Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 16-TCI-226

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu une allégation d’agression sexuelle.

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur la blessure grave subie par un homme de 60 ans dans un poste de police, le 31 août 2016, lors de son arrestation pour tentative de meurtre.

L’enquête

Notification de l’UES

Le 1er septembre 2016, à 11 h 30 du matin, le Service de police de Toronto (SPT) a avisé l’UES de la blessure sous garde subie par le plaignant. Le SPT a donné le rapport suivant : le 31 août 2016, à 14 h 35, le plaignant s’est rendu au poste d’une division du SPT pour récupérer des biens. L’agent de police à la réception a reconnu le plaignant comme faisant l’objet d’un mandat d’arrestation pour tentative de meurtre à la suite d’un incident survenu le 30 août 2016. Lorsque l’agent a tenté d’arrêter le plaignant, une lutte s’est ensuivie. Le plaignant a été maîtrisé et placé dans une cellule. Il s’est plaint de douleurs aux côtes. À 19 h 15, il a été emmené à l’hôpital et examiné, mais les médecins n’ont pas pu confirmer une blessure grave. Le plaignant a été ramené à l’hôpital le lendemain matin et, à 11 h 13, il a été confirmé qu’il avait trois côtes cassées et une perforation au poumon gauche.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 3

Plaignante

Homme de 60 ans; a participé à une entrevue et ses dossiers médicaux ont été reçus et examinés.

Témoins civils

TC no 1 A participé à une entrevue

TC no 2 A participé à une entrevue

TC no 3 A participé à une entrevue

TC no 4 A participé à une entrevue

Témoins employés de la police

TEP A participé à une entrevue

Agents témoins

AT no 1 A participé à une entrevue

AT no 2 A participé à une entrevue

AT no 3 A participé à une entrevue

AT no 4 A participé à une entrevue

AT no 5 A participé à une entrevue

AT no 6 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées

AT no 7 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées

Agent impliqués

AI A pas participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

Éléments de preuve

Éléments de preuve matériels

Voici des photos des objets saisis du plaignant lors de son arrestation :

Photo of Toronto Police Service evidence - brass knuckles

Photo of evidence - pen knife

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio et de photographies

Résumé de la vidéo de l’aire d’enregistrement du SPT

Le plaignant est assis sur une chaise devant le bureau. L’AT no 3, l’AT no 2 et un autre agent (non désigné)[1] sont debout à sa droite. L’AT no 4 et le TEP sont debout derrière le bureau d’enregistrement. L’AT no 3 fait relever le plaignant et lui explique que l’agent non désigné parle mandarin. L’agent non désigné parle au plaignant en mandarin et pointe du doigt les caméras de l’aire d’enregistrement.

L’AT no 4 dit à l’agent non désigné que l’AT no 2 allait tout faire en anglais et qu’il devrait traduire en mandarin. L’AT no 2 dit au plaignant qu’elle l’arrête pour tentative de meurtre. L’AT no 2 explique le processus et l’agent non désigné traduit en mandarin tout ce qu’elle dit au plaignant.

L’agent non désigné dit que le plaignant se plaint de douleur et demande qu’on l’amène chez un médecin. L’AT no 4 répond « Okay, we’ll get to that » [OK, on va s’en occuper]. L’AT no 4 dit aussi qu’on doit attendre l’interprète officiel.

L’AT no 4 demande à l’agent non désigné de dire au plaignant de s’asseoir et qu’il va lui poser une série de questions. Le plaignant se penche en avant et dit, par l’entremise de l’agent non désigné, qu’il a mal et ne peut pas parler. L’AT no 4 demande au plaignant s’il a des blessures, des problèmes cardiaques ou quelque chose de similaire. Par l’intermédiaire de l’agent non désigné, le plaignant répond qu’il n’est pas malade et n’a pas de problèmes cardiaques. L’AT no 4 répond [traduction] « Pas de problème médical, OK, il dit qu’il est blessé, c’est quoi cette blessure? » L’agent non désigné dit que le plaignant se plaint d’avoir mal aux côtes et de la difficulté à respirer. L’AT no 4 demande de quel côté il a mal et le plaignant répond que c’est à gauche. L’AT no 4 demande à l’agent non désigné d’informer le plaignant qu’on va appeler une ambulance. L’agent non désigné ajoute que le plaignant se plaint aussi d’une douleur à la tête, au-dessus de l’oreille. Le TEP dit à l’AT no 4 que le plaignant s’est cogné volontairement la tête contre le mur. Le plaignant commence à se cogner la tête contre le mur et l’AT no 4 lui dit d’arrêter. L’AT no 4 demande à l’AT no 2 de faire un rapport de blessure.

L’AT no 4 informe le plaignant qu’on va effectuer sur lui une fouille de niveau III[2] parce qu’on a trouvé un couteau et un coup-de-poing américain. L’agent non désigné explique la procédure au plaignant. L’AT no 4 demande de relever la chemise du plaignant pour voir s’il a des marques, des bleus ou des coupures. L’AT no 4 dit qu’il ne peut voir aucune rougeur, ecchymose ou marque, mais qu’on rédigera quand même un rapport de blessure.

L’AT no 3 et l’agent non désigné escortent le plaignant dans la salle des fouilles. L’AT no 4, l’AT no 2 et le TEP restent dans l’aire d’enregistrement. L’AT no 4 demande à l’AT no 2 d’appeler une ambulance. Elle sort de l’aire d’enregistrement.

L’AT no 2 revient dans l’aire d’enregistrement et dit à l’AT no 4 que l’ambulance a été demandée. L’AT no 4 appelle l’agent non désigné et lui demande de dire au plaignant que les ambulanciers sont en route. L’AT no 3, depuis la salle de fouille, demande à l’AT no 4 si on peut menotter le plaignant sur le devant; l’AT no 4 répond par l’affirmative.

Le plaignant sort de la salle de fouille et entre dans l’aire d’enregistrement, les mains menottées à l’avant. Le plaignant dit en anglais : « I…(inaudible)…three years ago I….police …(laughed) now first time police touch me throw me in jail. » « Je... (inaudible)... il y a trois ans, je... la police... (rit) Maintenant, la première fois, la police me touche et me jette en prison. »

Les ambulanciers arrivent. L’AT no 4 leur demande d’examiner le plaignant hors du champ de vision de la caméra.

Enregistrements des communications

Résumé des enregistrements des communications relatives à la tentative de meurtre

Un assaillant armé d’un couteau attaque un homme au Korean and Family Sauna. Une description de l’agresseur est fournie. Des policiers sont envoyés sur les lieux.

Résumé des enregistrements des communications relatives à la garde à vue du plaignant au poste de la division

Un homme sous garde a du mal à respirer. Il y a eu un incident au poste de la division du SPT où l’homme se trouvait initialement et, la nuit dernière, il a été conduit au poste de la division chargée de l’enquête[3]. L’homme est allé à l’hôpital hier soir; il est possible qu’il ait une côte fracturée. Il a été libéré de l’hôpital, mais il doit y retourner pour une autre radiographie. Une ambulance est envoyée sur les lieux.

Documents obtenus auprès du Service de police

L’UES a demandé les documents suivants au SPT, qu’elle a obtenus et examinés :

  • Dossier d’enregistrement – le plaignant
  • Vidéo du hall d’enregistrement du SPT
  • Fiche du système de répartition automatisée – Résumé de la conversation
  • Rapports d’événements généraux – Tentative de meurtre, arrestation du plaignant
  • Système Intergraph de répartition assisté par ordinateur – Rapports des détails de l’événement
  • Notes des agents témoins no 1, no 2, no 3, no 4, no 5, no 6 et no 7
  • Notes du TEP
  • Procédure – Utilisation de la force (y compris les annexes)
  • Antécédents des contacts entre le SPT et plaignant
  • Dossier de formation sur le recours à la force – Requalification de l’AI
  • Enregistrements des communications, et
  • Enregistrement vidéo de caméra à bord de véhicule

Description de l’incident

Dans l’après-midi du 31 août 2016, le plaignant s’est rendu au poste d’une division du SPT pour récupérer des clés de voiture saisies lors d’une arrestation antérieure. La recherche de son nom a révélé qu’il faisait l’objet d’un mandat d’arrestation pour tentative de meurtre. L’AT no 2 a arrêté et menotté le plaignant dans le hall d’entrée du poste, puis, avec l’AI, l’a escorté dans l’aire d’enregistrement.

Une fois dans l’aire d’enregistrement, on a fouillé le sac du plaignant et on y a trouvé un couteau et un coup-de-poing américain. Le plaignant est alors devenu agité et a commencé à se frapper la tête contre le mur. Craignant que le plaignant se blesse, l’AI et l’AT no 1 l’ont mis à terre et en effectuant cette manœuvre, sont tombés sur le dos du plaignant. Le TEP et l’AT no 4 sont arrivés et le plaignant s’est plaint de douleurs à ses côtes gauches. Après une fouille de niveau III, on a appelé une ambulance qui a conduit le plaignant à l’hôpital. Les radiographies ont révélé que le plaignant avait un pneumothorax (poumon affaissé) et possiblement des fractures aux huitième, neuvième et dixième côtes gauches.

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 25(1), Code criminel - Protection des personnes chargées de l’application et de l’exécution de la loi

25. (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :

  1. soit à titre de particulier;
  2. soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public;
  3. soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
  4. soit en raison de ses fonctions,

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Analyse et décision du directeur

Le 31 août 2016, des agents du SPT ont arrêté le plaignant pour tentative de meurtre au poste de l’une des divisions du SPT. Après son arrestation, mais avant son placement dans une cellule de détention, le plaignant a été mis à terre dans l’aire d’enregistrement par l’AI, avec l’aide de l’AT no 1. À la suite de cette mise à terre, le plaignant s’est plaint de douleurs au côté gauche de la poitrine. Une ambulance a été appelée et, une fois le plaignant enregistré et fouillé, il a été conduit à l’hôpital. Les radiographies ont révélé que le plaignant avait un pneumothorax et possiblement des fractures aux huitième, neuvième et dixième côtes gauches. Le plaignant allègue que l’AI a causé ces blessures en lui donnant un coup de genou au côté gauche, alors qu’il était par terre dans l’aire d’enregistrement.

Personne ne conteste que le plaignant s’est rendu au poste de la division ce jour-là pour récupérer des biens que la police avait confisqués au début du mois pour une affaire sans rapport avec celle-ci. Il a été reçu au poste par l’AT no 2, qui était à la réception. L’AT no 2 a découvert qu’un mandat d’arrestation avait été lancé contre lui pour tentative de meurtre à la suite d’un incident survenu trois jours plus tôt dans le secteur d’une autre division du SPT. Lorsque cette division a été avisée, l’AT no 2 a reçu l’ordre de procéder à l’arrestation du plaignant. L’AT no 2 a demandé à l’AI, qui était également au poste, de venir dans le hall d’entrée pour l’aider. L’AT no 1 est également venu dans le hall d’entrée pour aider ses collègues. Le plaignant a été menotté sans incident et emmené dans l’aire d’enregistrement. Les trois agents ont indiqué que pendant son menottage, le plaignant avait tendu les bras et bougé ou tordu son corps, mais qu’à part ça, il avait été coopératif. Le plaignant avait avec lui un sac à bandoulière ou un sac à dos, que les policiers ont apporté dans l’aire d’enregistrement. Les seules véritables divergences entre les versions des agents et celles du plaignant à ce point concernent le nombre d’agents qui l’ont saisi dans le hall d’entrée et le moment où son sac à dos lui a été confisqué. Il n’y a aucune preuve corroborant le souvenir du plaignant du nombre d’agents présents dans le hall à ce moment-là, ou le fait qu’on l’aurait saisi ou maltraité de quelque façon que ce soit. J’ai également du mal à accepter ce qu’affirme le plaignant au sujet du moment où on lui a confisqué son sac à dos, car je ne crois pas qu’après l’avoir mis en état d’arrestation et menotté, on lui aurait permis de conserver sur lui un sac qui n’avait pas été fouillé.

Le véritable différend porte plutôt sur ce qui s’est passé lorsqu’on a conduit le plaignant dans l’aire d’enregistrement. Le plaignant allègue avoir été giflé et poussé à terre, puis que l’agent impliqué lui a donné un coup de genou au côté gauche du torse, ce qui a causé sa blessure. Le plaignant n’offre aucune explication quant à la conduite de l’AI.

La version de l’AI de ce qui s’est passé dans l’aire d’enregistrement est nettement différente. L’AI a décrit les événements comme suit : une fois dans l’aire d’enregistrement, le plaignant s’est assis sur une chaise pendant que l’AI fouillait son sac. Lorsque l’AI a trouvé un coup-de-poing américain et un couteau dans le sac, le plaignant a essayé à plusieurs reprises de se lever, puis s’est frappé le côté gauche de la tête contre le mur. Afin d’empêcher le plaignant de se blesser ou de blesser l’AT no 1 qui se tenait à proximité, l’AI a décidé de mettre le plaignant à terre. L’AI était debout à gauche du plaignant. Il a exécuté un balayage de la jambe droite du plaignant avec la sienne, en tirant énergiquement sur le plaignant pour le mettre à terre. Le plaignant est tombé avec force sur le sol, par-dessus la jambe droite de l’AI, entrainant dans sa chute l’AI et l’AT no 1 qui était à droite du plaignant. Le plaignant a atterri sur le ventre. L’AI a atterri en partie sur le milieu du côté droit inférieur du corps du plaignant et en partie sur le sol. Le plaignant a continué à se débattre jusqu’à ce que le TEP entre dans la pièce et aide les agents à replacer le plaignant sur la chaise. L’AT no 4 est alors arrivé et a pris la relève de l’AI qui est sorti de la pièce. L’AI a soutenu que ni lui ni l’AT no 1 n’ont donné des coups de genou, de poing ou de pied au plaignant à quelque moment que ce soit.

L’AT no 1 était avec l’AI et le plaignant dans l’aire d’enregistrement, et sa version des événements corrobore en grande partie celle de l’AI. L’AT no 1 a expliqué que le plaignant avait essayé à maintes reprises de se lever de la chaise où on l’avait placé. Lorsque les policiers ont découvert le coup-de-poing américain dans son sac, le plaignant s’est levé, a crié quelque chose en mandarin et a commencé à s’avancer en direction de l’AT no 1. L’AT no 1 a alors placé ses mains sur le bras du plaignant et l’a forcé à se rassoir. Le plaignant s’est levé une nouvelle fois et s’est cogné la tête contre le mur sur le côté gauche. À ce moment-là, l’AI, qui était à gauche du plaignant, a mis le plaignant à terre en le poussant. L’AT no 1 tenait la chemise du plaignant et a perdu l’équilibre; il est tombé sur le plaignant, frappant dans sa chute le haut du dos du plaignant avec un de ses genoux. L’AT no 1 a déclaré qu’il n’avait donné aucun coup de pied, de poing ou de genou au plaignant et qu’il n’avait vu à aucun moment l’AI frapper le plaignant.

L’AT no 2 a également escorté le plaignant dans l’aire d’enregistrement, mais est entrée et sortie à plusieurs reprises de la pièce lorsque le plaignant a été mis à terre. Sa version est également généralement compatible avec celle de l’AI. Elle a déclaré qu’une fois dans l’aire d’enregistrement, on a fait assoir le plaignant sur une chaise. L’AT no 2 est alors sortie de la pièce et, lorsqu’elle est revenue, le coup-de-poing américain et le couteau du plaignant étaient sur le bureau. Le plaignant criait et se cognait le côté de la tête contre le mur derrière sa chaise. Le plaignant essayait sans arrêt de se lever de la chaise et l’AT no 2 lui a ordonné de rester assis. L’AT no 1 a tenté de repousser le plaignant sur la chaise pour l’empêcher de se cogner la tête contre le mur. Le plaignant s’est arrêté pendant une seconde, puis a recommencé. L’AT no 1 et l’AI lui ont répété une fois de plus d’arrêter et de se calmer. Alors qu’elle était au téléphone, l’AT no 2 a vu l’AI et l’AT no 1 mettre le plaignant à plat ventre sur le sol, mais elle n’a pas vu exactement comment ça s’est passé. L’AT no 1 était à la hauteur de la tête du plaignant et l’AI sur son côté gauche, et les deux le tenaient pour l’empêcher de bouger. Ensuite, le TEP est entré, on a retiré ses chaussures au plaignant et on l’a fait se rassoir sur la chaise. Lorsque l’AT no 4 est arrivé, le plaignant s’est plaint de douleurs au côté gauche.

Le TEP a déclaré que quand il est entré dans l’aire d’enregistrement, le plaignant était assis sur la chaise. Il a vu le plaignant penché en avant alors qu’il était menotté dans le dos. L’AI l’a alors forcé à se relever et l’a mis à terre. Sur le sol, l’AI était à gauche du plaignant et lui tenait l’épaule gauche et la tête. L’AI était debout à droite du plaignant. L’un des agents – le TEP ne se souvient pas lequel – a dit au plaignant de rester à terre. Le TEP pensait que le plaignant avait atterri sur son côté droit initialement et avait ensuite été mis à plat ventre. Il n’a pas vu l’AI ou l’AT no 1 tomber avec le plaignant, mais il a vu le plaignant continuer de se débattre une fois au sol. Après que le TEP lui ait retiré ses chaussures et qu’on l’ait fait se rassoir sur la chaise, le plaignant a dit qu’il avait mal au côté gauche de son torse.

Aucun autre agent n’était présent lorsque le plaignant a été mis à terre dans l’aire d’enregistrement. Une fois que le plaignant a été rassis sur la chaise et que l’AT no 4 est entré, la caméra de l’aire d’enregistrement a été mise en marche et toutes les activités à cet endroit ont été capturées sur vidéo. On voit clairement sur la vidéo que le plaignant se plaint, par l’entremise d’un interprète, d’une douleur aux côtes, indiquant qu’il a de la difficulté à respirer et que sa tête lui fait mal au-dessus de l’oreille. Le TEP explique à l’AT no 4 que le plaignant s’était frappé la tête contre le mur. On voit alors le plaignant se cogner de nouveau la tête contre le mur.

Une fois enregistré, le plaignant a fait l’objet d’une fouille de niveau III par le TEP et l’AT no 3 qui n’ont remarqué aucune rougeur, ecchymose, marque ou enflure sur la gauche de sa cage thoracique. On a appelé une ambulance qui a conduit le plaignant à l’hôpital. Les dossiers médicaux indiquent qu’aucune blessure visible et aucune marque évidente n’a été remarquée sur la poitrine gauche du plaignant. On a ordonné des radiographies de la poitrine et des côtes gauches du plaignant. Les radiographies ont révélé que le plaignant avait un pneumothorax et possiblement des fractures aux huitième, neuvième et dixième côtes gauches.

Selon les preuves disponibles, j’ai plusieurs problèmes avec la version des événements qu’a donnée le plaignant. Pour commencer, je suis gêné par le souvenir qu’a le plaignant du nombre d’agents dans l’aire d’enregistrement, du moment où son sac à dos lui a été retiré et du nombre d’agents qui l’ont maintenu à terre. Il n’y a aucune preuve à l’appui de ses souvenirs – tous les éléments de preuve indiquent qu’il y avait trois agents dans l’aire d’enregistrement; son sac doit lui avoir été confisqué dans le hall d’entrée puisque c’est là qu’on l’a placé en état d’arrestation et il y avait, tout au plus, quatre policiers dans l’aire d’enregistrement lorsqu’on l’a mis à terre. De plus, les déclarations du plaignant sont peu fiables puisque sa version des événements diffère totalement de ce qu’il a dit au médecin traitant à l’hôpital ou à l’AT no 5 dans l’ambulance. En effet, le plaignant a dit que c’était un agent asiatique (vraisemblablement le TEP) qui l’avait battu et que quelqu’un d’autre lui avait donné des coups de pied. Le plaignant n’a également révélé à personne qu’il s’était cogné la tête contre le mur dans l’aire d’enregistrement, dans une tentative évidente de s’infliger une blessure. Il n’a pas non plus révélé qu’il avait des armes dans son sac lorsqu’il est entré dans le poste de police. Tout aussi troublants sont les commentaires du plaignant à l’AT no 5 : [traduction] « Dans une vraie lutte, je vous tuerai à coup sûr. Huit à dix flics, je t’assure, je ne vais pas vous laisser vous en tirer facilement » et « je vais engager un avocat pour poursuivre la police, si je peux le faire, je vais utiliser ma compétence de tireur d’élite. » De tels commentaires, conjugués aux tentatives du plaignant de s’infliger une blessure, aux incohérences matérielles dans ses versions des événements et à sa possession d’armes lorsqu’il est arrivé au poste, me laissent peu de raisons de le trouver crédible.

En revanche, les quatre agents qui étaient présents dans l’aire d’enregistrement lorsque le plaignant était au sol, à savoir l’AI, l’AT no 1, l’AT no 2 et le TEP ont donné un récit cohérent, pour l’essentiel, de ce qui s’est passé à cet endroit avant l’arrivée de l’AT no 4 et de la mise en marche des caméras. Le plaignant n’était pas coopératif et refusait de suivre les instructions. On a trouvé des armes dans le sac du plaignant, et il a réagi en essayant d’abord de se lever, puis en se frappant la tête contre le mur. Pour des raisons de sécurité, l’AI a tenté de mettre le plaignant à terre, et l’AI et l’AT no 1 sont tombés avec lui. L’AI et l’AT no 1 ont tous deux déclaré qu’ils étaient tombés sur le plaignant, l’AT no 1 admettant avoir accidentellement cogné le plaignant avec son genou en atterrissant.

En vertu du paragraphe 25 (1) du Code criminel, les agents de police ont le droit d’utiliser la force dans l’exécution de leurs fonctions légitimes, mais seulement dans la limite de ce qui est raisonnablement nécessaire dans les circonstances. Si l’on considère d’abord la légalité de l’arrestation et du placement sous garde du plaignant au poste de la division, étant donné que le plaignant faisait l’objet d’un mandat d’arrestation, les policiers agissaient légalement lorsqu’ils ont arrêté et menotté le plaignant dans le hall d’entrée et l’ont escorté jusqu’à l’aire d’enregistrement pour effectuer les démarches nécessaires. J’accepte également que l’AI avait des motifs raisonnables de mettre le plaignant à terre : on avait trouvé des armes dans son sac, le plaignant avait continué d’essayer de se lever et de s’approcher de l’AI, puis le plaignant avait commencé à se frapper la tête contre le mur. Malheureusement, lors de la manœuvre pour mettre le plaignant à terre, l’AI et l’AT no 1 sont tombés sur lui, et au moins le genou de l’AT no 1 a heurté le dos du plaignant. Il est possible que cela ait pu causer les blessures en question.

Même si j’accepte que le plaignant a subi les blessures décrites dans ses dossiers médicaux, je ne sais pas si ces blessures se sont produites lors de sa mise à terre par l’AI et l’AT no 1 ou si le plaignant les avait déjà lorsqu’il s’est présenté au poste le 31 août. La façon évasive dont le plaignant a décrit des incidents antérieurs et sa volonté de s’infliger des blessures pendant sa garde à vue – peut-être dans le but de former la base d’une plainte subséquente contre le SPT– me font également douter de la véritable cause de ses blessures.

Néanmoins, même si j’accepte, d’après l’ensemble des éléments de preuve, que le plaignant a été blessé lorsque l’AI et l’AT no 1 sont tombés sur lui en le mettant à terre ou que cette chute a aggravé une blessure qu’il avait déjà, j’estime que les actes de l’AI étaient justifiés dans les circonstances et qu’il n’a pas utilisé plus de force que nécessaire pour maîtriser le plaignant et l’empêcher de se blesser lui-même ou de blesser un policier. Le plaignant avait été arrêté pour tentative de meurtre dans laquelle une arme avait été utilisée et, jusque là, il avait seulement fait l’objet d’une fouille sommaire. On a trouvé des armes dans son sac. Le plaignant n’était pas coopératif et agissait de façon irrationnelle en tentant de se blesser. La décision de mettre le plaignant à terre pour l’empêcher de se blesser ou de blesser un tiers était raisonnable. Malheureusement, l’AI et l’AT no 1 ont perdu l’équilibre et sont tombés sur le plaignant. J’accepte que toute blessure qui a pu en résulter était complètement involontaire.

Je suis donc convaincu, pour les motifs exposés ci-dessus, que la mise sous garde du plaignant et la manière dont elle a été exécutée étaient licites, malgré la blessure que le plaignant a peut-être subie. La jurisprudence est claire : on ne peut pas s’attendre à ce que les policiers apprécient avec exactitude le degré de force qu’ils emploient dans leur intervention (R. c. Baxter [1975], 27 C.C.C. (2d) 96 (C.A. Ont.)) et on ne devrait pas leur appliquer la norme de la perfection (R. c. Nasogaluk [2010] 1 RCS 206). Je n’ai aucun motif raisonnable de croire que l’AI a commis une infraction criminelle et il n’y a donc pas lieu de porter des accusations en l’espèce.

Date : 25 septembre 2017

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) [1] Cet agent n’a pas été désigné car il n’a fait qu’aider à l’enregistrement. [Retour au texte]
  • 2) [2] Une fouille de niveau III est également connue sous le nom de « fouille à nu » et consiste à déshabiller complètement un détenu. [Retour au texte]
  • 3) [3] La division du SPT chargée de l’enquête sur la tentative de meurtre n’était pas la même que celle où le plaignant a été arrêté. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.