Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 16-OCI-311

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu une allégation d’agression sexuelle.

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Ce rapport a trait à l’enquête de l’UES sur la blessure grave subie par un homme de 39 ans le 12 décembre 2016 lors de son arrestation pour intrusion de nuit.

L’enquête

Notification de l’UES

Le 13 décembre 2016, à 8 h 11, le Service de police de Chatham-Kent (SPCK) a déclaré que le plaignant avait subi une blessure grave lors d’une interaction avec les membres du SPCK le lundi 12 décembre 2016.

Le SPCK a déclaré que la police avait été appelée à une résidence de Wallaceburg pour le signalement d’un rôdeur habillé de vêtements de camouflage qui se trouvait autour de la maison. Les agents ont localisé le plaignant et, pendant l’arrestation, il y a eu une altercation et le plaignant a été frappé à maintes reprises par les agents alors qu’ils tentaient de le contrôler. Le plaignant a fini par être maîtrisé puis menotté.

Le plaignant avait quelques éraflures et des coupures qui étaient dues à des blessures plus anciennes. Le plaignant s’est plaint d’une douleur au cou et au visage et a été transporté à l’hôpital pour traitement. On a finalement diagnostiqué au plaignant une fracture de l’os orbitaire. Le plaignant est actuellement sous garde policière à l’hôpital et l’enquête sur les vols commis dans des magasins de la région se poursuit.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 4

Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 1

Les enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES se sont rendus sur les lieux et ont identifié, recueilli et préservé des éléments de preuve. Ils ont documenté les lieux pertinents associés à l’incident par des notes et des photographies.

Plaignant :

Entretien avec l’homme âgé de 39 ans, obtention et examen des dossiers médicaux

Témoins civils (TC)

TC no 1  A participé à une entrevue

TC no 2  A participé à une entrevue

Agents témoins (AT)

AT no 1  A participé à une entrevue

AT no 2  N’a pas participé à une entrevue mais sa déclaration écrite et ses notes ont été reçues et examinées[1].

Agent impliqué (AI)

AI

A été soumis à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées.

Éléments de preuve

Les lieux de l’incident

Voici une image satellite Google du mini-parc entre les rues Bruce et King, à Wallaceburg, où le plaignant a été arrêté. Il n’y avait pas d’information indiquant le mois ou l’année de l’image sur la photo satellite Google, mais les enquêteurs judiciaires ont confirmé que, hormis le fait que, le 12 décembre 2016, le sol était recouvert de neige, le mini-parc était alors le même que celui qui apparaît sur cette image. La photo, à toutes fins utiles, est orientée vers le nord en haut de la page.

Image satellite Google.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio et de photographies

Enregistrements vidéo

Walmart :

La vidéo de télévision en circuit fermé (TVCF) qui a enregistré les actes du plaignant dans le magasin Walmart de Wallaceburg, environ trois heures avant son interaction avec la police le 12 décembre 2016, était de piètre qualité et ne permettait pas de corroborer ou contredire la possibilité que la blessure du plaignant au visage existait avant son interaction avec le SPCK.

Vidéo de la détention du plaignant par le SPCK

La vidéo montrant le plaignant pendant qu’il était sous la garde du SPCK n’avait rien de particulier. Elle montrait le plaignant en train d’être enregistré et montrait clairement qu’il avait une blessure à l’œil droit. Le visionnement de la vidéo dans son intégralité a exclu la possibilité que le plaignant ait été blessé, qu’il ait été davantage blessé ou qu’il se soit lui-même infligé une blessure pendant qu’il se trouvait au poste de police.

Enregistrements des communications

L’information sur les bandes d’enregistrement et communication concordait avec les déclarations données par l’AI et l’AT no 1.

Éléments obtenus auprès du service de police

L’UES a demandé au SPCK les documents et éléments suivants, qu’elle a obtenus et examinés :

  • chronologies de l’événement
  • photo d’enregistrement au service de police – le plaignant
  • répartition assistée par ordinateur – trois unités
  • centre d’information de la police canadienne (CIPC) – le plaignant (rapports sur les antécédents d’infraction)
  • tableau de service pour le 12 décembre 2016
  • données GPS
  • rapports spécialisés sur le plaignant
  • notes de l’AT no 1 et de l’AT no 2
  • procédure – emploi de la force
  • procédure – prise en charge et contrôle du prisonnier
  • procédure – escorte et transport du prisonnier
  • dossiers de formation – l’AI
  • rapport sur l’emploi de la force
  • enregistrement TVCF – le plaignant en détention
  • enregistrements de communications
  • déclarations écrites – l’AI et l’AT no 2
  • déclaration de témoin – TC no 1

Description de l’incident

En début de soirée, le 12 décembre 2016, le plaignant se trouvait au Walmart de Wallaceburg, tentant de voler pour environ 1 400 $ de marchandises. Lorsqu’il a été confronté par le personnel du magasin, le plaignant a retiré les articles volés de ses sacs et est sorti du magasin. À ce moment-là, il avait une égratignure récente au visage et la main droite dans un bandage, et ses vêtements étaient sales comme s’il était tombé sur le sol. Il a dit à la TC no 1 qu’il avait eu un « accident ».

Quelques heures après que le plaignant eut quitté le Walmart, il a été découvert dans la cour arrière du domicile de la TC no 2. La TC no 2 a appelé le 911, et le plaignant a pris la fuite. La TC no 2 a suivi le plaignant dans sa voiture.

L’AI et l’AT no 1 ont répondu à l’appel et ont trouvé le plaignant dans un mini-parc situé à proximité. En voyant les agents de police, le plaignant s’est mis à courir et est tombé tête première sur le sol. Le plaignant a résisté aux efforts déployés par les agents pour l’arrêter et le menotter et il s’est emparé de l’arme à impulsions électriques (AIE) de l’AI. L’AI a frappé le plaignant deux fois sur le côté droit du visage afin de se défaire de la prise du plaignant sur son AIE. Le plaignant a lâché prise et a été menotté puis mis en état d’arrestation pour intrusion de nuit et voies de fait dans l’intention de résister à une arrestation.

Comme le plaignant avait des blessures visibles au visage, une ambulance a été appelée et il a été emmené à l’hôpital. On lui a diagnostiqué de légères fractures au plancher de l’orbite droit sans déplacement.

Dispositions législatives pertinentes

Article 177 du Code criminel – Intrusion de nuit

177 Quiconque, sans excuse légitime, dont la preuve lui incombe, flâne ou rôde la nuit sur la propriété d’autrui, près d’une maison d’habitation située sur cette propriété, est coupable d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

Article 270 du Code criminel – Voies de fait contre un agent de la paix

270 (1) Commet une infraction quiconque exerce des voies de fait :

  1. soit contre un fonctionnaire public ou un agent de la paix agissant dans l’exercice de leurs fonctions, ou une personne qui leur prête main-forte
  2. soit contre une personne dans l’intention de résister à une arrestation ou détention légale, la sienne ou celle d’un autre, ou de les empêcher
  3. soit contre une personne, selon le cas :
    1. agissant dans l’exécution légale d’un acte judiciaire contre des terres ou des effets, ou d’une saisie
    2. avec l’intention de reprendre une chose saisie ou prise en vertu d’un acte judiciaire

Paragraphe 348(1) du Code criminel – Introduction par effraction dans un dessein criminel

348 (1) Quiconque, selon le cas :

  1. s’introduit en un endroit par effraction avec l’intention d’y commettre un acte criminel
  2. s’introduit en un endroit par effraction et y commet un acte criminel
  3. sort d’un endroit par effraction :
    1. soit après y avoir commis un acte criminel
    2. soit après s’y être introduit avec l’intention d’y commettre un acte criminel

est coupable :

  1. soit d’un acte criminel passible de l’emprisonnement à perpétuité, si l’infraction est commise relativement à une maison d’habitation
  2. soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de dix ans ou d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire si l’infraction est commise relativement à un endroit autre qu’une maison d’habitation

Paragraphe 25(1) du Code criminel – Protection des personnes chargées de l’application et de l’exécution de la loi

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :

  1. soit à titre de particulier
  2. soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
  3. soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
  4. soit en raison de ses fonctions

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Article 34 du Code criminel – Défense – emploi ou menace d’emploi de la force

34 (1) N’est pas coupable d’une infraction la personne qui, à la fois :

  1. croit, pour des motifs raisonnables, que la force est employée contre elle ou une autre personne ou qu’on menace de l’employer contre elle ou une autre personne
  2. commet l’acte constituant l’infraction dans le but de se défendre ou de se protéger — ou de défendre ou de protéger une autre personne — contre l’emploi ou la menace d’emploi de la force
  3. agit de façon raisonnable dans les circonstances

(2) Pour décider si la personne a agi de façon raisonnable dans les circonstances, le tribunal tient compte des faits pertinents dans la situation personnelle de la personne et celle des autres parties, de même que des faits pertinents de l’acte, ce qui comprend notamment les facteurs suivants :

  1. la nature de la force ou de la menace
  2. la mesure dans laquelle l’emploi de la force était imminent et l’existence d’autres moyens pour parer à son emploi éventuel
  3. le rôle joué par la personne lors de l’incident
  4. la question de savoir si les parties en cause ont utilisé ou menacé d’utiliser une arme
  5. la taille, l’âge, le sexe et les capacités physiques des parties en cause
  6. la nature, la durée et l’historique des rapports entre les parties en cause, notamment tout emploi ou toute menace d’emploi de la force avant l’incident, ainsi que la nature de cette force ou de cette menace;
     
    • f.1) l’historique des interactions ou communications entre les parties en cause
  7. la nature et la proportionnalité de la réaction de la personne à l’emploi ou à la menace d’emploi de la force
  8. la question de savoir si la personne a agi en réaction à un emploi ou à une menace d’emploi de la force qu’elle savait légitime

Analyse et décision du directeur

Le 12 décembre 2016, vers 18 h 50, le plaignant se trouvait au Walmart de Wallaceburg, tentant de voler divers articles, dont des bottes de travail qu’il a portées tout le temps dans le magasin. Lorsque le personnel du magasin l’a confronté, le plaignant a retiré les articles, y compris les bottes de travail, et est parti sans porter de chaussures. On a alors observé qu’il avait une blessure récente à la joue droite et que sa main gauche était enveloppée d’un bandage[2]. Le même soir, vers 22 h 20, le plaignant a été aperçu dans la cour arrière de la résidence de la TC no 2, qui se trouve à proximité du Walmart. La police a été appelée, mais le plaignant est parti à pied avant l’arrivée des policiers, tandis que la TC no 2 le suivait à bord de son véhicule. L’AI et l’AT no 1, qui avaient chacun déjà eu affaire au plaignant auparavant, l’ont localisé dans un mini-parc non loin de là. En voyant les agents de police, le plaignant s’est enfui en courant et est tombé à plat ventre sur un banc de neige. Lorsque les policiers se sont approchés, le plaignant a résisté à leurs efforts visant à l’arrêter et le menotter. Le plaignant a empoigné l’arme à impulsion électriques de l’AI, bien que cette arme n’ait pas été dégainée, et ne la lâchait pas. Dans le but de libérer la prise du plaignant sur le dispositif, l’AI a donné deux coups de poing au côté droit du visage du plaignant. Le plaignant a alors lâché prise et a été menotté puis placé dans la voiture de patrouille. Remarquant que le plaignant avait une blessure au visage, l’agent a appelé une ambulance et le plaignant a été emmené à l’hôpital, où une tomodensitométrie (TDM) a révélé de « subtiles fractures au plancher de l’orbite droit sans déplacement » (un os orbitaire fracturé). À l’hôpital, on a également observé que le plaignant avait une coupure d’un pouce au sommet du crâne et une importante brûlure au deuxième degré sur la main gauche. Il a été déterminé que la brûlure, à tout le moins, était préexistante et non liée aux événements de ce soir-là. Le plaignant allègue que son os orbitaire a été brisé lorsque l’AI lui a assené des coups de poings au visage.

La TC no 1 a déclaré au SPCK que le plaignant avait été vu ce soir-là au magasin Walmart vers 18 h. Le personnel du magasin a remarqué le plaignant alors qu’il marchait dans le magasin avec deux grands sacs de magasinage et qu’il les remplissait de plusieurs articles d’une valeur totale d’environ 1 400 $. Le plaignant s’est également rendu au rayon des chaussures et a été vu portant des bottes de travail neuves avec l’étiquette encore attachée. Lorsqu’il a été confronté par le personnel du magasin, le plaignant a laissé les deux sacs et a retiré les bottes de travail neuves. La TC no 1 a vu que le plaignant avait la main gauche dans un bandage et qu’il avait une égratignure profonde à la joue droite qui saignait encore un peu. Le plaignant a dit à la TC no 1 qu’il avait eu un accident. Le plaignant portait un manteau beige raccommodé et sale ainsi qu’un pantalon bleu sale et déchiré. Le plaignant est sorti du magasin sans porter les chaussures qu’il avait initialement aux pieds. La police a été appelée.

L’AI a été soumis à une entrevue et a déclaré que, vers 22 h 20, lui et l’AT no 2 avaient reçu un appel radio concernant un homme suspect se trouvant dans la cour arrière d’une résidence[3]. Tandis qu’il effectuait une patrouille du quartier, l’AI a vu la voiture de patrouille de l’AT no 1 arrêtée à côté du véhicule de la TC no 2 et que la TC no 2 et l’AT no 1 se parlaient à travers les fenêtres de leurs véhicules. C’est à ce moment-là que l’AI a vu le plaignant courir en direction est, le long de la voie ferrée, puis vers le nord, à travers les cours arrières de résidences. L’AI avait l’intention de détenir le plaignant et de mener une enquête, croyant que ce dernier avait pu commettre une infraction criminelle pendant qu’il se trouvait dans la cour arrière de la TC no 2. L’AT no 1 a indiqué par radio qu’il avait localisé le plaignant dans un mini-parc non loin de là[4]. L’AI a conduit sa voiture de patrouille jusqu’au mini-parc et a vu le plaignant qui s’y dirigeait en courant. L’AI a crié « Arrêtez, police! ». Le plaignant l’a vu, mais a continué sa course en direction nord. L’AI l’a suivi et a crié une deuxième fois « Arrêtez, police! ». Le plaignant a couru en direction de l’AT no 1, qui se trouvait sur le côté nord du mini-parc. À la porte de sortie, l’AT no 1 et le plaignant ont trébuché ensemble au sol. Une fois au sol, le plaignant a résisté aux tentatives de l’AT no 1 de le placer sous garde. L’AI est arrivé et s’est agenouillé sur la neige à côté du plaignant. L’AI lui a dit plusieurs fois « vous êtes en état d’arrestation, arrêtez de résister. » Le plaignant n’a pas obtempéré et a continué d’essayer de se redresser. L’AI n’arrivait pas à empoigner efficacement le bras du plaignant en raison de l’épaisseur de tissus des manteaux que le plaignant portait. Le plaignant a continué d’essayer de s’enfuir et a empoigné l’étui à pistolet de l’arme à impulsions électriques de l’AI. L’AI a agrippé l’arme du plaignant pour lui faire lâcher sa prise de son AIE, mais sans succès. L’AI a crié « Lâchez-le, lâchez mon Taser, » mais le plaignant n’a pas obtempéré. L’AI craignait que le plaignant puisse facilement dégainer l’AIE et mettre en danger lui-même et l’AT no 1. Après une dizaine de secondes, l’AI a frappé le plaignant deux fois au visage, avec son poing droit fermé. L’AI ne s’est pas blessé à la main en donnant ces coups de poing. Le plaignant a immédiatement lâché sa prise de l’AIE et a cessé de se débattre. L’AI et l’AT no 1 ont maitrisé le plaignant en lui mettant les bras derrière le dos et l’AI a menotté le plaignant.

L’AI a déclaré qu’après avoir menotté le plaignant, il l’a retourné sur le dos puis lui a dit qu’il était en état d’arrestation et de se calmer. Le plaignant s’est plaint qu’il n’arrivait pas à respirer, de sorte qu’on l’a soulevé pour le mettre en position assise avant de le faire marcher jusqu’à la voiture de patrouille de l’AT no 1 et de l’y placer sur le siège arrière. À plusieurs reprises, le plaignant a dit « Je suis désolé, je suis saoul, je suis désolé, je ne savais pas. » L’AI a détecté une odeur d’alcool dans l’haleine du plaignant et a noté qu’il avait des difficultés d’élocution. Le plaignant avait une coupure sous l’œil droit et il semblait que la plaie enflait et avait une ecchymose[5]. Les services médicaux d’urgence (SMU) ont été appelés. Le plaignant a manifesté des difficultés accrues d’élocution ainsi qu’un état confus, si bien que l’AI a cru que le plaignant avait pu avaler de la drogue avant son arrestation. Lorsque les SMU sont arrivés, ils ont remarqué la présence d’une petite coupure au sommet du crâne du plaignant. L’AI ignorait comment cette coupure s’était produite. Le plaignant a dit au personnel des SMU qu’on l’avait frappé avec un bâton, mais il n’a pas répondu aux questions de suivi. Il a été transporté à l’hôpital. L’AI a déclaré qu’à aucun moment il n’avait frappé le plaignant du genou ou du pied pendant l’algarade et qu’il n’avait déployé aucun dispositif d’emploi de la force. Il n’a pas vu l’AT no 1 utiliser tout matériel de recours à la force.

L’AT no 1 a dit aux enquêteurs que lorsqu’il a entendu l’appel radio lancé concernant un individu louche se trouvant dans la cour arrière d’une résidence, il a conduit jusqu’à cet endroit pour prêter assistance. L’AT no 1 a vu la TC no 2 à bord de son véhicule sur la rue Albert et a arrêté sa voiture de patrouille à côté du véhicule de la TC no 2. Cette dernière a déclaré que le plaignant avait pénétré dans la remise de sa cour arrière. L’AT no 1 croyait que le plaignant avait commis l’infraction d’introduction par effraction prévue au Code criminel. Le plaignant a été observé à une cinquantaine de mètres à l’est de là où se trouvait l’AT no 1 en train de courir le long de la voie ferrée[6]. L’AI est arrivé en autopatrouille, puis les deux agents de police sont partis à la poursuite du plaignant. Le plaignant a couru derrière la voiture de patrouille de l’AT no 1, vers un mini-parc situé à proximité, et l’AT no 1 a transmis à l’AI l’endroit où se trouvait le plaignant puis s’est arrêté sur le côté nord du parc. L’AI se trouvait sur le côté sud du parc. Le plaignant est entré dans le parc par le côté sud et a couru en diagonale vers le coin nord-est, là où se trouvait l’AT no 1. L’AT no 1 a reconnu le plaignant à sa démarche pendant que celui-ci courrait et s’est rendu compte que lui-même et l’AI avaient déjà eu affaire au plaignant une semaine auparavant et que celui-ci était visé par un mandat d’arrestation non exécuté. L’AT no 1 et l’AI sont partis à la poursuite du plaignant dans le parc, depuis leurs côtés opposés, en criant au plaignant de s’arrêter. Le plaignant a continué de courir jusqu’à ce qu’il tombe près de la barrière nord-est, juste comme l’AT no 1 était sur le point de l’attraper. Le plaignant est tête première sur le banc de neige. L’AT no 1 a agrippé les épaules du plaignant alors qu’il se trouvait derrière lui et lui a dit qu’il était en état d’arrestation. Le plaignant portait deux épais manteaux d’hiver et un pantalon de pluie en nylon, de sorte que l’AT no 1 a eu du mal à maintenir sa prise sur lui. Le plaignant essayait constamment de se redresser et l’AT no 1 le forçait à rester au sol. L’AT no 1 s’est agenouillé sur le côté gauche du plaignant et l’AI, qui est arrivé dans les secondes qui ont suivi, s’est agenouillé sur le côté droit du plaignant. Le plaignant donnait des coups de pied avec ses jambes et essayait de se mettre sur ses genoux, et l’AT no 1 a remarqué que le plaignant portait de grosses de bottes d’hiver neuves et craignait de recevoir un coup de pied.

L’AT no 1 a déclaré que l’AI et lui-même ont plusieurs fois dit au plaignant d’arrêter de résister. Pendant l’altercation, l’AT no 1 a entendu l’AI, qui lui faisait dos, dire au plaignant de lâcher prise et de lâcher le Taser. L’AT no 1 a alors vu le bras droit de l’AI levé tandis qu’il donnait deux coups de poing au plaignant, à la tête. Il n’a pas vu le point d’impact des coups que l’AI a donnés au plaignant. Le plaignant a arrêté de se débattre et l’AT no 1 et l’AI ont menotté le plaignant les mains derrière le dos et l’ont couché sur le côté gauche. Le plaignant a dit qu’il n’arrivait pas à respirer et l’AT no 1 a remarqué que le plaignant avait une coupure au-dessous de l’œil droit. L’AT no 1 et l’AI ont aidé le plaignant à se mettre debout et l’AT no 1 a vu un peu de sang sur la neige, près de l’endroit où se trouvait la tête du plaignant. Ils ont ensuite fait marcher le plaignant jusqu’à la voiture de patrouille de l’AT no 1, où le plaignant a été fouillé puis assis sur le siège arrière. Les SMU ont été appelés pour examiner le plaignant et ils ont découvert une coupure sur le crâne du plaignant, au-dessus de la ligne de contour capillaire. L’AT no 1 ignorait ce qui avait causé la coupure. Le plaignant a dit aux ambulanciers paramédicaux que la police l’avait frappé avec un bâton. Durant l’altercation, l’AT no 1 n’a aucunement frappé le plaignant pas plus qu’il n’a fait usage d’une option de recours à la force. L’AT no 1 n’a pas senti d’odeur d’alcool dans l’haleine du plaignant, mais il a remarqué que l’une des mains du plaignant était enveloppée d’un bandage. Les SMU ont transporté le plaignant à l’hôpital.

Bien que le personnel médical qui s’est occupé du plaignant n’ait pas été interviewé, le plaignant a consenti à la divulgation de ses dossiers médicaux. Les dossiers des SMU indiquent que le plaignant a dit aux ambulanciers qu’il n’arrivait pas à respirer, bien qu’il émettait des sons clairs de respiration, et s’est plaint de douleurs cervicales et dorsales en plus des blessures subies au visage. Les dossiers de l’hôpital indiquent que le plaignant était intoxiqué, qu’il avait de la difficulté à s’exprimer et qu’il était parfois incohérent. En plus de la coupure, des ecchymoses et de la tuméfaction autour de l’œil droit du plaignant, le personnel a remarqué une brûlure au second degré d’une longueur de quatre pouces sur la main gauche du plaignant, laquelle était enveloppée dans un bandage sale, ainsi qu’une coupure d’un pouce sur le coin supérieur droit de sa tête. Le plaignant n’offrait pas grand-chose en terme d’informations. Lorsque le plaignant a été transféré, un peu plus tard ce jour-là, à un établissement spécialisé dans les affections de l’œil, il a dit au médecin de service : « Je crois qu’on m’a donné un coup de pied à l’œil. »

Pour commencer, je ne crois pas que le plaignant ait fait un compte rendu fiable ou crédible des événements. Le plaignant n’a pas parlé aux enquêteurs de ses agissements plus tôt au Walmart ni de son intrusion dans la cour arrière de la TC no 2, près de sa remise. À la place, il a maintenu une autre explication des raisons pour lesquelles il s’est enfui à la vue des agents de police et il se trouvait dans la cour de la résidence de la TC no 2. Non seulement cette explication a-t-elle été contredite par celle de tous les autres témoins, mais aussi ne fait-elle pas de sens étant donné la présence de la TC no 2 lorsque les agents de police sont arrivés sur les lieux ou encore la conversation que la TC no 2 a eue avec l’AT no 1 avant que les agents de police n’entament leur poursuite. Le plaignant n’a pas non plus reconnu ni communiqué le moindre détail sur ses blessures préexistantes. Nous savons de la TC no 1 que le plaignant avait une blessure à la joue droite et que sa main gauche était enveloppée d’un bandage au moins trois heures avant son arrestation – blessures dont il lui a dit qu’elles avaient été causées lors d’un « accident ». L’endroit où le plaignant dit avoir été arrêté par les agents de police se trouvait à un pâté de maisons de l’endroit où les événements se sont effectivement produits. Le plaignant a aussi fait la description d’une longue et intense batilles lors de laquelle les agents de police lui auraient assené des coups de poing et des coups de pied, pourtant ses dossiers médicaux ne font état que de sa blessure à l’œil, de la coupure d’un pouce au sommet de son crâne et de sa brûlure à la main gauche (dont nous savons qu’elle était préexistante). J’ignore si le souvenir que le plaignant a des événements de ce soir-là a été altéré par son ingestion, plus tôt, de drogues ou par l’« accident » dont il a parlé à la TC no 1, ou encore pour une autre raison. Mais quelle que soit cette raison, je conclus que le plaignant n’est ni crédible ni fiable. Compte tenu de mes préoccupations concernant la crédibilité et la fiabilité du plaignant, il serait dangereux d’accepter de telles allégations sans aucune forme de corroboration, et il n’y en a pas.

L’AI a reconnu avoir frappé le plaignant deux fois sur le côté droit du visage dans le but de lui faire lâcher prise de l’arme à impulsions. Bien que la fracture de l’os orbitaire droit du plaignant ait pu être causée par une autre action, comme sa chute sur le banc de neige, voire pendant l’« accident » qu’il aurait eu plus tôt, j’accepte que les coups de poing de l’AI assenés sur cette région du visage du plaignant sont l’explication la plus probable des fractures. Il s’agit donc alors de déterminer si l’AI était fondé à agir ainsi en vertu soit du paragraphe 34(1), soit du paragraphe 25(1) du Code criminel.

Aux termes du paragraphe 34(1) du Code criminel, l’AI était fondé à donner un coup de poing au plaignant si :

  1. l’AI croyait, pour des motifs raisonnables, que de la force était employée contre lui ou une autre personne ou que le plaignant menaçait d’employer de la force contre lui ou une autre personne
  2. l’AI a frappé le plaignant dans le but de se défendre ou de se protéger – ou de défendre ou de protéger une autre personne – contre l’emploi ou la menace d’emploi de la force
  3. les coups de poing administrés étaient raisonnables dans les circonstances

Juste avant les deux coups, le plaignant avait empoigné l’arme à impulsions électriques de l’AI et refusé de lâcher prise lorsqu’on lui en avait intimé l’ordre. Étant donné la façon dont l’AI portait cette arme et la sécurisait, elle pouvait très facilement être dégainée. Par conséquent, la possibilité que le plaignant s’empare de l’AIE et l’utilise contre les agents de police était devenue très réelle et dangereuse. Également, il s’est écoulé une dizaine de secondes avant que l’AI ne recoure à l’administration de coups au plaignant pour le forcer à lâcher prise. Les coups, par conséquent, n’ont pas été données immédiatement. Et en n’administrant que deux coups de poing plutôt que de recourir à un emploi de la force plus significatif, l’AI a fait preuve d’une restriction considérable dans les circonstances. J’accepte qu’en frappant le plaignant, l’AI se défendait et que les exigences de l’article 34 ont été satisfaites.

En outre, les actions de l’AI étaient justifiées en vertu du paragraphe 25(1). Aux termes du paragraphe 25(1) du Code criminel, les agents de police peuvent seulement recourir à la force qui est raisonnablement nécessaire dans l’exécution d’une obligation légale. Je n’ai aucun doute sur le fait que l’AI et l’AT no 1 exécutaient légitiment leurs fonctions ce soir-là lorsqu’ils tentaient d’arrêter le plaignant relativement à une intrusion et à une possible introduction par effraction dans la cour arrière de la TC no 2. Manifestement, le plaignant a opposé une résistance aux efforts des policiers et est allé jusqu’à saisir l’AIE de l’AI dans sa résistance. L’AI était fondé à n’employer pas plus de force que nécessaire pour répondre aux dangers causés par le plaignant et procéder à son arrestation et à son menottage. L’AI a recouru à l’administration de deux coups de poings au visage, lesquels ont immédiatement eu pour effet de faire lâcher prise de l’arme à impulsions au plaignant et ont permis aux agents de police de passer les menottes au plaignant.

Dans ces circonstances, je conclus que ces coups étaient nécessaires et raisonnables compte tenu des autres options qui s’offraient à l’AI. La jurisprudence est claire sur ce point : on ne peut pas s’attendre à ce que les policiers apprécient avec exactitude le degré de force qu’ils emploient dans leur intervention (R. c. Baxter [1975], 27 C.C.C. (2d) 96 (C.A. de l’Ont.)) et on ne devrait pas leur appliquer la norme de la perfection (R. c. Nasogaluak, [2010] 1 R.C.S. 206). À la lumière des faits énoncés précédemment, la force utilisée par l’AI était dans les limites de ce qui était raisonnablement nécessaire dans les circonstances pour procéder à la mise sous garde légale du plaignant, malgré la blessure que ce dernier a subie à la suite de cela. Par conséquent, il n’y a pas de motif de porter des accusations en l’espèce, et aucune accusation ne sera portée.

Date : 11 octobre 2017

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) [1] L’AT no 2 n’était pas présent lors de l’arrestation du plaignant. [Retour au texte]
  • 2) [2] Le plaignant a dit à la TC no 1 qu’il avait eu un accident. [Retour au texte]
  • 3) [3] Dans la déclaration qu’il a rédigée, l’AT no 2 a indiqué qu’il se trouvait dans une voiture de patrouille distincte ce soir-là et qu’il n’est arrivé sur les lieux de l’incident que lorsque le plaignant était déjà menotté et se tenait sur ses pieds. [Retour au texte]
  • 4) [4] Le mini-parc en question se trouvait à un pâté de maison au sud de la rue Wallace, étant bordé au nord par la rue Bruce et au sud par la rue King, avec la rue Prince à l’est et la rue Albert à l’ouest. [Retour au texte]
  • 5) [5] Bien que l’ecchymose se trouvait dans la région où le plaignant avait été frappé, l’AI a estimé que cette ecchymose était là avant et n’était pas récente. [Retour au texte]
  • 6) [6] Les voies ferrées vont vers le sud de la rue King. [Retour au texte]

Note:

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