Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 16-TCI-244

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu une allégation d’agression sexuelle.

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Ce rapport décrit l’enquête de l’UES sur la blessure grave subie par un homme âgé de 45 ans le 22 septembre 2016, lors de son arrestation pour trafic de drogue.

L’enquête

Notification de l’UES

Le 23 septembre 2016, à 1 h 13 du matin, le Service de police de Toronto (SPT) a appelé l’UES pour signaler une blessure subie lors d’une mise sous garde.

Le SPT a indiqué que le 22 septembre 2016, à 19 h, des membres de l’escouade antidrogue du SPT ont arrêté le plaignant sur l’avenue Finch Ouest, au centre commercial Finchdale. Le plaignant a été emmené à l’hôpital afin d’y être traité pour une coupure au dessus de l’œil qui s’est produite lorsqu’il a été appréhendé et mis au sol. à 00 h 34, le 23 septembre 2016, le plaignant a reçu un diagnostic de fracture légère de l’os nasal.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 5

Plaignant

homme âgé de 45 ans; a participé à une entrevue; dossiers médicaux obtenus et examinés

Témoin civil (TC)

Aucun

Agents témoins (AT)

AT no 1 a participé à une entrevue

AT no 2 a participé à une entrevue

AT no 3 a participé à une entrevue

AT no 4 a participé à une entrevue

AT no 5 a participé à une entrevue

AT no 6 n’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées

AT no 7 n’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées

AT no 8 n’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées

AT no 9 n’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées

AT no 10 n’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées

AT no 11 n’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées

Agent impliqué (AI)

AI no 1 n’a pas consenti à participer à une entrevue, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.

AI no 2 n’a pas consenti à participer à une entrevue, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.

Preuve

Les lieux de l’incident

La scène de l’arrestation est située sur le terrain de stationnement du centre commercial Finchdale, côté nord de l’avenue Finch Ouest, à Toronto.

Preuve vidéo/audio/photographique

L’UES a examiné les alentours à la recherche d’éventuels enregistrements vidéo ou audio et preuves photographiques, et elle a trouvé une séquence vidéo brute provenant d’une caméra du centre commercial Finchdale. Après visionnement de l’enregistrement vidéo, cependant, il a été déterminé que cette vidéo n’avait aucune valeur probante pour cet incident.

éléments obtenus du service de police

L’UES a demandé au SPT les éléments et documents suivants, qu’elle a obtenus et examinés :

  • rapport sur les détails de l’événement tiré du système de répartition assistée par ordinateur d’Intergraph (I/CAD)
  • COMM – demande audio
  • COMM / service automatisé de répartition (ADS) – résumé des conversations
  • enregistrements des communications
  • vidéo du bloc cellulaire fournie par le SPT
  • enregistrement vidéo provenant de la caméra à bord de l’autopatrouille
  • casier judiciaire du plaignant;
  • rapport sur les détails de l’événement
  • rapport d’incident général
  • système de répartition assistée par ordinateur d’Intergraph (I/CAD) – rapport d’historique de l’unité (autopatrouille)
  • notes de l’AT no 1, de l’AT no 2, de l’AT no 3, de l’AT no 4, de l’AT no 5, de l’AT no 6, de l’AT no 7, de l’AT no 8, de l’AT no 9, de l’AT no 10 et de l’AT no 11
  • document papier des antécédents d’une personne – le plaignant
  • données tirées du registre de prisonnier
  • rôles des membres de l’équipe
  • rapport sur les blessures et maladies fourni par le SPT, et
  • liste des biens saisis et des pièces à conviction fournie par le SPT

Description de l’incident

Le 22 septembre 2016, en début de soirée, le plaignant était l’objet d’une opération d’infiltration au centre commercial Finchdale Plaza, à Toronto, où l’AT no 4 avait fait des arrangements pour acheter une certaine quantité de cocaïne du plaignant, la transaction devant être effectuée à l’intérieur de la voiture banalisée de l’AT no 4, qui était garée sur le terrain de stationnement. Une fois la transaction terminée, le plaignant a été arrêté; l’AI no 1 et l’AI no 2 l’ont sorti de la voiture puis l’ont mis au sol. Durant la manœuvre de mise au sol, le plaignant est tombé face contre terre, et les deux agents sont tombés sur lui.

Comme le plaignant avait des blessures visibles au visage, il a été transporté à l’hôpital, où on lui a diagnostiqué une légère fracture de l’os nasal.

Dispositions législatives petinentes

Article 5 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances – Trafic de substances

5 (1) Il est interdit de faire le trafic de toute substance inscrite aux annexes I, II, III, IV ou V ou de toute substance présentée ou tenue pour telle par le trafiquant. Possession en vue du trafic

(2) Il est interdit d’avoir en sa possession, en vue d’en faire le trafic, toute substance inscrite aux annexes I, II, III, IV ou V.

Paragraphe 25(1) du Code criminel – Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :

  1. soit à titre de particulier;
  2. soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public;
  3. soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public;
  4. soit en raison de ses fonctions,

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Analyse et décision du directeur

Le 22 septembre 2016, une opération d’infiltration a été exécutée lors de laquelle la cible, le plaignant, vendrait de la drogue à un policier en civil et à la suite de quoi il serait arrêté. La transaction de drogue devait avoir lieu au centre commercial Finchdale Plaza, situé sur l’avenue Finch Ouest, dans la ville de Toronto. Lorsque l’agent d’infiltration a fait signe à ses collègues que la transaction avait été effectuée, l’AI no 1 et l’AI no 2 sont arrivés pour arrêter le plaignant. Au cours de l’arrestation, le plaignant a été blessé et on l’a amené à l’hôpital, où on lui a diagnostiqué une légère fracture de l’os nasal.

Au cours de cette enquête, les enquêteurs de l’UES ont interrogé le plaignant et cinq témoins de la police. Il n’y avait pas de témoins civils ayant observé l’incident et les deux agents impliqués n’ont pas consenti à être questionnés, comme ils en ont légalement le droit, et ils n’ont pas remis leur calepin de notes pour examen. En plus des entrevues, les enquêteurs ont examiné les calepins des 11 témoins potentiels de la police.

Pour le déroulement de l’opération d’infiltration, les agents suivants se sont vu assigner les rôles suivants :

  • l’AT no 4 était le policier en civil qui allait acheter la drogue
  • l’AI no 1 et l’AI no 2 devaient procéder à l’arrestation
  • l’AT no 2 devait être le [traduction] « patron sur le terrain », ce qui exigeait de lui qu’il dirige les séances préparatoires d’information et qu’il assure la liaison entre l’équipe et l’agent en charge de l’opération
  • l’AT no 3 devait prendre position à un endroit d’où il pourrait observer la transaction de drogue
  • l’AT no 5 était chargé de prendre des notes
  • l’AT no 1 était l’agent en charge de l’opération qui supervisait l’enquête et était responsable de la sécurité des membres de son équipe

L’AT no 4 a indiqué que la transaction de drogue a eu lieu à l’intérieur de sa voiture banalisée et que le plaignant a pris place dans son véhicule après qu’ils eurent parlé sur un téléphone cellulaire. Une fois la transaction terminée, l’AT no 4 a donné le signal convenu et l’AI no 1 est apparu à la fenêtre l’instant d’après, a ouvert la portière côté passager et a crié [traduction] « Police de Toronto, vous êtes en état d’arrestation pour trafic de cocaïne. » L’AT no 4 a alors observé l’AI no 1 commencer à tirer le plaignant du siège passager et l’AI no 2 arriver pour aider à l’arrestation. L’AT no 4 a indiqué qu’il lui a semblé que le plaignant tentait de marcher puis de courir vers l’arrière de son véhicule banalisé, et l’AT no 4 a cru que le plaignant essayait de s’enfuir. L’AT no 4 a vu l’AI no 1 et l’AI no 2 lutter pour amener le plaignant au sol, et cette lutte s’est déplacée à l’arrière de son véhicule, de sorte que l’AT no 4 a perdu l’interaction de vue. L’AT no 4 a expliqué que son rôle était celui de l’acheteur d’infiltration et qu’il ne devait pas sortir de son véhicule ni fournir une assistance pour l’arrestation. Bien que l’AT no 4 ne pouvait pas voir l’interaction, il a indiqué qu’il a entendu des voix crier [traduction] « Arrêtez de résister; mettez vous à terre. »

L’AT no 2 a indiqué qu’il a conduit son véhicule jusqu’à l’endroit où l’arrestation était effectuée et que, lorsqu’il est arrivé, il a vu l’AI no 1 et l’AI no 2 lutter avec le plaignant à côté du véhicule banalisé de l’agent d’infiltration. Il a observé que le plaignant se tenait debout à ce moment là et semblait se débattre pour prendre la fuite. L’AT no 2 a indiqué que son point d’observation se trouvait à une vingtaine de pieds (6,10 mètres) de là. L’AT no 2 a indiqué qu’il a alors porté son attention sur les clients qui sortaient du bar puis que, lorsqu’il a de nouveau regardé en direction du plaignant, celui ci était sur le sol, face contre terre, et l’’AI no 1 était à sa droite tandis que l’AI no 2 était à sa gauche. L’AT no 2 a alors vu l’AI no 1 menotter le plaignant dans le dos et a immédiatement remarqué que le plaignant saignait au niveau de la tête. Lorsque le plaignant a été mis en position assise, l’AT no 2 a observé qu’il avait une égratignure au nez et une coupure au dessus du sourcil gauche; il a alors appliqué une compresse de gaze sur la coupure et a demandé l’arrivée d’une présence en uniforme ainsi que d’une ambulance.

L’AT no 3 a indiqué qu’il a observé le signal indiquant que la transaction d’achat de drogue était terminée, qu’il a ensuite transmis cette information par radio à ses collègues et que le plaignant a été arrêté. L’AT no 3 a observé l’AI no 2 s’approcher de l’arrière du véhicule banalisé, du côté ouest, et l’AI no 1 s’approcher du côté est. Le point d’observation de l’AT no 3 se trouvait à environ 50 pieds (15,24 mètres) de là. L’AT no 3 a alors observé l’AI no 1 ouvrir la portière avant côté passager et a entendu [traduction] « Police, vous êtes en état d’arrestation pour trafic de cocaïne », sur quoi il a observé l’AI no 1 saisir le bras gauche du plaignant et le tirer en dehors du véhicule, puis l’AI no 2 saisir le bras droit du plaignant. Le plaignant faisait alors face à l’arrière du véhicule et ne se trouvait plus à côté de la portière côté passager. L’AT no 3 a indiqué qu’il a entendu [traduction] « Police, vous êtes en état d’arrestation, mettez vous à terre et arrêtez de résister. » L’AT no 3 a ensuite observé le plaignant essayer de courir vers l’arrière de la voiture banalisée pendant qu’on lui tenait les bras et que l’AI no 1 et l’AI no 2 essayaient de l’amener au sol. Les deux policiers et le plaignant sont alors tombés en avant et ont atterri sur le sol en même temps; le plaignant a atterri face contre terre et les deux agents se sont retrouvés sur le plaignant. L’AT no 3 a indiqué qu’il a observé l’interaction de façon ininterrompue depuis le moment où la portière de la voiture a été ouverte jusqu’à ce que les trois hommes se retrouvent par terre. L’AT no 3 a ensuite vu du sang sur le sol et que le plaignant avait une coupure au dessus de l’œil gauche et qu’il saignait du nez. Il a aussi remarqué que l’AI no 1 avait des égratignures et des éraflures sur l’un de ses bras.

Plus tard ce soir là, pendant la séance de bilan de l’opération au poste de police, l’AT no 3 a indiqué que l’AI no 1 et l’AI no 2 lui ont tous deux dit qu’ils avaient chacun essayé de faire un croche pied à la jambe du plaignant se trouvant de leur côté respectif, afin de contrôler le plaignant qui se débattait et que, du fait qu’ils avaient exécuté cette manœuvre en même temps, les trois sont tombés.

L’AT no 5 a indiqué qu’aussitôt que l’AT no 2 lui a donné l’ordre de procéder à l’arrestation, elle a conduit son véhicule jusqu’à la scène de l’incident et s’est stationnée devant le véhicule banalisé, d’où elle a observé l’AI no 1 et l’AI no 2 chacun tenir un bras du plaignant à l’arrière du véhicule banalisé, côté passager. Elle a indiqué que le plaignant essayait de prendre la fuite et qu’elle a vu le plaignant faire quelques pas avant que les deux agents et le plaignant ne tombent sur le sol.

L’AT no 1 n’a été témoin ni de la transaction de drogue ni de l’arrestation du plaignant, mais l’AT no 2 lui a dit, à la suite de l’arrestation et alors que le plaignant était encore au sol, que l’AI no 1 et l’AI no 2 avaient sorti le plaignant de la voiture banalisée et lui avaient ordonné de se mettre au sol et que, comme il n’obtempérait pas, ils l’ont mis au sol, ce qui lui a fait se cogner le visage sur le béton.

En vertu du paragraphe 25(1) du Code criminel, les agents de police peuvent seulement recourir à la force qui est raisonnablement nécessaire dans l’exécution d’une obligation légale. En ce qui concerne tout d’abord la légalité de l’appréhension du plaignant, il ressort clairement de l’ensemble de la preuve que le plaignant venait de terminer une transaction de vente d’un stupéfiant illégal et qu’il pouvait donc être mis en état d’arrestation. Ainsi, l’appréhension et l’arrestation du plaignant étaient légalement justifiées dans les circonstances.

En ce qui concerne la force employée par les agents dans leurs tentatives de détenir et de maîtriser le plaignant, à la lumière de l’ensemble de la preuve, il semble qu’il ne soit guère contesté, entre le plaignant et les agents témoins de l’interaction immédiatement avant l’arrestation du plaignant, que de la force a été employée. La seule différence dans les témoignages semble résider dans la question de savoir si le plaignant se livrait de lui même à la police et avait les bras en l’air lorsqu’il a été mis au sol ou s’il essayait de s’enfuir à ce moment là. En examinant l’ensemble de la preuve, j’ai tenu compte de ce qui suit :

Sur ce fondement, je suis incapable de conclure qu’il existe des motifs raisonnables de croire que le plaignant se livrait de lui même aux agents pour être arrêté et je retiens plutôt le témoignage des quatre agents témoins de la police selon lequel le plaignant essayait alors de prendre la fuite.

Une fois cette conclusion tirée, cependant, il reste à déterminer si la force employée par l’AI no 1 et l’AI no 2 était excessive dans les circonstances. Compte tenu des faits au dossier, j’estime que leurs comportements étaient justifiés dans les circonstances et qu’ils n’ont pas employé plus de force que nécessaire pour maîtriser le plaignant, qui, apparemment, se débattait et tentait d’échapper aux agents. Il ressort clairement de la preuve que les deux agents ont tenté une manœuvre dans laquelle ils allaient chacun faucher une jambe du plaignant pour l’amener au sol, où ils pourraient lui passer les menottes et le retirer de façon sécuritaire de la scène. Malheureusement, dans une situation où le choses se déroulent très rapidement, comme c’était manifestement le cas ici, avec une transaction de drogue qui venait d’être terminée, les clients qui sortaient du bar et arrivaient sur le terrain de stationnement et le plaignant qui essayait de s’échapper, on n’a pas toujours le temps de communiquer ses actions avant de les exécuter. Dans les circonstances particulières de cet incident, il semble que les deux agents, en raison de la formation qu’ils ont reçue, ont eu la même idée au même moment pour ce qui est de la manœuvre qu’ils devaient exécuter en pareilles circonstances, et ils ont tous deux agi au même moment; malheureusement, il en a résulté que les deux jambes du client ont été fauchées en même temps ce qui a fait que lui même ainsi que les deux agents sont tombés sur le sol. J’estime que l’explication que l’AT no 3 a relatée et dont il a dit qu’elle émanait de l’AI no 1 ainsi que de l’AI no 2 lors de la séance de bilan de l’opération, est tout à fait compatible avec le témoignage du plaignant quant à la façon dont il est tombé sur le sol et a subi sa blessure. Il est très possible que si seul un agent lui avait fauché une jambe, le plaignant ne serait pas tombé face contre terre et ne se serait pas fracturé le nez. Malheureusement, dans une situation où les choses se déroulent très rapidement, il n’est pas toujours possible de se parler avant d’agir. Pour en arriver à cette conclusion, je garde à l’esprit l’état du droit applicable tel qu’il a été énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Nasogaluak, [2010] 1 R.C.S. 206, qui dit ceci :

Les actes des policiers ne devraient pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Il ne faut pas oublier que ceux ci accomplissent un travail exigeant et dangereux et qu’ils doivent souvent réagir rapidement à des situations urgentes. Leurs actes doivent alors être appréciés selon ce que commande ce contexte difficile. Comme le juge Anderson l’explique dans R. c. Bottrell (1981), 60 C.C.C. (2d) 211 (C.A. C.-B.) :

[traduction] Pour déterminer si la force employée par le policier était nécessaire, les jurés doivent tenir compte des circonstances dans lesquelles le policier y a eu recours. Il aurait fallu leur indiquer qu’on ne pouvait s’attendre à ce que l’appelant mesure la force appliquée avec précision. [p. 218]

De plus, comme le fait valoir la décision que la Cour d’appel de l’Ontario a rendue dans l’affaire R. c. Baxter (1975), 27 C.C.C. (2d) 96 (C.A. de l’Ont.), on ne peut s’attendre à ce que les policiers apprécient avec exactitude le degré de force qu’ils emploient dans leur intervention.

Dans ce dossier, il est clair que la force employée tant par l’AI no 1 que par l’AI no 2 était mesurée et proportionnelle au degré de résistance opposé par le plaignant et qu’elle était dans les limites de ce qui était raisonnablement nécessaire dans les circonstances pour procéder à la mise sous garde légale du plaignant. Le fait que les deux agents aient exécuté exactement la même manœuvre au même moment, faisant ainsi tomber le plaignant sur le visage et tombant eux mêmes sur le plaignant, était un malheureux accident que l’on ne pouvait pas prévoir.

En dernière analyse, je suis convaincu, pour les motifs qui précèdent, que la mise sous détention du plaignant et la manière dont elle a été effectuée étaient légitimes malgré la blessure subie par le plaignant. Je suis donc convaincu, pour des motifs raisonnables à la lumière de l’ensemble de la preuve disponible, que les gestes posés par les agents étaient dans les limites prescrites par le droit criminel et qu’il n’y a pas lieu de porter des accusations en l’espèce.

Date : 13 octobre 2017

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

  • la similarité des témoignages fournis par tous les témoins de la police
  • la preuve selon laquelle des agents ont entendu prononcer les mots [traduction] « Arrêtez de résister » et [traduction] « Mettez-vous au sol »
  • la preuve que chaque agent qui était dans une position d’observation a estimé que le plaignant essayait de s’enfuir
  • les déclarations de l’AI no 1 et de l’AI no 2 à la séance de bilan de l’opération selon lesquelles, tel que l’AT no 3 les a relatées, chacun des deux agents impliqués a essayé de faucher, chacun de leur côté, la jambe du plaignant afin de contrôler le plaignant qui se débattait et que, comme ils ont exécuté cette manœuvre en même temps, les trois sont tombés par terre
  • les déclarations que l’AT no 2 a faites à l’AT no 1 immédiatement après l’incident, dans lesquelles l’AT no 2 a résumé ainsi l’interaction : l’AI no 1 et l’AI no 2 ont fait sortir le plaignant de la voiture banalisée et lui ont donné l’ordre de se mettre au sol; comme le plaignant n’obtempérait pas, les deux agents l’ont mis au sol ce qui lui a fait se cogner le visage sur le ciment. J’estime que cette déclaration est particulièrement convaincante en ce qu’elle a été faite immédiatement après l’arrestation et avant que l’AT no 2 n’ait eu l’occasion de parler aux agents impliqués pour obtenir leur version des faits

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.