Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 16-TCI-179

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu une allégation d’agression sexuelle.

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Le rapport porte sur l’enquête menée par l’UES au sujet de la fracture du poignet subie par un homme de 37 ans le 7 juillet 2016 à 22 h 49, lorsqu’il a été amené sous garde en vertu de la Loi sur la santé mentale.

L’enquête

Notification de l’UES

Le 8 juillet 2016, à 1 h 50, le Service de police de Toronto (SPT) a signalé la blessure subie par le plaignant quand il a été amené sous garde. Le SPT a indiqué qu’à 22 h 49 le 7 juillet 2016, le SPT a été appelé dans le secteur d’East Mall, à Etobicoke, pour intervenir auprès d’un homme qui marchait sur les voies de circulation et menaçait de se suicider. L’agent impliqué (AI) et l’AT no 1 sont arrivés sur les lieux et ont plaqué le plaignant au sol.

Le plaignant a été conduit à l’hôpital, en vertu de la Loi sur la santé mentale. À l’hôpital, on a découvert que le plaignant avait une fracture du poignet.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 6

Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 0

Plaignant

Homme de 37 ans, qui a participé à une entrevue et pour qui le dossier médical a été obtenu et examiné

Témoins civils

TC no 1  A participé à une entrevue

TC no 2  A participé à une entrevue

TC no 3  A participé à une entrevue

Agents témoins

AT no 1  A participé à une entrevue

AT no 2  Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire L’AT no 2 est arrivé après l’appréhension et il a entendu le plaignant se plaindre de douleur. Il ne s’est pas rendu à l’hôpital.

AT no 3  Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire L’AT no 3 est arrivé après l’appréhension et il a entendu le plaignant se plaindre de douleurs. Il ne s’est pas rendu à l’hôpital.

AT no 4  Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire L’AT no 4 a été appelé par l’AT no 1 et il a déclaré que le plaignant avait été plaqué au sol durant une appréhension effectuée en vertu de la Loi sur la santé mentale qui a occasionné au plaignant une fracture du poignet. Il s’est rendu à l’hôpital, mais il n’a pas discuté des détails de l’appréhension.

Agent impliqué

AI A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

Éléments de preuve

Les lieux

À East Mall, il y a deux voies, soit en direction nord et en direction sud. La limite de vitesse est fixée à 50 km/h. Au sud de Burnhamthorpe Road, du côté ouest, se trouve un magasin Loblaws et, du côté est d’East Mall, il y a des maisons en rangée, à l’adresse 362 The East Mall.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio et de photographies

Les enquêteurs de l’UES ont ratissé le secteur à la recherche d’éléments de preuve sous forme d’enregistrements audio ou vidéo ou de photographies, mais ils n’ont rien trouvé de pertinent.

Éléments obtenus auprès du service de police

L’UES a demandé au SPT les documents suivants, qu’elle a obtenus et examinés :

  • les rapports d’incident général,
  • les détails de l’événement – rapport du système de répartition assisté par ordinateur (ICAD),
  • les notes des AT nos 1, 2, 3 et 4,
  • les rapports de fiche de service : quarts de nuit et quarts de soir,
  • la procédure relative aux personnes émotionnellement perturbées (y compris les annexes A et B), et
  • la procédure relative à l’usage de la force (y compris les annexes A et B).

Description de l’incident

Le 7 juillet 2016, peu avant 23 h, le plaignant, en état d’ébriété, marchait sur la route d’East Mall, qui est une voie de communication passante à Toronto. Il était déprimé et avait exprimé son intention de se faire heurter par une voiture, et son conjoint, le TC no 3, a appelé le 911 pour obtenir l’aide de la police.

L’AI et l’AT no 1 ont répondu à l’appel. Ils ont au préalable pris connaissance du dossier de police du plaignant et on leur a conseillé de faire très attention, car cette personne avait récemment exprimé son intention de se faire tuer par la police. Lorsque les agents ont trouvé le plaignant, il circulait sur un trottoir le long de la route. Ils se sont identifiés, mais le plaignant les a ignorés et a poursuivi son chemin. Craignant que le plaignant saute sur la route et soit blessé ou tué par les véhicules qui circulaient, l’AI a décidé de l’appréhender en vertu de la Loi sur la santé mentale. Il a donc attrapé le plaignant par l’épaule, mais celui-ci s’est dégagé. L’AI a ensuite plaqué le plaignant au sol, et celui-ci s’est immédiatement plaint de douleur au poignet gauche.

Le plaignant a été menotté et une ambulance a été appelée. Le plaignant a été amené à l’hôpital, où une fracture du poignet gauche a été diagnostiquée

Dispositions législatives pertinentes

Article 17, Loi sur la santé mentale de l’Ontario : Intervention de l’agent de police

16 Si un agent de police a des motifs raisonnables et probables de croire qu’une personne agit ou a agi d’une façon désordonnée et qu’il a des motifs valables de croire que cette personne :

  1. a menacé ou tenté de s’infliger des lésions corporelles ou menace ou tente de le faire;
  2. s’est comportée ou se comporte avec violence envers une autre personne ou de manière à lui faire craindre qu’elle lui causera des lésions corporelles;
  3. a fait ou fait preuve de son incapacité de prendre soin d’elle-même,

et qu’en plus, il est d’avis que cette personne souffre, selon toute apparence, d’un trouble mental d’une nature ou d’un caractère qui aura probablement l’une des conséquences suivantes :

  1. elle s’infligera des lésions corporelles graves;
  2. elle infligera des lésions corporelles graves à une autre personne;
  3. elle souffrira d’un affaiblissement physique grave,

et qu’il serait dangereux d’agir selon les termes de l’article 16, il peut amener sous garde cette personne dans un lieu approprié afin qu’elle soit examinée par un médecin. 2000, chap. 9, art. 5.

Paragraphe 25(1), Code criminel3 : Protection des personnes autorisées

25(1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :

  1. soit à titre de particulier;
  2. soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public;
  3. soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public;
  4. soit en raison de ses fonctions,

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Analyse et décision du directeur

Lorsque l’AI et l’AT no 1 sont arrivés sur les lieux tard dans la soirée du 7 juillet 2016 pour répondre à l’appel fait par le TC no 3 au 911 pour demander de l’assistance, on leur avait déjà dit que le plaignant était en colère, en état d’ébriété et instable et qu’il marchait au travers des voitures qui circulaient sur une route passante en menaçant de mettre fin à ses jours. Le plaignant ne conteste d’ailleurs pas qu’il avait l’intention de se suicider à ce moment-là. Les agents ont aussi été avisés qu’une mise en garde à l’intention des policiers concernant la sécurité figurait au dossier du plaignant au Centre d’information de la police canadienne. Le dossier disait que c’était une personne dont la police devait beaucoup se méfier, car moins de deux semaines plus tôt, il avait indiqué qu’il souhaitait se faire tirer dessus par des policiers et qu’il ferait en sorte que cela se produise.

Une fois sur place, les agents ont trouvé le plaignant, avec l’aide du TC no 3, qui était aussi là. Les agents ont avancé leur voiture de police jusqu’au plaignant, qui a continué de marcher. Ils sont alors sortis de leur véhicule et se sont approchés de lui par derrière. Même s’il était tard le soir, il y avait de la lumière ambiante dans le secteur. Les agents ont appelé le plaignant par son nom et lui ont demandé où il allait. Ils lui ont dit qu’ils voulaient lui parler. Le plaignant et le TC no 3 nient que les agents se soient identifiés comme des policiers, mais cela entre en contradiction avec les éléments de preuve de l’AT no 1 et avec le fait que les agents étaient en uniforme et qu’ils étaient dans une voiture de police, même si elle était identifiée de façon discrète. Je mets en doute la fiabilité des souvenirs du plaignant et du TC no 3 en ce qui a trait à ce détail, compte tenu de la quantité d’alcool qu’ils avaient consommé au préalable et de l’état d’ébriété avancé dans lequel ils étaient, comme ils l’ont eux-mêmes indiqué, et du délai de plus de trois mois qui s’est écoulé avant que le TC no 3 fasse son témoignage.

Le plaignant s’est retourné une fois pour regarder les agents, puis il a continué à marcher. Afin d’appréhender le plaignant en vertu de la Loi sur la santé mentale, l’AI a mis les mains sur les épaules du plaignant. Celui-ci s’est retourné vers lui et s’est dégagé. Les deux hommes étaient alors à quelques centimètres l’un de l’autre. Le plaignant était agité. Vu les risques pour la sécurité dont les agents ont été informés avant leur arrivée et la nécessité de maîtriser le plaignant pour pouvoir procéder à l’appréhension en vertu de la Loi sur la santé mentale, l’AI a encore une fois posé les mains sur les épaules du plaignant et a placé sa jambe gauche derrière lui pour le pousser au sol. Le plaignant est tombé sur les fesses, dans le gazon. C’est durant cette chute qu’il s’est fracturé le poignet. Les agents ont alors fait rouler le plaignant sur lui-même et l’ont menotté. Il a continué de se montrer colère et de refuser de coopérer avec la police, les ambulanciers et, enfin, le personnel de l’hôpital.

La version donnée par le plaignant de la chute qu’il a faite au sol ne semble pas fiable, à mon avis, compte tenu de son état d’ébriété avancé et des paroles qu’il a dites au départ à son conjoint, qui entraient en contradiction. Il n’avait pas non plus de blessures au visage, alors qu’il aurait dû en avoir d’après sa version des faits.

En vertu du paragraphe 25(1) du Code criminel3, les agents ont le droit de faire usage de la force nécessaire pour l’exercice de leurs fonctions. Avec l’information que les agents avaient reçue avant de rencontrer le plaignant et compte tenu des circonstances, l’AI a agi comme il se doit et, en poussant le plaignant au sol, il a fait ce qui était nécessaire pour procéder à l’appréhension en vertu de la Loi sur la santé mentale. La jurisprudence est claire, dans l’arrêt R. c. Nasogaluak, [2010] 1 R.C.S. 206, dont voici un extrait :

Les actes des policiers ne devraient pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Il ne faut pas oublier que ceux-ci accomplissent un travail exigeant et dangereux et qu’ils doivent souvent réagir rapidement à des situations urgentes. Leurs actes doivent alors être appréciés selon ce que commande ce contexte difficile.

Par conséquent, malgré la blessure déplorable subie par le plaignant, il n’y a pas de motifs suffisants pour porter des accusations dans cette affaire.

Date : 5 septembre 2017

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.