Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 16-PCI-204

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu une allégation d’agression sexuelle.

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur les blessures subies par un homme de 53 ans, alors qu’il était sous garde, à Port Stanley, au cours d’une interaction avec des agents de la Police provinciale de l’Ontario dans le comté d’Elgin, le 5 août 2016. L’homme a été emmené à l’hôpital où on lui a diagnostiqué une dislocation du coude gauche, qui a causé des dommages nerveux et des fractures osseuses.

L’enquête

Notification de l’UES

L’UES a été avisée de l’incident le 5 août 2016, à 4 h 30, par la Police provinciale de l’Ontario. La police a signalé qu’un homme de 53 ans avait été blessé pendant une interaction avec des membres du détachement de la Police provinciale de l’Ontario dans le comté d’Elgin.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 2

Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 1

Plaignant :

Homme de 53 ans; a participé à une entrevue, dossiers médicaux obtenus et examinés

Témoins civils

TC no 1  A participé à une entrevue

TC no 2  A participé à une entrevue

TC no 3  A participé à une entrevue

TC no 4  A participé à une entrevue

TC no 5  A participé à une entrevue

Agents témoins

AT A participé à une entrevue

Agents impliqués

AI A participé à une entrevue, mais n’a pas consenti à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise.

Éléments de preuve

Les lieux

L’incident s’est produit à l’extérieur d’une résidence située au boulevard Edith Cavell, à Port Stanley. La résidence est un chalet de location, d’un étage et demi, sur les rives du lac Erie. Le chalet se trouve derrière un autre bâtiment, à une distance d’environ 50 mètres de la route.

Le chalet est accessible par un trottoir en ciment. Un portail au niveau de la route ouvre sur une allée qui conduit à une petite terrasse carrée, d’une marche, devant la porte d’entrée.

Le petit jardin clôturé devant la maison était éclairé par un seul lampadaire extérieur, adjacent à l’allée. Le sol était recouvert de gazon et de sable. Le chalet se trouvait à plus de 100 mètres à l’est du lac.

L’interaction avec les agents de police a eu lieu au pied du lampadaire, sur le côté gauche (nord) de l’allée, dans le jardin avant du chalet, à plusieurs mètres de la porte d’entrée.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio et de photographies

Les enquêteurs de l’UES ont fait le tour du secteur à la recherche d’enregistrements audio ou vidéo et de photographies, mais n’en ont pas trouvé.

Enregistrements des communications

Le vendredi 5 août 2016, à 1 h 07, le centre d’appels des ambulances a demandé l’intervention de la police au boulevard Edith Cavell, à Port Stanley. La TC no 3 a signalé que le plaignait avait de la peine à respirer et qu’il avait besoin d’une ambulance. La TC no 3 a aussi précisé que le plaignant avait avalé quelques pilules et qu’elle craignait une surdose.

À 1 h 09, l’AI et l’AT ont été envoyés sur les lieux. Les deux agents de police sont arrivés à 1 h 20. L’AT a avisé que les Services médicaux d’urgence étaient déjà sur place. Peu de temps après, il y a eu des transmissions simultanées de l’AI et de l’AT. Les transmissions étaient pour la plupart inintelligibles, mais les agents de police semblaient essoufflés. Les transmissions ont pris fin lorsque l’AT a indiqué que tout était 10-4. À 1 h 31, les communications ont demandé des nouvelles et l’AI a répondu qu’elle allait suivre l’ambulance jusqu’à l’hôpital. L’AI a précisé que le plaignant était très combatif au début, mais qu’il s’était calmé. Un autre agent de police a été déployé pour rencontrer l’AI à l’hôpital.

Documents obtenus auprès du service de police

L’UES a demandé au Détachement du Comté d’Elgin de la Police provinciale de l’Ontario les documents suivants, qu’elle a obtenus et examinés :

  • rapport d’arrestation,
  • chronologie des événements,
  • rapport d’incident général,
  • notes – AT,
  • politique de la Police provinciale de l’Ontario – Interactions avec des personnes émotionnellement perturbées, malades mentales et ayant une déficience intellectuelle (Emotionally Disturbed, Mentally Ill, Developmentally Disabled),
  • politique de la Police provinciale de l’Ontario – Usage de la force,
  • déclaration – TC no 3,
  • dossier de formation – AI, AT, et
  • déclaration de témoin à la Police provinciale – TC no 5.

Description de l’incident

Le 5 août 2016, le plaignant se trouvait dans un chalet de location, en été, à Port Stanley. Vers 1 h 00, la TC no 3 a appelé le 9-1-1 et a demandé une ambulance. Elle a informé le répartiteur que le plaignant était essoufflé, qu’il subissait une crise mentale et qu’il serait en colère contre elle s’il savait qu’elle avait appelé l’ambulance. La TC no 3 était inquiète pour le plaignant, car il avait pris des médicaments et elle craignait une surdose.

Les services d’incendie Central Elgin Fire and Rescue (CEFR), les Services médicaux d’urgence et la Police provinciale de l’Ontario sont intervenus. Peu après 1 h 00, les pompiers sont arrivés sur les lieux. La TC no 3 les a conduits vers une petite chambre à coucher mansardée, où dormait le plaignant. Les pompiers sont entrés et ont tenté de réveiller le plaignant pour évaluer son état. Des ambulanciers des Services médicaux d’urgence en uniforme sont également arrivés sur les lieux et ont tenté d’évaluer l’état du plaignant. Ce dernier est sorti du lit et a descendu les escaliers pour leur échapper.

Vers 1 h 20, l’AI et l’AT sont arrivés et ont entendu des cris venant du chalet. Le TC no 5 (l’un des pompiers sur place) expliquait la situation à l’AT sur l’allée menant à la porte d’entrée, lorsque le plaignant est sorti du chalet par la porte d’entrée, vêtu de caleçons boxeurs et d’un t-shirt. L’AT a levé les mains et ordonné au plaignant de s’arrêter. Le plaignant lui a dit de s’en aller et a continué à marcher dans sa direction. Selon l’AT, l’AI et les pompiers sur les lieux, le plaignant a ensuite poussé l’AT en lui plaquant les mains sur la poitrine pour essayer de passer à côté de lui.

L’AI et l’AT ont projeté le plaignant au sol, sur le ventre. Le plaignant s’est retrouvé par terre, à un endroit recouvert de gazon et de sable à côté de l’allée. Le plaignant a gardé ses mains sous sa poitrine, contrairement aux ordres des agents qui lui demandaient de tendre les bras. L’AI a tenté de se saisir de la main gauche du plaignant malgré la résistance de ce dernier, avec l’aide du TC no 5, alors que l’AT tentait de se saisir de la main droite du plaignant avec l’aide du TC no 4 (un autre pompier sur les lieux). Le TC no 5 est parvenu à se saisir de la main gauche du plaignant. L’AI a ensuite plié le bras gauche du plaignant pour le placer derrière son dos. Le plaignant a été menotté avec les mains derrière son dos.

Les ambulanciers paramédicaux sur les lieux ont ensuite évalué le témoin, dont le bras gauche semblait déformé et lui faisait mal. Il a été transporté par ambulance à l’hôpital, où on lui a diagnostiqué une dislocation du coude gauche, qui a causé des dommages nerveux et des fractures osseuses.

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 25 (1), Code criminel3 - Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :

  1. soit à titre de particulier;
  2. soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public;
  3. soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public;
  4. soit en raison de ses fonctions,

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Article 17, Loi sur la santé mentale - Intervention de l’agent de police

17 Si un agent de police a des motifs raisonnables et probables de croire qu’une personne agit ou a agi d’une façon désordonnée et qu’il a des motifs valables de croire que cette personne :

  1. soit a menacé ou tenté de s’infliger des lésions corporelles ou menace ou tente de le faire;
  2. soit s’est comportée ou se comporte avec violence envers une autre personne ou de manière à lui faire craindre qu’elle lui causera des lésions corporelles;
  3. soit a fait ou fait preuve de son incapacité de prendre soin d’elle-même,

et qu’en plus, il est d’avis que cette personne souffre, selon toute apparence, d’un trouble mental d’une nature ou d’un caractère qui aura probablement l’une des conséquences suivantes

  1. elle s’infligera des lésions corporelles graves;
  2. elle infligera des lésions corporelles graves à une autre personne;
  3. elle subira un affaiblissement physique grave,

et qu’il serait dangereux d’agir selon les termes de l’article 16, il peut amener sous garde cette personne dans un lieu approprié afin qu’elle soit examinée par un médecin. 2000, ch. 9, art. 5.

Analyse et décision du directeur

Tôt le matin du 5 août 2016, le plaignant a subi une blessure au coude gauche, au cours d’une interaction avec des agents de police du Détachement du comté d’Elgin de la Police provinciale de l’Ontario, à Port Stanley. Pour les raisons qui suivent, je ne trouve pas de motifs raisonnables de croire que l’AI a commis une infraction criminelle en ce qui concerne les blessures qu’a subies le plaignant pendant leur interaction.

Les faits de base ne sont pas contestés. Pendant que le plaignant était menotté et maîtrisé par l’AI et l’AT, devant le chalet, son coude gauche a subi une blessure grave. La principale question qui se pose est de savoir premièrement si les agents de police avaient le pouvoir d’arrêter et d’appréhender le plaignant, et deuxièmement si la force utilisée pour le faire était raisonnable.

Pour les raisons qui suivent, je suis convaincu que les agents impliqués avaient des motifs raisonnables d’arrêter le plaignant et de le détenir en vertu de l’article 17 de la Loi sur la santé mentale. De multiples témoins ont vu le plaignant pousser les agents pendant qu’il tentait de fuir. Le plaignant a ensuite lutté avec les agents pour leur échapper. En conséquence, même si le plaignant ne savait pas qu’il se trouvait face à des agents de police à cause de son état de détresse mentale, techniquement les agents avaient le pouvoir d’arrêter le plaignant pour cause de voies de fait envers un agent de la paix et de résistance à une arrestation. Par ailleurs, l’AI et l’AT croyaient qu’ils avaient des motifs d’appréhender le plaignant en vertu de l’article 17 de la Loi sur la santé mentale, car ils avaient de bonnes raisons de croire que le plaignant posait un danger pour lui-même et pour autrui, en raison des cris intenses qui provenaient de l’intérieur du chalet, de leurs observations de l’allure colérique et agressive du plaignant lorsqu’il est sorti du chalet, de son manque de réaction à leurs ordres, des dangers de la nature sauvage environnante vers laquelle il se dirigeait vêtu seulement de ses caleçons et d’un t-shirt, en plus de l’avertissement d’une surdose éventuelle communiqué par le répartiteur. L’AI avait également entendu quelqu’un crier du chalet pour dire qu’il était possible que le plaignant se dirige vers sa voiture pour s’enfuir. Bien que les intervenants d’urgence lui aient expliqué qu’il avait besoin de soins médicaux, le plaignant a refusé d’être évalué. Le plaignant ne réagissait clairement pas d’une manière raisonnable et manifestait un comportement désordonné et agressif, que l’AI et l’AT ont raisonnement pu interpréter comme un risque probable qu’il s’inflige des lésions corporelles graves à lui-même ou qu’il en inflige à autrui.

Le paragraphe 25 (1) du Code criminel3 limite la force qu’un agent peut utiliser à la force raisonnablement nécessaire dans les circonstances à l’exécution de ses fonctions légales. L’AT et l’AI en sont venus aux mains avec le plaignant au point que l’AT a dû tenter de le maîtriser par une prise de tête et que l’AI a averti le plaignant qu’elle utiliserait son arme à impulsions s’il ne coopérait pas. Il ressort de la jurisprudence que les tribunaux ont clairement affirmé que la norme à laquelle les policiers doivent satisfaire n’est pas la perfection (R. c. Nasogaluak, [2010] 1 R.C.S. 206) et qu’on ne doit pas s’attendre des policiers qu’ils évaluent avec précision la mesure exacte d’une action défensive (R. c. Baxter (1975), 27 C.C.C. (2d) 96 (Ont. C.A.)). Même si les éléments de preuve suggèrent que c’est probablement la façon dont l’AI a manipulé le bras gauche du plaignant qui a causé sa dislocation, je n’ai pas de motifs raisonnables de croire que I’AI a tiré le bras gauche du plaignant pour le bloquer derrière son dos d’une manière non conforme à ce qu’elle a appris pendant sa formation et en exerçant plus de force que raisonnablement nécessaire pour pouvoir menotter le plaignant dans les circonstances.

Pour conclure, bien qu’il soit malheureux que le plaignant ait subi des lésions à son coude gauche pendant son interaction avec des agents de la Police provinciale de l’Ontario, tôt le matin du 5 août 2016, il n’y a rien dans la conduite de l’AI qui justifie que des accusations criminelles soient déposées contre elle dans cette affaire. En conséquence, le dossier est clos et aucune accusation ne sera déposée.

Date : 24 août 2017

Original signé par

Joseph Martino
Directeur (intérimaire)
Unité des enquêtes spéciales

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.