Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 16-TCI-165

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Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu une allégation d’agression sexuelle.

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur les blessures graves subies par un homme de 60 ans lors de son arrestation, le 24 juin 2016, pour voies de fait et voies de fait contre un agent de la paix.

L’enquête

Notification de l’UES

Le Service de police de Toronto (SPT) a avisé l’UES le 24 juin 2016, à 20 h 40, des blessures sous garde du plaignant.

Le SPT a donné le rapport suivant : des agents se sont rendus à la station de métro de la TTC au 370, avenue St. Clair Ouest, en réponse au signalement de deux hommes qui se battaient dans le métro. Deux agents du SPT ont vu l’un des hommes, identifié par la suite comme étant le plaignant, qui marchait le long de l’avenue St. Clair Ouest. Lorsque les agents ont tenté de l’arrêter, le plaignant a agressé une agente de police et a essayé de s’emparer de son arme. Une lutte violente s’est ensuivie; le plaignant s’est évanoui et, par la suite, a été emmené à l’hôpital.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 4

Nombre de spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 1

Plaignant Homme de 60 ans; a participé à une entrevue et ses dossiers médicaux ont été reçus et examinés

Témoins civils

TC no 1 A participé à une entrevue

TC no 2 A participé à une entrevue

TC no 3 A participé à une entrevue

TC no 4 A participé à une entrevue

Agents témoins

AT no 1 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées

AT no 2 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées

AT no 3 A participé à une entrevue

AT no 4 A participé à une entrevue

AT no 5 A participé à une entrevue

AT no 6 A participé à une entrevue

AT no 7 A participé à une entrevue

AT no 8 A participé à une entrevue

AT no 9 A participé à une entrevue

En outre, l’UES a reçu et examiné les notes d’un autre agent qui n’avait pas été désigné.

Agent impliqué

AI A participé à une entrevue; ses notes ont été reçues et examinées.

Éléments de preuve

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio et de photographies

Les enquêteurs de l’UES ont fait le tour du secteur à la recherche d’enregistrements audio ou vidéo ou de photographies, mais n’ont rien trouvé.

Résumé de la séquence vidéo de la caméra de la voiture de police :

Ce qui suit est une description succincte de la vidéo de la caméra de la voiture de police de l’AT no 9. Les heures indiquées correspondent à l’horodatage sur la vidéo :

17 h 58 min 35 s
l’AT no 9 fait demi-tour sur l’avenue St. Clair Ouest, d’est en ouest;
17 h 58 min 50 s
l’AT no 9 immobilise son véhicule le long de la chaussée, en empiétant sur le trottoir;
17 h 59 min 10 s
le plaignant marche vers l’ouest sur le trottoir et passe à la hauteur du véhicule de police. L’AT no 9 et l’AI sortent du véhicule et s’approchent du plaignant. Ils parlent au plaignant sur le trottoir, tout en restant à environ un mètre de lui. L’AT no 9 est à sa droite et l’AI à sa gauche;
17 h 59 min 24 s
le plaignant s’avance vers l’AT no 9 et lui donne un coup sur le côté gauche du visage avant de se tourner vers l’AI;
17 h 59 min 26 s
le plaignant se retourne vers l’AT no 9 et lui donne un coup de poing de la main droite sur le côté gauche de la tête;
17 h 59 min 30 s
les deux agents se battent avec le plaignant parce qu’il essaie de les frapper;
17 h 59 min 50 s
l’AI donne deux coups de la main dans le torse du plaignant;
17 h 59 min 53 s
l’AI donne quatre coups de poing à la tête du plaignant, sans effet apparent sur ce dernier;
18 h 00 min 02 s
L’AI donne deux coups de poing à l’arrière de la tête du plaignant;
18 h 00 min 04 s
L’AI frappe le plaignant 14 fois au visage avant qu’il ne s’effondre. Les deux agents se placent ensuite au-dessus du plaignant pour le menotter;
18 h 00 min 32 s
le TC no 2 s’approche et aide les policiers à maintenir plaignant à terre. Peu après, d’autres policiers arrivent sur les lieux;
18 h 10 min 18 s
On aide le plaignant à se relever, on le fouille et on le place à l’arrière du véhicule de police de l’AT no 9. Le plaignant dit qu’il est désolé et parle de ses troubles mentaux. Sa respiration est bruyante;
18 h 14 min 25 s
Des ambulanciers ouvrent la porte du véhicule de police et parlent au plaignant. Le plaignant leur dit qu’il a une fracture à la mâchoire et qu’il s’est évanoui. Il leur dit aussi qu’il a eu des hallucinations. Il ajoute qu’il n’a pas bien dormi ces derniers temps en raison de travaux dans sa résidence;
18 h 32 min 35 s
On fait sortir le plaignant du véhicule pour le placer dans l’ambulance.

Enregistrements des communications

Les enregistrements des communications confirment les déclarations des agents témoins.

Documents obtenus auprès du Service de police

L’UES a demandé les documents suivants au SPT, qu’elle a obtenus et examinés :

  • Communications – résumé de la conversation;
  • Système Intergraph de répartition assisté par ordinateur – rapports des détails de l’événement;
  • Notes des agents témoins 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 et 9;
  • Procédure – utilisation de la force (y compris les annexes A et B).

Description de l’incident

Juste avant 18 h, le 24 juin 2016, le plaignant a agressé un autre homme à la station de métro St. Clair Ouest. L’autre homme a appelé le 9-1-1. L’AI et l’AT no 9 ont été envoyés sur place et ont repéré le plaignant qui marchait dans le secteur, le long de l’avenue St. Clair Ouest. L’ AT no 9 a demandé au plaignant s’il avait été impliqué dans une agression, et le plaignant a admis que c’était le cas. Le plaignant a alors, sans raison apparente, frappé l’AT no 9 au visage, puis lui a donné un autre coup sur la tête. Une lutte s’est ensuivie entre le plaignant et les agents; l’AT no 9 était inquiète parce que le plaignant semblait vouloir s’emparer de son arme à feu. L’AI est intervenu et a frappé le plaignant plusieurs fois, sans effet. L’AI a ensuite donné 14 coups au plaignant qui a fini par s’évanouir. Le TC no 2 a aidé les deux agents à menotter le plaignant.

Des ambulanciers sont arrivés sur les lieux et ont conduit le plaignant à l’hôpital où il a été déterminé qu’il avait plusieurs fractures mandibulaires (mâchoire inférieure). L’AT no 9 a également été emmenée à l’hôpital; sa tempe gauche et son front étaient enflés, douloureux et meurtris, sa tempe droite était douloureuse et sa main avait des égratignures.

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 25 (1), Code criminel – Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :

  1. a) soit à titre de particulier;
  2. b) soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public;
  3. c) soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
  4. d) soit en raison de ses fonctions,

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Paragraphe 270 (1), Code criminel – Voies de fait contre un agent de la paix

249 (1) Commet une infraction quiconque exerce des voies de fait :

  1. a) soit contre un fonctionnaire public ou un agent de la paix agissant dans l’exercice de leurs fonctions, ou une personne qui leur prête main-forte;
  2. b) soit contre une personne dans l’intention de résister à une arrestation ou détention légale, la sienne ou celle d’un autre, ou de les empêcher;
  3. c) soit contre une personne, selon le cas :
    1. (i) agissant dans l’exécution légale d’un acte judiciaire contre des terres ou des effets, ou d’une saisie,
    2. (ii) avec l’intention de reprendre une chose saisie ou prise en vertu d’un acte judiciaire.

Analyse et décision du directeur

Le 24 juin 2016, l’AI et l’AT no 9 se sont rendus à la station de métro de l’avenue St. Clair Ouest, à l’intersection de l’avenue West Hills, à Toronto, en réponse à l’appel au 9-1-1 d’un homme qui venait d’être agressé. À leur arrivée, ils ont tenté de parler avec le plaignant, qui correspondait à la description qu’on leur avait donnée de l’agresseur, et lui ont demandé s’il avait agressé quelqu’un. Le plaignant a répondu par l’affirmative et a donné un coup de poing au visage de l’AT no 9. Les agents ont ensuite placé le plaignant en état d’arrestation pour avoir agressé un agent de la paix, après quoi le plaignant a été transporté à l’hôpital où il a été constaté qu’il avait la mâchoire fracturée.

Au cours de cette enquête, outre le plaignant, quatre témoins civils ont été interrogés, ainsi que l’AI et sept agents témoins. De plus, les enquêteurs disposaient de la vidéo prise par la caméra du véhicule de police de l’AI et de l’AT no 9, ainsi que l’enregistrement des communications et les notes relatives à l’incident de tous les agents concernés. Sur cette base, et avec très peu de doutes sur les détails de l’interaction entre les agents et le plaignant, les enquêteurs ont pu établir assez précisément ce qui s’est passé le 24 juin 2016.

La vidéo de la caméra du véhicule de l’AI et de l’AT no 9, entrecoupée des communications radio, révèle ce qui suit :

  • Les deux agents sortent de leur véhicule et s’approchent du plaignant à 17 h 59 min 11 s et ils semblent échanger quelques propos avec le plaignant. Il ressort clairement de la vidéo que le plaignant, compte tenu de sa forte taille et de sa corpulence, a un avantage sur les deux agents;
  • On voit l’AI reculer sur la chaussée pour s’éloigner du plaignant, puis se rapprocher;
À 17 h 54 min 59 s,
un homme a appelé le 9-1-1 demandant l’intervention de la police parce qu’un homme dans la rue lui avait marmonné quelque chose et, quand il lui a demandé ce qu’il disait, cet homme l’avait violemment giflé. Il a qualifié l’homme d’assez violent, affirmant qu’il n’avait jamais vu personne d’aussi violent;
À 17 h 55 min 53 s,
l’appel est lancé. L’AI et l’AT no 9 y répondent et se rendent sur les lieux;
À 17 h 58 min 53 s,
on voit le véhicule de police des agents s’arrêter sur le côté droit de la rue et le plaignant qui passe à côté en marchant;
À 17 h 59 min 24 s,
on voit le plaignant frapper l’AT no 9 au visage;
À 17 h 59 min 26 s,
le plaignant donne un coup de poing à l’AT no 9, sur le côté de la tête;
À 17 h 59 min 28 s,
l’AT no 9 lance un appel radio – elle commence par s’identifier, puis c’est le silence. Le répartiteur appelle à trois reprises, sans aucune réponse, puis on entend de nouveau l’AT no 9 qui hurle dans sa radio, visiblement paniquée et essoufflée, et semblant demander du renfort (ses mots sont difficiles à distinguer exactement). Deux autres unités indiquent qu’elles se rendent sur place;
À 17 h 59 min 30 s,
les deux agents se battent avec le plaignant qui continue d’essayer de les frapper;
À 17 h 59 min 50 s,
l’AI donne deux coups avec la main dans le torse du plaignant, sans effet apparent;
À 17 h 59 min 53 s,
l’AI donne quatre coups de poing à la tête du plaignant, sans effet apparent;
À 18 h 00 min 02 s,
l’AI donne deux coups de poing à l’arrière de la tête du plaignant;
À 18 h 00 min 04 s,
l’AI frappe le plaignant 14 fois au visage, avant que le plaignant ne s’effondre. Les agents commencent à le menotter;
À 18 h 00 min 32 s,
le TC no 2 s’approche et aide les policiers en maintenant le plaignant à terre;
À 18 h 00 min 58 s,
puis, de nouveau, à 18 h 01 min 37 s, le répartiteur essaye de communiquer par radio avec l’AT no 9 pour faire le point sur la situation, mais n’obtient aucune réponse;
À 18 h 01 min 55 s,
on entend de nouveau l’AT no 9 à la radio; elle est à bout de souffle et demande frénétiquement du renfort; le répartiteur lui demande si elle a besoin d’une ambulance et si elle est blessée. Une ambulance est envoyée sur les lieux.

L’AI a accepté de fournir une déclaration aux enquêteurs et a indiqué que, lorsqu’ils ont repéré le plaignant, l’AT no 9 avait fait demi-tour et avait arrêté son véhicule près du plaignant. Les deux agents sont alors sortis du véhicule de police pour parler au plaignant. Le plaignant s’est arrêté et a parlé avec eux et lorsque l’AT no 9 lui a demandé s’il avait agressé quelqu’un, il a répondu par l’affirmative, en ajoutant qu’il n’aimait pas la police. L’AI a alors remarqué que le plaignant tenait un bâton jaune dans son dos et que lorsque le plaignant s’est penché vers lui, il a reculé de quelques pas pour s’éloigner un peu de lui. L’AI a précisé qu’en reculant, il regardait à terre pour ne pas trébucher et que quand il a relevé la tête, il a vu le plaignant frapper l’AT no 9 à la tête, faisant voler ses lunettes de soleil. L’AI a indiqué qu’il avait considéré ses options, mais en raison de la vitesse à laquelle l’incident se déroulait, il a estimé que son seul choix était de saisir le plaignant, ce qu’il a fait, pour essayer de lui bloquer le bras gauche dans le dos. L’AI se souvient avoir donné deux à quatre coups dans le dos du plaignant, avec autant de force que possible, pour le surprendre et parvenir à lui mettre le bras dans le dos. Ces coups ont cependant été sans effet. L’AI a précisé qu’il a tenté de toutes ses forces de retenir le plaignant, mais que ce dernier est parvenu à se libérer et a continué d’agresser l’AT no 9. À ce moment-là, l’AI ne pouvait pas bien voir l’AT no 9, mais il l’a entendue qui essayait d’utiliser sa radio en appuyant sur le bouton d’urgence.

L’AI a indiqué que lorsque ses nouvelles tentatives de maîtriser le plaignant ont échoué, il a commencé à paniquer. Il a ajouté que le plaignant lui avait donné un coup de poing au visage, ce qui l’avait étourdi, et qu’il avait ensuite remarqué que les mains du plaignant étaient à droite de l’AT no 9, à l’endroit où elle portait son arme à feu, et que l’AT no 9 avait elle aussi ses mains près de son arme à feu. L’AI a entendu l’AT no 9 lui crier à plusieurs reprises de sortir son arme. Il craignait que le plaignant puisse causer des blessures graves ou même tuer quelqu’un s’il parvenait à s’emparer de l’arme à feu de l’AT no 9. L’AI a rejeté l’idée d’utiliser son arme à feu car il craignait de toucher accidentellement l’AT no 9 du fait de leur proximité.

L’AI a continué d’essayer de faire tomber le plaignant à terre, en lui donnant des coups dans les jambes, mais le plaignant continuait de frapper l’AT no 9. Afin d’éviter que le plaignant ne s’empare de l’arme à feu de l’AT no 9, l’AI a alors donné environ huit ou dix coups de poing au plaignant au visage. Sous l’effet de ces coups, le plaignant s’est évanoui et est tombé par terre. Les deux agents ont alors tenté de le menotter dans le dos. Néanmoins, l’AI avait les mains qui tremblaient tellement sous l’effet de la montée d’adrénaline, qu’il n’est pas parvenu à placer les menottes aux poignets du plaignant avant que celui-ci ne reprenne connaissance et recommence à résister. Un civil, le TC no 2, s’est alors approché et l’a aidé à menotter le plaignant.

La déclaration de l’AT no 9 corrobore celle de l’AI, avec quelques détails additionnels. Elle a précisé qu’à un moment donné, au cours de la lutte, le plaignant est parvenu à saisir la clé du véhicule de police qui dépassait de sa poche. Le plaignant tenait la clé dans la main droite, dépassant entre les doigts. L’AT no 9 a déclaré qu’à ce point, elle était terrifiée pour sa propre sécurité et celle de l’AI et elle cherchait comment récupérer sa clé, lorsque le plaignant a saisi l’arme à feu dans son étui, sur sa hanche. L’AT no 9 a immédiatement placé ses deux mains sur celles du plaignant pour l’empêcher de s’emparer de son arme à feu, mais quand elle a entendu un clic, elle a cru que le plaignant était parvenu à ouvrir l’un des deux mécanismes de verrouillage de son arme à feu. Elle craignait que le plaignant s’empare de son arme à feu et a commencé à crier à l’AI de sortir sa propre arme. Elle lui a dit qu’elle essayait de maintenir son arme à feu dans sa gaine tout en tordant le bras du plaignant pour l’écarter, mais qu’elle était à la limite de ses forces.

L’AT no 9 a dit qu’elle a vu l’AI frapper le plaignant sur le côté droit du visage alors qu’elle s’efforçait d’empêcher plaignant de s’emparer de son pistolet. À un moment donné, le plaignant a eu un étourdissement et l’AT no 9 est parvenue à lui faire lâcher prise. L’AT no 9 a déclaré que tout au long de sa carrière dans la police, elle ne s’était jamais sentie aussi vulnérable. Elle a dit qu’elle et l’AI étaient parvenus à mettre le plaignant à terre et qu’un passant était alors venu les aider en saisissant les pieds du plaignant pour l’empêcher de bouger. L’AT no 9 a déclaré qu’elle était reconnaissante au TC no 2 pour son aide qui lui avait permis d’utiliser sa radio. L’AT no 9 a ajouté que les séquelles de l’altercation physique avec le plaignant incluaient des enflures, une douleur et des ecchymoses à la tempe gauche et au front, une douleur à la tempe droite et des égratignures à la main.

Après avoir examiné toutes les preuves, il semble qu’il y ait peu de doutes concernant les faits. La vidéo de la caméra du véhicule corrobore la version des événements qu’a donnée l’AI, sauf qu’on n’y voit pas le coup de poing que l’AI a reçu. Toutefois, comme la lutte entre les deux agents et le plaignant s’est déroulée dans un espace restreint, il est difficile de déterminer précisément tous les détails du déroulement de l’incident. Il est toutefois clair que le plaignant est un homme très grand et apparemment aussi assez fort, comme la vidéo le montre, ce qu’un témoin civil a confirmé. Il est également clair que le plaignant a donné des coups à l’AT no 9 à au moins deux reprises, et ce, avant toute interaction physique entre les policiers et le plaignant.

En vertu du paragraphe 25 (1) du Code criminel, les agents de police ont le droit d’utiliser la force dans l’exécution de leurs fonctions légitimes, mais seulement dans la limite de ce qui est raisonnablement nécessaire dans les circonstances. En ce qui concerne la légitimité de l’appréhension du plaignant, il ressort clairement de sa propre déclaration – confirmée par celles des agents et par la vidéo de la caméra du véhicule – que même si, au départ, les agents ne faisaient que se renseigner au sujet du plaignant à la suite d’une agression antérieure, une fois qu’il a frappé l’AT no 9 au visage, son arrestation était justifiée pour l’infraction de voies de fait contre un agent de police agissant dans l’exercice de ses fonctions, en contravention de l’article 270 du Code criminel. L’appréhension du plaignant était donc légalement justifiée dans les circonstances.

En ce qui concerne le degré de force utilisé par les agents dans leurs tentatives pour maîtriser le plaignant, il faut tenir compte de la situation dans laquelle les agents se trouvaient à ce moment-là, afin de déterminer si cette force était justifiée ou non. L’AT no 9 a déclaré qu’elle n’était pas certaine du nombre de coups que le plaignant lui avait assénés, mais que cela l’avait ébranlée. De son côté, l’AI a indiqué que lorsque le plaignant l’avait frappé au visage, cela l’avait étourdi. En outre, les deux agents, à divers points de leurs déclarations, ont affirmé qu’ils avaient dû utiliser toutes leurs forces pour tenter de maîtriser le plaignant. De toute évidence, le plaignant avait le dessus jusqu’à ce que l’AI ne le frappe au visage à plusieurs reprises, comme l’ont confirmé les témoins civils. Dans sa propre déclaration, l’AI a reconnu qu’il avait paniqué lorsque ses multiples efforts en vue de maîtriser le plaignant, y compris en le frappant dans le dos et à l’arrière de la tête, n’avaient, apparemment, aucun effet. Il s’est encore plus inquiété pour sa sécurité et celle de l’AT no 9 lorsqu’il a vu le plaignant du côté de l’arme à feu de l’AT no 9. En effet, il craignait que le plaignant puisse les blesser gravement, ou même les tuer, s’il parvenait à s’emparer de cette arme à feu. Je suis donc convaincu que le plaignant s’opposait activement et avec force à son arrestation par la police et que, du fait de son esprit apparemment troublé, il tentait de s’emparer de l’arme à feu de l’AT no 9 et refusait de lâcher prise jusqu’à ce qu’il s’évanouisse et s’écroule à terre sous l’effet des coups de poing au visage que lui a assénés l’AI. De plus, dès qu’il a repris connaissance, le plaignant a recommencé à se débattre et il a fallu l’intervention du TC no 2, qui l’a maintenu à terre, pour que les policiers parviennent à le maîtriser complètement et à le menotter. Cette conclusion est aussi appuyée par le fait que sur la vidéo de la caméra du véhicule, on entend le plaignant présenter des excuses aux agents, tout en respirant bruyamment et en parlant de sa maladie mentale.

Même si j’ai déterminé que le plaignant a été blessé par les coups de poing que l’AI lui a assénés à plusieurs reprises, je conclus qu’en vertu du paragraphe 25 (1) du Code criminel3, l’agent n’a pas utilisé plus de force qu’il était raisonnablement nécessaire dans l’exécution légitime de ses fonctions en appréhendant un homme extrêmement puissant qui agissait violemment et de façon extrêmement irrationnelle. En parvenant à cette conclusion, j’ai tenu compte de l’état du droit, tel que l’a établi la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Nasogaluak, [2010] 1 R.C.S. 206, à savoir :

Les actes des policiers ne devraient pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Il ne faut pas oublier que ceux‐ci accomplissent un travail exigeant et dangereux et qu’ils doivent souvent réagir rapidement à des situations urgentes. Leurs actes doivent alors être appréciés selon ce que commande ce contexte difficile. Comme le juge Anderson l’explique dans R. c. Bottrell (1981), 1981 CanLII 339 (BC CA), 60 C.C.C. (2d) 211 (C.A.C.B.) :

[traduction] Pour déterminer si la force employée par le policier était nécessaire, les jurés doivent tenir compte des circonstances dans lesquelles le policier y a eu recours. Il aurait fallu leur indiquer qu’on ne pouvait s’attendre à ce que l’appelant mesure la force appliquée avec précision. [p. 218]

Au vu du dossier devant moi, je conclus que le degré de force et le nombre de coups de poing au visage étaient malheureusement nécessaires pour maîtriser le plaignant et le forcer à lâcher l’arme à feu de l’AT no 9. Je suis d’accord avec l’évaluation de la situation de l’AI qui a estimé que si le plaignant parvenait à s’emparer de l’arme à feu, cela présenterait un danger de mort ou de blessures graves.

Avant de terminer, je pense qu’il convient de noter que l’AI a envisagé toutes les options à sa disposition pour maîtriser le plaignant et qu’il a renoncé à utiliser sa matraque en raison de la rapidité à laquelle la situation évoluait et, plus important encore, qu’il a renoncé à utiliser une force létale. Malgré les cris répétés et paniqués de l’AT no 9 l’enjoignant de dégainer son arme, l’AI a résisté à cette impulsion en tenant compte du risque que cela présenterait d’utiliser son arme à feu étant donné la proximité où ils se trouvaient tous les trois. Même si, à une certaine distance, il a pu sembler aux passants que l’AI utilisait une force excessive en frappant à maintes reprises le plaignant au visage, il est clair qu’il ne l’a frappé que jusqu’au moment où il s’est s’évanoui et a lâché l’arme à feu. L’AI n’a pas continué de frapper le plaignant une fois le danger passé, ce qui a été confirmé par plusieurs témoins civils. Somme toute, je conclus que, contrairement aux résultats malheureux de nombreuses interactions entre des policiers et des personnes souffrant de troubles mentaux, l’AI a examiné toutes ses options, n’a pas perdu son sang-froid et possiblement évité la perte d’une vie. Il est regrettable que le plaignant ait subi une telle blessure grave, mais le résultat aurait pu être bien pire sans la présence d’esprit et les actes de l’AI.

Par conséquent, j’ai des motifs raisonnables d’être convaincu que les actes des agents sont restés dans les limites prescrites par le droit criminel et qu’il n’y a donc pas lieu de porter des accusations dans cette affaire.

Date : 5 septembre 2017

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.