Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 17-TVI-298

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu à une allégation d’agression sexuelle.

Les « blessures graves » englobent celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, a priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant que la gravité de la blessure puisse être évaluée, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider de l’envergure de son intervention.

Le présent rapport décrit l’enquête de l’UES sur les blessures graves subies par un homme de 52 ans le 14 octobre 2017 lorsqu’il a été heurté par une portière d’une voiture de patrouille de la police.

L’enquête

Notification de l’UES

Le 14 octobre 2017, à 13 h 25, le Service de police de Toronto (SPT) a appelé l’UES pour signaler une blessure causée par une collision avec un véhicule.

Le SPT a déclaré que, vers 10 h, l’agent impliqué (l’AI) et l’agent témoin (AT) no 1 se sont rendus au pont Leaside sur le boulevard Overlea, à l’ouest du chemin Don Mills, après qu’on avait appris qu’une personne avait sauté du pont.

à leur arrivée, les agents ont garé leur véhicule de façon à ne pas bloquer la voie cyclable. Comme l’AI ouvrait sa portière du côté passager, un cycliste, le plaignant, est entré en collision avec la porte. Le plaignant a été amené à l’hôpital où selon le diagnostic, il avait deux côtes fracturées.

L’AI et l’AT no 1 se sont rendus à une division du SPT, tandis que des agents des services de la circulation du SPT sont allés examiner les lieux de l’accident et y sont restés jusqu’à l’arrivée de l’UES.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 2

Nombre d’enquêteurs judiciaires de l’UES assignés : 2

Plaignant

Entretien avec l’homme de 52 ans, dossiers médicaux non obtenus

Témoin civil (TC)

TC A participé à une entrevue

Agents témoins (AT)

AT no 1 A participé à une entrevue

AT no 2 A participé à une entrevue

Agent impliqué (AI)

AI N’a pas participé à une entrevue et n’a pas consenti à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.

Description de l’incident

Au cours de la matinée du 14 octobre 2017, le plaignant se déplaçait sur sa bicyclette sur le pont Leaside, dans la direction sud dans une voie cyclable désignée. Une voiture de patrouille du SPT était stationnée dans la voie sud de la chaussée, chevauchant légèrement la ligne marquant la limite de la voie cyclable désignée. L’AT no 1 se trouvait en dehors de la voiture de patrouille et parlait avec le TC au sujet d’une personne qui aurait sauté du pont. L’AI était à l’intérieur de la voiture de patrouille.

Comme le plaignant a commencé à passer à côté de la voiture de patrouille, l’AI a ouvert la portière du côté passager de façon inattendue. Le plaignant est entré en collision avec la porte de la voiture de patrouille et est tombé au sol.

On a appelé une ambulance, et le plaignant a été transporté à l’hôpital. Selon le diagnostic, il avait des fractures aux côtes 1, 2 et 3 près de l’épaule gauche et à la côte C7 du côté gauche de la colonne vertébrale.

Preuve

Les lieux de l’incident

Le 14 octobre 2017, à 16 h 5, les EJ de l’UES sont arrivés sur les lieux au pont Leaside. Une voiture de patrouille identifiée du SPT était stationnée sur le pont, faisait face au sud, et chevauchait légèrement la voie cyclable désignée du côté ouest de la chaussée, la débordant de 10 centimètres. Les EJ ont mesuré la voie cyclable et ont déterminé qu’elle avait une largeur de 1,52 mètre. Ils ont mesuré le trottoir ouest, dont la largeur était de 1,80 mètre. La voiture de patrouille était garée de sorte que son pneu avant du côté passager se trouvait à 1,43 mètre de la bordure ouest.

La bicyclette a été photographiée sur place, puis la bicyclette a été placée directement à côté de la voiture de patrouille et photographiée à nouveau pour montrer les hauteurs relatives et les dommages à la voiture de patrouille et à la bicyclette, qui correspondaient parfaitement comme on peut le voir ci-dessous.

Photographie de preuves

Photographie de preuves

à 17 h 5, la scène et la voiture de patrouille ont été retournées à la responsabilité du SPT.

Preuve vidéo/audio/photographique

L’UES a inspecté les lieux pour déterminer s’il y avait des enregistrements vidéo ou audio et des preuves photographiques, mais n’a pas réussi à en trouver.

éléments obtenus du service de police

Sur demande, l’UES a obtenu les documents suivants du SPT et puis les a examinés :

  • Notes des AT nos 1 et 2.

Dispositions législatives petinentes

Paragraphe 165(1) du Code de la route – Ouverture des portes d’un véhicule automobile

165 (1) Nul ne doit :

  1. ouvrir la porte d’un véhicule automobile sur une voie publique sans prendre au préalable les précautions nécessaires pour s’assurer que ce geste ne gênera pas le mouvement d’une autre personne ni d’un autre véhicule, ni ne créera un danger pour ceux-ci;
  2. laisser ouverte la porte d’un véhicule automobile sur une voie publique, du côté de la circulation, pendant une période plus longue qu’il est nécessaire pour prendre ou faire descendre des passagers.

Articles 219 et 221 du Code criminel - Négligence criminelle

219 (1) Est coupable de négligence criminelle quiconque :

  1. soit en faisant quelque chose;
  2. soit en omettant de faire quelque chose qu’il est de son devoir d’accomplir,

montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui.

(2) Pour l’application du présent article, devoir désigne une obligation imposée par la loi.

221 Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans quiconque, par négligence criminelle, cause des lésions corporelles à autrui.

Analyse et décision du directeur

Le 14 octobre 2017, vers 9 h 58, l’AI et l’AT no 1 se sont rendus au secteur du pont Leaside sur le boulevard Overlea dans la ville de Toronto parce qu’on avait signalé qu’une personne s’était jetée du pont. L’AT no 1 conduisait la voiture de police et a garé son véhicule en faisant face au sud, juste à l’intérieur de la voie cyclable marquée du côté ouest de la chaussée; un examen subséquent sur les lieux a permis de déterminer que l’un des pneus du véhicule de patrouille débordait de 10 centimètres sur la voie cyclable marquée. L’AT no 1 est ensuite sorti de la voiture de patrouille pour parler à un témoin sur le trottoir, tandis que l’AI est demeuré assis à l’intérieur du véhicule dans le siège du passager pour mettre à jour l’information dans le terminal de données mobile. Dans sa déclaration, l’AT no 1 a indiqué qu’il avait intentionnellement stationné sa voiture de patrouille de sorte à ne pas bloquer la circulation de bicyclettes sur la voie cyclable marquée.

Le plaignant était également dans le secteur à l’époque; il se déplaçait à bicyclette, lorsqu’il est arrivé à hauteur de la voiture de patrouille garée dans la voie de circulation la plus à droite sur le pont Leaside. Comme le plaignant s’approchait de la voiture de police, la portière avant du côté passager s’est ouverte directement devant lui; le plaignant est entré en collision avec la portière de la voiture de patrouille, a été jeté de sa bicyclette et a atterri sur le trottoir. Le plaignant a alors été transporté par ambulance à l’hôpital, où selon le diagnostic, il avait des fractures aux côtes 1, 2 et 3, ainsi qu’à la côte C7 du côté gauche de la colonne vertébrale.

Bien que l’AI ait refusé de se mettre à la disposition des enquêteurs et de s’entretenir avec eux, ce qui constitue son droit légal, d’après les éléments de preuve fournis par le TC, le plaignant et l’AT no 1, il n’y a aucune contestation quant à ce qui s’est produit.

Aux termes de l’article 165 du Code de la route de l’Ontario, il incombe à la partie qui quitte un véhicule à moteur de s’assurer que l’ouverture de sa portière ne gênera pas le mouvement d’une autre personne ni d’un autre véhicule, ni ne créera un danger pour ceux ci. Dans la circonstance particulière à l’étude ici, il est clair que l’AI était fautif en ce sens qu’il a ouvert sa portière sans d’abord s’assurer qu’il ne mettait pas en danger ou n’entravait pas les personnes qui se déplaçaient sur la voie cyclable clairement délimitée; plus précisément, l’ouverture de la portière sans prendre d’abord les précautions nécessaires pour s’assurer que la voie était claire a gêné le mouvement du plaignant sur sa bicyclette et a créé un danger pour ce dernier. Compte tenu de la preuve fournie par les trois témoins, il ne fait aucun doute que l’AI était en faute et qu’il était directement à l’origine de la collision avec le plaignant, ce qui a mené à ses blessures, parce qu’il a omis de prendre les précautions requises prévues à l’article 165 du Code de la route.

Or, l’analyse ne s’arrête pas là. La question demeure de savoir si les agissements de l’AI contrevenaient non seulement à l’art. 165 du Code de la route, mais s’ils étaient suffisamment graves pour constituer de la négligence criminelle, contrairement à l’art. 219 du Code criminel, ayant ainsi causé des lésions corporelles au plaignant, contrairement à l’article 221 du Code criminel.

Dans l’arrêt R. c. Sharp (1984), 12 C.C.C. (3d) 426 (C.A. de l’Ont.), la Cour d’appel de l’Ontario a indiqué que, pour satisfaire aux éléments essentiels de l’art. 219, les actions en question doivent satisfaire au critère selon lequel elles correspondaient à un « écart marqué et important par rapport à la norme de diligence que respecterait un conducteur raisonnable dans les circonstances » où l’accusé « a manifesté un mépris téméraire pour la vie et la sécurité d’autrui ». Bien que la décision dans l’arrêt R. c. Sharp concernait expressément des actes au volant d’un véhicule, la définition a été appliquée à tout geste où une personne a agi d’une façon constituant un écart marqué ou important par rapport à la norme de diligence à respecter dans les circonstances.

Compte tenu de l’ensemble de la preuve, il est clair que j’ai des motifs raisonnables de croire que l’AI, immédiatement avant la collision entre la portière de sa voiture et la bicyclette et le plaignant, n’a pas pris les précautions nécessaires lorsqu’il l’a ouverte là où circulaient des bicyclettes et a donc causé les blessures subies par le plaignant. Cependant, le plus qu’on puisse dire est que l’AI a fait preuve d’un manque d’attention momentané ou qu’il a été imprudent lorsqu’il a ouvert sa portière sans d’abord s’assurer que la voie était libre et ainsi a contrevenu aux dispositions de l’art. 165 du Code de la route. En règle générale, lorsqu’une infraction au Code de la route englobe entièrement les actes reprochés, les actes ne feront pas l’objet de sanctions en vertu du Code criminel s’il n’y a pas autre chose : soit une combinaison de plusieurs infractions au Code de la route, soit des actes tellement graves qu’ils vont au-delà du Code de la route et méritent l’imposition de sanctions pénales. En l’espèce, il n’y a aucune preuve que les actions de l’AI étaient telles qu’elles constituaient « un écart marqué et important par rapport à la norme » et il n’y a aucune preuve qu’elles reflétaient « un mépris téméraire pour la vie et la sécurité d’autrui ». Comme je viens de le mentionner, une infraction au Code de la route en soi ne constitue pas une infraction criminelle à moins qu’il y ait autre chose, et même si l’AI était peut-être responsable de la collision et des blessures graves subies par le plaignant, je ne peux trouver des motifs raisonnables m’amenant à croire qu’une infraction criminelle a été commise ici. En ce qui a trait à une accusation aux termes du Code de la route, cela ne relève pas de mon mandat et je laisserai au chef du Service de police de Toronto le soin de porter une telle accusation s’il le juge approprié.

Date : 20 juin 2017

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.