Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 16-OCD-272

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu une allégation d’agression sexuelle.

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur le décès d’un homme de 56 ans survenu le 31 octobre 2016, lorsqu’il a sauté d’un passage supérieur sur l’autoroute 401.

L’enquête

Notification de l’UES

Le 31 octobre 2016, à 21 h, le Service de police régional de Waterloo (SPRW) a avisé l’UES du décès du plaignant.

Le SPRW a indiqué que des agents du SPRW s’étaient rendus à l’intersection de Hespeler Road et de Pinebush Road en réponse à un appel d’un chauffeur de transport en commun au sujet d’un homme [identifié par la suite comme étant le plaignant] qui avait tenté de se jeter devant un autobus et dont le décès a été prononcé plus tard, après sa chute du passage supérieur de Hespeler Road.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 4

Nombre de spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 2

Les enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES se sont rendus sur les lieux et ont identifié des éléments de preuve qu’ils ont préservés. Ils ont documenté les lieux pertinents associés à l’incident par des notes, des photographies, des croquis et des mesures.

Plaignant

Homme de 56 ans, décédé.

Témoins civils

TC no 1 A participé à une entrevue

TC no 2 A participé à une entrevue

TC no 3 A participé à une entrevue

TC no 4 A participé à une entrevue

TC no 5 A participé à une entrevue

TC no 6 A participé à une entrevue

TC no 7 A participé à une entrevue

TC no 8 A participé à une entrevue

TC no 9 A participé à une entrevue

TC no 10 A participé à une entrevue

TC no 11 A participé à une entrevue

TC no 12 A participé à une entrevue

TC no 13 A participé à une entrevue

Agents témoins

AT no 1 A participé à une entrevue

AT no 2 A participé à une entrevue

AT no 3 A participé à une entrevue

Agent impliqué

AI A participé à une entrevu et ses notes ont été reçues et examinées

Éléments de preuve

Les lieux

Il s’agit des voies en direction est de l’autoroute 401, sous le passage supérieur de Hespeler Road. Hespeler Road (Highway 24) est une route nord-sud qui croise l’autoroute 401 par un passage supérieur. Hespeler Road est reliée à l’autoroute 401 par des bretelles d’accès, tel qu’illustré ci-dessous.

Photo prise de Google Map

Le passage supérieur de Hespeler Road qui enjambe l’autoroute 401 est bordé de chaque côté par un muret de béton d’une hauteur d’environ un mètre. Le dessus du muret de béton est à environ huit mètres au-dessus de la voie est de l’autoroute 401.

Voici une photo du passage supérieur prise depuis l’autoroute 401.

Image

Preuve d’expert

Le lundi 1er novembre 2016, un pathologiste a procédé à un examen post-mortem du plaignant et a conclu que la cause du décès était un traumatisme contondant du torse.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio et de photographies

L’UES a reçu des enregistrements de télévision en circuit fermé (TVCF) de Grant River Transit (GRT) ainsi qu’un une vidéo prise par le TC no 13.

Enregistrements TVCF de Grand River Transit

Les enquêteurs de l’UES ont obtenu et examiné les enregistrements de TVCF de GRT. On y voyait ce qui suit :

  • à 20 h 2 min 48 s, le plaignant est debout sur le bord de la chaussée de la voie de droite, direction nord, de Hespeler Road. Lorsque l’autobus de GRT s’approche de lui, le plaignant se précipite devant l’autobus. L’autobus s’arrête. Le plaignant se relève et se dirige vers le trottoir du côté est.

Enregistrements des communications

Résumé des appels au 9-1-1

Les enquêteurs de l’UES ont obtenu auprès du SPRW les enregistrements des communications audio et le rapport chronologique de l’incident, et les ont examinés. Ces enregistrements et ce rapport n’étaient pas horodatés, mais décrivaient ce qui suit :

  • L’opérateur du 9-1-1 du SPRW a reçu plusieurs appels de témoins indiquant avoir vu un homme [identifié par la suite comme étant le plaignant] qui essayait de sauter devant des véhicules qui roulaient sur Hespeler Road; et
  • Plusieurs autres témoins ont également confirmé à l’opérateur du 9-1-1 que le plaignant tentait de grimper sur le muret de protection en béton du pont et qu’on les avait informés que des agents de police étaient en route.

Le rapport sur la chronologie de l’incident, obtenu auprès du SPRW, corrobore les enregistrements audio des communications et n’indique aucun témoin qui aurait vu le plaignant sauter du passage supérieur de Hespeler Road.

Documents obtenus auprès des services de police

L’UES a demandé les documents suivants au SPRW et au détachement de Cambridge de la Police provinciale (Division de la sécurité routière), qu’elle a obtenus et examinés :

  • Enregistrements des communications;
  • Rapport du système de répartition assistée par ordinateur;
  • Notes de divulgation;
  • Notes de l’AT no 1, de l’AT no 2 et de l’AT no 3;
  • Rapports d’incidents (multiples, concernant le plaignant); et
  • Politique et procédure du SPRW – Personnes souffrant de troubles mentaux, de troubles du développement et de troubles émotionnels.

Description de l’incident

Dans la soirée du 31 octobre 2016, le plaignant se trouvait sur Hespeler Road, près du passage supérieur qui enjambe l’autoroute 401, à Waterloo. Il est passé en courant devant des véhicules circulant vers le nord, dont des voitures, un camion et un autobus de GRT. Tous les conducteurs de ces véhicules sont parvenus à éviter de heurter le plaignant.

Le plaignant a ensuite grimpé sur le muret du pont de l’autoroute 401. Des agents du SPRW, dont l’AI, ont été envoyés sur les lieux. Ils ont trouvé le plaignant assis sur le muret du pont, regardant l’autoroute en contrebas. Malgré les efforts déployés par l’AI pour communiquer avec lui, le plaignant a ignoré l’agent et a sauté. Le plaignant a atterri sur la chaussée, environ 8 mètres plus bas, et est décédé des suites de ses blessures.

Dispositions législatives pertinentes

Article 215, paragraphes 1 et 2, Code criminel - Devoir de fournir les choses nécessaires à l’existence

215 (1) Toute personne est légalement tenue :

  1. en qualité de père ou mère, de parent nourricier, de tuteur ou de chef de famille, de fournir les choses nécessaires à l’existence d’un enfant de moins de seize ans;
  2. de fournir les choses nécessaires à l’existence de son époux ou conjoint de fait;
  3. de fournir les choses nécessaires à l’existence d’une personne à sa charge, si cette personne est incapable, à la fois :
    1. par suite de détention, d’âge, de maladie, de troubles mentaux, ou pour une autre cause, de se soustraire à cette charge,
    2. de pourvoir aux choses nécessaires à sa propre existence.

(2) Commet une infraction quiconque, ayant une obligation légale au sens du paragraphe (1), omet, sans excuse légitime, dont la preuve lui incombe, de remplir cette obligation, si :

  1. à l’égard d’une obligation imposée par l’alinéa (1)a) ou b) :
    1. ou bien la personne envers laquelle l’obligation doit être remplie se trouve dans le dénuement ou dans le besoin,
    2. ou bien l’omission de remplir l’obligation met en danger la vie de la personne envers laquelle cette obligation doit être remplie, ou expose, ou est de nature à exposer, à un péril permanent la santé de cette personne;
  2. à l’égard d’une obligation imposée par l’alinéa (1)c), l’omission de remplir l’obligation met en danger la vie de la personne envers laquelle cette obligation doit être remplie, ou cause, ou est de nature à causer, un tort permanent à la santé de cette personne

Articles 219-220, Code criminel – Négligence criminelle

219 (1) Est coupable de négligence criminelle quiconque :

  1. soit en faisant quelque chose;
  2. soit en omettant de faire quelque chose qu’il est de son devoir d’accomplir,

montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui.

(2) Aux fins de la présente section, devoir désigne une obligation imposée par la loi.

220 Quiconque, par négligence criminelle, cause la mort d’une autre personne est coupable d’un acte criminel passible :

  1. s’il y a usage d’une arme à feu lors de la perpétration de l’infraction, de l’emprisonnement à perpétuité, la peine minimale étant de quatre ans;
  2. dans les autres cas, de l’emprisonnement à perpétuité.

Article 17, Loi sur la santé mentale – Intervention de l’agent de police

17 Si un agent de police a des motifs raisonnables et probables de croire qu’une personne agit ou a agi d’une façon désordonnée et qu’il a des motifs valables de croire que cette personne :

  1. soit a menacé ou tenté de s’infliger des lésions corporelles ou menace ou tente de le faire;
  2. soit s’est comportée ou se comporte avec violence envers une autre personne ou de manière à lui faire craindre qu’elle lui causera des lésions corporelles;
  3. soit a fait ou fait preuve de son incapacité de prendre soin d’elle-même,

et qu’en plus, il est d’avis que cette personne souffre, selon toute apparence, d’un trouble mental d’une nature ou d’un caractère qui aura probablement l’une des conséquences suivantes :

  1. elle s’infligera des lésions corporelles graves;
  2. elle infligera des lésions corporelles graves à une autre personne;
  3. elle subira un affaiblissement physique grave,

et qu’il serait dangereux d’agir selon les termes de l’article 16, il peut amener sous garde cette personne dans un lieu approprié afin qu’elle soit examinée par un médecin.

Analyse et décision du Directeur

Le 31 octobre 2016, peu après 20 h, le plaignant a sauté du passage supérieur de Hespeler Road sur l’autoroute 401, à Waterloo. Le plaignant a fait une chute de huit mètres sur la chaussée, la tête la première. Malgré les tentatives effectuées pour le réanimer, le plaignant est décédé à la suite du traumatisme contondant. Du fait de la présence de l’AI (de même que de l’AT no 2) sur le pont au moment où le plaignant a sauté, la question que je dois trancher est celle de savoir s’il existe des motifs raisonnables de croire que l’un ou l’autre de ces agents portent une responsabilité quelconque dans le décès du plaignant et devraient faire l’objet d’accusations criminelles.

Au moment de sa mort, le plaignant souffrait manifestement de troubles mentaux. D’après les déclarations de nombreux témoins civils, que confirme la vidéo de l’autobus de GRT, il ne fait aucun doute que le plaignant était déterminé à se suicider dans la soirée du 31 octobre. à plusieurs reprises ce soir-là, le plaignant s’est précipité en courant devant des véhicules qui roulaient vers le nord sur Hespeler Road, près du passage supérieur de l’autoroute 401. Dans chaque cas, le véhicule est parvenu à l’éviter. La vidéo de l’autobus de GRT confirme que le plaignant s’est également jeté devant l’autobus.

De nombreux témoins civils ont également déclaré avoir vu le plaignant marcher sur le passage supérieur de l’autoroute 401, franchir le muret de béton du pont et se tenir debout sur le rebord. Des témoins l’ont également vu assis sur le muret, regardant les voies en direction de l’est de l’autoroute 401. Tout cela s’est produit avant l’arrivée des policiers.

L’AI est le premier policier arrivé sur les lieux. à son arrivée, le plaignant était déjà assis sur le muret de béton du pont, face aux voies en direction est de l’autoroute 401. Ne voulant pas alarmer le plaignant, l’agent est sorti de son véhicule de police les bras en l’air. Il s’est ensuite avancé de trois mètres vers le plaignant en lui disant à plusieurs reprises, « Come on man, you don’t want to do that. Talk to me what’s going on » [Voyons, tu ne veux pas faire ça. Explique-moi ce qui se passe]. Environ une minute plus tard, l’AT no 2 est arrivé et a aussi essayé de parler au plaignant, mais sans obtenir de réponse. L’AI a demandé au répartiteur de fermer les voies en direction nord de Hespeler Road ainsi que la bretelle de sortie de l’autoroute 401 Est à Hespeler Road. L’AI a ensuite escaladé le garde-corps du pont, près de la bretelle d’accès, et a vu le plaignant debout sur le rebord du pont, agrippé au muret de béton. Les voies en direction de l’est et de l’ouest de l’autoroute 401 étaient fermées et il n’y avait aucun mouvement sous le pont. Soudain, le plaignant a lâché prise et est tombé sur la voie en direction est de l’autoroute 401, atterrissant la tête la première. L’AI a immédiatement couru vers le plaignant. Le plaignant était étendu sur le dos sans bouger. L’AI a commencé la réanimation cardiopulmonaire (RCR) et, finalement, le plaignant a commencé à respirer. Des ambulanciers paramédicaux sont arrivés et l’AI les a aidés à placer le plaignant dans une ambulance.

Lorsque l’AT no 2 est arrivé, l’AI et l’AT no 3 étaient déjà sur les lieux, à environ 9,75 mètres du plaignant.[1] Le plaignant était assis sur le muret de béton du pont, face aux voies est de l’autoroute 401. Lorsque l’AI a dit au plaignant qu’ils étaient là pour l’aider, le plaignant n’a pas répondu et a regardé les voies est de l’autoroute 401 en dessous. L’AT no 3 est parti pour bloquer la circulation en direction est de l’autoroute 401. L’AT no 2 était à environ neuf mètres du plaignant et lui a dit que les policiers étaient là pour l’aider. Le plaignant regardait toujours les voies en direction est de l’autoroute 401 au-dessous de lui. Le plaignant s’est alors retourné vers l’AT no 2 et a dit quelque chose que l’AT no 2 n’a pas réussi à comprendre. L’AT no 2 a fait quelques pas en direction du plaignant et était à environ six mètres de lui lorsque le plaignant a décidé de se rapprocher du bord du muret. L’AT no 2 a dit au plaignant que rien ne pressait et qu’il allait reculer de quelques pas. L’AI était à environ 4,5 mètres de lui à ce moment-là. Quelques minutes plus tard, le plaignant s’est retourné et s’est suspendu contre le muret de béton, tenant le bord de ses mains. L’AT no 2 a fait quelques pas vers le plaignant et a tenté d’engager une conversation avec lui, mais le plaignant n’a pas répondu. Environ deux minutes plus tard, le plaignant a lâché prise et est tombé sur la voie est de l’autoroute 401. L’AI est arrivé aux côtés du plaignant en premier et a commencé la RCR.

Les infractions à considérer dans cette affaire sont la négligence criminelle ayant causé la mort et le manquement au devoir de fournir les choses nécessaires à l’existence. La négligence criminelle est définie dans le Code criminel comme « ... montrer une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui en faisant quelque chose ou omettant de faire quelque chose qu’il est de son devoir d’accomplir. » Le devoir désigne une obligation légale, que ce soit en vertu d’une loi ou de la common law[2] . De la même façon, en vertu du Code criminel, quelqu’un peut être légalement tenu de fournir les choses nécessaires à l’existence d’une personne à sa charge, si cette personne « est incapable, par suite de détention, d’âge, de maladie, de troubles mentaux, ou pour une autre cause, de se soustraire à cette charge, et incapable de pourvoir aux choses nécessaires à sa propre existence. » Les deux infractions sont des infractions de négligence criminelle et exigent pour le moins une conduite qui correspond à un écart marqué et important par rapport à ce qu’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les circonstances.[3]

En ce qui concerne l’infraction de manquement au devoir de fournir les choses nécessaires à l’existence, cette disposition ne s’appliquerait que si le plaignant était à la charge de l’AI (ou de l’AT no 2) alors qu’il était sur le pont. Je ne pense pas que c’était le cas. En effet, le plaignant n’était pas détenu, puisqu’il n’y avait pas de mandat exigeant sa détention ni de motifs qui auraient justifié son arrestation pour une infraction qu’il aurait commise. De même, rien n’empêchait le plaignant de se sortir lui-même de cette situation. Les agents étaient là simplement pour offrir de l’aide au plaignant dans une situation très difficile. Tout au plus, ils auraient pu placer le plaignant sous garde en vertu de l’article 17 de la Loi sur la santé mentale parce qu’il essayait de s’infliger des lésions corporelles. Si le plaignant avait été placé sous garde, il aurait alors, bien entendu, été à la charge des policiers à ce moment-là. Mais avant d’être placé sous garde, il ne l’était pas. En conséquence, cet article du Code criminel ne s’applique pas en l’espèce.

En ce qui concerne la négligence criminelle causant la mort, il est clair que le plaignant avait déjà tenté de se suicider avant l’arrivée des policiers ce soir-là au passage supérieur de Hespeler Road sur l’autoroute 401. Il avait la ferme intention de mourir et avait à plusieurs reprises tenté de le faire en se plaçant devant des voitures et en se précipitant devant un autobus. Il est remarquable qu’aucun de ces véhicules ne l’ait heurté. Toujours aussi résolu, le plaignant a escaladé le muret du pont et s’est tenu debout sur le bord, face à la circulation en direction est de l’autoroute 401. Ce n’est qu’à ce moment-là que la police est arrivée et est intervenue. Je constate qu’une fois sur les lieux, l’AI et l’AT no 2 ont fait tout leur possible pour tenter de convaincre le plaignant de renoncer à son intention. Le plaignant n’a toutefois pas répondu et n’a pas renoncé. Reconnaissant le danger que courait le plaignant, les deux agents ont tenté d’engager avec lui une conversation, mais sans y parvenir. Les deux agents ne se sont pas approchés de lui et n’ont pas fait de gestes ou de commentaires qui auraient pu provoquer le plaignant. Les deux agents ont traité le plaignant raisonnablement, avec respect et compassion. Leurs actes n’ont ni causé la décision du plaignant de lâcher le muret ce soir-là ni contribué de quelque façon que ce soit à cette décision.

Le plaignant est décédé le 31 octobre 2016 parce qu’il avait l’intention de mourir et a agi avec détermination pour mettre son intention à exécution. Le plaignant est décédé à cause de ses propres actes. Je ne trouve aucune faute dans la conduite des agents qui me donnerait des motifs raisonnables de croire qu’une infraction criminelle a été commise. Aucun chef d’accusation ne sera donc déposé. »

Date : 5 octobre 2017

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) [1] L’AT no 2 a informé le centre de répartition de la situation, a demandé que les voies en direction est de l’autoroute 401 soient fermées et a demandé qu’on envoie un négociateur. [Retour au texte]
  • 2) [2] R. c. Coyne (1958), 31 CR 335 (NBCA) [Retour au texte]
  • 3) [3] R. c. L. (J.) (2006), 204 CCC (3d) 324 (C.A. Ont.); R. c. R. (M.) (2011), 83 CR (6e) 186 (C.A. Ont.) [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.