Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 16-OVD-278

Attention :

Cette page affiche un contenu graphique pouvant choquer, offenser et déranger.

Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu à une allégation d’agression sexuelle.

Les « blessures graves » englobent celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, a priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant que la gravité de la blessure puisse être évaluée, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider de l’envergure de son intervention.

Ce rapport a trait à l’enquête menée par l’UES sur les blessures graves subies par une femme de 71 ans et la mort d’une femme de 95 ans à la suite d’une collision de véhicules le 7 novembre 2016.

L’enquête

Notification de l’UES

L’UES a été informée de l’incident par le Service de police de Brantford (SPB) le 7 novembre 2016, à 11 h 38. Le SPB a signalé un décès et des blessures qui sont survenus ce matin-là.

Le SPB a rapporté qu’à 10 h 43 ce matin-là, l’agent impliqué (AI) était à la recherche du témoin civil (TC) no 9 en rapport avec une attaque au couteau. Quand l’AI s’est rendu à une résidence pour trouver le TC no 9, il a vu deux hommes, dont il pensait que l’un d’eux était le TC no 9, monter dans un véhicule et quitter les lieux. L’AI a suivi le véhicule et a tenté de l’immobiliser en vue d’un contrôle routier à l’intersection de la promenade Icomm et de la rue Colborne. Le véhicule a pris la fuite vers l’ouest sur la rue Colborne et a traversé un pont. À l’intersection avec la rue Gilkison, le véhicule a percuté un autre véhicule civil avec deux occupantes à bord [dont on sait maintenant qu’il s’agissait de la plaignante no 1 et de la plaignante no 2]. Une des occupantes de l’autre véhicule civil ne présentait aucun signe vital, tandis que l’autre avait des blessures mineures. Les deux occupantes du véhicule ont été transportés à l’hôpital.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 7

Nombre d’enquêteurs judiciaires de l’UES assignés : 3

Nombre de spécialistes en reconstitution de l’UES assignés : 1

Les enquêteurs judiciaires de l’UES se sont rendus sur les lieux et ont identifié et préservé les éléments de preuve. Ils ont documenté les scènes pertinentes associées à l’incident au moyen de notes, de photographies, de vidéos et de mesures. Les enquêteurs judiciaires ont assisté à l’autopsie et l’ont filmée.

Plaignante no 1 :

Femme de 94 ans, décédée

Plaignante no 2 :

Entretien avec une femme âgée de 71 ans, obtention et examen des dossiers médicaux

Témoins civils (TC)

TC no 1 N’a pas participé à une entrevue[1]

TC no 2 A participé à une entrevue

TC no 3 A participé à une entrevue

TC no 4 A participé à une entrevue

TC no 5 A participé à une entrevue

TC no 6 A participé à une entrevue

TC no 7 A participé à une entrevue

TC no 8 A participé à une entrevue

TC no 9 N’a pas participé à une entrevue[2]

TC no 10 A participé à une entrevue

TC no 11 A participé à une entrevue

Agents témoins (AT)

AT no 1 A participé à une entrevue

AT no 2 A participé à une entrevue

AT n° 3 A participé à une entrevue

AT no 4 A participé à une entrevue

AT n° 5 A participé à une entrevue

Agent impliqué (AI)

AI N’a pas consenti à participer à une entrevue et à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué[3]

Preuve

Les lieux de l’incident

La collision s’est produite au coin sud-est de l’intersection de la rue Colborne Ouest et de la rue Gilkison, dans la ville de Brantford.

Le temps était clair, la visibilité était bonne, et les routes étaient sèches au moment de la collision.

La circulation dans l’intersection est contrôlée par des feux de circulation, et la limite de vitesse affichée est de 50 km/h sur la rue Colborne Ouest. La chaussée y est asphaltée et comporte deux voies dans les deux sens, pour la circulation est et ouest sur la rue Colborne Ouest. Il y a des bordures et des trottoirs en béton de tous les côtés de l’intersection et il n’y a pas de béton ni d’îlots structurés séparant la circulation dans les directions opposées sur l’une ou l’autre des rues.

La Nissan[4] et la Honda[5] ont toutes deux subi des dommages à l’avant conformes à une collision frontale. Les sacs gonflables avant du côté du conducteur et du passager se sont déployés dans les deux véhicules, tout comme les sacs gonflables latéraux du côté du passager dans la Nissan.

L’examen de la Honda a révélé que la ceinture de sécurité à la place arrière où était assise la plaignante no 1 avait été mise et était en place au moment de la collision.

Schéma des lieux

Schéma des lieux

Éléments de preuve médico-légaux

Données GPS du véhicule de l’AI

Les données téléchargées du GPS de la Chevrolet Impala non identifiée comme une voiture de police et que conduisait l’AI ont révélé qu’à 10 h 41 m 32 s, le véhicule a atteint une vitesse de 84 km/h sur la promenade Icomm, en passant par le Casino de Brantford. L’AI a ralenti à 29 km/h 20 secondes plus tard alors qu’il tournait à gauche sur la rue Colborne Ouest. Dix secondes plus tard, il a accéléré à 92 km/h alors qu’il franchissait le pont Lorne. Cinq secondes après cela, il a réduit sa vitesse à 72 km/h. Cinq secondes plus tard, sa vitesse est tombée à 50 km/h. Puis, après cinq secondes additionnelles, l’AI a ralenti à 23 km/h.

Témoignage d’expert

Autopsie

Une autopsie a été effectuée le mardi 8 novembre 2016, à Hamilton. Le pathologiste a déterminé que la cause du décès de la plaignante no 1 était de multiples traumatismes. Le rapport de l’autopsie a été reçu le 3 juillet 2017.

Reconstitution de la collision par l’UES

Dans son rapport sur la reconstitution de la collision, l’UES a conclu que la vitesse de la Honda, conduite par le TC no 3, se situait entre 32 et 33 km/h au moment de la collision tandis que la Nissan, conduite par le TC no 9, roulait à une vitesse se situant entre 50 et 51 km/h.

L’enquête de reconstitution de la collision a révélé en outre que la Nissan se déplaçait à une vitesse moyenne de 131 km/h avant de virer dans la voie est et en sens contraire de la rue Colborne Ouest. Elle s’est ensuite déplacée à une vitesse moyenne de 64 km/h sur 54 mètres avant la collision.

On a établi que le véhicule de l’AI voyageait à une vitesse moyenne de 87 km/h juste avant la collision.

Reconstitution de collision par le SPB

À l’issue de son enquête sur la collision, le SPB a conclu que la Nissan, conduite par le TC no 9, s’est approchée de l’intersection à une vitesse d’environ 96 km/h avant de ralentir à une vitesse minimale de 52 km/h pour négocier son virage à gauche sur la rue Gilkison. La Honda conduite par le TC no 3 se déplaçait à environ 55 km/h lorsqu’elle a été percutée par la Nissan.

Le véhicule de l’AI n’était pas impliqué dans la collision.

L’enquêteur du SPB, qui a examiné la collision, a conclu que le TC no 9 était le seul responsable de la collision, des blessures subséquentes et du décès de la plaignante no 1.

Preuve vidéo/audio/photographique

L’UES a inspecté les environs pour déterminer s’il y avait des enregistrements vidéo ou audio et des preuves photographiques. Des séquences vidéo de TVCF ont été obtenues de plusieurs sources, y compris d’un magasin et d’un immeuble à appartements situé à l’intersection de la rue Colborne Ouest et de la rue Gilkison, ainsi que du Casino de Brantford.

Vidéo provenant des TVCF au magasin à l’intersection

La collision a été filmée par deux caméras de surveillance au magasin situé au coin sud-ouest de la rue Colborne Ouest et de la rue Gilkison.

Les enregistrements vidéo ont révélé que, lorsque la Nissan s’est approchée de l’intersection de la rue Gilkison, elle a traversé la ligne au centre de la rue et est entrée dans la voie gauche en direction de l’est, et semblait tourner à gauche vers la rue Gilkison. À ce moment-là, la Honda, occupée par le TC no 3, la plaignante no 2 et la plaignante no 1, se déplaçait vers l’est sur la rue Colborne Ouest. Quand la Honda a traversé l’intersection, la Nissan a tourné à gauche devant elle. Les deux véhicules sont entrés en collision dans la voie de bordure droite en direction est de la rue Colborne Ouest, à hauteur de la voie de bordure droite et en direction nord de la rue Gilkison. La collision s’est produite à 11 h 26 m 27 s selon l’enregistrement.

La Chevrolet Impala de l’AI est entrée dans le champ de vision de la caméra au moment de la collision, alors qu’un véhicule civil se trouvait entre la voiture de l’AI et la Nissan. Les feux d’urgence de la Chevrolet Impala n’étaient pas activés lorsqu’elle s’approchait, mais elles semblent s’activer après l’arrêt de la voiture.

Lors de l’examen de la vidéo, la reconstitution de la collision de l’UES a révélé que la voiture de l’AI était située à environ 54 mètres derrière (à l’est) de la Nissan au moment de la collision.

La voiture de l’AI s’est immobilisée sur les lieux environ huit secondes après la collision.

TVCF de l’immeuble d’appartements à l’intersection

L’immeuble d’appartements à Ford Court, situé au coin sud-est de la rue Colborne Ouest et de la rue Gilkison, était équipé de plusieurs caméras de surveillance tournées vers l’intersection. L’enregistrement de la caméra couvrant le stationnement avant montre le TC no 9 s’enfuyant vers l’immeuble et son arrestation.

Le TC no 9 est entré dans le champ de vision de la caméra à 10 h 46 m 18 s, alors qu’il courait vers l’immeuble avec l’AI et le TC no 6 à ses trousses. À 10 h 46 m 25 s, le TC no 9 est tombé au sol dans l’allée de béton à côté de la voie d’accès. L’AI et le TC no 6 l’ont rattrapé environ deux secondes plus tard. L’AI a maîtrisé et menotté le TC no 9, en la présence du TC no 6. Les deux hommes ont redressé le TC no 9 et l’ont ramené vers les lieux de l’accident.

La collision n’a pas été filmée par cette caméra.

Enregistrements des communications

Les enregistrements radio ont saisi les messages transmis par l’AI signalant la collision et demandant que l’on fasse venir des agents de police additionnels et une ambulance.

Lorsqu’on lui a demandé si c’était un incident qu’il avait découvert par hasard, l’AI a répondu ceci :

[traduction] Ouais, j’ai essayé, euh, de procéder à un contrôle routier. Le véhicule a accéléré. Je n’ai pas pris le véhicule en chasse et, euh, il s’est avéré que le conducteur s’est approché de la rue Gilkison et a commencé à tourner à gauche, quand il a perdu le contrôle et est entré dans un poteau. Il y a une deuxième voiture impliquée. Ce n’était pas une poursuite à ce moment-là, j’avais désactivé mon équipement.

Lors d’un appel téléphonique enregistré fait au sergent-chef subséquemment, l’AI a expliqué qu’il enquêtait sur une attaque au couteau et possédait de l’information selon laquelle le suspect était dans une résidence. L’AI avait pris position dans les environs, mais était trop éloigné de la résidence pour pouvoir identifier deux hommes qu’il avait vus sortir de la résidence et prendre place dans un véhicule. Il avait suivi la voiture en procédant à une vérification de la plaque d’immatriculation et avait essayé de procéder à un contrôle routier au coin de l’avenue Brant et de la rue Colborne. Il a poursuivi en précisant ceci :

[traduction] Le véhicule a tourné alors que le feu était vert. Le conducteur conduisait correctement. Puis, j’ai actionné ma sirène et mes feux d’urgence pour qu’il se range sur le côté de la rue. Et c’était sur le pont Lorne. À ce moment-là, il a accéléré et est entré dans la mauvaise voie. J’ai désactivé tout mon équipement. Puis, le véhicule a continué sur Colborne Ouest et a commencé à tourner à gauche sur Gilkison, le feu étant vert. Le véhicule a heurté un autre véhicule et puis a percuté un poteau et le conducteur a fui à pied. Puis, je l’ai arrêté devant les Tours Lorne et j’ai constaté qu’il s’agissait du suspect mêlé à l’attaque au couteau.

Documents obtenus du service de police

Sur demande, l’UES a obtenu les documents suivants du SPB et puis les a examinés :

  • Enregistrements des communications
  • Entrevues vidéo avec les TC nos 2, 3, 4, 6 et 9
  • Entrevue audio du TC no 2 durant son transport
  • Appel téléphonique à l’agent de service (sergent-chef)
  • Photographies des lieux de l’incident et de l’autopsie
  • Rapport d’arrestation-TC no 9
  • Mandat d’arrestation-TC no 9
  • Historique des contacts du SPB avec le TC no 9
  • Sommaire de l’entrevue du SPB-TC no 9
  • Registre de divulgation – 9 novembre 2016
  • Détails de la répartition du système de répartition assistée par ordinateur
  • Données GPS du véhicule de l’AI
  • Rapport mécanique – Honda (V1)
  • Rapport mécanique – Nissan (V2)
  • Notes des AT nos 1, 2, 3, 4 et 5
  • Rapport d’incident
  • Procédure - Poursuites aux fins d’appréhension
  • Rapport de reconstitution de l’accident
  • Dossier de formation – Poursuite aux fins d’appréhension d’un suspect – AI
  • Déclaration de témoin préparée – AI

Sur demande, l’UES a obtenu les documents suivants de la Police provinciale de l’Ontario (PPO) et puis les a examinés :

  • Rapport de propriété - Séquences provenant de la caméra du Casino de Brantford (heures exactes)
  • Rapport de propriété - Séquences provenant de la caméra du Casino de Brantford (heures inexactes)

Description de l’incident

Au cours de la matinée du 7 novembre 2016, l’AI surveillait une résidence associée au TC no 9 dans le but d’arrêter le TC no 9 en vertu d’un mandat non exécuté pour agression armée. L’AI a vu deux hommes sortir de la résidence et monter à bord d’une Nissan. L’AI n’était pas en mesure d’identifier les hommes à partir de l’endroit où il se trouvait, mais il a suivi la Nissan et s’est approché du véhicule pour procéder à un contrôle routier. L’AI a activé ses feux d’urgence et sa sirène pour ordonner au TC no 9, le conducteur de la Nissan, de s’arrêter. Le TC no 9 a refusé de s’arrêter et au lieu de cela, a accéléré pour tenter de semer l’AI. L’AI a ensuite désactivé ses feux d’urgence et sa sirène.

Le TC no 9 a roulé à une vitesse élevée dans une intersection et n’a pas réussi à négocier un virage à gauche vers la rue Gilkison. La Nissan est entrée en collision frontale avec une Honda conduite par le TC no 3 et dans laquelle se trouvaient les plaignantes nos 1 et 2 en tant que passagères, alors qu’elle entrait dans l’intersection avec la rue Gilkison.

Le TC no 9 a fui les lieux en courant, mais a été arrêté par l’AI à une courte distance de là. Le TC no 2, un passager dans la Nissan, se trouvait sur le trottoir juste à côté de la Nissan.

Les plaignantes nos 1 et 2 étaient conscientes après l’accident, mais clairement blessées. On a appelé une ambulance, mais la plaignante no 1 a perdu connaissance avant son arrivée. Les deux femmes ont été transportées à l’hôpital. On a constaté le décès de la plaignante no 1 à l’hôpital à environ 11 h 20. La plaignante no 2 avait le sternum fracturé, un os fracturé dans le dos et deux os cassés dans la main gauche.

Lois pertinentes

Articles 219-221, Code criminel - Négligence criminelle

219 (1) Est coupable d’une négligence criminelle quiconque :

  1. soit en faisant quelque chose
  2. soit en omettant de faire quelque chose qu’il est de son devoir d’accomplir

montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui.

(2) Pour l’application du présent article, devoir désigne une obligation imposée par la loi.

220 Quiconque, par négligence criminelle, cause la mort d’une autre personne est coupable d’un acte criminel passible :

  1. s’il y a usage d’une arme à feu lors de la perpétration de l’infraction, de l’emprisonnement à perpétuité, la peine minimale étant de quatre ans
  2. dans les autres cas, de l’emprisonnement à perpétuité

221 Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans quiconque, par négligence criminelle, cause des lésions corporelles à autrui.

Section 249, Code criminel, Conduite dangereuse de véhicules à moteur, bateaux et aéronefs

(1) Commet une infraction quiconque conduit, selon le cas :

  1. un véhicule à moteur d’une façon dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances, y compris la nature et l’état du lieu, l’utilisation qui en est faite ainsi que l’intensité de la circulation à ce moment ou raisonnablement prévisible dans ce lieu; […]

(3) Quiconque commet une infraction mentionnée au paragraphe (1) et cause ainsi des lésions corporelles à une autre personne est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans.

(4) Quiconque commet une infraction mentionnée au paragraphe (1) et cause ainsi la mort d’une autre personne est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans.

Analyse et décision du directeur

Le 7 novembre 2016, à approximativement 10 h 40, l’AI a tenté de procéder à un contrôle routier d’un véhicule à moteur Nissan qui, selon lui, était peut-être conduit par le TC no 9, qui était visé par un mandat d’arrestation non exécuté pour agression armée. Le TC no 9 a refusé d’arrêter son véhicule à moteur et au lieu de cela a accéléré et a été impliqué dans une collision frontale avec une Honda conduite par le TC no 3 et à bord de laquelle il y avait deux passagères, soit la plaignante no 2 et la plaignante no 1. Suite à l’accident, la plaignante no 2 avait le sternum fracturé, un os fracturé dans le dos et deux os cassés à la main gauche; on a constaté le décès de la plaignante no 1 à l’hôpital à environ 11 h 20. Selon l’autopsie, la cause du décès était de multiples traumatismes

Les enquêteurs ont interrogé neuf témoins civils ainsi que la plaignante no 1 et cinq agents de police témoins. Le TC no 9, le conducteur du véhicule automobile impliqué dans la collision et l’AI ont refusé de faire une déclaration, comme la loi les y autorise. De plus, les enquêteurs ont passé en revue les enregistrements et le registre des communications radio, les séquences enregistrées par des TVCF se trouvant à divers endroits qui montraient soit la collision, soit la poursuite à pied subséquente et l’arrestation du TC no 9, les données téléchargées du GPS dans le véhicule de l’AI, le rapport de reconstitution de l’accident, une conversation enregistrée entre l’AI et le sergent-chef immédiatement après l’incident et une déclaration de témoin préparée par l’AI. Après la collision, l’AI, dans le cadre de ses fonctions, a informé le sergent-chef et l’AT no 4 de ce qui avait mené à la collision, et ces déclarations, ainsi que sa déclaration de témoin écrite et ses commentaires que l’on peut entendre dans les enregistrements des communications sont tous cohérents entre eux et conformes aux observations de tous les témoins civils, aux images filmées par les TVCF et aux données du GPS. Il semble ne pas y avoir de contestation quant aux faits.

Le 7 novembre 2016, l’AI tentait de trouver le TC no 9 car il avait un mandat en souffrance pour son arrestation à la suite d’une agression armée et voulait exécuter ce mandat. Vers 10 h 20, l’AI s’est garé pour surveiller une adresse associée au TC no 9 et il a ensuite vu deux hommes quitter la résidence à cette adresse et monter dans une Nissan. L’AI n’était pas suffisamment proche pour identifier l’un ou l’autre de ces hommes, mais a décidé de suivre le véhicule. Après avoir parcouru une certaine distance, période durant laquelle la conduite et la vitesse de la Nissan étaient normales, l’AI a tenté d’immobiliser le véhicule pour procéder à un contrôle routier en activant d’abord ses feux d’urgence et, lorsque cela n’a rien donné, en envoyant rapidement un coup de sirène pour attirer l’attention du conducteur de la Nissan. Or, la Nissan a poursuivi son chemin de la même manière qu’auparavant, et l’AI a donc activé sa sirène de façon continue en laissant les feux d’urgence allumés. L’AI a indiqué que dès qu’il a activé sa sirène ainsi, il a constaté que la Nissan a accéléré et a contourné une voiture devant elle. Cet élément de preuve est confirmé par un témoin civil.

L’AI a vu la Nissan se déplacer le long de la ligne jaune au centre de la rue Colborne, et il était évident à ses yeux que la voiture n’allait pas s’arrêter. L’AI a indiqué qu’il avait immédiatement éteint ses feux d’urgence et sa sirène, car il ne voulait pas entamer une poursuite pour des raisons de sécurité publique. L’AI a précisé qu’il les avait désactivés dès que la Nissan avait accéléré et s’apprêtait à dépasser le véhicule du TC no 11. Ces faits ont été confirmés par divers témoins sur les lieux de l’accident qui ont vu l’AI arriver quelques secondes après la collision sans que sa sirène et ses feux soient allumés.

L’AI a constaté que la Nissan poursuivait sa route vers l’ouest sur la rue Colborne Ouest à une vitesse qu’il estimait à environ 80 km/h dans une zone où la limite de vitesse est de 50 km/h. D’après le rapport de reconstitution de l’accident, la Nissan roulait à 131 km/h sur la rue Colborne Ouest avant la collision.

Dans sa déclaration, l’AI a indiqué qu’il était toujours sur le pont Lorne quand il a vu la Nissan s’approcher de l’intersection avec la rue Gilkison; le feu était vert pour la circulation sur celle-ci. L’agent a vu la Nissan tenter de faire un virage à gauche sur Gilkison, mais le conducteur a perdu le contrôle et il lui a semblé que le véhicule a heurté un poteau de front au coin sud-est de l’intersection. L’AI a alors arrêté son véhicule sur les lieux de l’accident et a allumé ses feux d’urgence. Des témoins civils ont vu la Nissan percuter la Honda, qui était légalement dans l’intersection et se dirigeait vers l’est sur la rue Colborne Ouest. Ils ont également observé que le véhicule de l’AI est arrivé après la collision et que l’AI a déclenché les feux d’urgence après s’être arrêté.

Les images captées par les TVCF montrent que l’AI est seulement arrivé sur les lieux de l’accident huit secondes après la collision, et le rapport de reconstitution de l’accident a révélé que, pendant que le TC no 9 se déplaçait à une vitesse moyenne de 131 km/h sur la rue Colborne avant de se retrouver dans la voie de circulation en sens inverse, l’AI suivant à une vitesse nettement plus lente, puisqu’il se déplaçait à 87 km/h avant la collision.

Selon la prépondérance de la preuve, il est clair que l’AI a tenté d’immobiliser la véhicule du TC no 9 en activant ses feux et sa sirène, mais que dès qu’il est devenu évident que le TC no 9 n’allait pas s’arrêter et a plutôt accéléré et dépassé un autre véhicule, l’AI a éteint tout l’équipement d’urgence avec l’intention de suivre la Nissan, sans la prendre en chasse. Tous les éléments de preuve provenant de toutes les sources corroborent ce scénario, qui est confirmé également par l’arrivée de l’AI telle que filmée par les TVCF environ huit secondes après la collision.

Selon cette preuve, il est clair que, bien que l’AI n’ait pas été impliqué dans la collision qui a entraîné le décès de la plaignante no 1 et qui était à l’origine des graves blessures subies par la plaignante no 2, sa tentative d’arrêter le véhicule du TC no 9 était le facteur qui a incité ce dernier à accélérer et à conduire dangereusement, ce qui a causé la collision ultime entre son véhicule automobile et celui du TC no 3. Cependant, la question pertinente à trancher est de savoir si la conduite de l’AI au volant de son véhicule était suffisamment grave pour justifier que l’on porte contre lui des accusations de conduite dangereuse causant la mort et des lésions corporelles et/ou de négligence criminelle causant des lésions corporelles, contrairement aux articles 249 et 220 et 221 du Code criminel, respectivement. Pour que ces infractions s’appliquent, la conduite du véhicule doit représenter un écart marqué par rapport à la norme de diligence dans les circonstances. Selon la décision de la Cour suprême du Canada dans R. c. Beatty, [2008] 1 R.C.S. 49, pour que l’article 249 puisse être invoqué, il faut établir que la personne conduisait « d’une façon dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances, y compris la nature et l’état du lieu, l’utilisation qui en est faite ainsi que l’intensité de la circulation à ce moment ou raisonnablement prévisible dans ce lieu »; de plus, la conduite doit être telle qu’elle équivaut « à un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation que l’accusé ». Pour que les art. 221 et 221 s’appliquent, il faut qu’il y ait un [traduction] « écart marqué et important par rapport à la norme de diligence que respecterait un conducteur raisonnable dans les circonstances » où l’accusé [traduction] « a manifesté un mépris téméraire pour la vie et la sécurité d’autrui » (R. c. Sharp (1984), 12 C.C.C. (3d) 426 (C. A. de l’Ont.)).

Je conclus qu’il n’y a aucune preuve que la façon de conduire de l’AI a créé un danger pour les autres utilisateurs de la chaussée. Il n’a jamais empêché les autres conducteurs à se déplacer normalement, les conditions environnantes étaient bonnes, et il a fait une utilisation prudente de son équipement d’urgence, allumant ses feux sur la toit et la sirène pour essayer de procéder à un contrôle routier et éteignant immédiatement tout l’équipement d’urgence du fait qu’il craignait que cela pourrait créer une situation dangereuse pour le public. Il n’y a aucun élément de preuve selon laquelle l’AI a entamé une poursuite policière après que le TC no 9 avait pris sa décision de fuir. Il est plutôt clair, à la lumière de l’ensemble de la preuve, que l’AI a maintenu une distance considérable entre son véhicule et la Nissan pendant qu’il la suivait, comme l’ont confirmé les témoins civils ainsi que les séquences vidéo captées par la TVCF et qu’il roulait nettement moins vite que la Nissan.

En fin de compte, j’estime que le TC no 9 a pris la décision peu judicieuse d’essayer de semer la police et, ce faisant, s’est enfui à une vitesse dangereuse et a fait des manœuvres imprudentes sans égard aux autres personnes sur la route. D’après l’ensemble de la preuve, le TC no 9 a décidé de rouler dans la voie de circulation opposée et a percuté le véhicule du TC no 3, puis a perdu le contrôle de son véhicule en la conduisant sans se préoccuper des personnes autour de lui et à des taux de vitesse excessifs tout en essayant de s’échapper.

Je conclus en me fondant sur ces éléments de preuve que la méthode de conduite de l’AI, lorsqu’il suivait le véhicule à moteur du TC no 9, n’était pas grave au point de constituer un « écart marqué par rapport à la norme » et, encore moins, à « un écart marqué et important de la norme » et je ne suis pas en mesure d’établir qu’il y avait un lien causal entre les actions de l’AI et la collision des véhicules à moteur à l’origine des blessures de la plaignante no 2 et de la mort de la plaignante no 1. L’agent n’a rien fait pour exacerber la conduite imprudente du conducteur de la Nissan; l’AI ne peut être tenu responsable du comportement au volant du TC no 9, alors que c’est ce dernier qui en toute connaissance de cause a décidé qu’il tenterait de s’échapper à la police et de conduire comme il l’a fait.

En fin d’analyse, je suis convaincu, en me fondant sur les éléments de cette affaire, que l’AI agissait en conformité avec la loi lorsqu’il a tenté d’immobiliser la Nissan pour essayer d’exécuter son mandat et que sa conduite par la suite tombait dans les limites de la prudence exigée par le droit criminel. Par conséquent, il n’y a aucun motif de porter des accusations contre l’agent.

Date : 23 octobre 2017

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) [1] Le TC no 1 était une employée au magasin où les enquêteurs de l’UES ont obtenu un enregistrement vidéo d’une télévision en circuit fermé (TVCF). Elle n’a pas été témoin de la collision. [Retour au texte]
  • 2) [2] À l’époque, le TC no 9 faisait face à des accusations au criminel en raison de l’incident, et son avocat lui a conseillé de ne pas consentir à une entrevue avec l’UES. [Retour au texte]
  • 3) [3] L’UES a reçu la déclaration écrite de l’AI, qui a été fournie aux enquêteurs du SPB le jour de l’incident. [Retour au texte]
  • 4) [4] Occupée par les TC nos 2 et 9. [Retour au texte]
  • 5) [5] Occupée par la plaignante no 1, la plaignante no 2 et le TC no 3. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.