Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 16-OCI-289

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu une allégation d’agression sexuelle.

Les « blessures graves » englobent celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, a priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant que la gravité de la blessure puisse être évaluée, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider de l’envergure de son intervention.

Le présent rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur la blessure grave subie par un homme de 18 ans le 16 novembre 2016 lors de son arrestation en vertu de la Loi sur la santé mentale (LSM).

L’enquête

Notification de l’UES

Le 16 novembre 2016, à 20 h 15, le Service de police de Simcoe-Sud (SPSS) a informé l’UES que le plaignant avait subi une blessure durant sa mise sous garde.

Le SPSS a déclaré que le mercredi 16 novembre 2016, à 13 h 53, les agents du SPSS étaient intervenus à la suite d’un appel fait au numéro 9-1-1 par le témoin civil (TC). Elle a signalé que le plaignant était hors contrôle et frappait et créait des trous dans les murs de leur résidence. Des agents de police sont intervenus et ont appréhendé le plaignant en vertu de la LSM après une brève poursuite à pied et une altercation au sol dans une zone boisée directement derrière la propriété. Le plaignant s’est plaint d’une blessure au genou et a été transporté par ambulance à l’hôpital où, selon le diagnostic posé, il avait une fracture au plateau tibial gauche et où il a été admis en attendant des procédures supplémentaires. Une date de chirurgie a été fixée.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 4

Nombre d’enquêteurs judiciaires de l’UES assignés : 1

Les enquêteurs judiciaires de l’UES se sont rendus sur les lieux et ont repéré et préservé les preuves. Ils ont documenté les lieux pertinents de l’incident au moyen de notes et de photographies.

Plaignant

Entretien avec l’homme âgé de 18 ans, obtention et examen des dossiers médicaux

Témoin civil (TC)

TC A participé à une entrevue

Agents témoins (AT)

AT n° 1 A participé à une entrevue

AT no 2 A participé à une entrevue[1]

AT no 3 A participé à une entrevue

AT no 4 A participé à une entrevue

Agent impliqué (AI)

AI A participé à une entrevue, et ses notes ont été reçues et examinées.

Éléments de preuve

Les lieux de l’incident

Le plaignant a été arrêté dans une forêt au-delà de la limite de la propriété de sa résidence à Innisfil. Il s’agit d’une grande zone boisée où les arbres sont espacés et où il est donc facile de se déplacer. Le sol forestier était couvert de feuilles mortes, de petites et grosses branches mortes et de pierres. Le terrain est assez plat. Les lieux n’ont pas été bouclés, mais ont ensuite été photographiés par un enquêteur judiciaire de l’UES. Voici une photo de la zone boisée :

Le plaignant a été arrêté dans une forêt au-delà de la limite de la propriété de sa résidence à Innisfil.

Preuve vidéo/audio/photographique

L’UES a inspecté les lieux pour déterminer s’il y avait des enregistrements vidéo ou audio et des preuves photographiques, mais n’a pas réussi à en trouver.

Enregistrements des communications

Enregistrement des communications au numéro 9-1-1

Les enquêteurs de l’UES ont obtenu et examiné l’enregistrement de l’appel au numéro 9-1-1 du Centre de communication. Le TC a appelé le numéro 9-1-1 et a demandé que la police l’aide à maîtriser le plaignant. Elle a déclaré qu’il était chez elle, qu’il était hors contrôle, qu’il causait des dommages à la propriété et qu’il menaçait de faire du tort à d’autres personnes dans la maison. Elle s’attendait à ce que le plaignant soit poli avec la police à leur arrivée. On pouvait entendre la voix d’un homme agité en arrière-plan au moment de l’appel au numéro 9-1-1. Le préposé aux communications est resté sur la ligne téléphonique avec le TC jusqu’à ce qu’elle lui informe que les agents de police étaient arrivés.

Dossiers obtenus du service de police

Sur demande, l’UES a obtenu les documents suivants du SPSS et les a examinés :

  • Répartition assistée par ordinateur
  • Enregistrements des communications
  • Fiches de service – 16 novembre 2016
  • Tableau des données GPS – quatre véhicules de police
  • Notes des AT nos 1, 2, 3 et 4
  • Détails de l’incident
  • Contacts antérieurs
  • Procédure - Personnes atteintes de maladie mentale; et
  • Procédure – Arrestation et libération

Description de l’incident

Au cours de l’après-midi du 16 novembre 2016, le TC a appelé le 9-1-1 pour demander de l’aide policière. Le TC a indiqué que le plaignant causait des dommages dans la résidence et qu’il était hors contrôle.

L’AI et les AT nos 1, 2 et 3 se sont rendus à la résidence dans le but d’arrêter le plaignant en vertu de la Loi sur la santé mentale (LSM). L’AT no 1 est entré dans la maison, et le plaignant est sorti par les portes arrière en courant pour fuir dans une forêt adjacente. Les AT nos 1 et 2 et l’AI ont pris en chasse le plaignant, qui a continué à courir sur ses chaussettes sur le terrain accidenté. Le plaignant est tombé à deux reprises pendant qu’il courait et immédiatement après la deuxième chute, s’est plaint que son genou gauche était cassé. Les trois agents ont maîtrisé le plaignant sur le sol pendant qu’on lui passait les menottes. Ce faisant, l’AI a placé son genou sur la cuisse gauche du plaignant, ce qui lui a causé une douleur considérable.

Étant donné que le plaignant n’était pas en mesure de marcher en raison de la douleur causée par son genou, des ambulanciers paramédicaux se sont rendus dans la zone boisée et ont transporté le plaignant à l’hôpital. Les radiographies ont révélé que le plaignant avait subi une fracture au plateau tibial gauche.

Lois pertinentes

Article 17, Loi sur la santé mentale – Intervention de l’agent de police

17 Si un agent de police a des motifs raisonnables et probables de croire qu’une personne agit ou a agi d’une façon désordonnée et qu’il a des motifs valables de croire que cette personne :

  1. soit a menacé ou tenté de s’infliger des lésions corporelles ou menace ou tente de le faire
  2. soit s’est comportée ou se comporte avec violence envers une autre personne ou de manière à lui faire craindre qu’elle lui causera des lésions corporelles
  3. soit a fait ou fait preuve de son incapacité de prendre soin d’elle-même

et qu’en plus, il est d’avis que cette personne souffre, selon toute apparence, d’un trouble mental d’une nature ou d’un caractère qui aura probablement l’une des conséquences suivantes :

  1. elle s’infligera des lésions corporelles graves
  2. elle infligera des lésions corporelles graves à une autre personne
  3. elle subira un affaiblissement physique grave

et qu’il serait dangereux d’agir selon les termes de l’article 16, il peut amener sous garde cette personne dans un lieu approprié afin qu’elle soit examinée par un médecin.

Paragraphe 25(1), Code criminel - Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :

  1. soit à titre de particulier
  2. soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
  3. soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
  4. soit en raison de ses fonctions

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Paragraphes 430(1) et (4), Code criminel – Méfait

430 (1) Commet un méfait quiconque volontairement, selon le cas :

  1. détruit ou détériore un bien
  2. rend un bien dangereux, inutile, inopérant ou inefficace
  3. empêche, interrompt ou gêne l’emploi, la jouissance ou l’exploitation légitime d’un bien
  4. empêche, interrompt ou gêne une personne dans l’emploi, la jouissance ou l’exploitation légitime d’un bien

(4) Quiconque commet un méfait à l’égard d’un bien, autre qu’un bien visé au paragraphe (3), est coupable :

  1. soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de deux ans
  2. soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire

Analyse et décision du directeur

Le 16 novembre 2016, à environ 13 h 53, un appel au numéro 9-1-1 a été reçu par le SPSS pour demander de l’aide dans une résidence à Innisfil. L’appelante, le TC, a déclaré que le plaignant brisait des objets dans la maison et qu’il était hors contrôle et qu’elle avait besoin de l’aide de la police. Par conséquent, l’AI et les AT nos 2 et 3 ont été envoyés à la résidence. Sur les lieux, le plaignant a été appréhendé en vertu de la LSM; après son interaction avec les agents de police, il a été transporté à l’hôpital, où selon le diagnostic, il avait subi une fracture au plateau tibial gauche (une fracture tout à fait en haut de l’os du tibia, dans l’articulation du genou), nécessitant une intervention chirurgicale.

Durant l’enquête, deux témoins civils, dont le plaignant, et cinq agents de police témoins, y compris l’AI, ont été interviewés; tous les agents de police ont également fourni pour examen les notes entrées dans leur calepin. En outre, les enquêteurs avaient également accès aux documents de communication et au registre.

Dans sa déclaration aux enquêteurs, l’AI a indiqué qu’il s’était rendu à la résidence avec les AT nos 1, 2 et 3. L’AI a indiqué qu’à son arrivée, l’appelante, le TC, était émotionnelle et insistait vivement pour que le plaignant soit amené à l’hôpital. Pendant que les AT nos 1 et 3 entraient dans la maison pour parler avec le plaignant, l’AT no 2 s’est rendu au côté est de la résidence, et l’AI, au côté ouest de celle-ci, vers la cour arrière. L’AI a indiqué que lorsqu’il qu’il a entendu les AT nos 1 et 3 parler avec le plaignant, il a rebroussé chemin pour revenir à la cour avant, mais au moment où il gravissait les marches du porche avant, il a entendu l’un des agents crier de l’intérieur de la maison [traduction] « Il fuit par l’arrière de la maison » et l’AI est immédiatement retourné à la cour arrière par le côté ouest de la maison. Une fois dans la cour arrière, l’AI a vu les AT nos 1 et 2 poursuivre le plaignant à pied. L’AI a expliqué qui lui aussi a couru vers la zone boisée et, lorsqu’il a levé les yeux, a vu le plaignant couché sur le ventre au sol, avec ses mains derrière le dos. L’AI a indiqué qu’il n’avait pas vu le plaignant aboutir sur le sol et qu’il n’avait aucune idée de la façon dont cela s’était produit, mais il a vu que les AT nos 1 et 2 étaient agenouillés de part et d’autre du tronc du plaignant et qu’ils tenaient ses mains et ses bras. L’AI a constaté que l’AT no 1 tentait de passer les menottes au plaignant, qui avait les mains dans le dos, et qu’il a ensuite placé le genou droit sur la cuisse gauche du plaignant, au-dessus du genou, et le maintenait par terre; puis, l’AI s’est penché vers l’avant et a tenu les deux mains du plaignant pendant que l’AT no 1 lui passait les menottes. L’AI a indiqué qu’il avait l’intention de contrôler les membres inférieurs du plaignant, pendant que les AT nos 1 et 2 contrôlaient le haut du corps du plaignant et le menottaient. L’AI a indiqué que ses gestes étaient conformes à la procédure sur le recours à la force qui lui avait été enseignée. L’AI a précisé qu’il avait placé son genou sur la partie supérieure de la cuisse gauche du plaignant pendant environ 20 à 30 secondes et que lui et l’AT no 1 avaient alors aidé le plaignant à se remettre debout et que le plaignant avait immédiatement commencé à dire qu’il s’était blessé à la jambe et qu’il ne pouvait pas mettre de poids dessus. L’AI a indiqué qu’il n’avait rien entendu de ce qui s’était dit avant son arrivée à la résidence du plaignant et qu’il ignorait que le plaignant avait subi une blessure. L’AI a indiqué qu’à aucun moment, il avait exercé de la pression sur l’arrière du genou gauche du plaignant et qu’il n’avait pas intentionnellement causé de blessure au plaignant.

La déclaration de l’AT no 1 concordait avec celle de l’AI, hormis quelques ajouts. L’AT no 1 a indiqué qu’il avait dit au plaignant en criant [traduction] « Arrêtez, police! », lorsque le plaignant s’était mis à courir et que lui-même et l’AT no 2 l’avaient ensuite pris en chasse. L’AT no 1 a expliqué que durant la poursuite à pied, l’AT no 2 était tombé durement sur le sol, tandis que le plaignant poursuivait sa course dans la forêt. L’AT no 1 avait ensuite dépassé l’AT no 2 en courant et avait continué de poursuivre le plaignant, quand il a entendu le plaignant crier qu’il s’était fait mal à la jambe en tombant. L’AT no 1 s’est alors approché du plaignant, qui était couché sur le ventre avec les deux mains au-dessus de la tête, et il s’est placé à droite du plaignant et a tenté de garder le contrôle de son poignet droit pendant qu’il plaçait son genou sur sa fesse droite. L’AT no 1 a indiqué que l’AT no 2 et l’AI sont arrivés à ce moment-là et que l’AT no 1 a maintenu le contrôle de la main droite du plaignant; puis l’AT no 2 et l’AI ont amené la main gauche du plaignant derrière son dos et l’ont menotté. L’AT no 1 a déclaré qu’il a également entendu le TC crier [traduction] « Cesse de résister ». L’AT no 1 a indiqué que lui et l’AI ont alors tenté de retourner le plaignant sur les fesses et que ce dernier s’est alors plaint que sa jambe gauche était endolorie; lorsque l’AT no 1 et l’AI ont tenté de soulever le plaignant pour le remettre debout, il avait trop mal pour se tenir sur ses pieds.

L’AT no 2 a expliqué qu’il était à l’extérieur de la maison et se rapprochait de la cour arrière lorsqu’il a entendu le plaignant crier quelque chose qui signifiait qu’il ne les accompagnerait par et qu’il a entendu ensuite l’AT no 1 crier [traduction] « il prend la fuite », auquel moment l’AT no 2 a vu le plaignant courir vers la zone boisée au bord de la propriété et s’est mis à courir après lui. L’AT no 2 a vu le plaignant tomber au sol et ôté ses souliers et sa veste; l’AT no 2 a indiqué qu’à ce moment-là, il se trouvait à environ 45 à 50 mètres derrière le plaignant, qui s’est immédiatement remis debout et qui a poursuivi sa course dans la forêt. L’AT no 2 a ensuite vu le plaignant trébucher et faire une nouvelle chute en atterrissant sur le ventre. L’AT no 2 a précisé que le sol forestier était jonché de feuilles mortes, de petites et grosses branches et de pierres et que lui aussi avait trébuché et était tombé. Puis l’AT no 2 a couru vers le plaignant et a constaté qu’il était couché sur le dos et tentait de s’asseoir, auquel moment le plaignant a indiqué qu’il avait mal à la jambe. L’AT no 1 est ensuite arrivé et ensemble ils ont retourné le plaignant sur le ventre; l’AT no 1 avait le contrôle du bras droit du plaignant et l’AT no 2 s’est placé au côté gauche du tronc du plaignant, et a retiré le bras gauche de ce dernier qui se trouvait sous sa poitrine. Selon l’AT no 2, à ce moment-là, l’AI est arrivé et a prêté main-forte en contrôlant les jambes du plaignant. L’AI a alors maintenu les mains et les bras du plaignant derrière son dos, tandis que l’AT no 1 passait les menottes au plaignant. Le plaignant s’est plaint qu’il avait mal à la jambe.

L’AT no 3, qui est resté dans la cour arrière et n’a pas pris part à la poursuite à pied, a vu que le plaignant courait, que l’AT no 2 a glissé et est tombé lourdement sur le sol et que l’AT no 1 avait dépassé l’AT no 2 durant sa poursuite du plaignant. L’AT no 3 s’est rendu jusqu’à l’AT no 2 pour s’assurer qu’il se portait bien, et ce dernier s’est alors remis debout et a couru pour rattraper l’AT no 1. L’AT no 3 n’a pas vu le plaignant tomber au sol, mais il a observé l’AT no 1 à la droite de celui-ci et l’AI à sa gauche alors que le plaignant était menotté, les mains dans le dos.

Compte tenu de l’ensemble de la preuve, mais tout en accordant un poids particulier à la preuve fournie par le plaignant et le TC, il est clair que le plaignant, tout en tentant d’échapper aux agents de police, est tombé au moins une fois. La dernière fois qu’il est tombé, de son propre aveu et comme l’a confirmé le TC, le plaignant croyait que son genou gauche était fracturé. C’était avant que l’AI ait eu un quelconque contact avec le plaignant. Rien que d’après cet élément de preuve, il est clair que le plaignant s’est blessé lui-même avant l’arrivée de l’AI et qu’il croyait alors que sa jambe était cassée.

D’après la preuve fournie par l’AI, corroborée par la preuve fournie par le TC et le plaignant et par les trois autres agents de police qui étaient présents, l’AI n’était pas sur les lieux ni quand le plaignant est tombé ni quand il a fait les affirmations rapportées, mais est arrivé peu après et a procédé de la manière dont il avait été formé pour contrôler les jambes du plaignant. Il n’y a absolument aucune preuve que l’AI savait que le plaignant était tombé et s’était blessé au genou ou qu’il avait entendu le plaignant crier que son genou était cassé. Je prends expressément note du fait que l’AT no 1 a aussi placé le genou sur la fesse du plaignant afin de le contrôler tout en essayant de le menotter; pour ce qui est de l’AT no 1, il était toutefois situé à droite du plaignant, tandis que l’AI se trouvait à sa gauche. L’acte consistant à placer le genou sur la fesse du plaignant semble corroborer la déclaration de l’AI selon laquelle les agents de police sont entraînés à prendre le contrôle des membres inférieurs d’une personne en voie d’être menottée et que l’AI appliquait ce qu’il avait appris quand lui aussi a placé un genou sur la cuisse du plaignant.

Bien qu’il soit possible que l’AI ait aggravé la blessure subie par le plaignant lorsqu’il a pris le contrôle de ses jambes et a placé le genou sur sa cuisse, il est de loin plus probable que le genou du plaignant s’était déjà cassé lorsqu’il était tombé; le plaignant donnait certainement l’impression de croire à ce moment-là qu’il s’était cassé la jambe durant la chute. Je n’ai aucun doute que si le genou du plaignant s’était cassé avant l’arrivée de l’AI, le fait pour ce dernier de placer le genou sur la cuisse gauche du plaignant aurait causé au plaignant une douleur extrême, comme c’est le cas pour tout contact avec un membre cassé. Me fondant sur cette preuve, je conclus qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour croire raisonnablement qu’il est plus probable que le genou du plaignant se soit cassé pendant qu’on le maîtrisait que lorsqu’il est tombé et s’est plaint immédiatement qu’il croyait qu’il s’était cassé la jambe.

En vertu du paragraphe 25(1) du Code criminel, les agents de police peuvent seulement recourir à la force qui est raisonnablement nécessaire dans l’exécution d’une obligation légale. Me penchant d’abord sur la légalité de l’appréhension du plaignant, il ressort clairement de l’appel au numéro 9-1-1 que le plaignant causait des dommages à la propriété du TC, qu’il proférait des menaces et qu’il était entièrement hors contrôle et qu’il pouvait donc, à tout le moins, être appréhendé pour méfait à un bien en contravention de l’alinéa 430(1)a) du Code criminel. Ainsi, la poursuite et l’arrestation du plaignant étaient justifiées du point de vue légal dans les circonstances.

En ce qui a trait à la force utilisée par les agents de police dans leurs tentatives pour appréhender et menotter le plaignant, je conclus que leur comportement était justifié dans les circonstances et qu’ils n’utilisaient pas plus de force que nécessaire pour maîtriser le plaignant qui, jusqu’à ce qu’il tombe et se blesse, avait clairement l’intention de se soustraire à la police. Je conclus également qu’il est plus que probable que le plaignant ait subi sa blessure lorsqu’il a trébuché et est tombé. Toutefois, même si elle avait été causée par les efforts de l’AI de prendre le contrôle des jambes du plaignant, je ne peux pas conclure qu’il s’agissait d’un recours excessif à la force. Pour en arriver à cette conclusion, je suis conscient de la loi telle qu’exposée dans R. c. Baxter (1975), 27 C.C.C. (2d) 96 (C. A. de l’Ont.), selon lequel on ne peut pas s’attendre à ce que les policiers apprécient avec exactitude le degré de force qu’ils emploient dans leur intervention, et on ne devrait pas leur appliquer la norme de la perfection (R. c. Nasogaluak [2010] 1 RCS 206).

Dans ce dossier, il n’y a aucune preuve que l’AI savait qu’après que le plaignant était tombé au sol, il était blessé au genou ou qu’il avait dit que sa jambe était cassée; si l’AI avait été au courant de ces circonstances particulières, il aurait fort bien pu recourir à d’autres options pour maîtriser le plaignant. Or, en l’absence de cette connaissance, l’AI prenait le contrôle d’une personne qui fuyait comme il avait appris à le faire, et s’assurait que le plaignant ne ferait pas une nouvelle tentative de fuite avant d’être menotté. Par conséquent, je conclus que la force à laquelle l’AI a eu recours était dans les limites de ce qui était raisonnablement nécessaire dans les circonstances pour procéder à la mise sous garde légale du plaignant.

En dernière analyse, je suis convaincu, pour les motifs qui précèdent, que le placement sous garde du plaignant et la manière dont cela s’est fait étaient légaux malgré la blessure subie, même si j’en venais à conclure que les agents de police l’avaient causée, ce que je ne suis pas enclin à faire. Je suis donc convaincu, pour des motifs raisonnables, que les gestes posés par les agents étaient dans les limites prescrites par le droit criminel et qu’il n’y a pas de motifs de porter des accusations en l’espèce.

Date : 4 octobre 2017

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) [1] L’AT no 2 a été initialement désigné en tant qu’agent impliqué. Toutefois, les entrevues avec les agents témoins n’appuyaient pas la notion selon laquelle l’AT no 2 était l’agent impliqué et l’AT no 2 a été redésigné en tant qu’agent témoin et l’AI a été redésigné en tant qu’agent impliqué. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.