Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 16-OCI-047

Attention :

Cette page affiche un contenu graphique pouvant choquer, offenser et déranger.

Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu une allégation d’agression sexuelle.

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur les présumées blessures subies par un homme de 61 ans, alors qu’il était sous garde, le 12 janvier 2016, au cours d’une interaction avec des agents du Service de police de Sault Ste. Marie (SPSSM).

L’enquête

Notification de l’UES

L’UES a été avisée par le SPSSM des blessures graves subies par le plaignant, le 17 février 2016, à 15 h 57.

Selon le SPSSM, le plaignant l’a contacté le 17 février 2016 pour lui signaler que lorsqu’il a été arrêté, le 12 janvier 2016, à 19 h, il s’est cassé trois côtes après avoir dégringolé les marches du porche.

Le plaignant a expliqué au SPSSM qu’il était retourné plusieurs fois à l’hôpital depuis son arrestation et qu’on lui avait maintenant diagnostiqué trois côtes cassées. Le SPSSM a confirmé que le plaignant avait été arrêté le 12 janvier 2016, après qu’un membre de son ménage a appelé la police. Lorsque la police est arrivée sur les lieux, elle a trouvé le plaignant en état d’ébriété et il avait du sang sur les mains. Le plaignant était combatif et querelleur envers la police pendant son arrestation. Alors que la police tentait de faire sortir de force le plaignant de la cuisine pour le conduire sur le porche arrière, le plaignant est tombé sur les escaliers du porche. Après son arrestation, le plaignant a été conduit dans l’aire de détention du SPSSM. Le sergent d’état-major responsable de l’enregistrement au poste a remarqué les coupures sur les mains du plaignant et ce dernier s’est plaint de douleurs sur le côté. Le plaignant a alors été conduit à l’hôpital pour y être traité. Selon la police, le plaignant a été relâché de l’hôpital, sans qu’aucune blessure ne lui ait été diagnostiquée, à 1 h 30, et il a été transporté au centre de désintoxication pour hommes de Sault Ste. Marie.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 3

Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 0

Plaignant :

Homme de 61 ans; a participé à une entrevue, dossiers médicaux obtenus et examinés

Témoins civils

TC no 1  A participé à une entrevue

TC no 2  A participé à une entrevue

TC no 3  A participé à une entrevue

TC no 4  A participé à une entrevue

TC no 5  N’a pas participé à une entrevue[1]

TC no 6  N’a pas participé à une entrevue[2]

TC no 7  A participé à une entrevue

TC no 8  N’a pas participé à une entrevue[3]

Agents témoins

AT no 1  N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été obtenues et examinées, entrevue réputée pas nécessaire.

AT no 2  N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été obtenues et examinées, entrevue réputée pas nécessaire.

AT no 3  A participé à une entrevue

AT no 4  A participé à une entrevue[4]

Agent impliqué

AI A participé à une entrevue, mais n’a pas consenti à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.

Éléments de preuve

Les lieux

Il n’y avait aucun lieu à examiner, car l’incident s’est produit 37 jours avant la notification à l’UES.

Le secteur de l’incident se résumait à quatre marches d’escalier en bois, extérieures, bordées d’une rampe et rattachées à l’arrière d’une résidence de deux étages à Sault Ste. Marie, qui atterrissaient sur une dalle en béton plate et rectangulaire, d’une surface d’environ 1,49 mètre carré. Le bord de la dalle sur laquelle l’omoplate droite du plaignant a atterri lorsqu’il a trébuché des marches était légèrement surélevé par rapport aux trois autres bords.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio et de photographies

Les enquêteurs de l’UES ont fait le tour du secteur à la recherche d’éléments de preuve sous forme d’enregistrements audio ou vidéo ou de photographies, mais n’ont rien trouvé de pertinent.

Éléments obtenus auprès du service de police

L’UES a demandé les documents suivants au SPSSM, qu’elle a obtenus et examinés :

  • Rapport d’arrestation avec le synopsis du mémoire de la Couronne,
  • Rapport d’arrestation dactylographié,
  • Chronologie des événements,
  • Registre de détention – biens – 12 janvier 2016,
  • Lettre de divulgation – 8 mars 2016,
  • Détails sur les faits,
  • Notes – AT no 1, AT no 2 et AT no 3,
  • Rapport d’incident,
  • Résumés d’incident du plaignant,
  • Résumé d’incident,
  • Incidents datés de 2014 – 2016 du plaignant, et
  • Vidéo de l’enregistrement au poste de police.

L’UES a demandé les documents additionnels suivants, qu’elle a obtenus et examinés :

  • Rapports de la demande d’ambulance aux Sault Area Emergency Medical Service (SAEMS).

Description de l’incident

Le 12 janvier 2016, le plaignant se trouvait dans la résidence qu’il partageait avec le TC no 3, à Sault Ste. Marie. Le plaignant buvait de la bière avec les TC no  3, no  4 et no 8. Le TC no 4 et le plaignant ont commencé à se bagarrer et le TC no 3 a appelé le 9-1-1 pour demander que des agents du SPSSM viennent sur les lieux pour faire sortir le plaignant de sa résidence. Le plaignant et le TC no 4 ont tous deux été blessés à la suite de la bagarre.

L’AI et l’AT no 4 sont arrivés sur les lieux et ont avisé le plaignant qu’il devait quitter la résidence pour être transporté au centre de désintoxication pour hommes. Le plaignant a commencé à menacer les policiers et à leur crier des obscénités. Il a tenté d’attraper un pot contenant des couteaux et fourchettes, qui se trouvait sur le comptoir de la cuisine. À ce moment-là, l’AI et l’AT no 4 ont attrapé le plaignant et l’ont escorté jusqu’à l’extérieur. Alors qu’il descendait les escaliers, à l’arrière de la résidence, le plaignant a fait une chute, atterrissant sur la dalle en béton qui se trouvait au bas des escaliers.

Le plaignant a été arrêté pour violation de la paix en vertu de l’article 31 du Code criminel, menotté et transporté au poste de police. En raison des blessures que le plaignant a subies lors de son altercation avant l’arrivée des policiers et de sa plainte, au poste de police, que les agents l’avaient jeté en bas des escaliers et qu’il s’était blessé aux côtes, le plaignant a été transporté à l’hôpital qui a confirmé qu’il n’avait aucune pathologie.

Toutefois, le 16 janvier 2016, le plaignant est retourné à l’hôpital de son propre gré. On lui a diagnostiqué trois fractures postéro-latérales de ses cinquième, sixième et septième côtes.

Dispositions législatives pertinentes

Article 31, Code criminel3 – Violation de la paix

31(1) n agent de la paix qui est témoin d’une violation de la paix, comme toute personne qui lui prête légalement main-forte, est fondé à arrêter un individu qu’il trouve en train de commettre la violation de la paix ou qu’il croit, pour des motifs raisonnables, être sur le point d’y prendre part ou de la renouveler.

31(2) Tout agent de la paix est fondé à recevoir en sa garde un individu qui lui est livré comme ayant participé à une violation de la paix par quelqu’un qui en a été témoin ou que l’agent croit, pour des motifs raisonnables, avoir été témoin de cette violation.

Paragraphe 25(1), Code criminel3 - Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :

  1. soit à titre de particulier;
  2. soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public;
  3. soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public;
  4. soit en raison de ses fonctions,

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Analyse et décision du directeur

Le vendredi 17 février 2016, à 15 h 57, le SPSSM a avisé l’UES que le plaignant avait déclaré que le 12 janvier 2016 il avait été arrêté pour violation de la paix, en vertu de l’article 31 du Code criminel, par l’AI et l’AT no 4, à 19 h, à Sault Ste. Marie, au domicile du TC no 3. Le plaignant a informé le SPSSM que lorsque l’AI et l’AT no 4 l’avaient attrapé pour le faire sortir de la résidence, alors qu’il descendait les escaliers à l’arrière de la résidence, il a trébuché dans les escaliers et est tombé sur la dalle en béton au bas des escaliers. Le plaignant a subi trois fractures postéro-latérales des cinquième, sixième et septième côtes, qui lui ont été diagnostiquées par un médecin à l’hôpital, quatre jours plus tard, le 16 janvier 2016.

Il est important de signaler avant toute analyse que les explications de la cause exacte de la chute du plaignant sur les escaliers sont conflictuelles. En conséquence, la détermination exacte des faits dépendra en fin de compte de la crédibilité et de la fiabilité des témoins.

À 18 h 42, le TC no 3 a appelé le 9-1-1 pour demander que des agents du SPSSM viennent sur les lieux pour faire sortir le plaignant de sa résidence. L’appel a duré moins qu’une minute. Le plaignant était en état d’ébriété et une bagarre a éclaté entre le TC no 4 et le plaignant. L’AI et l’AT no 4 sont arrivés sur les lieux. Comme les agents de police avaient déjà eu des contacts avec le plaignant, ils savaient qu’ils devaient pénétrer dans la maison par la porte arrière qui ouvrait directement sur la cuisine. L’AT no 4 a remarqué que la main du plaignant était enveloppée d’un papier essuie-tout; il y avait des taches de sang sur le sol de la cuisine et le TC no 3 a déclaré que le plaignant cherchait la bagarre avec tous les occupants de la maison. L’AI et l’AT no 4 ont avisé le plaignant qu’il devait quitter la résidence pour être transporté au centre de désintoxication pour hommes. Pendant les dix minutes qui ont suivi, le plaignant a proféré des menaces d’un air belliqueux à l’encontre des policiers et en leur criant des obscénités. Il a tenté d’attraper un pot contenant des couteaux et fourchettes, qui se trouvait sur le comptoir de la cuisine. À ce moment-là, l’AI et l’AT no 4 ont attrapé le manteau d’hiver du plaignant et ont escorté ce dernier vers la porte de la cuisine, à l’arrière de la maison. L’AI a affirmé qu’il se trouvait derrière le plaignant, du côté gauche de son corps, et que l’AT no 3 les a suivis jusqu’au petit porche en bois conduisant à quatre marches d’escaliers bordées d’une rampe de bois, qui atterrissaient sur une dalle en béton plate et rectangulaire, d’une surface d’environ 1,49 mètre carré. L’AI a indiqué que le plaignant et lui-même faisaient face aux marches descendantes.

Les témoignages de l’AI et de l’AT no 4 contredisaient considérablement le témoignage du plaignant. Lorsqu’ils sont sortis de la cuisine par la porte arrière conduisant aux escaliers, l’AI tenait le bras droit du plaignant. Le plaignant et l’AT no 4 se tenaient légèrement derrière l’AI sur le porche. L’AI a expliqué que les quatre ou cinq marches n’étaient pas assez larges pour contenir deux personnes à la fois côte à côte. Lorsqu’il se trouvait sur le porche en bois, près de la première marche d’escalier, l’AI a glissé, sans tomber, sur la neige et il a attrapé la rampe avec sa main droite pour éviter que lui et le plaignant ne tombent dans les escaliers. À ce moment-là, l’AI a lâché le bras du plaignant qui a continué son élan vers l’avant. Sur la première ou la deuxième marche, l’AI a remarqué que le plaignant perdait l’équilibre et qu’il tombait en avant, les mains et les bras pliés sur sa poitrine, sur la dalle en béton au bas des marches[5]. L’AI a relevé qu’il y avait de la neige sur les marches ainsi que sur la dalle en béton et il a estimé que le plaignant avait fait une chute d’environ 60 cm du sol et d’environ 1,5 mètres par terre. L’AT no 4 a fait remarquer que le plaignant avait déclaré qu’il croyait que l’AI et l’AT no 4 l’avaient poussé en bas des escaliers.

Devant l’AT no 3, le plaignant s’est plaint de fortes douleurs causées par les actes de l’AI et de l’AT no 4, qui lui avaient causé des blessures aux côtes et des coupures au visage. L’AT no 3 a remarqué que le plaignant était très ivre, querelleur, agité, parfois incompréhensible et qu’il jurait et criait. L’AT no 3 a ordonné qu’une ambulance transporte le plaignant à l’hôpital. L’AI et l’AT no 4 se sont tous deux rendus à l’hôpital[6].

À 19 h 50, le 12 janvier 2016, le plaignant a été examiné par le TC no 1 à l’hôpital. Le TC no 1 a observé que n’importe quel mouvement causait des douleurs au plaignant, surtout vers le milieu du dos, au toucher. Le TC no 1 a également relevé qu’à part une légère odeur d’alcool sur l’haleine du plaignant, l’état physique du plaignant était normal[7]. Le TC no 1 a informé le plaignant qu’il aurait des ecchymoses sur le côté[8]. À ce moment-là, le plaignant riait et accusait l’AI et l’AT no 4 de l’avoir jeté en bas des escaliers. Le plaignant n’a pas été accusé d’une infraction criminelle. L’AI et l’AT no 4 l’ont conduit au centre de désintoxication. Le 13 janvier 2016, le plaignant a quitté le centre de désintoxication.

Le 16 janvier 2016, vers 14 h 15, le plaignant est retourné à l’hôpital. Il présentait des symptômes que le TC no 2 a diagnostiqués comme étant des douleurs pleurétiques et des douleurs sur les côtes droites sous l’omoplate droite. Après son examen, le TC no 2 a relevé que le plaignant n’était pas en détresse aiguë. Lorsque le TC no 2 appuyait sur les côtes du plaignant, latéralement et antéro-postéro-latéralement, ce dernier ne ressentait aucune douleur. Le TC no 2 a observé une grande ecchymose sur le biceps gauche du plaignant et une autre sur le côté gauche de sa poitrine. Un examen radiologique et une tomodensitométrie ont révélé que le plaignant avait trois côtes cassées sur le côté droit. Le plaignant a été libéré de l’hôpital à 15 h 31.

L’UES a demandé au TC no 7 de lui fournir son opinion d’expert sur la cause des fractures des côtes du plaignant. Le TC no 7 a examiné les dossiers de l’hôpital et l’imagerie diagnostique; il a confirmé les fractures des côtes sur le côté droite, à savoir la 5e, la 6e et la 7e côte – dans la cage thoracique postéro-latérale du plaignant; il a également confirmé quelque déplacement vers le haut de la partie proximale des côtes. D’après l’opinion du TC no 7, il semble que le déplacement ait pu être causé soit sous l’effet du mouvement des muscles de la cage thoracique soit par la chute du plaignant sur une surface dure, partiellement surélevée, où il a atterri sur son omoplate droite, et que les blessures par coup contondant aient été causées soit par une force appliquée directement sur le corps du plaignant soit par un objet ou une personne, et plus probablement, que la force appliquée sur les côtes a découlé du choc contre une surface dure comme le coin d’un bureau. Si les blessures du plaignant se sont produites lorsqu’il est tombé du porche, d’après l’opinion du TC no 7, les blessures correspondent à la version des faits de l’AI et de l’AT no 4. Cependant, étant donné l’opinion médicale du TC no 1, qui semble suggérer que le 12 janvier, le plaignant ne montrait aucun signe de blessure aux côtes ou de douleurs, il est raisonnablement possible qu’entre le 12 et le 16 janvier 2016, le plaignant ait subi d’autres blessures.

Pour conclure, cela étant dit et après avoir examiné attentivement tous les éléments de preuve, je suis convaincu que les preuves ne suffisent pas pour me donner de bonnes raisons de croire que l’AI a commis une infraction criminelle. Aux termes du paragraphe 25 (1) du Code criminel, les agents de police ont le droit d’employer la force dans l’exécution de leurs fonctions légales pour autant que la force en question soit raisonnablement nécessaire dans les circonstances.

À mon avis, la force que l’AI et l’AT no 4 ont employée pour appréhender le plaignant était raisonnable dans toutes les circonstances. Pour arriver à cette conclusion, je tiens compte de l’interprétation de la loi telle que l’a énoncée la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Nasogaluak [2010] 1 R.C.S. 206, à savoir :

Les actes des policiers ne devraient pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Il ne faut pas oublier que ceux-ci accomplissent un travail exigeant et dangereux et qu’ils doivent souvent réagir rapidement à des situations urgentes. Leurs actes doivent alors être appréciés selon ce que commande ce contexte difficile. Comme le juge Anderson l’explique dans R. c. Bottrell 1981 CanLII 352 (BC C.A.), (1981), 60 C.C.C. (2d) 211 (C.A.C. -B.) :

[traduction] Pour déterminer si la force employée par le policier était nécessaire, les jurés doivent tenir compte des circonstances dans lesquelles le policier y a eu recours. Il aurait fallu leur indiquer qu’on ne pouvait s’attendre à ce que l’appelant mesure la force appliquée avec précision. [p. 218] [p. 218] la jurisprudence établit clairement que même si la conduite en question doit être proportionnée par rapport à la tâche à exécuter, il n’est pas attendu que les agents de police mesurent exactement la portée du degré de la force employée ou qu’ils soient jugés par rapport à une norme de perfection.

Il est incontestable que selon les preuves il y a deux explications conflictuelles de la cause de la chute du plaignant sur les marches d’escalier. Il est évident que la masse et l’élan du plaignant dans sa chute constitueraient des facteurs contributifs liés aux blessures aux côtes, en présumant que ces blessures ont été subies au cours de l’interaction entre le plaignant et l’AI et l’AT no 4. Il y a lieu de préciser que le plaignant avait été impliqué dans une bagarre violente, qui a au moins causé des lacérations au visage et à un doigt du plaignant, et la fracture d’une dent du TC no 3. Il est important de signaler que cette bagarre a eu lieu quelques instants avant l’arrivée de l’AI et de l’AT no 4. L’opinion d’expert du TC no 7 énonce le scénario le plus susceptible, selon les faits que nous connaissons, d’avoir causé les blessures subies par le plaignant d’un point de vue médical. Il est tout aussi important de souligner la possibilité, qu’entre le 12 et le 16 janvier 2016, le plaignant ait subi d’autres blessures. Étant donné la volatilité du style de vie du plaignant, cette possibilité est hautement pertinente, surtout que depuis la nuit en question, le plaignant a indiqué au TC no 1 qu’il ressentait des douleurs au milieu du dos au toucher et qu’il ne s’est pas plaint de blessures aux côtes. Par ailleurs, le TC no 1 a précisé que la respiration du plaignant était normale. Si ses côtes avaient été blessées le 12 janvier, il est improbable que sa respiration n’en ait pas été affectée. Cependant, si l’on présume que le plaignant a subi ses blessures aux côtes pendant son interaction physique avec la police[9], la question à trancher demeure la même : qu’est-ce qui a causé la perte d’équilibre du plaignant et sa chute sur la dalle en béton au pied des marches d’escalier.

À mon avis, les témoignages du plaignant, du TC no 3 et du TC no 4 étaient vagues, incohérents, réticents et pas fiables. L’ébriété, l’agitation et l’écoulement de 37 jours entre l’incident et le signalement à l’UES ont certainement gravement affecté tout souvenir précis que le plaignant pourrait avoir des événements du 12 janvier 2016. Lorsqu’ils se trouvaient dans la cuisine pour arrêter le plaignant, la seule force que l’AI et l’AT no 4 ont employée a été pour attraper les bras du manteau d’hiver que portait le plaignant de peur que ce dernier tente de se saisir d’un ustensile de cuisine et de l’utiliser agressivement contre eux. À ce moment-là, le plaignant n’était pas menotté. Le plaignant ne se souvient pas comment et dans quelles circonstances il est tombé des escaliers. La seule certitude que le plaignant a au sujet de ce qui a causé sa chute dans les escaliers lui a été communiquée par le TC no 8. Malheureusement, le TC no 8 n’a pas fait de déclaration aux enquêteurs de l’UES, malgré les nombreux appels téléphoniques de suivi des enquêteurs de l’UES, ce qui suscite d’importants doutes quant à la crédibilité et la fiabilité de l’information qu’il a fournie au plaignant.

Le dossier de la preuve du plaignant propose plusieurs scénarios possibles pour expliquer comment il est tombé des escaliers, qui sont tous incohérents et peu fiables. Cependant, les témoignages de l’AI et de l’AT no 4 étaient en gros cohérents au sujet de la cause de la chute du plaignant dans les escaliers. Alors qu’il descendait les marches après le trébuchement de l’AI sur la première marche, le plaignant est tombé en avant sur les autres marches et a atterri sur la dalle en béton. À mon avis, en tombant en avant, le plaignant ne pouvait pas voir les réactions de l’AI et de l’AT no 4 au même moment. Je pense que l’AI et l’AT no 4 tentaient d’escorter le plaignant en toute sécurité sur les marches, car il était dans un état d’ébriété assez profond, qu’il était agité et qu’il était fâché d’avoir été sorti de chez lui. D’après moi, le fait que l’AI ait glissé sur les marches, ce qui a causé la perte d’équilibre chez le plaignant, était un accident et pas une tentative de jeter le plaignant en bas des escaliers.

En ce qui concerne la question de la neige sur les marches et sur la dalle en béton, dans ses notes préparées le 12 janvier 2016 et dans son entrevue avec les enquêteurs de l’UES, l’AI a indiqué qu’il y avait de la neige sur la dalle en béton au bas des escaliers. L’AT no 4 a corroboré le témoignage de l’AI en se souvenant que le porche en bois et la dalle en béton étaient recouverts de neige.

Lors de son entrevue avec l’UES, l’AT no 4 a fait observer qu’il avait l’habitude de prendre des notes détaillées dans son cahier; toutefois, contrairement à son affirmation qu’il avait suivi le protocole du SPSSM qui exige que les agents conservent leur cahier de notes soit dans leur casier personnel soit à l’extérieur du bureau du sergent d’état-major dans une boîte, son cahier de notes manquait et à l’heure de la rédaction du présent rapport, il n’avait toujours pas été retrouvé. Ainsi, à un moment important, des preuves potentiellement corroborantes ont été perdues dans cette affaire. Cette perte n’est pas seulement malheureuse, elle risque également, dans certaines circonstances, d’empêcher l’UES de confirmer ou de vérifier l’exactitude de la déclaration de l’AT, surtout à l’égard du signalement tardif d’une blessure possible. J’enverrai une lettre au chef de police du SPSSM pour lui recommander de mettre en place un protocole plus rigoureux afin d’éviter qu’une situation semblable se reproduise.

Malgré cette préoccupation, dans l’analyse finale, je suis convaincu que pour les raisons qui précèdent, l’arrestation du plaignant et la façon dont elle s’est déroulée étaient légales, en dépit de la blessure qu’il a subie. Dans les circonstances de l’espèce, je parviens à cette conclusion même si je décidais que les agents avaient causé la blessure, ce que je ne suis pas enclin à faire. En conséquence, j’ai des motifs raisonnables d’être convaincu que les actes de l’AI et de l’AT no 4 entrent dans les limites prescrites par le droit criminel. Par conséquent, en ce qui concerne l’AI, j’estime qu’il n’y a aucune raison de déposer des accusations dans ce cas.

Date : 5 septembre 2017

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) [1] TC no 5 : a refusé de participer à une entrevue avec l’UES et a déclaré qu’elle n’avait rien à ajouter à l’enquête. [Retour au texte]
  • 2) [2] TC no 6 : a refusé de participer à une entrevue avec des enquêteurs. [Retour au texte]
  • 3) [3] TC no 8 : a refusé initialement de participer à une entrevue avec l’UES. De nombreuses tentatives de contacter le TC no 8 sont restées vaines et en conséquence aucune entrevue n’a eu lieu. [Retour au texte]
  • 4) [4] AT no 4 : n’a pas remis à l’UES une copie de ses notes pertinentes pour l’incident, car son cahier de notes avait disparu au moment de l’entrevue et de la préparation du rapport d’enquête. [Retour au texte]
  • 5) [5] Sur l’aspect spécifique de la chute du plaignant dans les escaliers, le témoignage de l’AT no 4 corrobore celui de l’AI. [Retour au texte]
  • 6) [6] L’AT no 3 a été informé par la suite que le plaignant avait peut-être des côtes blessées, mais pas cassées, et qu’un bandage entourait son doigt. L’AT no 3 a été informé que le plaignant avait reçu un bon bilan de santé à l’hôpital. En conséquence, l’AT no 3 a conclu qu’il n’était pas nécessaire d’aviser l’UES. [Retour au texte]
  • 7) [7] Le TC no 1 a ordonné une tomodensitométrie de la tête du plaignant. Les résultats étaient normaux. [Retour au texte]
  • 8) [8] Cependant, le TC no 1 a déclaré que, d’après son avis médical, la partie douloureuse sur le corps du plaignant, le 12 janvier 2016, se trouvait à un endroit qui n’avait rien à voir avec les trois fractures de côtes sur le côté droit de son corps. [Retour au texte]
  • 9) [9] Et si l’on accepte l’opinion du TC no 7 au sujet de la cause la plus probable des blessures du plaignant. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.