Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 16-PCI-042

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu une allégation d’agression sexuelle.

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Le rapport porte sur l’enquête menée par l’UES au sujet de la blessure grave subie par un homme de 38 ans durant son arrestation le 13 février 2016.

L’enquête

Notification de l’UES

Le 13 février 2016, la Police provinciale de l’Ontario (O.P.P.) a signalé à l’UES la blessure grave subie par le plaignant durant une arrestation très risquée en début de matinée où le plaignant a dû être plaqué au sol.

L’O.P.P. a déclaré le 13 février 2016, à 3 h 13, que son détachement de Mattawa avait reçu un appel à partir d’une résidence de Mattawa indiquant qu’une invasion de domicile venait d’avoir lieu et que les deux suspects s’étaient enfuis dans un véhicule en direction du centre-ville. L’agent impliqué (AI) n’a pas tardé à trouver et à intercepter le véhicule dans un secteur rural. Il a ordonné aux occupants d’en sortir. Le plaignant a refusé d’obtempérer à l’ordre de l’AI de se coucher au sol et, pendant l’échauffourée qui a suivi, il a subi une fracture à des côtes.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 4

Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 0

Plaignante

Homme de 38 ans, qui a participé à une entrevue et pour qui le dossier médical a été obtenu et examiné

Témoins civils

TC no 1 A participé à une entrevue

TC no 2 A participé à une entrevue

TC no 3 N’a pas participé à une entrevue

TC no 4 N’a pas participé à une entrevue

TC no 5 A participé à une entrevue

TC no 6 A participé à une entrevue

Agents témoins

AT no 1 A participé à une entrevue

AT no 2 A participé à une entrevue

AT no 3 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été obtenues et examinées

Agents impliqué

AI no 1 A participé à une entrevue, mais n’a pas consenti à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué..

Éléments de preuve

Les lieux

diagramme de scène

(disponible en anglais seulement)

L’UES a ratissé le secteur à la recherche d’éléments de preuve sous forme d’enregistrements audio ou vidéo ou de photographies, mais elle n’a rien trouvé.

Éléments obtenus auprès du service de police

L’UES a demandé les documents suivants au détachement de l’O.P.P., qu’elle a obtenus et examinés :

  • le système de répartition assisté par ordinateur – rapport détaillé de l’appel
  • le registre de divulgation
  • les notes de témoin d’un employé non désigné de la police
  • les notes des AT nos 1, 2 et 3
  • le rapport de registre de prisonniers
  • les déclarations de témoin du TC no 2
  • les déclarations de témoin du TC no 3
  • les déclarations de témoin du TC no 4
  • la déclaration de témoin de la conjointe du plaignant, et
  • la déclaration de témoin du propriétaire inscrit de la camionnette rouge de marque Dodge et de la Jeep grise (PI)

Description de l’incident

Le 13 février 2016, au petit matin, le plaignant et le TC no 1 sont entrés dans une résidence de la ville de Mattawa. Une fois à l’intérieur, le plaignant et le TC no 1 se sont trouvés en présence des TC nos 2 et 4, tandis que le TC no 3 était caché dans le sous-sol. Il y a eu une bagarre, et le plaignant ainsi que le TC no 1 se sont enfuis dans une camionnette de marque Dodge. Les résidents ont alors appelé le 911.

Lorsqu’il a reçu les renseignements relatifs à l’appel du 911, l’AI s’est rendu sur les lieux pour parler avec les TC nos 2, 3 et 4. D’après ce qu’il a appris, l’AI a jugé que le plaignant était impliqué dans l’incident. Peu après, il a retrouvé le plaignant et le TC no 1 dans une Jeep grise immatriculée au nom du PI. Puisque l’AI était seul et que, selon les renseignements qu’il avait reçus, le plaignant et le TC no 1 étaient armés et avaient notamment une arme à feu, il a pris sa carabine avant d’ordonner au plaignant et au TC no 1 de sortir de leur véhicule.

Le plaignant et le TC no 1 ont obéi jusqu’à un certain point aux ordres de l’AI, qui leur a demandé de sortir de leur véhicule avec les mains en l’air et de venir vers lui à reculons, puis de se mettre à genoux. Une fois le plaignant à genoux, l’AI s’est servi de son pied pour forcer celui-ci à se plaquer au sol en lui frappant au dos. Le jour même, le plaignant a été transporté à l’hôpital et les radiographies ont révélé une fracture sans déplacement des 9e et 10e côtes.

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 25(1), Code criminel - Protection des personnes chargées de l’application et de l’exécution de la loi

25. (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :

  1. soit à titre de particulier;
  2. soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public;
  3. soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
  4. soit en raison de ses fonctions,

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Analyse et décision du directeur

Le 13 février 2016, l’opérateur du détachement de l’O.P.P. de North Bay a reçu un appel du 911. La personne qui appelait, soit le TC no 2, a indiqué que deux hommes avaient pénétré de force dans son domicile de la ville de Mattawa. Le TC no 2 a indiqué qu’un des hommes était armé d’une matraque. Deux unités ont été dépêchées à la suite de l’appel, soit l’AT no 1 ainsi que l’AI, et une fois à la résidence, l’AI a interrogé les trois personnes qui y vivaient et a appris, par les témoins nos 4 et 3 que l’un des intrus avait une arme à feu. L’AI s’est donc mis à la recherche des intrus et a arrêté une automobile conduite par le plaignant, avec le TC no 1 comme passager. Les deux occupants ont par la suite été arrêtés. La même journée, le plaignant a été conduit à l’hôpital, où on a diagnostiqué deux côtes fracturées.

Durant l’enquête par la police portant sur la prétendue invasion de domicile, qui a mené à l’enquête de l’UES, les TC nos 2, 3 et 4 ont chacun fait deux déclarations à la police, et le TC no 2 a fait une déclaration aux enquêteurs de l’UES. Au moment de l’enquête, les TC nos 3 et 4 étaient eux-mêmes sous garde pour des infractions très graves et n’étaient pas disponibles pour parler avec les enquêteurs. Après avoir examiné les six déclarations obtenues par la police et la déclaration faite à l’UES, je constate qu’il y a de nombreuses incohérences, non seulement entre les déclarations des différentes personnes, mais aussi à l’intérieur même des déclarations de chaque personne. Puisque les allégations relatives aux infractions du plaignant et du TC no 1 ne sont pas elles-mêmes d’une importance primordiale pour les besoins de l’enquête, je n’ai pas l’intention de les traiter à part, sauf que je dirais que je doute de la véracité des dires des trois personnes ayant alerté l’O.P.P. et du fait que des masques ou des armes à feu aient été utilisés dans la prétendue invasion de domicile. En dernière analyse, je considère toutefois que les agents de l’O.P.P se sont fiés aux renseignements qu’ils avaient obtenus en leur possession et que c’est ce qui a dicté leur intervention. C’est pourquoi je me baserai sur les renseignements reçus par l’AI, car c’est ce à quoi il s’est fié pour décider de la manière de procéder pour arrêter les deux hommes.

Pendant l’enquête, les enquêteurs de l’UES ont interrogé quatre témoins civils, dont le plaignant et trois témoins de la police, notamment l’AI. Les enquêteurs avaient également accès aux notes des agents, aux déclarations faites à la police pour l’enquête sur l’« invasion de domicile », les dossiers médicaux et l’enregistrement des communications. Il n’y avait pas d’enregistrements de vidéosurveillance ni d’autres enregistrements, et aucun témoin indépendant n’était présent durant l’arrestation en tant que telle. Les seuls témoins de l’incident faisant l’objet de l’enquête sont l’AI ainsi que le plaignant et le TC no 1. Fait étonnant, les témoignages concordent presque en tous points pour ce qui est de la séquence des événements, dont les détails figurent ci-dessous.

Dans sa déclaration aux enquêteurs, l’AI a indiqué qu’il avait reçu un appel à 2 h 50, le 13 février 2016 au matin. Il a alors appris que le TC no 2 avait signalé que deux hommes s’étaient introduits de force dans son domicile de la ville de Mattawa et qu’ils étaient armés d’une matraque. En se rendant à la résidence, l’AI a aussi appris que l’un des suspects était peut être une certaine personne (suspect initial). L’AI a signalé au répartiteur que c’était impossible, puisque le suspect initial avait été arrêté la semaine d’avant et qu’il était toujours incarcéré. L’AI a aussi été avisé que les suspects s’étaient enfuis dans une camionnette rouge de marque Dodge.

En arrivant à la résidence, l’AI a parlé aux trois personnes ayant alerté l’O.P.P. et il a indiqué qu’on lui avait dit que l’un des hommes avait une arme de poing qu’il avait brandie de manière menaçante au visage du TC no 3, que le TC no 4 avait été blessé (égratignure au mollet) durant une bataille ayant eu lieu dans la résidence, qu’il y avait eu une bagarre, que le TC no 2 avait donné des coups de poing aux suspects lorsqu’ils étaient sortis et qu’une personne portant le prénom du plaignant, qui était marié à une personne identifiée, était l’un des suspects. L’AI a signalé qu’après avoir noté les renseignements, il avait fait une vérification et qu’il avait obtenu comme résultat que le plaignant était un suspect possible. C’est alors que l’AT no 1 est arrivé à la résidence et, à 3 h 2, l’AI est parti seul à la recherche du véhicule. Après avoir fait une vérification, l’AI a appris qu’une camionnette rouge de marque Dodge était immatriculée au nom du propriétaire inscrit (PI). L’AI a mentionné qu’il s’était dit que le PI devait être avec le suspect initial la semaine d’avant, lorsqu’il avait été arrêté, et qu’il savait que le plaignant conduisait parfois les véhicules du PI et il est donc parti en direction de la résidence du PI pour essayer de trouver le véhicule suspect. Pendant qu’il était en route, il s’est arrêté à la station-service pour prendre sa carabine C8 dans le coffre de la voiture. Il voulait être préparé puisque, selon l’information qu’il avait, les suspects avaient une arme à feu. Il a ensuite poursuivi sa route en direction de la résidence du PI. L’AI a mentionné qu’il faisait -40 degrés ce soir-là, et il n’y avait donc personne dans les rues. Il a aperçu une petite Jeep grise sur une rue secondaire. Il a vérifié la plaque d’immatriculation, et il a appris que le véhicule était immatriculé au nom du PI. Il a ensuite entendu à la radio l’AT no 1, qui confirmait que les suspects de l’invasion de domicile avaient une arme à feu.

L’AI, le plaignant et le TC no 1 s’entendent tous sur la séquence des événements à partir de là. L’AI a activé ses gyrophares, et la Jeep s’est rangée sur le côté de la route. Le plaignant conduisait, et le TC no 1 était sur le siège passager avant. L’AI a allumé son projecteur en le dirigeant sur le véhicule, et les deux occupants sont sortis. L’AI a pris sa carabine, puisque les suspects étaient supposés avoir une arme à feu, et il s’est approché du véhicule. Il a crié à plusieurs reprises aux deux hommes de s’approcher de lui à reculons avec les mains en l’air. Le plaignant et le TC no 1 ont dit avoir l’impression de faire ce qui leur était demandé, tandis que l’AI les trouvait peu coopératifs, puisqu’ils ne cessaient de descendre leurs mains et de le regarder. L’AI a indiqué qu’il n’avait cessé de leur dire de regarder du côté opposé, car s’ils avaient une arme à feu et savaient exactement où il se trouvait, ils risquaient de le blesser. L’AI a dit qu’il avait dû crier sans cesse durant l’interaction, à un point tel qu’il avait pratiquement perdu la voix après l’incident. L’AI a déclaré avoir immédiatement avisé les deux hommes que l’arrestation était faite sous la menace d’une arme à feu. Ni le plaignant ni le TC no 1 ne se souviennent d’avoir entendu ces paroles exactes, mais ils ne contestent pas qu’ils savaient qu’ils étaient en joue. Ils conviennent également qu’ils se sont mis à genoux et que l’AI leur a ordonné de se coucher au sol.

D’après l’AI, les hommes ont refusé de se coucher au sol et le plaignant aurait même carrément dit « non », qu’il ne se coucherait pas au sol. L’AI a alors observé que les deux hommes ne le regardaient pas et il a saisi l’occasion pour se rapprocher d’eux rapidement, sa carabine à la main, pour pousser le plaignant au sol avec son pied gauche. Il a indiqué que le plaignant s’était alors étendu au sol, après quoi le TC no 1 avait fait de même par lui-même. L’AI s’est alors approché du TC no 1 et lui a ordonné de mettre ses mains dans son dos, puis il a mis sa carabine en bandoulière et a essayé de menotter le TC no 1. Celui-ci a retiré ses mains. C’est alors que l’AI s’est reculé, a repris sa carabine et a rappelé au TC no 1 qu’il s’agissait d’une arrestation faite sous la menace d’une arme et il lui a répété de mettre les mains derrière son dos, et le TC no 1 s’est alors exécuté. Durant l’interaction avec le TC no 1, le plaignant n’a pas bougé et est resté étendu sur le sol. L’AI a déclaré qu’il s’était alors approché du plaignant, que celui-ci avait mis les mains derrière son dos et que l’AI l’avait aussi menotté. Il a alors aidé les deux hommes à se relever, et l’AT no 1 est arrivé et a amené le plaignant dans sa voiture de police, tandis que le TC no 1 est parti dans la voiture de l’AI.

L’AI a déclaré qu’une fois le TC no 1 dans sa voiture, celui-ci a admis qu’il s’était rendu à la résidence, mais a nié avoir eu une arme à feu. Il a ajouté qu’il avait été invité à cette maison. L’AI a observé que le TC no 1 saignait, à cause d’une coupure au front. Lorsqu’il a demandé au TC no 1 comment il s’était fait cette blessure, celui-ci a répondu qu’il s’était fait frapper avec un manche à balai au-dessus de l’œil gauche. L’AI a précisé qu’il avait envoyé un message radio pour indiquer que les deux suspects avaient été arrêtés. Il a ensuite demandé une ambulance pour le TC no 1 et, lorsque les ambulanciers paramédicaux ont indiqué que des points de suture seraient nécessaires, l’AI a conduit le TC no 1 à l’hôpital. L’AI a indiqué que, pendant qu’ils étaient à l’hôpital, le TC no 1 lui a indiqué qu’il s’était rendu à cette maison avec le plaignant parce que celui-ci avait une liaison avec la TC no 4, qui était avec le TC no 3, et que le plaignant voulait régler ses comptes. Cette version des faits a été confirmée par la TC no 4, dans sa deuxième déclaration, qui contredit sa première déclaration, dans laquelle elle avait dit ne connaître aucun des deux hommes.

Le plaignant a déclaré qu’il avait reçu un coup de pied ou de genou aux côtes pendant qu’il se faisait menotter. L’AI a répété qu’il n’avait fait usage de sa force que pour plaquer le plaignant au sol à l’aide de son pied parce qu’il avait les mains occupées à cause de la carabine. Il a précisé qu’il visait le milieu du dos, entre les omoplates, et que c’est à cet endroit que son pied a touché au plaignant. L’AI est d’avis que la force qu’il a employée n’était pas suffisante pour fracturer des côtes, mais seulement pour plaquer le plaignant au sol.

Aucune arme à feu ni aucun masque n’ont été retrouvés dans la petite Jeep ni dans la camionnette rouge.

Les dossiers médicaux indiquent que le plaignant a subi une fracture sans déplacement des 9e et 10e côtes. Il n’existe pas de notes sur des remarques qu’aurait pu faire le plaignant sur la cause de cette blessure.

En évaluant la crédibilité des déclarations du plaignant et du TC no 1, je n’ai pas trouvé de contradictions majeures à l’intérieur des déclarations de chaque personne, entre celles de ces deux personnes ni entre leurs déclarations et celles de l’AI. Les seules véritables différences entre les déclarations de ces trois hommes ont trait aux détails du coup de pied ou de la poussée au dos du plaignant, et je considère que ces différences relèvent davantage de la perspective que d’un manque de franchise. Le fait que le plaignant n’a pas indiqué au personnel de l’hôpital que c’est l’agent qui avait causé sa blessure n’enlève rien à sa crédibilité, vu que les deux agents de l’O.P.P. étaient avec lui pendant ce temps. Je trouve notamment le témoignage du TC no 1 particulièrement convaincant, car il ne semble pas avoir exagéré la nature de la force qui a été employée contre lui, sa version des motifs de sa présence et de celle du plaignant à la résidence est confirmée par le TC no 4 et chaque détail de son témoignage est confirmé soit par le plaignant ou l’AI. Il n’a aucunement prétendu que des gestes de l’agent avaient été faits dans un esprit d’agressivité ou de pure brutalité.

Je considère, selon la prépondérance des probabilités, que le TC no 1 et le plaignant croyaient vraiment obéir aux ordres de l’AI et marchaient à reculons en direction de l’agent avec les mains en l’air, mais avaient de la difficulté à ne pas se retourner, parce qu’ils marchaient à reculons, ce sur quoi les trois hommes s’entendent. Je comprends que c’est naturel pour un être humain de regarder dans la direction où il va et vers la personne qui lui parle et que le TC no 1 comme le plaignant n’avaient pas l’impression de désobéir, même si l’AI croyait qu’ils refusaient de suivre ses ordres. Je suis aussi convaincu que le plaignant était toujours à genoux au moment où l’AI lui a donné un coup de pied ou une poussée pour qu’il s’étende par terre. Je juge, selon la prépondérance des probabilités, que l’AI avait l’intention de se servir de son pied pour pousser le plaignant au sol et qu’il a bien visé le haut du dos, entre les omoplates, mais je soupçonne toutefois que la poussée d’adrénaline qui se produit durant une arrestation très risquée faite sous la menace d’une arme par un agent qui se tient debout, avec un plaignant à genoux, tandis que l’agent doit tenir la carabine dans ses mains et que le sol est enneigé ou glacé, a pu amener l’agent à mal mesurer son geste et à frapper le plaignant dans le bas des côtes, comme le laisse soupçonner l’emplacement de la blessure.

Il est vrai que je m’interroge sur la prudence de l’AI, qui a décidé d’arrêter seul deux hommes prétendument armés alors qu’un deuxième agent aurait été disponible pour l’aider, ce qui l’a amené à se retrouver dans cette situation, où il tenait en joue deux hommes potentiellement armés à une température de -40 degrés, sans personne pour lui prêter assistance, et où il devait arrêter deux hommes en sachant qu’ils risquaient de faire feu sur lui, mais je reconnais néanmoins que tout à dû se passer très vite et que l’AI n’était pas en mesure de juger exactement où il frappait le plaignant avec son pied ni avec quelle force.

J’estime en outre que le plaignant a ensuite été arrêté sur-le-champ. L’AI a poussé le plaignant au sol, puis s’est placé sur lui pour lui passer les menottes. Malgré la déclaration de l’AI disant le contraire, je trouve difficile de croire que l’AI aurait laissé le plaignant, qui lui semblait résister à l’arrestation au point où il a dû faire usage de la force physique pour le faire coucher au sol, pour aller menotter en premier le TC no 1, qui s’était montré coopératif jusque-là.

Conformément au paragraphe 25(1) du Code criminel, des restrictions s’appliquent à l’usage de la force raisonnablement nécessaire que peuvent exercer les policiers pour l’exécution de leurs fonctions légales. Commençons par évaluer si l’arrestation du plaignant était légale. Il ressort clairement de l’information que possédait alors l’AI, qu’il avait des motifs raisonnables de croire que le plaignant venait de s’introduire par effraction dans une résidence [paragraphe 348(1)], d’aller de façon non légitime dans une maison d’habitation (article 34), de braquer une arme à feu (article 87) ou de se rendre coupable de port d’arme dans un dessein dangereux (article 88), toutes des actions interdites par le Code criminel. C’est donc dire que l’arrestation du plaignant dans les circonstances était pleinement justifiée.

Pour ce qui est du degré de force employé par l’AI pour tenter d’arrêter et de menotter le plaignant, un homme qui, selon l’information communiquée, pouvait être en possession d’une arme à feu et venait de commettre plusieurs infractions graves impliquant des actes de violence, j’estime que le comportement était justifié dans les circonstances, soit qu’il était le seul agent procédant à l’arrestation de deux hommes potentiellement armés et dangereux, qu’il se trouvait dans un endroit isolé par temps très froid et qu’il craignant à tout moment d’être dominé par l’un des deux hommes ou les deux et risquer de se faire tirer dessus et d’être tué. Dans ce contexte, je considère qu’il était impossible pour l’AI de mesurer de façon exacte la force employée pour venir à bout d’une situation très stressante qui semblait dangereuse. Pour parvenir à cette conclusion, je garde à l’esprit l’état du droit tel qu’il est présenté dans l’arrêt de la Cour suprême du Canada R. c. Nasogaluak, [2010] 1 R.C.S. 206, qui dit ceci :

Les actes des policiers ne devraient pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Il ne faut pas oublier que ceux-ci accomplissent un travail exigeant et dangereux et qu’ils doivent souvent réagir rapidement à des situations urgentes. Leurs actes doivent alors être appréciés selon ce que commande ce contexte difficile. Comme le juge Anderson l’explique dans R. c. Bottrell (1981), 60 C.C.C. (2d) 211 (C.A.C.-B.) :

[TRADUCTION] Pour déterminer si la force employée par le policier était nécessaire, les jurés doivent tenir compte des circonstances dans lesquelles le policier y a eu recours. Il aurait fallu leur indiquer qu’on ne pouvait s’attendre à ce que l’appelant mesure la force appliquée avec précision. [p. 218]

Dans le même ordre d’idées, la Cour d’appel de l’Ontario dans R. c. Baxter (1975) 27 C.C.C. (2d) 96 (C.A. Ont.) a jugé qu’il ne fallait pas évaluer le degré de force employé par les agents en se basant sur des normes de gentillesse.

Après avoir examiné tous les éléments de preuve, j’ai la conviction, pour les raisons exposées ci-dessus, que l’arrestation du plaignant et la manière dont elle s’est déroulée étaient conformes à la loi, malgré la blessure infligée. De plus, ayant jugé les témoignages du plaignant, du TC no 1 et de l’AI dignes de confiance, j’estime qu’il n’existe aucun motif valable de porter des accusations au criminel. Même si j’estime que l’AI n’a pas fait preuve d’un très bon jugement en procédant seul à l’arrestation de deux hommes armés en se plaçant inutilement dans une situation potentiellement dangereuse, je juge qu’une fois qu’il était dans la situation, ses actes étaient justifiés et n’étaient pas de nature à nécessiter la déposition d’accusations au criminel.

Date : 5 septembre 2017

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.