Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 16-TCI-199

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu une allégation d’agression sexuelle.

Les « blessures graves » englobent celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, a priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant que la gravité de la blessure puisse être évaluée, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider de l’envergure de son intervention.

Le présent rapport porte sur l’enquête menée par l’UES au sujet de la blessure grave subie par un homme de 32 ans le 1er août 2016 alors qu’il était poursuivi pour vol à l’étalage.

L’enquête

Notification de l’UES

Le 1er août 2016, le service de police de Toronto (SPT) a informé l’UES de blessures subies par un homme pendant son arrestation.

Le SPT a rapporté qu’à 15 h 07 ce jour-là, un homme dont l’identité était inconnue au moment de la notification est entré dans le magasin de la Régie des alcools de l’Ontario au 232, rue Dupont, et a volé une bouteille de champagne. L’homme a quitté le magasin, mais est revenu peu après et a bu le champagne dans le magasin. Puis, il a volé une autre bouteille de champagne et a de nouveau quitté le magasin.

Peu après, des citoyens ont appelé le numéro 9-1-1 et ont signalé avoir vu un homme couché sur la chaussée. Les ambulanciers sont arrivés, et lorsqu’ils ont tenté de traiter l’homme blessé, il a pris la fuite à pied et a fait une chute un peu plus loin. Les ambulanciers ont immédiatement conclu que l’homme avait subi une luxation au coude gauche lorsqu’il était tombé. Les agents de police du SPT sont arrivés peu de temps après et ont arrêté l’homme [désigné plus tard comme le plaignant].

Le plaignant a été amené à l’hôpital, où l’on a déterminé qu’il avait l’avant-bras gauche cassé. Bien que les ambulanciers avaient déterminé initialement qu’il avait un bras disloqué, la fracture du bras n’était pas apparente lorsqu’ils ont traité le plaignant. On pensait que la fracture aurait pu survenir pendant l’arrestation du plaignant.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 5

Plaignant

Homme âgé de 32 ans; a participé à une entrevue; dossiers médicaux obtenus et examinés

Témoins civils (TC)

TC no 1 A participé à une entrevue

TC no 2 A participé à une entrevue

TC no 3 A participé à une entrevue

TC no 4 A participé à une entrevue

Agents témoins (AT)

AT n° 1 A participé à une entrevue

AT no 2 A participé à une entrevue

Agents impliqués (AI)

AI A participé à une entrevue, et ses notes ont été reçues et examinées.

Preuve

Les lieux de l’incident

Un magasin de la Régie des alcools de l’Ontario situé au 232, rue Dupont, du côté nord de la rue. Au sud de ce magasin, la rue Huron croise la rue Dupont, l’intersection étant en forme de T.

Les résidences situées sur la rue Huron dans le secteur où se trouvait le plaignant sont des maisons jumelées. La cour avant de l’une d’elles est un petit jardin d’arbustes et de pavés. Celle de la résidence voisine est une pelouse. Vers le sud, les résidences sont séparées par une allée.

Les cours arrière de ces résidences, comme de nombreuses autres résidences le long de la rue Huron, ont été pavées et converties en espaces de stationnement.

Preuve vidéo/audio/photographique

L’UES a inspecté le secteur pour déterminer s’il y avait des enregistrements vidéo ou audio et des preuves photographiques. Des enregistrements d’une télévision en circuit fermé (TVCF) de la Société des alcools de l’Ontario au 232, avenue Dupont, ont été fournis à l’UES.

Documents obtenus du service de police

Sur demande, l’UES a obtenu les documents suivants du SPT et puis les a examinés :

  • Rapports du système de répartition assistée par ordinateur (ICAD)
  • Notes des AT nos 1 et 2
  • Fiche de service pour les quarts de jour et de soirée du SPT; et
  • Résultats de la recherche au sujet du plaignant au SPT et au Centre d’information de la police canadienne (CIPC)

Description de l’incident

L’après-midi du 1er août 2016, on a vu le plaignant voler une bouteille de vin mousseux dans le magasin de la Société des alcools de l’Ontario situé au 232, rue Dupont, et plus tard, on a observé le plaignant dans la position couchée sur la chaussée. Il était très intoxiqué. On a appelé le numéro 9-1-1, et l’AI et l’AT no 1 sont intervenus. Des ambulanciers se sont également rendus sur les lieux.

Le plaignant a couru entre les maisons et les cours sur la rue Huron, située à proximité, et à un moment donné, a fait une chute. L’AI et l’AT no 1 ont trouvé le plaignant couché sur le dos dans une allée entre deux maisons. Le plaignant s’est levé et est parti en marchant, mais a trébuché et est tombé de nouveau vers l’avant. Le plaignant a été arrêté et menotté. Il s’est plaint de douleur au bras gauche.

On a appelé une ambulance, et le plaignant a été transporté à l’hôpital où, selon le diagnostic posé, il avait l’avant-bras gauche fracturé.

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 25(1), Code criminel - Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :

  1. soit à titre de particulier;
  2. soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public;
  3. soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public;
  4. soit en raison de ses fonctions,

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Analyse et décision du Directeur

Le 1er août 2016, à environ 15 h 25, l’AI et l’AT no 1 ont été dépêchés au magasin de la Société des alcools de l’Ontario situé au 232, rue Dupont, dans la ville de Toronto, en réponse à un appel signalant un vol. Les agents se sont présentés dans le secteur du magasin d’alcools et ont trouvé le plaignant qui semblait être la personne qu’ils cherchaient. Ils ont arrêté le plaignant, qui a été transporté à l’hôpital, où l’on a déterminé qu’il avait une fracture à l’avant-bras gauche.

Il n’est pas contesté que le plaignant a fréquenté le magasin de la Société des alcools de l’Ontario sur la rue Dupont ce jour-là, qu’il a pris une bouteille de vin mousseux et qu’il a quitté le magasin sans payer pour la bouteille. Il n’est pas contesté non plus qu’il était intoxiqué.

Les enquêteurs de l’UES ont interrogé quatre témoins civils en plus du plaignant et trois agents de police témoins, dont l’AI. Les carnets de notes de tous les agents concernés ont également été mis à la disposition des enquêteurs, tout comme le dossier des communications.

Durant sa déclaration à l’UES, le plaignant avait de la difficulté à se rappeler ce qui s’était passé après sa tentative de s’échapper à la police en courant, avant de tomber au sol. Le plaignant allègue que les agents lui ont tordu les bras derrière le dos lorsqu’ils l’ont menotté, ce qui a rompu les os dans le coude gauche. Il ne pouvait décrire les agents en cause.

Les témoins civils qui ont observé l’arrestation du plaignant ont tous affirmé que le plaignant était tombé dans l’allée piétonnière en béton avant que les policiers arrivent et le menottent et qu’il avait dit qu’il s’était cassé le bras durant sa chute au sol. Aucun des témoins civils n’a vu les agents appliquer une force quelconque contre le plaignant durant son arrestation ou son menottage.

Les enquêteurs se sont entretenus avec l’AI et l’AT no 1. L’AI a indiqué que lui et sa collègue avaient été envoyés initialement en réponse à un appel d’un magasin de la Société des alcools de l’Ontario signalant qu’il y avait eu un vol et qu’ensuite il avait entendu un deuxième appel concernant une collision et des blessures corporelles dans le même secteur, la description du plaignant dans ce cas-là correspondant à la description du suspect qui aurait commis le vol. L’AT no 1 a indiqué qu’elle se souvenait d’un appel indiquant que le plaignant était couché au milieu de la rue Dupont à l’extérieur du magasin de la Société des alcools de l’Ontario et qu’il était peut-être drogué, suivi d’un appel signalant une collision et des blessures corporelles au même endroit, la description du plaignant étant identique à la description du suspect du vol. Les agents étaient en route vers le magasin de la Société des alcools de l’Ontario lorsqu’un homme au coin de la rue les a informés que la personne qu’ils recherchaient s’était dirigée vers le sud, sur la rue Huron; l’AI s’est alors rendu dans cette direction à bord de son véhicule et a constaté que le plaignant était couché sur le dos dans une allée entre deux maisons. L’AI a observé que le plaignant avait une bouteille de champagne et il croyait qu’il s’agissait du suspect qu’ils recherchaient à l’origine. Comme l’AT no 1 était sur le point de signaler qu’ils avaient trouvé le plaignant, elle l’a vu se mettre debout et a observé qu’il tenait une grosse bouteille de vin à la main et a commencé à marcher en trébuchant dans l’allée. L’AI a indiqué qu’il avait vu le plaignant lever la tête et les épaules du sol et regarder directement dans la direction de la voiture de patrouille, qu’il semblait reconnaître le véhicule comme une voiture de patrouille et qu’il s’était remis debout lentement, avait ramassé sa bouteille et avait commencé à s’éloigner. Le plaignant ne semblait pas blessé à ce moment-là. Les deux agents ont quitté leur véhicule et ont suivi le plaignant dans l’intention de le mettre en état d’arrestation pour vol. L’AI a observé que le plaignant était intoxiqué par la façon dont il se déplaçait et puis l’a vu courir, pas très vite, dans l’allée. Le TC no 3 était debout sur le trottoir à la fin de l’allée, a levé les mans et a crié [traduction] « arrête » au plaignant, qui s’est alors déplacé en courant vers le côté et a heurté le TC no 3 tout en l’éclaboussant de champagne. Puis, le plaignant a perdu l’équilibre et, sur une courte distance, s’est retrouvé sur le sol d’un passage surélevé situé devant les maisons sans lâcher sa bouteille de champagne. Le plaignant était couché sur le ventre et avait les bras écartés de part et d’autre. Le plaignant a ensuite été menotté, et la force utilisée était minimale; à ce moment-là, le plaignant a dit : [traduction] « Aïe, mon bras fait mal ». Les menottes ont ensuite été retirées, et les ambulanciers ont examiné le plaignant.

En examinant l’ensemble de la preuve, une image assez claire de ce qui s’est produit se dessine en l’espèce. Tous les témoins, à l’exception du plaignant lui-même, sont d’accord sur les faits. Là où le témoignage du plaignant diffère de celui des témoins civils, j’ai rejeté son témoignage en raison du fait qu’il était manifestement extrêmement intoxiqué et qu’il a admis avoir eu de la difficulté à se rappeler certains des événements cruciaux.

L’affirmation du plaignant selon laquelle les agents de police ont brisé ses os lorsqu’ils ont tordu ses bras derrière le dos pendant le menottage est contredit par les témoins civils qui ont été très clairs dans leur témoignage qu’aucune force n’a été utilisée contre lui par l’un ou l’autre des agents. En outre, en ce qui concerne l’affirmation que les agents auraient sauté sur le plaignant et ainsi auraient causé sa chute, les témoins civils ont indiqué que le plaignant était tombé tout seul et que les agents n’étaient pas encore arrivés sur les lieux au moment de sa chute.

Compte tenu de la preuve fournie par les témoins civils, il semble tout à fait clair que le plaignant, au moment où il était poursuivi par les agents, voulait protéger sa bouteille et, ce faisant, n’avait pas mis ses mains devant lui pour se protéger lors de la chute. En outre, malgré la déclaration du plaignant quant à l’origine de sa blessure, je conclus qu’il ne fait aucun doute, compte tenu de la preuve de tous les témoins civils, que le plaignant a subi sa blessure au moment de la chute lorsqu’il a trébuché et que tous les témoins civils l’ont entendu admettre ce fait à l’époque.

Lors de l’examen de ce dossier, il n’y a aucune preuve que les agents ont eu recours à une force quelconque pour appréhender le plaignant autre que la force très minimale requise pour passer les menottes au plaignant, lesquelles ont été enlevées immédiatement lorsqu’il s’est plaint de douleur. Ce qui ressort clairement des témoignages de tous les témoins, c’est que la bouteille de vin a survécu à cette épreuve indemne et intacte. Je conclus que le plaignant a tenté de fuir aux agents dans son état d’ébriété extrême et, dans le seul but de protéger sa bouteille d’alcool, s’est blessé sans aucune intervention de la part de la police. Il convient de souligner qu’aucun des quatre témoins civils indépendants qui ont observé l’interaction entre les agents et le plaignant n’ont fait des allégations concernant des gestes inappropriés qu’auraient posés les agents de police et je suis convaincu, pour des motifs raisonnables, que les actions des agents ont été exercées nettement dans les limites prescrites par le droit criminel et qu’il n’y a aucun motif de porter des accusations en l’espèce.

Date : 20 octobre 2017

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.