Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 16-OCI-158

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu une allégation d’agression sexuelle.

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Le rapport porte sur l’enquête menée par l’UES au sujet des blessures graves subies par un homme de 25 ans durant son arrestation pour manquement aux conditions de la probation le 17 juin 2016, à environ 11 h 45.

L’enquête

Notification de l’UES

Le 18 juin 2016, à 1 h 50, le Service de police de Saugeen Shores (SSPS) a signalé à l’UES les blessures subies par le plaignant durant son arrestation.

Le SSPS a déclaré que, le 17 juin à 23 h 45, des agents du SSPS sont allés arrêter le plaignant pour avoir enfreint les conditions de sa probation. Celui-ci a résisté à l’agent impliqué (AI) et une poursuite à pied s’est ensuivie. Le plaignant s’est plaint de douleurs à la mâchoire après avoir été arrêté par l’AI dans la cour d’une résidence sur la rue Eugenie, à Port Elgin.

Le plaignant a d’abord été conduit à l’hôpital de Southampton, où on lui a fait quatre points de suture pour refermer une coupure à la tête, puis on l’a envoyé à l’hôpital d’Owen Sound pour des radiographies.

à 4 h 5, le 18 juin 2016, le SSPS a confirmé que le plaignant avait une fracture de la mâchoire.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 3

Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 1

Plaignante

Homme de 25 ans, qui a participé à une entrevue et pour qui le dossier médical a été obtenu et examiné

Témoins civils

TC no 1 A participé à une entrevue

TC no 2 A participé à une entrevue

TC no 3 A participé à une entrevue

Agents témoins

AT no 1 A participé à une entrevue

AT no 2 A participé à une entrevue

Agents impliqué

AI A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

Éléments de preuve

Les lieux

Les lieux de l’incident se limitent à une superficie plane couverte de gazon à l’arrière d’une résidence de la rue Eugenie, au centre d’un périmètre situé à environ huit mètres à partir de l’arrière de l’habitation.

Éléments de preuve matériels

L’UES a obtenu et inspecté la lampe de poche de l’AI.

Éléments obtenus auprès du service de police

L’UES a demandé au SSPS les objets et documents suivants, qu’elle a obtenus et examinés :

  • les enregistrements audio des communications
  • les détails de l’événement – rapport du système de répartition assisté par ordinateur
  • la lettre de divulgation
  • la lampe de poche de l’AI
  • l’ordre général – emploi de la force
  • le dossier du tribunal (dénonciation, rapport d’arrestation, ordonnance portant décision, rapport d’infraction et de disposition de drogues, promesse de comparaître, promesse remise à un agent de la paix, synopsis du plaidoyer de culpabilité, résumé de l’incident, rapport d’incident général, rapport sur la propriété, rapport à un juge de paix, rapports d’incident supplémentaire)
  • les notes des AT nos 1 et 2
  • les photographies des lieux de l’arrestation
  • le rapport d’utilisation de la force (non demandé), et
  • le sommaire des dépositions de l’AI et de l’AT no 1

Description de l’incident

Le 17 juin 2016, l’AI, l’AT no 1 et l’AT no 2 du SSPS ont été envoyés à une résidence de la rue Eugenie à Port Elgin à la suite d’un appel concernant un suspect qui cognait à la porte arrière de la résidence. Aucune description de l’homme en question n’a été fournie. En route pour répondre à l’appel, l’AI a croisé le plaignant qui roulait à vélo tard le soir à l’intersection des rues Waterloo et Eugenie. L’AI s’est approché du plaignant dans sa voiture de police identifiée et l’a salué. Les deux hommes ont discuté brièvement. L’AI savait que le plaignant était assujetti à des conditions imposées par le tribunal à ce moment-là, et il lui a semblé qu’il les avait enfreintes. Le plaignant est descendu de son vélo et il l’a laissé sur la chaussée. Il a retiré son sac à dos et il l’a tendu à l’AI, lorsqu’il a soudainement décidé de s’enfuir en courant avec le sac à dos. Par conséquent, l’AI a amorcé une poursuite à pied pour essayer d’appréhender le plaignant.

Le plaignant a descendu la rue Eugenie en courant et a pénétré dans la cour arrière d’une résidence, et l’AI l’a suivi. Une fois dans la cour arrière sur la rue Eugenie, l’AI et le plaignant ont eu une altercation durant laquelle les deux se sont retrouvés par terre. Pendant l’altercation, l’AI a perdu la maîtrise de sa lampe de poche. En voulant appréhender le plaignant, l’AI l’a frappé au visage et lui a fait une prise de tête. L’AI a fini par réussir à menotter le plaignant. Par la suite, l’AT no 1 et l’AT no 2 sont arrivés sur les lieux et ont accompagné le plaignant jusqu’à la voiture de police. L’AI a ensuite conduit le plaignant à l’hôpital de Southampton.

à l’hôpital, le plaignant a eu quatre points de suture du côté gauche de la tête. L’AT no 1 et l’AT no 2 l’ont ensuite amené à l’hôpital d’Owen Sound, où une fracture de la mâchoire a été diagnostiquée.

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 25(1), Code criminel - Protection des personnes chargées de l’application et de l’exécution de la loi

25. (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :

  1. soit à titre de particulier;
  2. soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public;
  3. soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
  4. soit en raison de ses fonctions,

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Paragraphe 34(1), Code criminel : Emploi ou menace d’emploi de la force

34(1) N’est pas coupable d’une infraction la personne qui, à la fois :

  1. croit, pour des motifs raisonnables, que la force est employée contre elle ou une autre personne ou qu’on menace de l’employer contre elle ou une autre personne;
  2. commet l’acte constituant l’infraction dans le but de se défendre ou de se protéger — ou de défendre ou de protéger une autre personne — contre l’emploi ou la menace d’emploi de la force;
  3. agit de façon raisonnable dans les circonstances.

Paragraphe 495(1), Code criminel : Arrestation sans mandat par un agent de la paix

495(1) Un agent de la paix peut arrêter sans mandat :

  1. une personne qui a commis un acte criminel ou qui, d’après ce qu’il croit pour des motifs raisonnables, a commis ou est sur le point de commettre un acte criminel;
  2. une personne qu’il trouve en train de commettre une infraction criminelle;
  3. une personne contre laquelle, d’après ce qu’il croit pour des motifs raisonnables, un mandat d’arrestation ou un mandat de dépôt, rédigé selon une formule relative aux mandats et reproduite à la partie XXVIII, est exécutoire dans les limites de la juridiction territoriale dans laquelle est trouvée cette personne.

Analyse et décision du directeur

Le 17 juin 2016, l’AI a été envoyé à une résidence de la rue Eugenie à Port Elgin à la suite d’un appel concernant un suspect qui cognait à la porte arrière de la résidence située à cette adresse. En route pour répondre à l’appel, l’AI a croisé le plaignant à vélo. Sachant que le plaignant était assujetti à diverses conditions imposées par le tribunal, l’AI s’est approché de lui et l’a mis en état d’arrestation pour infraction aux conditions de sa probation. Après son interaction avec la police, le plaignant a été amené à l’hôpital, où on a découvert qu’il avait subi une coupure du côté gauche de la tête nécessitant des points de suture et une facture déplacée fermée de la mandibule droite. Le plaignant prétend que ses blessures ont été causées par un usage excessif de la force exercé par l’AI.

à l’hôpital de Southampton, le plaignant a eu quatre points de suture du côté gauche de la tête, puis on lui a donné son congé en lui demandant de revenir le lendemain matin pour une radiographie de la mâchoire. Le dossier médical du plaignant provenant de cet hôpital indique qu’il a subi ses blessures lorsqu’il a été « arrêté par la police. S’est battu avec un policier ». Le dossier précise également qu’il n’y a pas eu de perte de conscience. Cependant, on n’indique pas si ces renseignements ont été fournis par le plaignant ou par la police. Plus loin dans le dossier, sous le titre « Motif de consultation », on lit encore une fois « S’est battu avec un policier. Mis en état d’arrestation pour possession de drogues et intrusion. S’est enfui de la police. S’est battu avec un agent de police. » Comme, encore une fois, on ne précise pas si ces commentaires ont été faits par le plaignant ou par l’agent, je n’en ai pas tenu compte. Les AT nos 1 et 2 ont ensuite conduit le plaignant à un centre de santé à Owen Sound, où on lui a dit, après lui avoir fait une radiographie, que sa mâchoire était fracturée du côté droit sous l’oreille. Cependant, le dossier médical de l’hôpital d’Owen Sound contient des commentaires qui sont directement attribués au plaignant : « Patient de Southampton à la salle des urgences. Dit avoir été agressé, coup de lampe de poche derrière la tête. Perte de conscience X2 minutes, selon le patient », puis « Patient collabore. Dit avoir été agressé par un agent de police ». Le plaignant a ensuite été relâché par la police à l’hôpital, après avoir signé des papiers.

Même si le secteur a été ratissé à la recherche de témoins civils et de séquences de vidéosurveillance, on n’a rien trouvé. Par conséquent, les seules personnes pouvant fournir de l’information sur l’interaction qui a eu lieu entre le plaignant et l’AI sont le plaignant et l’AI. Aucun autre agent de police n’a observé l’interaction réelle puisque les autres agents ne sont arrivé qu’une fois que le plaignant a été menotté. L’AI a accepté de participer à une entrevue avec les enquêteurs et il a soumis ses notes à un examen.

L’AI a déclaré que, le 17 juin 2016, il avait reçu un appel radio concernant un suspect frappant à la porte arrière d’une résidence située sur la rue Eugenie Street à Port Elgin, mais qu’aucune description n’était donnée. à l’intersection des rues Eugenie et Waterloo, l’AI a aperçu le plaignant à vélo, qui portait un sac à dos. L’AI a précisé qu’il connaissait le plaignant et qu’il savait que celui-ci était tenu de respecter des conditions imposées par un tribunal, qui lui interdisaient d’être en possession de drogue et d’alcool. Sachant cela et n’ayant pas de description du suspect ayant fait l’objet de l’appel, l’AI a appelé le plaignant pour qu’il vienne lui parler. L’AI a qualifié son échange avec le plaignant de cordial, même si celui-ci était agité, évitait tout contact visuel, semblait incapable d’entretenir une conversation et avait l’air d’être surexcité. L’AI a demandé au plaignant de venir devant la voiture de police, car il se trouvait dans une voie de circulation. Celui-ci a alors laissé tomber son vélo au milieu de la route et est venu devant la voiture, comme l’AI le lui avait demandé. L’AI dit avoir remarqué que le plaignant sentait la marijuana fraîchement fumée et avait une haleine d’alcool. Il en a conclu que le plaignant était en possession d’une substance réglementée et qu’il avait enfreint les conditions imposées par le tribunal, ce qui l’a amené à annoncer au plaignant qu’il était en état d’arrestation pour avoir enfreint les conditions de l’ordonnance de probation. Le plaignant a alors enlevé son sac à dos et l’a tendu à l’AI, qui avait l’intention de le fouiller en rapport avec l’arrestation. Il n’a toutefois pas demandé au plaignant s’il acceptait de faire fouiller son sac à dos. Comme l’AI était en train de prendre le sac à dos, le plaignant l’a récupéré et s’est mis à courir avec. L’AI l’a suivi, tout en communiquant à l’aide de sa radio portative qu’il entreprenait une poursuite du plaignant à pied.

L’AI avait déjà pris sa lampe de poche et il la tenait dans sa main droite tout en courant. L’AI a vu le plaignant entrer dans la cour arrière d’une résidence sur la rue Eugenie et il lui a crié de s’arrêter. Il faisait noir dans cette cour, d’après l’AI, et il a dit qu’il n’apercevait que des ombres, mais il a attrapé le plaignant par le haut du torse et ils sont tous les deux tombés de côté sur le sol, face à face. Durant la bagarre, l’AI a perdu sa lampe de poche, mais il affirme ne pas l’avoir lancée en direction du plaignant.

L’AI a indiqué qu’il était tombé à genoux et que le plaignant le frappait et lui donnait des coups de pied. Pendant que le plaignant essayait de se relever, il a frappé l’AI à plusieurs reprises à la poitrine et il lui a égratigné les bras. L’AI a alors frappé le plaignant au visage avec son poing droit à trois reprises, et le plaignant a tourné la tête. L’AI lui a fait une prise de tête, pour tenter de le maîtriser, mais le plaignant a continué de se débattre pour tenter de s’échapper. L’AI a tenté de se servir de sa radio portative pour appeler des renforts, mais il a été incapable de presser le bouton d’appel d’urgence pendant qu’il tenait le plaignant. à ce moment, l’AI a aperçu un homme dans la cour arrière d’une résidence sur la rue Catherine et il lui a crié d’appeler la police pour dire qu’un agent avait besoin de renforts. Pendant ce temps, il continuait de crier pour se faire entendre des AT nos 1 et 2 et dire au plaignant de cesser de résister. Le plaignant a fini par se fatiguer, et l’AI lui a alors passé les menottes derrière le dos. L’AI a ensuite récupéré sa lampe de poche, qui était par terre à environ un 50 centimètres du plaignant.

L’AI a décrit son interaction avec le plaignant comme l’une des expériences les plus difficiles de toute sa carrière, en précisant qu’il craignait qu’aucun autre agent ne sache où il se trouvait et que l’homme de la résidence sur la rue Catherine n’ait pas appelé la police. Il se savait seul avec le plaignant, qui semblait être en bonne forme physique et capable de prendre le dessus sur lui, de l’attaquer et de le blesser gravement. C’est pourquoi, a-t il expliqué, il a frappé le plaignant au visage à trois reprises. Par la suite, le plaignant s’est plaint de douleurs à la mâchoire et il saignait. Il a donc été conduit à l’hôpital. En route, le plaignant a demandé à plusieurs reprises à l’AI pourquoi il avait lancé sa lampe de poche sur lui. L’AI dit qu’il a alors nié avoir jamais posé un tel geste et il le nie toujours dans sa déclaration aux enquêteurs. Il a bien précisé qu’il n’avait jamais lancé sa lampe de poche en direction du plaignant.

L’AI a signalé qu’à cause de l’altercation avec le plaignant, il avait des égratignures au bras droit et à la main ainsi qu’une blessure des tissus mous à l’épaule droite, pour laquelle il recevait toujours des traitements de physiothérapie à la date de l’entrevue.

Dans sa déclaration, l’AT no 1 a signalé qu’il avait été déployé pour rechercher l’homme qui avait frappé à la porte arrière d’une résidence sur la rue Eugenie. Tandis qu’il cherchait cet homme, il a entendu la communication de l’AI à la radio, qui disait qu’il poursuivait le plaignant à pied. Il a ensuite trouvé la voiture vide de l’AI à l’intersection des rues Eugenie et Waterloo, de même que le vélo, et il en a déduit que l’AI était toujours en train de faire une poursuite à pied. L’AT no 1 était incapable de joindre l’AI par radio. Il a bien entendu les tentatives de communication par radio, mais aucune parole n’était prononcée. Il a alors activé ses gyrophares, dans l’espoir que l’AI l’aperçoive. C’est alors qu’il a entendu l’AI crier : « Je suis là. » Il a vu la lumière d’une lampe de poche dans la cour arrière d’une résidence sur la rue Eugenie. L’AT no 1 a vu que l’AI avait avec lui le plaignant menotté, couché sur le côté gauche, qui avait du sang du côté droit du visage. Il a mentionné que le plaignant était agité et qu’il jurait. L’AT no 1 a aussi entendu l’AI demander à un groupe de personnes qui s’étaient réunies dans la cour arrière d’une résidence sur la rue Catherine si quelqu’un avait appelé la police. Quand on lui a répondu non, il a demandé pourquoi personne n’avait appelé la police pour demander des renforts, ce à quoi personne n’a répondu.

L’AI a informé l’AT no 1 qu’il avait eu une bagarre avec le plaignant, et l’AT no 1 a aperçu du sang sur le bras de l’AI. L’AT no 1 a ajouté qu’à l’hôpital, une infirmière lui avait montré la coupure du côté gauche de la tête du plaignant et, bien que celui-ci n’ait pas mentionné sa coupure, il a dit à l’AT no 1 que l’AI lui avait donné des coups de poing et qu’il croyait que sa mâchoire était fracturée.

L’AT no 2, arrivé sur les lieux après l’AT no 1, a signalé que l’AI respirait péniblement et qu’il semblait venir de vivre une expérience traumatisante. L’AT no 2 a aussi entendu l’AI dire qu’après que le plaignant s’était enfui dans la cour, il l’avait attrapé et que, lorsque le plaignant était tombé sur le dos, il avait levé les bras pour se bagarrer avec l’AI et que l’AI avait frappé le plaignant à deux reprises au visage et l’avait fait tourner sur le ventre. Toujours selon l’AI, quand le plaignant avait tenté de se relever et de s’éloigner de lui, il l’avait frappé de nouveau et lui avait passé les menottes. Il n’a jamais été question dans les propos de l’AI qu’il ait frappé le plaignant avec sa lampe de poche. L’AT no 2 a néanmoins entendu le plaignant dire à l’infirmière du triage qu’il s’était fait lancer une lampe de poche.

En vertu du paragraphe 25(1) du Code criminel, les agents de police ont le droit d’utiliser la force dans l’exécution de leurs fonctions légitimes, mais seulement dans la limite de ce qui est raisonnablement nécessaire dans les circonstances. Examinons d’abord la légitimité de l’appréhension du plaignant. Il ressort des déclarations du plaignant comme de l’AI que le plaignant avait l’obligation de se conformer aux conditions d’une ordonnance d’un tribunal qui lui interdisait d’être en possession de drogue et d’alcool. L’AI a indiqué qu’il avait des motifs de croire, d’après l’odeur de marijuana et d’alcool que dégageait le plaignant, que celui-ci avait enfreint les conditions de l’ordonnance et qu’une arrestation était donc justifiée. Conformément à l’article 495 du Code criminel, l’AI était donc autorisé à recueillir ou à conserver une preuve de l’infraction et à empêcher que l’infraction se poursuive ou se répète. Par conséquent, la poursuite et l’appréhension du plaignant étaient justifiées sur le plan légal.

Pour ce qui est du degré de force exercé par l’AI pour dominer le plaignant, je suis d’avis qu’il faut procéder à deux analyses séparées pour les deux blessures subies par le plaignant, soit la lacération du côté gauche de la tête qui, aux dires du plaignant, se serait produite lorsque l’AI lui aurait lancé sa lampe de poche, et la fracture de la mâchoire, occasionnée par les coups de poing au visage donnés par l’AI au plaignant, conformément aux déclarations à la fois de l’AI et du plaignant.

Pour l’ensemble des éléments de preuve, les versions respectives du plaignant et de l’AI ne sont pas très divergentes, malgré quelques exceptions. Les seules différences concernent surtout ce qui a été dit à la voiture de police avant que le plaignant ne prenne la fuite à pied et la manière dont la blessure du plaignant s’est produite. Les deux s’entendent pour dire que le plaignant ne voulait pas être arrêté pour possession de drogue, qu’il a d’abord tendu son sac à dos à l’AI et qu’il l’a repris, pour ensuite s’enfuir dans la cour arrière d’une résidence sur la rue Eugenie, où il y a eu une bagarre.

Concernant la bagarre qui a eu lieu dans la cour arrière d’une résidence sur la rue Eugenie, j’estime que la version des faits donnée par le plaignant, dans laquelle l’AI lui aurait lancé sa lampe de poche, qui aurait atteint le plaignant à la tête, n’est pas cohérente, compte tenu de l’emplacement de la blessure. Je n’ai toutefois aucun mal à croire que le plaignant ait pu croire, dans le feu de l’action, que l’AI lui ait lancé sa lampe de poche. Si l’AI avait lancé sa lampe de poche vers le plaignant tandis qu’il lui tournait le dos, la lampe de poche aurait pu lui frapper le derrière de la tête, mais ce n’est pas ce qui est arrivé. La blessure du plaignant était du côté gauche de la tête, au-dessus de l’oreille. L’AI et le plaignant s’entendent pour dire que l’AI avait sa lampe de poche à la main lorsqu’il est entré dans la cour à la poursuite du plaignant et qu’il faisait noir dans la cour. Puisque la lampe de poche était la seule source de lumière, il ne semble pas très logique que l’AI l’ait lancée, d’autant plus qu’en levant sa lampe de poche afin de la lancer, l’AI aurait cessé d’éclairer le plaignant et qu’il aurait donc eu de très minces chances d’atteindre sa cible. De plus, comme le plaignant s’enfuyait de l’AI, il n’était de toute évidence pas en position de voir ce que l’AI était en train de faire avec sa lampe de poche.

Bien qu’il soit impossible de déterminer exactement ce qui s’est passé pour que le plaignant subisse une lacération du cuir chevelu, je considère qu’il est bien plus probable, d’après tous les éléments de preuve, que la blessure se soit produite lorsque l’AI a attrapé le plaignant dans l’obscurité, tandis qu’il tenait la lampe de poche dans sa main droite dominante, et que la lampe de poche ait alors heurté le côté gauche de la tête du plaignant. En fait, ce scénario concorde avec le récit que l’AI a fait des faits qui se sont produits quand il a saisi le plaignant, dans lequel il disait qu’ils étaient tous les deux tombés par terre, qu’ils étaient face à face et qu’il avait perdu sa lampe de poche durant l’altercation. Tous les deux conviennent que la fracture de la mâchoire résulte des coups de poing au visage donnés par l’AI au plaignant. L’important est de partir de ces faits pour déterminer si les gestes posés par l’AI représentent un usage excessif de la force.

à mon avis, la version que le plaignant a donnée de ce qui s’est passé dans la cour est en contradiction avec l’élément de preuve suivant : des gens s’étaient rassemblés, ce qui signifie qu’il y avait bel et bien quelque chose à voir. Les multiples tentatives infructueuses de transmission par radio mentionnées par l’AI et corroborées par l’AT no 1 montrent que l’AI était effectivement dans une situation difficile. L’AT no 1 a entendu l’AI demander aux curieux rassemblés pourquoi personne n’avait appelé la police pour qu’on lui envoie des renforts, et personne n’a nié avoir entendu l’AI faire cette demande, ce qui est un signe évident que l’AI avait besoin d’assistance. La version des faits racontée par l’AI aux AT nos 1 et 2 arrivés sur les lieux et au personnel médical de l’hôpital concorde avec celle qu’il a communiquée aux enquêteurs. De plus, l’AT no 1 a observé que le plaignant était agité et qu’il jurait et il a aussi constaté qu’il avait bu ou avait pris de la drogue et qu’il parlait de façon non intelligible, et c’est sans compter les blessures subies par l’AI et, enfin, le fait qu’en arrivant sur les lieux, l’AT no 2 a constaté que l’AI respirait péniblement et semblait venir de vivre une expérience traumatisante. Tous ces facteurs m’amènent à conclure que le plaignant a bel et bien lutté avec l’AI pour résister à son arrestation.

Les éléments de preuve présentés par l’AI montrent clairement qu’il craignait pour sa sécurité, vu le comportement agressif que le plaignant a eu lorsque l’AI était à genoux, après avoir attrapé le plaignant et l’avoir fait tomber par terre. En effet, le plaignant le frappait et lui donnait des coups de pied et il lui a égratigné le bras, comme en témoignent les blessures. Dans les circonstances, je dois prendre en considération la défense de légitime défense, conformément au paragraphe 34(1) du Code criminel du Canada. à l’examen de l’ensemble de tous les éléments de preuve, il ressort clairement que l’AI se trouvait seul et était incapable d’appeler des renforts, puisqu’il n’arrivait pas à accéder à sa radio portative, qu’il était dans l’obscurité, sans accès à sa lampe de poche, qu’il était agressé par le plaignant, qu’il commençait à s’épuiser et, comme il l’a dit lui-même, qu’il craignait que le plaignant ne prenne le dessus et qu’il ne continue à le frapper. De plus, même s’il avait demandé aux curieux d’appeler la police pour qu’on lui envoie des renforts, il n’avait aucun moyen de savoir si quelqu’un l’avait fait et il craignait qu’aucun autre policier ne sache où il se trouvait. Pour toutes ces raisions, je n’ai aucune peine à croire que l’AI ait pu craindre pour sa sécurité et qu’il ait vécu ce qu’il a qualifié comme « la pire expérience de sa carrière ».

Comme l’exige le paragraphe 34(1), il ressort de l’ensemble des éléments de preuve que l’AI avait des motifs suffisants de croire que le plaignant employait la force ou menaçait d’employer la force contre lui, qu’il a frappé le plaignant au visage à trois reprises, dans l’intention de se défendre ou de se protéger contre cette menace, et que ces gestes étaient raisonnables dans les circonstances.

Pour ce qui est du fait que l’AI a attrapé le plaignant pendant qu’il s’enfuyait, l’a fait tomber au sol et qu’il l’a peut être frappé par accident à la tête avec sa lampe de poche lorsqu’ils sont tous les deux tombés au sol, je considère que, même si la blessure du plaignant a été causée par l’AI, celui-ci n’a pas employé plus de force dans l’exécution de ses fonctions légitimes qu’il était raisonnablement nécessaire, conformément au paragraphe 25(1) du Code criminel, pour appréhender un suspect qui fuyait activement la police après qu’une infraction a été constatée et qu’il a été placé en état d’arrestation. Même si j’estime que la force avec laquelle la lampe de poche de l’AI peut avoir frappé par accident la tête du plaignant pendant qu’il a été tiré au sol ait pu être suffisante pour causer la lacération du cuir chevelu, je conclus que, dans les circonstances, la décision de l’AI d’arrêter le plaignant était plus que raisonnable. Pour parvenir à cette conclusion, je garde à l’esprit l’état du droit tel qu’il est présenté dans l’arrêt de la Cour suprême du Canada R. c. Nasogaluak, [2010] 1 R.C.S. 206, qui dit ceci :

Les actes des policiers ne devraient pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Il ne faut pas oublier que ceux-ci accomplissent un travail exigeant et dangereux et qu’ils doivent souvent réagir rapidement à des situations urgentes. Leurs actes doivent alors être appréciés selon ce que commande ce contexte difficile. Comme le juge Anderson l’explique dans R. c. Bottrell (1981), 60 C.C.C. (2d) 211 (C.A.C.-B.) :

[TRADUCTION] Pour déterminer si la force employée par le policier était nécessaire, les jurés doivent tenir compte des circonstances dans lesquelles le policier y a eu recours. Il aurait fallu leur indiquer qu’on ne pouvait s’attendre à ce que l’appelant mesure la force appliquée avec précision. [p. 218]

En conclusion, j’ai des motifs suffisants d’être convaincu que les gestes de l’AI qui ont causé la fracture de la mâchoire du plaignant ont été posés dans un contexte de légitime défense et étaient justifiés sur le plan légal, conformément au paragraphe 34(1) du Code criminel, tandis que la blessure au cuir chevelu subie durant la fuite du plaignant lorsqu’il a été tiré au sol résulte d’actions légalement justifiées en vertu du paragraphe 25(1) du Code criminel. Dans les deux cas, l’AI a respecté les limites prescrites par le droit pénal et il n’y a donc pas lieu de déposer des accusations criminelles dans cette affaire.

Date : 17 août 2017

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.