Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 16-OCI-257

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu une allégation d’agression sexuelle.

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Ce rapport a trait à l’enquête menée par l’UES sur les blessures graves subies par un homme de 23 ans pendant son arrestation par la police le 7 octobre 2016.

L’enquête

Notification de l’UES

L’UES a été informée de l’incident par la Police régionale de Peel (PRP) le 7 octobre 2016, à 23 h 40.

La PRP a déclaré que le plaignant avait subi une fracture à la cheville pendant son arrestation, le 7 octobre 2016, vers 19 h.

La PRP a indiqué que des agents de police ont effectué une intervention relativement à une dispute entre voisins à Mississauga. Les agents ont fait face à un plaignant agressif, intoxiqué et belliqueux qui a commencé à devenir violent. Le plaignant a été mis au sol et menotté. Il a ensuite été emmené à un poste de police de la PRP, où il s’est plaint d’une douleur à la cheville. La police a transporté le plaignant à l’hôpital et, en chemin, le plaignant s’est cogné la tête contre l’écran de sécurité à l’intérieur de l’auto‐patrouille. à l’hôpital, on a diagnostiqué au plaignant une cheville fracturée. Il a aussi reçu quatre points de suture pour refermer ses coupures à la tête.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 3

Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES : 1

Les enquêteurs judiciaires de l’UES se sont rendus sur les lieux de l’incident et ont repéré et préservé les preuves. Ils ont documenté les lieux pertinents de l’incident au moyen de notes et de photographies.

Plaignant

Homme âgé de 23 ans; a participé à une entrevue; dossiers médicaux obtenus et examinés

Témoins civils (TC)

TC no 1 A participé à une entrevue

TC no 2 A participé à une entrevue

TC no 3 A participé à une entrevue

TC no 4 A participé à une entrevue

TC no 5 A participé à une entrevue

Agents témoins (AT)

AT n° 1 A participé à une entrevue

AT n° 2 A participé à une entrevue

AT n° 3 A participé à une entrevue

AT no 4 N’a pas participé à une entrevue[1]

AT no 5 N’a pas participé à une entrevue[2]

AT no 6 N’a pas participé à une entrevue

AT no 7 N’a pas participé à une entrevue

AT no 8 N’a pas participé à une entrevue

Agents impliqués (AI)

AI A participé à une entrevue, mais n’a pas consenti à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.

Éléments de preuve

Les lieux de l’incident

L’incident s’est produit à l’extérieur d’une résidence jumelée de deux étages, à Mississauga. Il y a une entrée de cour pavée qui va de la rue à un abri à voitures sur le côté de la maison. L’entrée de cour est recouverte d’asphalte et est suffisamment large pour permettre à deux voitures de stationner côte à côte.

Le véhicule de police utilisé pour emmener le plaignant au poste de police puis le transporter à l’hôpital avait du sang sur le siège arrière, du sang sur le cadre en métal au‐dessus de l’écran de sécurité et un mélange de ce qui semblait être du sang et des postillons sur la surface de plexiglass de l’écran de sécurité. Il y avait un cheveu, semblable aux cheveux du plaignant, collé sur le plexiglas. Il y avait aussi du sang sur la fenêtre de la portière arrière côté passager. Les traces de sang sur l’écran de sécurité et la fenêtre de la portière arrière avaient un motif qui suggérait que le sang avait été déposé lorsque les cheveux ensanglantés du plaignant sont entrés en contact avec ces surfaces.

Preuves médicolégales

Les dossiers médicaux du plaignant indiquent que l’analyse des échantillons de sang a révélé une alcoolémie de 23 mmol par litre[3] dans le sang du plaignant.

Enregistrements des communications

Données du système de positionnement mondial (GPS) et communications radio de la police

Le 7 octobre 2016, à 18 h 20, la PRP a reçu un coup de téléphone concernant une agression. Deux agents de police ont été immédiatement envoyés, mais ils ont été préemptés sur un autre appel à 18 h 37. à 18 h 40, l’AT no 2 et l’AI ont été envoyés pour intervenir relativement à l’appel concernant les voies de fait. L’AI est arrivé sur les lieux de l’incident à 18 h 52.

À 18 h 56, le répartiteur a déclenché une « urgence d’unité » et l’AI a demandé l’envoi immédiat de renforts. Il a ensuite déclaré qu’il avait placé l’une des parties en détention. à 18 h 57, l’AT no 3 et un autre agent de police ont été envoyés pour répondre à l’appel et l’AT no 2 a déclaré qu’il arrivait sur les lieux de l’incident. L’AT no 3 est arrivé sur les lieux de l’incident à 19 h.

La plaignant a été emmené à un poste de la PRP à 19 h 16.

À 20 h 03, avant de quitter le poste de police de la PRP, l’AT no 2 a déclaré au répartiteur que la lecture à son odomètre indiquait 30 194 km. L’AT no 2 a ensuite roulé en direction nord sur le chemin Millway Sud, qui tourne en direction est jusqu’à l’intersection de la promenade Erin Mills.

Entre le dernier point de données sur le chemin Millway Sud et le premier point de données en direction nord sur la promenade Erin Mills, il y avait une différence de 1 minute et 55 secondes (de 20 h 04 à 20 h 06). Ce délai suggère que l’auto‐patrouille a été arrêtée à l’intersection avant de continuer en direction nord. Durant ce laps de temps, à 20 h 04, l’AT no 3 a communiqué par radio avec le répartiteur et déclaré que la personne qu’il transportait (le plaignant) avait frappé sa tête contre l’écran de séparation dans l’auto‐patrouille et saignait sur le front. Dans la radio‐transmission, on pouvait entendre le plaignant qui criait. L’AT no 3 a déclaré que le plaignant s’était cogné la tête une seule fois, mais qu’il l’avait fait « très fort ».

L’AT no 2 a ensuite poursuivi en direction nord vers l’hôpital. Il est arrivé à l’hôpital à 20 h 11 et a déclaré que la lecture de son odomètre indiquait 30 198 km. Dans les radio‐transmissions, on continuait d’entendre le plaignant en arrière‐plan.

Éléments obtenus du service de police

L’UES a demandé à la PRP les documents et éléments suivants, qu’elle a obtenus et examinés :

  • copie audio – appel au 911
  • copie audio – radio-transmissions
  • notes des AT no 1, no 2, no 3, no 4, no 5, no 6, no 7 et no 8
  • chronologie des événements
  • enregistrements des communications
  • données GPS pour l’auto-patrouille de l’AT no 2

Description de l’incident

Le 7 octobre 2016, à 19 h, le plaignant a agressé le TC no 1 à l’extérieur d’une résidence jumelée à Mississauga. La TC no 2 a appelé le 911 pour demander l’aide de la police. L’AI a répondu à l’appel et a été envoyé à la résidence. Lorsque l’AI est arrivé sur les lieux, le plaignant s’est approché de lui sur l’entrée de cour et a déclaré qu’il avait frappé le TC no 1. Le TC no 1 avait des blessures visibles. Le plaignant était très agité, et il criait et hurlait.

L’AI a mis le plaignant en état d’arrestation et allait lui passer les menottes. Le plaignant a résisté aux efforts de l’AI pour le menotter. L’AI a décidé de mettre le plaignant au sol pour le maîtriser. Durant la mise au sol du plaignant sur la pelouse à l’avant de la résidence, le plaignant a subi une fracture à la cheville.

L’AT no 2 est arrivé sur les lieux de l’incident et a aidé l’AI à escorter le plaignant jusqu’à l’auto‐patrouille. Une fois à l’arrière de l’auto‐patrouille, le plaignant a commencé à donner des coups de pied sur la portière et à cogner sa tête sur l’écran de sécurité. Le plaignant a été emmené au poste de police. Il continuait d’être agité.

Après avoir terminé la procédure de mise en détention au poste de police, les AT no 2 et no 3 ont transporté le plaignant à l’hôpital pour faire traiter sa blessure à la cheville. En chemin vers l’hôpital, le plaignant a continué de frapper sa tête à l’intérieur de l’auto‐patrouille. à l’hôpital, on a diagnostiqué au plaignant une fracture à la cheville droite et on lui a appliqué quatre points de suture pour refermer des coupures à la tête.

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 25(1) du Code criminel – Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :

  1. soit à titre de particulier;
  2. soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public;
  3. soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public;
  4. soit en raison de ses fonctions,

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Paragraphe 265(1) du Code criminel – Voies de fait

265 (1) Commet des voies de fait, ou se livre à une attaque ou une agression, quiconque, selon le cas :

  1. d’une manière intentionnelle, emploie la force, directement ou indirectement, contre une autre personne sans son consentement;
  2. tente ou menace, par un acte ou un geste, d’employer la force contre une autre personne, s’il est en mesure actuelle, ou s’il porte cette personne à croire, pour des motifs raisonnables, qu’il est alors en mesure actuelle d’accomplir son dessein;
  3. en portant ostensiblement une arme ou une imitation, aborde ou importune une autre personne ou mendie.

Article 266 du Code criminel – Voies de fait

266 Quiconque commet des voies de fait est coupable :

  1. soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans;
  2. soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

Analyse et décision du Directeur

Le 7 octobre 2016, vers 18 h 26, un appel au 911 a été reçu par la PRP en provenance de la TC no 2 qui demandait une intervention policière à son adresse, dans la ville de Mississauga. La TC no 2 a déclaré que les voisins d’en dessous étaient tous en train de consommer de l’alcool dans la cour arrière de la résidence et que le plaignant était ivre. Elle a en outre mentionné que les voisins d’en bas avaient une dispute familiale et qu’elle et le TC no 1 étaient descendus pour leur demander de faire cesser [traduction] « tout ce drame » et les insultes lorsque le plaignant a commencé à attaquer le TC no 1 et [traduction] « vient juste de lui donner un coup de poing au visage et de l’assommer. » Pendant que la TC no 2 parlait, on pouvait entendre, en arrière-plan, des gens hurler et crier. La TC no 2 a décrit le plaignant comme étant [traduction] « manifestement intoxiqué, mâchant ses mots et tout », puis on l’entend être en larmes en train de supplier le répartiteur en disant [traduction] « s’il vous plaît, venez vite. » à la suite de l’appel au 911, l’AI a été envoyé à l’adresse, étant suivi des AT no 2 et no 3. Après l’interaction avec la police, le plaignant a été transporté à l’hôpital où il a été traité pour une fracture à la cheville et une lacération au‐dessus de la tempe gauche, laquelle a nécessité quatre points de suture pour refermer la coupure.

Le plaignant a fourni une déclaration aux enquêteurs et a décrit chaque agent par son numéro d’insigne ou son apparence. Après examen des différents numéros d’insigne attribués aux divers agents de police, il a été confirmé que l’AI a un numéro d’insigne différent de celui identifié par le plaignant; ce numéro d’insigne, que le plaignant avait attribué à l’agent qui l’a menotté et lui a fracturé la cheville, est en fait celui de l’AT no 2. Le numéro d’insigne que le plaignant a attribué à l’AT no 3 n’est assigné à aucun des trois agents qui ont répondu à cet appel.

Selon le registre des communications :

  • à 18 h 40 min 06 s, l’AT no 2 a été envoyé sur les lieux, étant suivi à 18 h 40 min 57 s par l’AI
  • à 18 h 56 min 04 s, l’AI a été le premier à arriver sur les lieux
  • à 18 h 56 min 19 s, le répartiteur a demandé à une autre unité de se rendre sur place « le plus vite possible »
  • à 18 h 57 min 44 s, l’AT no 2 est arrivé sur les lieux
  • à 18 h 56 min 54 s, l’enregistrement de la communication indique qu’il y en avait « un placé en détention »
  • à 19 h 00 min 44 s, l’AT no 3 était le troisième agent à arriver sur les lieux

Compte tenu de la déclaration du plaignant et de ses blessures, il semble qu’il y ait deux allégations à traiter ici, à savoir :

  1. la question de savoir si la mise au sol du plaignant, qui a probablement causé la fracture de sa cheville, constituait un emploi excessif de la force
  2. la question de savoir si le cognement de la tête du plaignant sur la paroi de séparation dans l’auto‐patrouille a été causé par un acte intentionnel des agents de police et a donc représenté un recours excessif à la force

Malgré le fait que le plaignant, dans sa déclaration, impute ces deux blessures à l’AT no 2, il ressort clairement de l’ensemble de la preuve indépendante que c’était en fait l’AI qui a mis au sol et menotté le plaignant et qui, par conséquent, a pu causer la fracture à la cheville du plaignant, tandis que c’était l’AT no 2 qui conduisait au moment où le plaignant allègue que l’auto‐patrouille a délibérément fait un arrêt brutal, lui faisant ainsi se cogner la tête sur la paroi de séparation et subir une lacération sur le front.

Au cours de cette enquête, cinq témoins civils, en plus du plaignant, et trois témoins de la police ont été interrogés. L’AI s’est aussi rendu disponible pour participer à une entrevue. De plus, les enquêteurs avaient accès aux notes prises par tous les agents témoins, aux enregistrements et au registre des communications ainsi qu’aux données de positionnement GPS provenant de l’auto‐patrouille de l’AT no 2.

Selon tous les témoins civils, le plaignant criait et jurait après sa dispute avec sa copine. à l’arrivée du TC no 1 et de la TC no 2, le plaignant a frappé le TC no 1 au visage et ils sont tous deux tombés sur le sol. Lorsque l’AI est arrivé, c’est à l’initiative du plaignant que ce dernier a été arrêté. Tous les témoins civils qui ont observé l’interaction du plaignant avec la police à la résidence ont confirmé qu’à aucun moment un agent de police n’a frappé, donné un coup de pied ou donné un coup de poing au plaignant.

La déclaration de l’AI est largement confirmée par tous les témoins civils. L’AI a convenu que c’est le plaignant qui a initialement insisté pour qu’on l’arrête, alors que l’AI voulait seulement savoir ce qui se passait. Toutefois, lorsque le plaignant a continué de vociférer, de crier et de se comporter de façon agressive, l’AI a décidé qu’il mettrait le plaignant en état d’arrestation parce qu’il était d’avis que, alors que la situation devenait explosive, qu’il était le seul agent sur les lieux de l’incident et qu’il avait amplement de motifs d’arrêter le plaignant pour voies de fait sur le TC no 1, l’arrestation et le menottage du plaignant seraient la meilleure façon de retirer le plaignant de la situation.

L’AI a indiqué que, dès qu’il a saisi la main du plaignant pour lui passer la deuxième menotte, ce dernier s’est immédiatement élancé en avant et a brandi un poing, quoique l’AI n’était pas sûr de savoir à quoi ou à qui le plaignant destinait ce coup de poing. à ce moment‐là, l’AI a tenté de reprendre le contrôle du plaignant et l’a tiré en arrière vers lui afin de lui passer la deuxième menotte. L’AI pensait que le plaignant devait être dans un état d’ébriété avancé ou fortement intoxiqué par de la drogue. Tandis que le plaignant continuait de tirer pour s’enfuir, l’AI a décidé qu’il lui fallait mettre le plaignant à terre et, comme il ne voulait pas plaquer au sol le plaignant sur l’asphalte, il a soulevé le plaignant pour lui faire perdre son équilibre, a contourné l’auto‐patrouille en portant le plaignant puis, en arrivant sur la pelouse, a mis au sol le plaignant. Bien que l’AI ne se souvenait pas exactement de la façon dont il a mis le plaignant au sol, il pensait qu’il avait dû placer son pied devant le plaignant puis avait poussé ce dernier sur le sol. L’AI a vu le plaignant atterrir sur le côté et ne se souvient pas d’avoir marché sur le pied du plaignant ni d’avoir atterri sur lui. L’AI ne s’expliquait pas comment la cheville du plaignant avait pu être fracturée.

L’AI a également fait remarquer qu’une fois qu’il a été placé à l’arrière de l’auto‐patrouille, le plaignant a commencé à donner des coups de pied sur la portière et a cogné son visage sur la cage; de plus, le plaignant crachait à l’intérieur du véhicule. L’AT no 2 a emmené le plaignant au poste et l’AI l’a suivi dans son auto‐patrouille. Une fois au poste, l’AI a observé que le plaignant était encore en train de donner des coups de pied sur la portière arrière de l’auto‐patrouille et qu’il criait et cognait sa tête sur une fenêtre.

En vertu du paragraphe 25(1) du Code criminel, les agents de police peuvent seulement recourir à la force qui est raisonnablement nécessaire dans l’exécution d’une obligation légale. S’agissant d’abord de la légalité de l’arrestation du plaignant, il ressort clairement des déclarations de tous les témoins civils, de même que de l’aveu que le plaignant a fait à l’AI, que le plaignant avait agressé le TC no 1 et qu’on était en droit de le mettre en état d’arrestation en application de l’article 266 du Code criminel. Ainsi, l’appréhension et l’arrestation du plaignant étaient légalement justifiées dans les circonstances.

En ce qui a trait à la force employée par l’AI dans ses tentatives de maîtriser le plaignant, j’estime que les actions de l’AI étaient plus que justifiées dans les circonstances et que l’AI n’a pas employé plus de force que nécessaire pour maîtriser le plaignant, qui était alors extrêmement intoxiqué par l’alcool et/ou les drogues, qui était en train de passer aux actes et qui semblait hors de contrôle. Selon les observations de tous les témoins civils présents, le plaignant était combatif, violent et agressif. Malgré sa volonté apparente de se faire arrêter, allant jusqu’à suggérer à l’AI qu’il devrait l’arrêter, une fois que le plaignant a été partiellement menotté et qu’il est devenu agressif envers le TC no 1, il est clairement apparu à l’AI que le plaignant n’allait pas se livrer paisiblement et qu’il était en train de créer une situation explosive qu’il appartenait à l’AI de désamorcer et de maîtriser. L’AI était alors le seul agent de police présent pour s’occuper du plaignant, il avait peu d’options à sa disposition et était d’avis que de mettre le plaignant au sol serait le seul moyen possible de le calmer. Dans cette situation particulière, où le plaignant a continué de tempêter et a essayé de s’en prendre au TC no 1 et où il avait déjà agressé le TC no 1 et semblait avoir l’intention de recommencer, je ne peux pas conclure qu’il y a eu un emploi excessif de la force, malgré la blessure subie par le plaignant dans le processus.

Dans toutes ces circonstances, l’option à laquelle l’AI a recouru pour appréhender le plaignant était plus que raisonnable dans les circonstances. Pour en arriver à cette conclusion, je garde à l’esprit l’état du droit applicable tel qu’établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Nasogaluak, [2010] 1 R.C.S. 206, qui dit ceci :

Les actes des policiers ne devraient pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Il ne faut pas oublier que ceux‐ci accomplissent un travail exigeant et dangereux et qu’ils doivent souvent réagir rapidement à des situations urgentes. Leurs actes doivent alors être appréciés selon ce que commande ce contexte difficile. Comme le juge Anderson l’explique dans R. c. Bottrell (1981), 60 C.C.C. (2d) 211 (C.A.C.‐B.) :

[traduction] Pour déterminer si la force employée par le policier était nécessaire, les jurés doivent tenir compte des circonstances dans lesquelles le policier y a eu recours. Il aurait fallu leur indiquer qu’on ne pouvait pas s’attendre à ce que l’appelant mesure la force appliquée avec précision. [p. 218]

Donc, en réponse à la première question posée ci‐dessus, je ne puis conclure qu’il y a des motifs raisonnables de croire que le fait d’avoir mis le plaignant au sol constituait un emploi excessif de la force de la part de l’AI dans ces circonstances.

Quant à l’allégation selon laquelle l’AT no 2 a délibérément immobilisé soudainement l’auto‐patrouille pour que le plaignant se cogne la tête sur la paroi de séparation, causant ainsi sa blessure, à la lumière de l’ensemble des éléments de preuve disponibles, y compris la preuve émanant du plaignant ainsi que de l’AT no 2 et de l’AT no 3, je ne suis pas en mesure de conclure qu’il existe des motifs raisonnables de croire que l’AT no 2 a agi tel que le plaignant l’a allégué. Je fonde cette conclusion sur les faits suivants :

  • à la lumière des divergences entre la version des événements survenus à la résidence donnée par le plaignant et celle de tous les autres témoins, de même que selon les éléments de preuve ayant confirmé quel agent a fait quoi, je ne saurais accorder beaucoup de foi à la preuve du plaignant, dont la version des événements n’est pas crédible, probablement en raison de l’état extrême d’intoxication dans lequel il se trouvait alors, état dont ont été témoins toutes les personnes présentes
  • sur la foi de la preuve de le TC no 1, de l’AI, de l’AT no 2 et de l’AT no 3 ainsi que de l’aveu du plaignant lui‐même, il est clair que le plaignant s’était cogné la tête sur l’écran de sécurité et sur la fenêtre de la portière côté passager de l’auto‐patrouille bien avant son allégation selon laquelle l’AT no 2 a délibérément appliqué brusquement les freins et qu’il aurait pu lui‐même s’infliger cette blessure à la tête à tout moment
  • compte tenu de la preuve que, même après son arrivée à l’hôpital, le plaignant a continué d’être agité et s’est cogné la tête sur des surfaces à l’intérieur de la chambre d’hôpital
  • compte tenu de la preuve de l’AT no 2 et de l’AT no 3 selon laquelle le cognement de la tête du plaignant sur l’écran de sécurité n’a pas été causé par une application soudaine des freins par l’AT no 2, mais est plutôt survenu pendant que le véhicule était arrêté, en attente de faire un virage à gauche
  • à la lumière des données GPS téléchargées de l’auto‐patrouille de l’AT no 2 selon lesquelles l’auto‐patrouille ne s’est immobilisée qu’une fois en chemin vers l’hôpital, et c’était à un feu rouge, en attendant de tourner à gauche

En se fondant sur l’ensemble de cette preuve, il est impossible de déterminer exactement quand ou comment le plaignant a subi sa blessure à la tête, mais il est clair qu’il faisait tout ce qu’il pouvait pour s’infliger lui‐même des blessures, tant à l’intérieur de l’auto‐patrouille qu’ultérieurement à l’hôpital, et que ses blessures sont fort probablement le fait de ses propres actes. En l’absence d’une preuve indépendante crédible, je ne peux trouver aucun motif raisonnable de croire que la blessure à la tête du plaignant a été délibérément causée par une application soudaine des freins de l’auto‐patrouille par l’AT no 2 pendant qu’il transportait le plaignant davantage que croire que le plaignant s’est lui‐même infligé ces blessures ou que celles‐ci ont été causées lors d’un regrettable accident à l’intérieur de l’auto‐patrouille, lorsque le plaignant s’est accidentellement cogné la tête sur la paroi de séparation.

En dernière analyse, je suis convaincu, pour les motifs qui précèdent, que la mise sous détention du plaignant et la manière dont cela s’est fait étaient légitimes malgré les blessures qu’il a subies. Je suis donc convaincu, pour des motifs raisonnables, que les gestes posés par les agents étaient dans les limites prescrites par le droit criminel et qu’il n’y a pas de motifs de porter des accusations en l’espèce.

Date : 11 octobre 2017

Original signé par

Tony Loparco Directeur Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) [1] L’AT no 4 était l’agent de détention présent lorsque le plaignant a été emmené au poste de police. [Retour au texte]
  • 2) [2] Les AT no 5, no 6, no 7 et no 8 se sont rendus à l’hôpital pour prendre la relève des AT no 2 et no 3 et pour déterminer la nature des blessures du plaignant. [Retour au texte]
  • 3) [3] Cela équivaut à environ 106 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang, soit une alcoolémie supérieure de 1, 25 fois à la limite permise pour conduire (80 milligrammes par 100 millilitres). [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.