Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 17-TCI-061

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu une allégation d’agression sexuelle.

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Le présent rapport a trait à l’enquête menée par l’UES sur la blessure grave subie par un homme âgé de 33 ans, le 30 mars 2017, alors qu’il était détenu par la police.

L’enquête

Notification de l’UES

Le 31 mars 2017, à 12 h 36, le Service de police de Toronto (SPT) a informé l’UES que le plaignant avait subi une blessure pendant sa mise sous garde.

Le SPT a déclaré que, le jeudi 30 mars 2017, le plaignant a été arrêté par des agents de police de l’escouade antidrogue du SPT et emmené à une division du SPT. Le plaignant a été placé dans une cellule de détention et a commencé à se cogner la tête sur le mur. Les agents de police ont décidé d’empêcher le plaignant de continuer les cognements et sont entrés dans la cellule. Le plaignant n’a pas obéi aux ordres des agents et a donné un coup de tête à l’un des policiers. Le plaignant a été mis au sol puis menotté.

Le plaignant a été emmené à l’hôpital et, le 31 mars 2017, à 12 h 19, le SPT a appris qu’il avait une fracture de l’os nasal.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de UES assignés : 4

Nombre d’enquêteurs judiciaires de UES assignés : 1

L’enquêteur judiciaire de l’UES s’est rendu sur les lieux de l’incident et a repéré et préservé les preuves. Il a documenté la scène au moyen de notes, de photographies, de croquis et de mesures.

Plaignant :

entretien avec l’homme âgé de 33 ans; dossiers médicaux obtenus et examinés

Témoins civils (TC)

TC a participé à une entrevue

Agents témoins (AT)

AT no 1 a participé à une entrevue

AT no 2 a participé à une entrevue

AT no 3 a participé à une entrevue

AT no 4 a participé à une entrevue

AT no 5 a participé à une entrevue

AT no 6 a participé à une entrevue

AT no 7 n’a pas participé à une entrevue (est décédé), mais ses notes ont été reçues et examinées

AT no 8 a participé à une entrevue

AT no 9 n’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées

Agents impliqués (AI)

AI no 1 a participé à une entrevue mais n’a pas consenti à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.

AI no 2 a participé à une entrevue mais n’a pas consenti à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.

AI no3 n’a pas consenti à participer à une entrevue ni à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.

AI no 4 n’a pas consenti à participer à une entrevue ni à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.

Description de l’incident

Le 30 mars 2017, en soirée, des agents de l’escouade antidrogue du SPT étaient en train d’exécuter un mandat de perquisition en vertu de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (la « LRCDAS ») à une résidence de Toronto. Pendant que les agents perquisitionnaient la résidence, le plaignant est arrivé et est entré. Il a été fouillé et trouvé en possession d’une poudre blanche. Le plaignant a été arrêté et transporté à une division du SPT, puis détenu dans une salle d’entrevue.

Le plaignant était agité pendant qu’il était détenu dans la salle d’entrevue, et les quatre agents impliqués sont entrés dans la pièce afin d’en faire sortir le plaignant et de le transférer dans une cellule où son comportement pourrait être surveillé. Pendant qu’il était dans la salle d’entrevue, le plaignant a donné un coup de tête à l’AI no 1. Les agents ont mis au sol le plaignant afin de le maîtriser et l’ont déplacé dans la cellule de détention. Durant sa mise au sol, le plaignant a été blessé au visage et a commencé à saigner. Son visage a été rincé et on lui a mis un masque anti‐crachats. On l’a ensuite escorté dans une cellule.

Ultérieurement, le plaignant a été emmené à l’hôpital. On lui a diagnostiqué une fracture de l’os nasal droit avec dépression du tiers proximal et du segment supérieur.

Preuve

Schéma des lieux

Schéma des lieux

Preuve vidéo/audio/photographique

Résumé de la vidéo de l’aire des mises en détention

30 mars 2017 :

La piste audio est inaudible. On a fait entrer le plaignant dans l’aire des mises en détention. Une sergente de police [dont on sait maintenant qu’il s’agissait de l’AT no 9] a consigné les renseignements dans son calepin de service.

L’AT no 9 a informé le plaignant qu’il pourrait parler à son avocat une fois terminées les formalités de mise en détention. L’AT no 9 a dit au plaignant qu’on allait l’emmener hors du champ de la caméra et le plaignant a répondu qu’on l’avait déjà fouillé. Elle lui a expliqué qu’on allait le fouiller car il se trouvait maintenant dans un poste de police en présence d’autres agents et de prisonniers. L’AT no 9 a dit au plaignant qu’il lui faudrait lui-même se dévêtir, un vêtement à la fois, qu’aucun policier ne le toucherait et qu’à aucun moment on le laisserait nu. Un policier a fait sortir le plaignant de l’aire des mises en détention.

31 mars 2017 :

On a fait entrer le plaignant dans l’aire des mises en détention alors qu’il était menotté les mains dans le dos. Il marchait en boitant et ses cheveux étaient en bataille. Le plaignant semblait avoir une rougeur et une blessure à l’œil droit.

Un sergent [dont on sait maintenant qu’il s’agissait de l’AT no 4] est entré dans l’aire des mises en détention. Il a dit au plaignant que les policiers l’emmèneraient se faire examiner à l’hôpital. Deux agents de police ont conduit le plaignant hors de l’aire des mises en détention jusqu’à l’entrée sécurisée des véhicules, l’ont placé sur le siège arrière de l’autopatrouille, côté conducteur, et sont partis.

Résumé de la vidéo du bloc cellulaire et de l’enclos (grande cellule commune)

Deux policiers de l’escouade antidrogue du SPT ont emmené le plaignant à la cellule no 8. Un masque facial protecteur lui couvrait la tête. L’AT no 2 est resté à l’extérieur.

Les agents de police ont placé la tête du plaignant vers les barreaux métalliques de la cellule. L’AT no 2 s’est accroupi et a semblé agripper les cheveux du plaignant à travers une ouverture des barreaux métalliques en tentant de le maîtriser.

Les policiers de l’escouade antidrogue du SPT sont sortis de la cellule et l’AT no 2 a continué de saisir le plaignant à traves les barreaux métalliques jusqu’à ce que les autres agents de police soient sortis de la cellule, puis il a lâché sa prise du plaignant, à fait coulisser la porte de la cellule vers la gauche et l’a fermée.

Le plaignant s’est levé du lit superposé et est allé vers la porte fermée de la cellule. Il a enlevé le masque facial jetable et l’a jeté par terre. Le plaignant s’est rassis sur le lit superposé et a touché son nez avec la main droite.

Le plaignant s’est relevé pour aller à la porte de la cellule et a parlé à quelqu’un en dehors du champ de la caméra. Deux agents ont fait sortir le plaignant de la cellule.

Éléments obtenus du service de police

UES a demandé au SPT les éléments et documents suivants, qu’elle a obtenus et examinés :

  • mandat de perquisition en vertu de la LRCDAS
  • vidéos de l’aire des mises en détention fournies par le SPT
  • vidéo du bloc cellulaire fournie par le SPT
  • tableau de service
  • rapport sur les détails de l’incident
  • rapport de blessure
  • copie papier de description (sommaire de la poursuite)
  • copie papier de description
  • notes de l’AT no1, de l’AT no 2, de l’AT no 3, de l’AT no 4, de l’AT no 5, de l’AT no 6, de l’AT no 7, de l’AT no 8 et de l’AT no 9
  • dossier du prisonnier
  • procédure – emploi de la force (avec annexes A et B)
  • dossiers de formation – AI no1, AI no 2, AI no3 et AI no

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 25(1) du Code criminel – Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :

  1. soit à titre de particulier
  2. soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
  3. soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
  4. soit en raison de ses fonctions

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Paragraphe 4(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances – Possession de substances

4 (1) Sauf dans les cas autorisés aux termes des règlements, la possession de toute substance inscrite aux annexes I, II ou III est interdite.

Analyse et décision du Directeur

Le 30 mars 2017, des agents du SPT rattachés à l’escouade antidrogue étaient en train d’exécuter un mandat de perquisition en vertu de la LRCDAS à une résidence de la Ville de Toronto. Pendant la perquisition, le plaignant a été arrêté et transporté à une division du SPT, où on l’a placé dans une cellule. Par la suite, il a été transporté à l’hôpital où on lui a diagnostiqué un nez cassé.

Dans sa déclaration aux enquêteurs, le plaignant a allégué que, lorsqu’il s’est présenté à la résidence, plusieurs agents lui ont assené des coups de poing et des coups de pied. Une fois qu’il a été transporté au poste, il a été frappé de coups de pied au visage, a ensuite reçu des coups venant de nombreux agents qui le frappaient sur tout le corps puis a été plaqué au sol par les agents. Le plaignant a nié avoir levé la main sur tout agent de police. Le plaignant n’était pas sûr de la façon dont il avait subi sa fracture au nez ni de l’agent qui l’avait causée.

Le plaignant n’a pas été précis lorsqu’il a informé le TC, à l’hôpital, de la façon dont il avait subi les blessures, si ce n’est qu’il a dit qu’elles avaient été causées par un agent de police. Il s’est plaint de douleurs faciales, de maux de tête, de nausées et de douleurs à la pommette droite et aux épaules. Les rapports médicaux indiquent que le plaignant avait le dessous de l’œil droit tuméfié, une douleur à la pommette droite, des ecchymoses derrière l’oreille gauche et de multiples éraflures au visage. Les radiographies ont confirmé que le plaignant avait eu le nez fracturé.

Malheureusement, il n’y a pas eu de témoin civil de l’interaction entre la police et le plaignant, mais les enquêteurs de l’UES se sont entretenus avec neuf agents témoins de la police, dont deux des quatre agents impliqués. L’AI no 3 et l’AI no 4 n’ont pas consenti à participer à une entrevue, comme la loi les y autorise. De plus, les enquêteurs ont eu accès aux notes des calepins de service des neuf agents témoins ainsi qu’aux enregistrements vidéo de l’intérieur du poste de police, y compris la vidéo de l’aire des mises en détention et les vidéos des cellules.

Le plaignant allègue d’abord que, lorsqu’il est entré dans la résidence, on l’a tiré à l’intérieur, il a été plaqué au sol par plusieurs agents et il a reçu des coups de poing et des coups de pied.

Dans sa déclaration, l’AT no 6 a déclaré qu’il a entendu quelqu’un frapper à la porte de l’appartement pendant que le mandat de perquisition était exécuté et qu’il a regardé à travers le judas et a vu le plaignant qui se tenait derrière la porte, son téléphone cellulaire à la main. L’AT no 6 a ouvert la porte et le plaignant est entré; c’est alors que l’AT no 6 a informé le plaignant que des agents de police étaient en train de perquisitionner l’endroit et qu’il allait être détenu. Dans la description qu’il en a faite, l’AT no 6 a déclaré que le plaignant est entré dans l’appartement de son plein gré et qu’il a ensuite tenté de texter sur son cellulaire. Comme la police était en train d’exécuter des mandats de perquisition à différentes adresses et que l’on craignait une possible destruction d’éléments de preuve si les cibles venaient à apprendre à l’avance les mandats de perquisition, l’AT no 6 a dit au plaignant d’arrêter de texter car il craignait que le plaignant puisse envoyer un message d’alerte et ainsi compromettre toute l’enquête. L’AT no 6 a déclaré qu’il savait que le mandat de perquisition autorisait la fouille de toute personne se trouvant dans l’appartement et, lorsque le plaignant a refusé d’arrêter de texter, il l’a saisi à la main et a tenté de le menotter, mais le plaignant a résisté, si bien que l’AT no 6 a mis le plaignant au sol en utilisant sa jambe pour le faire trébucher puis en l’amenant au sol tout en le tenant par le bras gauche. L’AT no 6 s’est lui aussi retrouvé sur le sol avec le plaignant, lequel a atterri face contre terre. Dans la description qu’il en a faite, l’AT no 6 a déclaré que le plaignant n’avait pas activement résisté, mais qu’il avait plutôt manifesté de l’étonnement en voyant la présence policière dans l’appartement. L’AT no 6 a alors relevé le plaignant et l’AT no 2 l’a aidé à menotter le plaignant. Après quoi, on a lu au plaignant ses droits à l’assistance d’un avocat en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »). Ni l’AT no 6 ni l’AT no 2 n’a, à quelque moment que ce soit, donné de coups de poing ou de coups de pied au plaignant pendant qu’ils le maîtrisaient, et il n’a pas été nécessaire de recourir à la force. Le plaignant a ensuite été fouillé par l’AT no 6, qui a trouvé sur lui un sachet de poudre blanche à l’intérieur d’un sac que le plaignant portait à l’épaule, et le plaignant a été arrêté pour possession de cocaïne. Le plaignant a insisté pour dire que la poudre blanche était de la créatine[1]. Après l’avoir arrêté, l’AT no 6 a de nouveau lu ses droits au plaignant pour cette infraction. La déposition de l’AT no 6 concorde en tous points avec les notes qu’il a prises, sauf que, dans ses notes, l’AT no 6 a indiqué qu’il avait été aidé par l’AT no 2, l’AI no 2 et l’AI no 4 pour menotter le plaignant. L’AT no 6 a indiqué que le plaignant s’est ensuite assis et que l’AT no 6 a continué de fouiller l’appartement sans avoir d’autres contacts avec le plaignant. L’AT no 6 a déclaré qu’à aucun moment l’un ou l’autre des agents de police présents n’avait donné de coups de poing ou de coups de pied au plaignant ni ne lui avait cogné la tête contre le mur.

À son entrevue, l’AI no 2 a déclaré qu’il était en train de fouiller le balcon lorsqu’il a entendu un tumulte à la porte d’entrée, qu’il est allé voir ce qui se passait et qu’il a observé le plaignant faisant l’objet d’une enquête, d’une arrestation et d’une fouille par l’AI no 4, l’AT no 2 et l’AT no 6. L’AI no 2 a indiqué que lui‐même n’avait pas eu d’interactions avec le plaignant à l’appartement, mais l’avait seulement vu être placé sur une chaise puis attendre l’arrivée d’agents en uniforme pour l’emmener au poste.

L’AI no 4, qui a été désigné comme agent impliqué, n’a pas consenti à participer à une entrevue avec les enquêteurs ni à leur fournir les notes de son calepin de service, et l’AT no 2, qui a été désigné comme agent impliqué dans une enquête sur une affaire d’agression sexuelle liée à l’arrestation à l’appartement, n’a pas été questionné sur ce qui s’est produit à l’intérieur de l’appartement.[2]

L’AI no 1, qui était en train de fouiller la chambre à coucher au moment où le plaignant est entré dans l’appartement, a déclaré qu’il a entendu des bruits venant de la porte d’entrée de l’appartement, qu’il a regardé de loin ce qui se passait et qu’il a vu l’AT no 2 et l’AT no 6 en train d’interagir avec le plaignant; il a indiqué avoir demandé à ces derniers s’ils avaient besoin d’assistance et que les agents lui ont dit que tout allait bien, de sorte qu’il a repris la fouille de la chambre, et il n’a pas eu d’interactions avec le plaignant à la résidence.

L’AT no 8, qui était assis dans une position où il pouvait observer à la fois la femme dans l’appartement et la porte de la chambre, a déclaré qu’il a demandé à ce que le plaignant s’assoie sur une chaise placée à un endroit d’où il pourrait le surveiller. L’AT no 8 a indiqué n’avoir vu aucun des policiers recourir à la force sur le plaignant, quoique l’AT no 8 n’a pas été témoin de l’arrestation du plaignant à la porte d’entrée. L’AT no 8 a décrit le plaignant, pendant le temps qu’il l’a surveillé, comme recherchant à tout prix l’affrontement et essayant de le provoquer.

Compte tenu de ces témoignages, bien que le plaignant ait dit avoir été battu lorsqu’il est entré dans l’appartement et que l’AT no 6 ait indiqué que ce ne fut pas le cas, je note que sur les quatre autres agents qui étaient présents et qui ont fourni soit une déposition soit leurs notes de calepin de service ou les deux, tous ont indiqué que rien d’irrégulier ne s’était produit après l’entrée du plaignant dans l’appartement. De plus, l’AT no 8 a décrit cette résidence comme étant un petit appartement en copropriété d’une chambre à coucher, si bien qu’il est peu probable que quelque chose d’aussi remarquable que plusieurs agents donnant des coups de poing et des coup de pied et essayant d’étrangler le plaignant aurait échappé à l’attention de ces agents; j’estime que cette conclusion est en outre étayée par le fait que l’AT no 8, l’AI no 2 et l’AI no 1 ont chacun entendu le bruit venant de la porte d’entrée et que l’AI no 2 et l’AI no 1, qui étaient respectivement en train de fouiller la chambre à coucher et le balcon, sont tous deux allés voir ce qui se passait et que ni l’un ni l’autre n’a vu quoique ce soit de la nature décrite par le plaignant.

Qui plus est, le récit du plaignant est expressément contredit par les notes de l’AT no 6 au sujet de la lecture de ses droits au plaignant sur les lieux de l’incident, notes dans lesquelles l’AT no 6 a indiqué qu’il avait bel et bien lu au plaignant son droit de recourir à un avocat en vertu de la Charte au moment où il a été initialement menotté, après qu’il fût mis au sol et qu’on lui eût enlevé son cellulaire, et que lorsque l’AT no 6 lui a demandé s’il comprenait, le plaignant a répondu « Ouais » et qu’à la question de savoir s’il désirait avoir les services d’un avocat maintenant, l’AT no 6 a écrit que la réponse du plaignant a été « Bien sûr ». De plus, après que ce que la police croyait être de la cocaïne fut trouvé dans le sac du plaignant, l’At no 6 a de nouveau indiqué dans ses notes avoir une seconde fois lu ses droits au plaignant et que, cette fois‐là, lorsqu’il a demandé au plaignant s’il comprenait, celui‐ci a répondu « Ouais, ouais, je sais » et que lorsqu’il lui a demandé s’il souhaitait appeler un avocat maintenant, le plaignant a répondu [traduction] « Qu’est‐ce tu penses? Évidemment. »

Le plaignant allègue ensuite avoir été battu par une quinzaine d’agents de police, tant des agents en uniforme que des agents de l’escouade antidrogue, dans la salle d’entrevue à la division du SPT. L’AI no 2 a indiqué que, lorsqu’il est retourné à la division du SPT, il a entendu des cognements, beaucoup de chahut et des cris provenant de la salle d’entrevue, où il savait que le plaignant était détenu. L’AI no 2 a marché en direction de la salle d’entrevue et a entendu le plaignant hurler et crier. L’AI no 2 a indiqué qu’il a vu les murs de la salle d’entrevue trembler et bouger pendant que le plaignant criait et hurlait des obscénités. À travers la porte, l’AI no 2 a demandé au plaignant de se calmer, mais celui‐ci a continué de hurler et de frapper sur les murs. L’AI no 2 a indiqué qu’il a commencé à craindre que le plaignant se blesse lui-même et/ou endommage des biens à l’intérieur de la salle ou encore s’échappe de la pièce. Par conséquent, l’AI no 2 a fait venir l’AI no 1, l’AI no 3 et l’AI no 4 dans la salle d’entrevue afin qu’ils l’aident à transférer le plaignant à une cellule où il pourrait être adéquatement surveillé par le système de télévision en circuit fermé du poste de police et par l’agent responsable des mises en détention. Cela concorde avec le témoignage de l’AI no 1 qui a dit que l’AI no 2 lui a dit que le plaignant se comportait de façon capricieuse, qu’il criait et qu’il se cognait dans la salle d’entrevue et que l’AI no 2 voulait le transférer dans une cellule de détention appropriée pour sa propre sécurité. L’AI no 1 a aussi indiqué qu’il a vu la porte de la salle d’entrevue se courber et les murs trembler en raison des cognements et que le combiné du téléphone qui était fixé sur le mur extérieur de la salle d’entrevue était tombé. Initialement, l’AI no 1 et l’AI no 3 n’ont pas été capables d’ouvrir la porte, peut‐être parce que le plaignant la poussait de l’intérieur de la salle, mais une fois que la porte a été ouverte, le plaignant a été vu en train de reculer dans un coin et prendre la position d’un boxeur avec les poings levés et invitant les policiers à se battre. L’AI no 1 se souvenait que le plaignant a dit [traduction] « on va régler ça ici, » et que c’est à ce moment‐là que l’AI no 1, qui se trouvait dans le coin opposé de la pièce par rapport au plaignant, a dit au plaignant de mettre ses mains dans le dos. Le plaignant n’a pas obtempéré et est demeuré dans une position de combat. L’AI no 2 a indiqué que, après qu’il eut dit au plaignant de se calmer et de mettre ses mains derrière le dos afin qu’on le menotte et qu’on l’emmène aux cellules, le plaignant a continué d’hurler et d’invectiver les agents, moment auquel l’AI no 1 et l’AI no 3 se sont déplacés vers le plaignant et l’AI no 2 a suivi. L’AI no 2 a indiqué avoir alors vu le plaignant s’élancer en avant, dans sa direction, en adoptant une position visant à donner un coup de tête.

L’AI no 1 a déclaré qu’il a utilisé sa main gauche pour empoigner le bras droit du plaignant et que le plaignant a alors penché sa tête en arrière pour prendre un élan et a assené un coup de tête au visage de l’AI no 1. L’AI no 1 a indiqué que le coup de tête l’avait désorienté pendant quelques secondes et qu’il a ensuite saisi les deux mains du plaignant et l’a mis au sol de force, amenant le plaignant à toucher le sol tête la première et l’AI no 1 a atterri à côté de lui. L’AI no 1 a concédé que cette mise au sol avait été exécutée avec force et que cela avait pu causer la blessure faciale du plaignant; il se pouvait aussi que le coup de tête donné par le plaignant ait été le mécanisme par lequel le plaignant s’est blessé au visage.

L’AI no 2 a indiqué qu’à aucun moment il n’a vu l’AI no 1 courir vers le plaignant et lui donner un coup de pied au visage, ce qui contredit la version fournie par le plaignant. L’AI no 2 a indiqué qu’il s’est déplacé à la droite de l’AI no 1 et de l’AI no 3 afin de prêter assistance à ces derniers pour la mise au sol du plaignant, mais que ce dernier était déjà au sol avant que l’AI no 2 ne soit en position. L’AI no 2 a indiqué avoir observé l’AI no 1 et l’AI no 3 tomber tous les deux sur le sol avec le plaignant, lequel a continué de jurer et de crier alors qu’il était face contre terre et qu’il essayait de se soulever du sol. L’AI no 2 a alors enroulé ses bras autour des genoux et des jambes du plaignant, dans une sorte de prise de l’ours, pour l’empêcher de donner des coups de pied ou encore de se relever. L’AI no 2 a indiqué qu’il n’a administré aucun coup de distraction au plaignant et que, à sa connaissance, ni l’AI no 1 ni l’AI no 3 n’a administré de coups de distraction au plaignant. L’AI no 2 a indiqué que, une fois que le plaignant a été menotté mains dans le dos, il a été placé en position assise et on a remarqué qu’il y avait du sang sur le sol et que le plaignant saignait au visage. L’AI no 2 a indiqué que la lutte avec le plaignant avait duré une quinzaine de secondes et que, même si le plaignant se souvenait qu’environ 15 agents étaient impliqués, tant des agents de l’escouade antidrogue que des agents en uniforme, il n’y avait en fait que les quatre agents de l’escouade antidrogue du SPT d’impliqués, soit l’AI no 1, l’AI no 3, l’AI no 4 et lui‐même, et qu’aucun agent en uniforme n’était présent.

Bien que l’AI no 3 et l’AI no 4 aient décliné une entrevue avec les enquêteurs de l’UES, comme ils en ont légalement le droit, et que l’AT no 7 était décédé au moment de la présente enquête[3], le témoignage de l’AI no 1 corrobore essentiellement celui de l’AI no 2. L’AI no 1 a aussi indiqué qu’à aucun moment il n’a donné de coup de pied ou de coup de poing au plaignant et qu’il n’a vu aucun autre agent de police faire cela. L’AI no 1 a indiqué qu’après avoir relevé le plaignant il a vu du sang sur le visage de ce dernier et des gouttes de sang tomber sur le sol. L’AI no 1 a indiqué que, lorsqu’il a demandé au plaignant où il était blessé, le plaignant n’a pas répondu, si bien que l’AI no 1 a rincé le visage du plaignant avec une bouteille d’eau pour essayer de voir où se trouvaient les blessures, et c’est à ce moment‐là que le plaignant a commencé à cracher du sang sur les agents. L’AI no 1 a ensuite placé un masque sur le nez et la bouche du plaignant afin de l’empêcher de cracher sur eux puis, avec l’assistance de l’AT no 7, de l’AI no 4, de l’AT no 2 et de l’AT no 5, a escorté le plaignant jusqu’au bloc cellulaire. La vidéo du bloc cellulaire confirme que le plaignant a été placé dans la cellule par plusieurs policiers alors que son visage était recouvert d’un masque. Trois agents sont vus entrant dans la cellule pour retirer les menottes au plaignant, ce qui est fait non sans difficulté, pendant que l’AT no 2 est vu en train de tenir la tête du plaignant pour l’empêcher de cracher. L’AT no 2 fait cela en passant ses bras et ses mains à travers les barreaux et en tenant la tête ou les cheveux du plaignant depuis l’endroit où il est accroupi à l’extérieur de la cellule.

L’AT no 5 a indiqué qu’il a entendu des policiers crier [traduction] « Arrêtez de cracher, » qu’il s’est alors précipité vers la salle d’entrevue et qu’il a observé l’AI no 1, l’AI no 3 et l’AT no 2 tenter de mettre un masque facial sur le plaignant; l’AI no 2 et l’AI no 3 n’étaient plus dans la pièce à ce moment‐là. L’AT no 5 a observé deux des agents essayant de maintenir le plaignant pendant qu’un troisième essayait de placer le masque sur le visage du plaignant. L’AT no 5 a indiqué qu’il a observé le plaignant alors qu’on lui faisait traverser le couloir en direction du bloc cellulaire et qu’il opposait une résistance en se traînant les pieds et en bougeant sa tête pour essayer de cracher sur les agents pendant que l’AT no 2 maintenait la tête du plaignant pour l’empêcher de faire cela. Une fois que le plaignant a été placé dans la cellule, il lui a été demandé de s’agenouiller en faisant face contre le lit afin que ses menottes lui soient retirées; cependant, le plaignant a crié à plusieurs reprises [traduction] « J’emmerde la police! » et a refusé d’obtempérer. L’AT no 5, qui se tenait à l’extérieur de la cellule et regardait ce qui se passait à l’intérieur, a observé que le plaignant a été poussé contre le lit face la première avec ce que l’AT no 5 a admis être un degré de force, mais pas au point, croyait‐il, que le plaignant puisse être blessé. L’AT no 5 a indiqué que le plaignant a continué de résister à toute tentative de lui retirer ses menottes jusqu’à ce que les agents soient finalement capables de lui en enlever une, puis l’autre. L’AT no 5 a aussi indiqué que l’AI no 1 l’avait informé du coup de tête que le plaignant lui avait assené dans la salle d’entrevue.

Cette preuve est également corroborée par la déclaration de l’AT no 2, qui a indiqué que, lorsqu’il est entré dans la salle d’entrevue, le plaignant se trouvait déjà au sol et que l’AT no 5, l’AI no 1, l’AI no 4 et l’AT no 7 se trouvaient dans la pièce avec lui à ce moment‐là; l’AI no 3 et l’AI no 2 n’étaient plus dans la salle. L’AT no 2 a également indiqué qu’on lui a dit que le plaignant avait donné un coup de tête au visage de l’AI no 1 mais qu’il n’était pas là lorsque cela s’est produit. L’AT no 2 a indiqué qu’on a ensuite fait sortir le plaignant de la salle d’entrevue et qu’on l’a emmené au bloc cellulaire et que, pendant ce déplacement, il n’a cessé d’opposer une résistance en raidissant son corps et en se traînant les pieds. L’AT no 2 a indiqué qu’il marchait à l’envers devant le plaignant en lui maintenant la tête vers le bas pour l’empêcher de cracher. Une fois arrivé à la cellule, l’AT no 2 est resté à l’extérieur de la cellule et a maintenu la tête du plaignant à travers les barreaux de la cellule pendant que les autres agents entraient dans la cellule pour lui enlever les menottes.

Ce récit est également étayé par les notes de l’AT no 7, qui est décédé avant le début de cette enquête. Les notes confirment que l’AT no 7, qui était en poste au bureau des enquêteurs des divisions du SPT, a entendu des cognements bruyants et des hurlements venant de la salle d’entrevue et a vu les murs trembler. Lorsqu’il est allé voir ce qui se passait, il a vu l’AI no 1 et l’AI no 4 dans la salle en présence du plaignant, lequel était assis par terre, et a remarqué qu’il y avait du sang sur le sol. Les notes de l’AT no 7 indiquent que l’AI no 4 lui a demandé de lui apporter un peu d’eau pour éponger le sang du visage du plaignant, que l’AT no 7 est parti chercher de l’eau et qu’après cela il a observé l’AI no 1 essayant de laver le visage du plaignant pendant que ce dernier n’arrêtait pas de remettre son visage dans le sang en riant. Les notes poursuivent en indiquant que le plaignant faisant des bruits de crachat, de sorte que l’AT no 7 est allé chercher un masque que l’AI no 1 a ensuite mis sur le visage du plaignant. À ce moment‐là, l’AT no 7 indique qu’ils devaient emmener le plaignant au bloc cellulaire et qu’il a été accompagné par l’AT no 2, l’AT no 5, l’AI no 1 et l’AI no 4. Cela est confirmé par la vidéo du bloc cellulaire. L’AT no 7 décrit le plaignant comme ayant constamment résisté et refusé carrément de marcher en plaçant ses pieds sur les talons, si bien que les agents ont dû le traîner et le tirer.

Dans leurs notes, l’AT no 8 et l’AT no 4 indiquent aussi qu’ils ont entendu des bruits intenses de cognement et des hurlements provenant de la salle d’entrevue. L’AT no 8 ajoute, dans ses notes, que lorsqu’il est allé voir ce qui se passait, on lui a dit qu’[traduction] « Un homme pète les plombs dans la salle d’entrevue, on l’a emmené au bloc cellulaire et il a donné un coup de tête [à l’AI no 1]. »

Je conclus que la vidéo du bloc cellulaire corrobore clairement le témoignage de tous les agents de l’escouade antidrogue du SPT qui étaient présents selon lequel le plaignant s’est montré extrêmement peu coopératif avec la police. Tout le temps qu’il est dans la cellule avec les agents, le plaignant est vu en train de leur résister et se débattre, ce qui, à mon avis, est encore confirmé par le fait qu’il a fallu environ 65 secondes et la présence de six agents de police pour mettre le plaignant dans la cellule. À aucun moment on ne voit, dans la vidéo du bloc cellulaire, un agent frapper le plaignant du pied ou du poing ou employer une force excessive contre lui; le degré de force utilisé par les agents semble directement proportionnel au degré de résistance opposé par le plaignant.

Lorsqu’il n’y a pas de témoins indépendants ni de preuve matérielle, on doit s’en remettre à la crédibilité du plaignant pour trouver des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise. En l’espèce, malheureusement, la crédibilité du plaignant a été sérieusement minée par la vidéo de la cellule, qui le montre clairement comme étant une personne bien différente du prisonnier obéissant qu’il prétendait être; on le voit plutôt dans la vidéo en train de résister, se débattre et être combatif, pendant que les agents sont vus comme n’utilisant pas plus que la force nécessaire pour maîtriser le plaignant et lui retirer les menottes. Bien que la vidéo ne capte pas le déroulement de l’incident, que ce soit à la résidence ou dans la salle d’entrevue, j’estime que lorsqu’elle contredit la version des événements présentée par le plaignant, elle mine sa crédibilité eu égard à toutes ses allégations. De plus, je conclus que le plaignant a bel et bien donné un coup de tête à l’AI no 1 et rejette le témoignage du plaignant sur ce point, car cela a été observé par tous les agents témoins, a été consigné dans tous les calepins des agents au moment de l’incident et concorde avec ce que l’AI no 1 avait dit aux autres agents. Qui plus est, les notes de calepin de l’AT no 4 et de l’AT no 8 indiquant que les bruits de cognement provenant de la salle d’entrevue pouvaient être entendus de partout dans le poste de police ne cadrent pas avec la version que le plaignant a fournie de son comportement dans la salle d’entrevue. Finalement, je conclus que si le plaignant avait été battu, frappé du poing et du pied et étranglé autant qu’il l’a prétendu, par le nombre d’agents qu’il a allégué, il y aurait eu beaucoup plus de blessures que celles qu’a observées le TC à l’hôpital, lequel a indiqué que toutes les blessures du plaignant étaient concentrées dans la zone de la tête et du visage et, plus précisément, que le plaignant avait un enflure sous l’œil droit, une douleur à la pommette droite, une ecchymose derrière l’oreille gauche et plusieurs éraflures sur le visage. Bien que la conclusion de l’infliction d’une blessure viendrait normalement corroborer le témoignage du plaignant, lorsque, comme c’est le cas ici, les blessures cadrent plutôt, si ce n’est davantage, avec une version de l’incident selon laquelle le plaignant a donné un coup de tête à l’AI no 1 avant qu’on le mette au sol de force, moment où il s’est frappé le visage sur le sol, je ne saurais trouver dans cette preuve quelque élément que ce soit pouvant rétablir la crédibilité du plaignant.

Compte tenu de l’ensemble de la preuve, je suis convaincu que la blessure subie par le plaignant a été causée lorsque, à la suite du coup de tête qu’il a donné à l’AI no 1 et du fait qu’il fallait maîtriser le plaignant et l’empêcher toute autre agression, la plaignant a été mis au sol de force dans la salle d’entrevue et son visage a heurté le sol en premier. Je suis en outre conforté dans cette conclusion par le témoignage de tous les agents témoins présents selon lequel le plaignant ne semblait pas avoir de blessures ni ne saignait avant qu’on le mette au sol.

En vertu du paragraphe 25(1) du Code criminel, les agents de police peuvent seulement recourir à la force qui est raisonnablement nécessaire dans l’exécution d’une obligation légale. S’agissant d’abord de la légalité de l’appréhension du plaignant, il ressort clairement du témoignage de tous les agents présents à la résidence que le plaignant était en possession d’une substance sous forme de poudre que l’on croyait être de la cocaïne et que la police avait alors des motifs raisonnables de l’arrêter pour une infraction de possession d’une substance désignée en contravention de la LRCDAS. Par conséquent, la mise sous détention et l’arrestation du plaignant étaient légalement justifiées dans les circonstances et le plaignant était légalement sous la garde de SPT au moment où il a subi sa blessure.

En ce qui concerne la force employée par les agents dans leurs tentatives de maîtriser le plaignant, je conclus que leur conduite était justifiée dans les circonstances. Tout en concluant que les blessures du plaignant ont été causées par la manœuvre des agents du SPT lorsqu’ils ont mis le plaignant au sol de force et que le plaignant a atterri sur le visage, je conclus que, en vertu du paragraphe 25(1) du Code criminel, les agents impliqués n’ont pas employé plus de force que nécessaire dans l’exécution de leur obligation légale de maîtriser un homme combatif et agressif qui avait déjà agressé un agent de police et qui était susceptible de poursuivre dans la même veine si on ne le maîtrisait pas. Pour en arriver à cette conclusion, je garde à l’esprit l’état du droit applicable tel qu’établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R.c.Nasogaluak, [2010] 1 R.C.S. 206, qui dit ceci :

Les actes des policiers ne devraient pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Il ne faut pas oublier que ceux‐ci accomplissent un travail exigeant et dangereux et qu’ils doivent souvent réagir rapidement à des situations urgentes. Leurs actes doivent alors être appréciés selon ce que commande ce contexte difficile. Comme le juge Anderson l’explique dans R. c. Bottrell (1981), 60 C.C.C. (2d) 211 (C.A.C.-B.) :

[traduction] Pour déterminer si la force employée par le policier était nécessaire, les jurés doivent tenir compte des circonstances dans lesquelles le policier y a eu recours. Il aurait fallu leur indiquer qu’on ne pouvait pas s’attendre à ce que l’appelant mesure la force appliquée avec précision. [p. 218]

En outre, j’ai tenu compte de la décision que la Cour d’appel de l’Ontario a rendue dans l’affaire R. c. Baxter (1975), 27 C.C.C. (2d) 96 (C. A. de l’Ont.), qui établit qu’on ne peut pas s’attendre à ce que les policiers apprécient avec exactitude le degré de force qu’ils emploient dans leurs interventions. Dans le présent dossier, il est clair que la force que les agents impliqués du SPT ont employée pour maîtriser le plaignant était dans les limites de ce qui était raisonnablement nécessaire dans les circonstances pour maîtriser le plaignant et supprimer le risque qu’il continuait de poser à lui‐même et aux agents de police jusqu’à ce qu’on le place dans une cellule où il pourrait être adéquatement surveillé par l’agent responsable des mises en détention.

En dernière analyse, je suis convaincu, pour les motifs qui précèdent, que les actions exercées par les agents du SPT pour maîtriser le plaignant dans la salle d’entrevue et pour le mettre ensuite dans la cellule étaient légales nonobstant la blessure que le plaignant a subie. Je suis donc convaincu, pour des motifs raisonnables dans ce dossier, que les gestes posés par les agents étaient dans les limites prescrites par le droit criminel et qu’il n’y a pas lieu de porter des accusations en l’espèce.

Date : 30 novembre 2017

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) [1] La créatine est un acide aminé utilisé comme supplément alimentaire pour l’entraînement sportif et le conditionnement physique. [Retour au texte]
  • 2) [2] L’AT no 2 avait l’obligation de fournir une déclaration sur les événements survenus au poste de police mais pas sur sa conduite à l’appartement parce qu’il était l’AI en lien avec son comportement à l’appartement, quoique dans le cadre d’une enquête distincte. [Retour au texte]
  • 3) [3] Dans ses notes, l’AT no 7 indique que lorsqu’il est entré la première fois, les quatre agents impliqués étaient les seuls à se trouver dans la sale d’entrevue, quoique l’AT no 2 and l’AT no 5 se trouvaient à l’extérieur, mais à proximité de la salle d’entrevue. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.