Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 16-TCI-250

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu une allégation d’agression sexuelle.

Les « blessures graves » englobent celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, a priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant que la gravité de la blessure puisse être évaluée, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider de l’envergure de son intervention.

Le présent rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur la blessure grave subie par un homme âgé de 43 ans tôt le matin du 28 septembre 2016, lorsque des agents du Service de police de Toronto (SPT) sont intervenus pour le maîtriser dans un hôpital de Toronto.

L’enquête

Notification de l’UES

Le 29 septembre 2016, à 16 h, le Service de police de Toronto (SPT) a signalé ce qui suit :

Le 24 septembre 2016, le personnel hospitalier dans un hôpital au centre-ville de Toronto a fait un appel au 9-1-1 pour demander l’aide de la police. Après leur arrivée, les agents ont maîtrisé un patient psychiatrique (maintenant identifié comme étant le plaignant) à l’aide d’une arme à impulsions électriques et puis le personnel hospitalier lui a administré un tranquillisant.

Le 27 septembre 2016, le personnel hospitalier du même hôpital au centre-ville de Toronto a de nouveau composé le 9-1-1 et a indiqué que le plaignant était agité et lançait des objets. Des agents de l’équipe d’intervention en cas d’urgence (ÉIU) sont intervenus et ont tenté de négocier avec le plaignant pour qu’il prenne ses médicaments. Le plaignant a pris ses médicaments, mais ils n’ont pas aidé et il ne s’est pas calmé. Une arme à impulsions électriques (AIÉ) a été utilisée contre le plaignant et il a ensuite été maîtrisé par le personnel hospitalier.

Le 29 septembre 2016, un membre de l’hôpital a appelé le SPT et a déclaré que le plaignant avait subi une fracture à la hanche.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 4

Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 1

Plaignant :

Homme âgé de 43 ans; a participé à une entrevue; dossiers médicaux obtenus et examinés

Témoins civils (TC)

TC no 1 A participé à une entrevue

TC no 2 A participé à une entrevue

TC no 3 A participé à une entrevue

TC no 4 A participé à une entrevue

TC no 5 A participé à une entrevue

TC no 6 A participé à une entrevue

Agents témoins (AT)

AT no 1 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées[1]

AT no 2 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées

AT no 3 A participé à une entrevue

AT no 4 A participé à une entrevue

AT no 5 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées

AT no 6 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées

AT no 7 A participé à une entrevue

AT no 8 A participé à une entrevue

AT no 9 A participé à une entrevue

AT no 10 A participé à une entrevue

De plus, les notes d’un autre agent non désigné ont été reçues et examinées.

Agents impliqués (AI)

AI no 1 N’a pas participé à une entrevue et n’a pas consenti à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué

AI no 2 N’a pas participé à une entrevue et n’a pas consenti à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué

AI no 3 N’a pas participé à une entrevue et n’a pas consenti à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué

Éléments de preuve

Preuve vidéo/audio/photographique

L’UES a inspecté les lieux pour déterminer s’il y avait des enregistrements vidéo ou audio et des preuves photographiques, mais n’a pas réussi à en trouver.

Le TC no 1 a fourni des photographies des blessures du plaignant après l’incident.

Enregistrements des communications

Résumé des enregistrements des appels au numéro 9-1-1 et des communications

  • Le 27 septembre 2016, à 21 h 03, le TC no 2, de l’unité des soins psychiatriques de l’hôpital, a composé le 9-1-1
  • Le TC no 2 a indiqué que le plaignant menaçait le personnel, qui ne pouvait le maîtriser physiquement
  • Le personnel n’était pas en mesure de calmer le plaignant, parce que ce dernier ne lui permettait pas de s’approcher
  • Le TC no 2 a informé le répartiteur que des agents de police avaient utilisé une arme à impulsions électriques (AIÉ) contre le plaignant quelques jours auparavant
  • Vers 21 h 33, l’AT no 7 a conseillé au répartiteur de demander l’aide de l’ÉIU; et
  • Vers 23 h 23, l’ÉIU a fait savoir qu’elle était à l’hôpital

Éléments de preuve médico-légaux

Résumé des relevés d’utilisation des armes à impulsions électriques (AIÉ)

Les trois relevés d’utilisation faisaient état d’heures d’utilisation différentes des AIÉ contre le plaignant par les AI nos 1, 2 et 3 le 28 septembre 2016. Il semble que les trois AIÉ n’étaient pas synchronisées au moment des décharges. Malgré ce que révèlent les relevés sur le moment de l’utilisation des AIÉ, selon l’AT no 8, elles ont été utilisées vers 1 h 32.

  • L’AI no 1 s’était vu assigner une AIÉ ayant le numéro de série X00-220919. Le relevé de l’arme révélait qu’elle avait été utilisée le 28 septembre 2016, vers 1 h 48, et déchargée trois fois, chaque fois pendant cinq secondes
  • L’AI no 3 s’était vu assigner une AIÉ ayant le numéro de série X00-225603. Le relevé de l’arme révélait qu’elle avait été utilisée le 28 septembre 2016, vers 1 h 33, et déchargée deux fois, chaque fois pendant cinq secondes; et
  • L’AI no 2 s’était vu assigner une AIÉ ayant le numéro de série X00-441452. Le relevé de l’arme révélait qu’elle avait été utilisée le 28 septembre 2016, vers 1 h 41, et déchargée deux fois, chaque fois pendant cinq secondes. À environ 1 h 42, l’AIÉ a été déchargée une fois de plus pendant cinq secondes[2].

Documents obtenus du service de police

Sur demande, l’UES a obtenu les documents suivants du SPT et puis les a examinés :

  • COMM – Résumé de la conversation
  • Rapport des détails de l’événement
  • Rapports généraux d’incident
  • Répartition assistée par ordinateur Intergraph (ICAD) - Rapport détaillé de l’événement
  • Liste des agents impliqués
  • Notes des AT nos 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 et 10
  • Procédure – Incidents nécessitant l’intervention d’une ÉIU
  • Procédure – Urgences et incidents dangereux
  • Procédure – Recours à la force et utilisation d’équipement (avec annexes); et
  • Procédure – Arme à impulsions électriques

Description de l’incident

Le 27 septembre 2016, le plaignant était un patient psychiatrique dans un hôpital du centre-ville de Toronto. Le soir, le plaignant a refusé de prendre ses médicaments et était agressif et menaçant envers le personnel de l’unité. Tout juste après 21 h, le TC no 2 a appelé le 9-1-1 pour demander à la police d’intervenir.

Les agents du SPT sont arrivés, mais ils ont décidé d’appeler l’ÉIU du SPT pour aider à maîtriser le plaignant étant donné sa taille imposante et la violence dont il avait fait preuve jusqu’à ce moment-là. Des membres du personnel à l’unité ont également informé les agents qu’une AIÉ avait été utilisée contre le plaignant quelques jours auparavant. À l’arrivée de l’ÉIU, comprenant les AI nos 1, 2 et 3, elle a été mise au courant des antécédents et du comportement du plaignant. En la présence des agents, le plaignant a accepté de prendre son médicament par injection et le médicament lui a été administré. Son comportement n’a toutefois pas changé après l’administration du médicament.

Pendant que l’ÉIU restait dans l’unité, le médecin traitant a décidé qu’il fallait donner une quantité supplémentaire du médicament au plaignant. Le médicament a été administré, mais le plaignant continuait d’être agressif et violent, notamment en menaçant les agents et leurs familles.

Juste avant 1 h 30, le 28 septembre 2016, le plaignant s’est tourné vers l’ÉIU et s’est approché d’elle les poings serrés et tout en criant et jurant. L’équipe lui a ordonné d’arrêter de s’approcher, mais le plaignant a refusé d’obtempérer. Les AI nos 1, 2 et 3 ont tous dégainé et déchargé leur AIÉ, et le plaignant a été touché au torse, à l’épaule, au cou et au bras. Le plaignant est tombé au sol et puis on l’a attaché sur un lit. Le plaignant s’est plaint de douleur à la hanche droite. Les radiographies prises plus tard ce jour-là ont révélé que le plaignant avait subi une fracture sous-capitale au fémur droit.

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 25(1), Code criminel - Protection des personnes chargées de l’application et de l’exécution de la loi

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :

  1. soit à titre de particulier
  2. soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
  3. soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
  4. soit en raison de ses fonctions

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Article 264.1, Code criminel - Proférer des menaces

264.1 (1) Commet une infraction quiconque sciemment profère, transmet ou fait recevoir par une personne, de quelque façon, une menace : a)

  1. de causer la mort ou des lésions corporelles à quelqu’un
  2. de brûler, détruire ou endommager des biens meubles ou immeubles
  3. de tuer, empoisonner ou blesser un animal ou un oiseau qui est la propriété de quelqu’un

(2) Quiconque qui commet une infraction prévue à l’alinéa (1)a) est coupable :

  1. soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans
  2. soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d’un emprisonnement maximal de dix-huit mois

(3) Quiconque commet une infraction prévue à l’alinéa (1)b) ou c) est coupable :

  1. soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de deux ans
  2. soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire

Analyse et décision du directeur

Le 27 septembre 2016, le SPT a reçu un appel au numéro 9-1-1 lui demander d’intervenir dans un hôpital au centre-ville de Toronto, parce qu’un patient, le plaignant, dans l’unité des soins intensifs psychiatriques (USPI), menaçait des membres du personnel hospitalier, était incontrôlé et agressif et refusait de prendre ses médicaments. Par conséquent, des agents du SPT se sont rendus sur les lieux et puis, ont appelé l’ÉIU. Les AI nos 1, 2 et 3 et les AT nos 8, 9 et 10 de l’ÉIU se sont rendus sur place. À la suite de l’interaction du plaignant avec la police, il a été diagnostiqué comme ayant subi une fracture à la hanche.

Dans le courant de l’enquête, on s’est entretenu avec six témoins civils et six agents témoins. Les trois agents impliqués ont refusé de faire des déclarations ou de fournir leurs notes, comme la loi les y autorise. En outre, les enquêteurs avaient accès aux notes des onze agents de police témoins, aux enregistrements des communications et au registre. Il n’y avait pas de caméras de surveillance dans les lieux où est survenue l’interaction avec le plaignant; il n’y avait donc malheureusement pas de vidéo en circuit fermé de l’incident.

Les témoins civils présents à l’époque ont tous décrit le plaignant comme un homme corpulent et musclé qui était agressif et violent envers le personnel.

L’AT no 8 a indiqué que l’AT no 7 avait demandé que l’ÉIU soit envoyée à l’unité des soins psychiatriques de l’hôpital parce que le plaignant avait un comportement violent. L’AT no 8 a également précisé qu’on avait utilisé une arme à impulsions électriques (AIÉ) contre le plaignant à l’hôpital quelques jours auparavant. L’AT no 8 s’est entretenu ensuite avec le médecin de l’unité, qui a indiqué que le personnel hospitalier avait peur du plaignant parce qu’il affichait un comportement violent à leur endroit.

L’AT no 8 a indiqué que lui-même et l’ÉIU étaient arrivés à l’hôpital à 23 h 20 h et qu’ils étaient entrés dans l’unité des soins intensifs psychiatriques (USPI) à 23 h 40, après avoir parlé au personnel infirmier au sujet du comportement du plaignant et de la nécessité de lui administrer des médicaments et de le maîtriser. L’AT no 8 a également décrit le plaignant comme un homme de taille imposante et musclé, qui a immédiatement commencé à crier contre son équipe. Vers minuit le 28 septembre, le plaignant a accepté de prendre ses médicaments et trois fioles lui ont été administrés sans aucun effet apparent. Après 20 minutes et après avoir parlé à nouveau avec le médecin, l’ÉIU est retournée dans l’USPI avec quatre agents de sécurité et a constaté que plaignant avait la poitrine gonflée et les poings serrés et que pendant que l’AI no 2 tentait de parler calmement avec lui, le plaignant menaçait de tuer les agents de l’ÉIU et leurs familles.

À ce moment-là, L’AT no 8 a quitté l’USIP et a de nouveau consulté le médecin, qui l’a informé que deux doses supplémentaires du médicament seraient administrées; toutefois, le plaignant a seulement accepté de prendre une dose supplémentaire. L’ÉIU a de nouveau attendu que le médicament fasse effet, alors que le plaignant continuait de faire les cent pas; le plaignant s’est rendu au téléphone et a arraché le cordon du mur et semblait s’apprêter à lancer l’appareil vers l’ÉIU.

Puis, l’ÉIU a suivi le plaignant sur une distance d’environ 4,5 à 6 mètres, quand le plaignant s’est retourné, les poings serrés, et s’est approché des agents, en criant et en jurant. L’équipe a ordonné au plaignant d’arrêter d’avancer, mais il a continué, et les AI nos 1, 2 et 3 ont utilisé leur AIÉ contre le plaignant. L’AT no 8 a ensuite demandé aux agents de sécurité de ramener le lit muni des moyens de contention vers le plaignant, qui y a pris place et s’est plaint de douleur à la hanche.

Durant sa déclaration, l’AT no 10 a également ajouté que même après la décharge des AIÉ par les trois agents, le plaignant a tenté de se relever et, environ dix secondes plus tard, l’AT no 10 a entendu le son de l’une des AIÉ en voie d’être utilisé contre le plaignant.

Les enregistrements des communications et le registre confirment les déclarations de tous les témoins.

Les relevés des AIÉ montrent que l’AIÉ no 1 a utilisé son AIÉ à trois reprises, chaque fois pendant cinq secondes; l’AI no 3 a utilisé son AIÉ à deux reprises, chaque fois pendant cinq secondes; et l’AI no 2 a utilisé son AIÉ à trois reprises, chaque fois pendant cinq secondes;

Malgré le nombre de fois que les AIÉ ont été utilisées contre le plaignant, il ne semble pas que les chocs électriques eux-mêmes lui aient causé du tort, mais plutôt la chute qui a suivi et durant laquelle il a subi une fracture sous-capitale du fémur droit, avec déplacement supéro-latéral de celui-ci.

En vertu du paragraphe 25(1) du Code criminel, les agents de police peuvent seulement recourir à la force qui est raisonnablement nécessaire dans l’exécution d’une obligation légale. En premier lieu, pour ce qui est de la légalité de l’appréhension du plaignant, il ressort clairement des déclarations de tous les témoins, y compris du personnel infirmier qui avait la responsabilité de soigner le plaignant, que ce dernier était hors de contrôle, hostile, agressif et menaçant. Compte tenu de la taille et de l’aspect physique du plaignant, il était clair que le personnel hospitalier craignait qu’il ne réussisse pas à contrôler le plaignant, même avec l’aide de quatre agents de sécurité employés par l’hôpital. Par conséquent, le plaignant pouvait faire l’objet d’une arrestation en vertu du Code criminel pour avoir menacé d’infliger des lésions corporelles (al. 264.1(1)a)) ou des dommages matériels (al. 264.1(1)b)); de plus, le plaignant satisfaisait aux critères d’arrestation en vertu de la Loi sur la santé mentale comme constituant un danger pour lui-même ou pour autrui. Par conséquent, l’arrestation du plaignant était légalement justifiée dans les circonstances.

En ce qui a trait à la force utilisée par les agents dans leurs tentatives faites pour maîtriser le plaignant, je conclus que leur comportement était plus que justifié dans les circonstances et qu’ils n’ont pas utilisé plus de force que nécessaire pour maîtriser le plaignant. J’ai tenu compte des facteurs suivants pour déterminer exactement quelles étaient les circonstances particulières de l’incident examiné ici :

  • Le plaignant était un homme extrêmement corpulent et fort
  • Il n’était pas possible de raisonner avec le plaignant
  • Le plaignant a continué d’afficher un comportement violent et agressif même après avoir reçu au moins quatre fioles de médicaments, voire plus, qui auraient dû le tranquilliser et le rendre obéissant
  • Avant d’agir, l’AT no 8 a suivi les conseils du médecin qui traitait le plaignant et qui connaissait à la fois ses antécédents et son comportement
  • Le plaignant s’avançait vers les agents au moment de l’utilisation des AIÉ et posait un risque pour eux
  • Tous les moyens moins radicaux avaient déjà été tentés et avaient échoué, y compris la sédation chimique
  • Au moment où l’ÉIU a eu recours aux AIÉ, la police avait déjà été présente sur les lieux plus de quatre heures pour tenter de calmer le plaignant, mais leurs efforts avaient été en vain; et
  • Même après l’utilisation initiale des AIÉ, on a constaté que le plaignant tentait de se relever et chacun des trois agents estimait qu’il était nécessaire de choquer le plaignant au moins une fois de plus, avant qu’il obtempère finalement

À la lumière de ces circonstances particulières, je ne puis conclure que les actes des agents constituaient un recours excessif à la force. Je note également qu’à aucun moment, le plaignant n’a perdu conscience et n’a subi aucune conséquence directe des décharges des AIÉ, mais qu’il a plutôt subi sa blessure lorsqu’il est tombé au sol à la suite de la décharge d’une ou de plusieurs AIÉ. Puisqu’il est impossible de déterminer si la fracture de la hanche causée par la chute était due à l’utilisation d’une seule AIÉ ou à l’utilisation simultanée des trois AIÉ ou à une nouvelle décharge d’une ou de plusieurs AIÉ, il n’est pas possible de déterminer si le plaignant aurait subi la même blessure si une seule AIÉ avait été utilisée. Or, il est clair que l’utilisation de plus d’une AIÉ était plus que justifiée dans les circonstances; je ne crois pas que l’utilisation simultanée par trois agents différents de leur AIÉ aggrave leurs actions au point où elles constitueraient un comportement criminel. Dans une situation fluide qui évolue rapidement, comme c’était le cas ici, il n’aurait pas été possible pour chaque agent de déterminer précisément lequel d’entre eux devrait utiliser son AIÉ; tout retard dans l’intervention aurait pu permettre au plaignant de se rapprocher davantage et de les attaquer.

Pour arriver à cette conclusion, je garde à l’esprit l’état du droit énoncé par la Cour suprême du Canada dans R. c. Nasogaluak, [2010] 1 C.S.C. 206 :

Les actes des policiers ne devraient pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Il ne faut pas oublier que ceux-ci accomplissent un travail exigeant et dangereux et qu’ils doivent souvent réagir rapidement à des situations urgentes. Leurs actes doivent alors être appréciés selon ce que commande ce contexte difficile. Comme le juge Anderson l’explique dans R. c. Bottrell (1981), 60 C.C.C. (2d) 211 (C.A.C.B.) :

[traduction] Pour déterminer si la force employée par le policier était nécessaire, les jurés doivent tenir compte des circonstances dans lesquelles le policier y a eu recours. Il aurait fallu leur indiquer qu’on ne pouvait s’attendre à ce que l’appelant mesure la force appliquée avec précision. [p. 218]

En fin analyse, je suis convaincu, pour les motifs qui précèdent, que la détention du plaignant et la manière dont elle a été assurée étaient légitimes malgré la blessure qu’il a subie. Je suis donc convaincu, pour des motifs raisonnables, que les actes commis simultanément par chacune des AI nos 1, 2 et 3 tombent dans les limites prescrites par le droit criminel et qu’il n’y a pas de motifs pour intenter des accusations dans ce cas-ci.

Date : 27 septembre 2017

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) [1] Les notes des AT nos 1, 2, 5 et 6 ont été examinées; leur rôle consistait à attendre l’arrivée des agents de l’ÉIU. Ils n’étaient pas dans la salle de soins psychiatriques où les agents de police de l’EIU sont entrés en contact avec le plaignant. [Retour au texte]
  • 2) [2] Cela va dans le sens des déclarations faites par les AT nos 10 et 6, selon lesquels ils ont entendu l’un des agents de l’EIU recharger son AIÉ une dizaine de secondes après que le plaignant était tombé au sol. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.