. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.