Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 17-OCI-103

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu une allégation d’agression sexuelle.

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Le présent rapport a trait à l’enquête de l’UES sur la blessure grave qu’on a découverte chez un homme âgé de 27 ans à la suite de son arrestation, le 4 mai 2017.

L’enquête

Notification de l’UES

Le 5 mai 2017, à 1 h 20, le Service de police de Stratford (SPS) a informé l’UES de la blessure grave que le plaignant avait subie lors de son arrestation survenue plus tôt ce soir‐là.

Le SPS a déclaré que, le 4 mai 2017, à 20 h 45, l’agent impliqué (AI) a commencé à suivre un véhicule (une Corvette jaune) qu’il savait être associée au commerce local de la drogue. Afin d’en identifier les deux occupants, l’AI a immobilisé le véhicule sur le chemin Vivian Line, une route rurale. Le passager, qui est le plaignant dans ce dossier, est sorti du véhicule et s’est enfui dans le champ d’un fermier adjacent tandis que l’AI est parti à pied à sa poursuite. Le plaignant a été arrêté peu après dans le champ, à l’issue d’une lutte avec l’AI. Les examens médicaux subséquents du plaignant ont révélé une fracture à une vertèbre.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 4

Nombre d’enquêteurs judiciaires de l’UES assignés : 1

Plaignant :

Homme âgé de 27 ans; dossiers médicaux obtenus et examinés

Témoins civils (TC)

TC no 1 A participé à une entrevue

TC no 2 N’a pas participé à une entrevue[1]

TC no 3 N’a pas participé à une entrevue[2]

Agents témoins (AT)

AT no 1 A participé à une entrevue

AT no 2 A participé à une entrevue

AT no 3 A participé à une entrevue

AT no 4 A participé à une entrevue

AT no 5 A participé à une entrevue

AT no 6 A participé à une entrevue

AT no 7 A participé à une entrevue

Agents impliqués (AI)

AI A participé à une entrevue mais n’a pas consenti à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.

Description de l’incident

Dans la soirée du 4 mai 2017, l’AI conduisait une fourgonnette banalisée du SPS équipée de feux d’urgence. à un moment donné, l’AI a vu une Corvette jaune dont il savait qu’elle appartenait à un homme qui était visé par des mandats d’arrestation non exécutés.

Afin de prévenir une poursuite policière, l’AI a demandé à ce que des véhicules de police identifiés comme tels se rendent à cet endroit pendant qu’il continuait de suivre la Corvette. L’AI a activé ses feux d’urgence, mais la Corvette a immédiatement tourné sur le chemin d’entrée d’une ferme. L’AI s’est arrêté derrière et s’est approché du conducteur, qui a été identifié comme étant la TC no 3.

Le plaignant était le passager dans la Corvette et est immédiatement sorti du véhicule. Bien que le plaignant portait une perruque de couleur à ce moment‐là, l’AI l’a reconnu comme ayant aussi un mandat d’arrêt contre lui. Lorsque l’AI a demandé à la TC no 3 ses papiers d’identité et les enregistrements de la Corvette, le plaignant s’est immédiatement enfui à pied dans le champ avoisinant. L’AI a crié au plaignant d’arrêter et qu’il était en état d’arrestation pendant qu’il courait après lui à travers le champ. Le plaignant a enjambé deux clôtures électriques et a continué de courir.

Le plaignant s’est épuisé et a commencé à ralentir. L’AI a déchargé son arme à impulsions sur le plaignant, mais le cycle de neutralisation de l’arme ne s’est pas appliqué correctement. L’AI a laissé tomber l’arme à impulsions et a plaqué le plaignant, le faisant tomber sur le sol et se retrouvant lui‐même au‐dessus du plaignant. Le plaignant a lutté et l’AI l’a frappé plusieurs fois à la tête pour forcer le plaignant à sortir ses mains de dessous son corps. Non loin de là, l’AT no 6, qui suivait à une certaine distance, s’est empêtré dans la clôture électrique et criait qu’il était en train d’être électrocuté. L’AT no 3 est finalement arrivé pour prêter main‐forte à l’AI et a pu se saisir des bras du plaignant. Le plaignant a été menotté et remis debout.

Le Service des incendies et les Services médicaux d’urgence (SMU) de Stratford sont arrivés sur les lieux pour secourir l’AT no 6, et le plaignant a informé les ambulanciers qu’il avait subi une blessure au dos.

Le plaignant a été emmené à l’hôpital et on lui a diagnostiqué une fracture de vertèbre lombaire. Le médecin de service n’a noté qu’une scoliose thoracolombaire minime, concluant [traduction] « Aucune dislocation définitive n’est observée. » Dans un examen subséquent, un autre médecin a noté un léger bombement discal généralisé au niveau des quatrième et cinquième vertèbres lombaires.

Preuve

Les lieux de l’incident

Les lieux de l’incident étaient le champ côté est de l’intersection du chemin Vivian Line et de la rue Romeo, à Stratford.

Preuve vidéo/audio/photographique

L’UES a exploré les alentours à la recherche d’éventuels enregistrements vidéo ou audio et preuves photographiques, mais n’en a pas trouvé.

Enregistrements de communications

Les 160enregistrements de communications ont été soigneusement écoutés et ils comportaient des communications liées à cet événement ainsi qu’à d’autres événements sans lien avec celui‐ci. La plupart des fichiers étaient des doubles.

Fichier 1, canal 1– 05/05/2017, 00 h 44 m 47 s (durée : 9 m 27 s)

  • L’AI appelle la répartitrice sur son téléphone cellulaire et demande le numéro d’enregistrement de la plaque d’immatriculation correspondant à une Corvette jaune
  • La répartitrice confirme que la plaque est enregistrée sous le nom d’un homme (le propriétaire enregistré)
  • L’AI dit qu’il roule en direction nord sur la promenade Romeo et qu’il pense que le propriétaire enregistré se rend au domicile d’un autre homme connu des services policiers[3].
  • L’AI annonce qu’il va immobiliser le véhicule, et la répartitrice demande à l’AT no 4 et l’AT no 6 d’aller prêter main‐forte à l’AI
  • L’AI déclare que la Corvette a tourné à droite sur le chemin Vivian Line puis s’est engagée sur le chemin agricole menant à la maison que l’AI avait mentionnée
  • L’AI annonce qu’il va arrêter le propriétaire enregistré
  • On entend l’AI crier [traduction] « Retournez dans la voiture. » L’homme est alors identifié comme le plaignant
  • La répartitrice déclare avoir entendu l’AI dire [traduction] « Sortez les mains de vos poches. » La répartitrice demande ensuite dans quelle direction le plaignant est en train de courir
  • Entre le temps 3 m 32 s et 9 m 27 s, la répartitrice demeure au téléphone avec l’AI
  • Un bruit correspondant à quelqu’un qui est en train de courir avec son téléphone cellulaire dans la poche est entendu
  • La répartitrice déclare que l’AI et le plaignant courent en direction est
  • On entend crier [traduction] « Mettez-vous sur le sol » trois fois puis la course continuer
  • On entend encore crier [traduction] « Mettez-vous sur le sol » et la course continuer
  • On entend crier [traduction] « Mettez-vous sur le sol » puis on entend le plaignant dire « Ne tirez pas »
  • à au moins six reprises on a dit au plaignant de se mettre sur le sol
  • Le plaignant dit quelque chose d’inaudible au sujet de coups de poing donnés
  • On entend dire au plaignant de se retourner et on entend quelqu’un lui donner l’ordre de mettre ses mains dans le dos
  • La répartitrice déclare entendre les bruits de l’AI en train de lutter avec le plaignant et de lui dire de mettre ses mains dans le dos
  • On entend des cris étouffés et d’autres ordres donnés au plaignant de mettre ses mains dans le dos
  • On entend en arrière-plan la répartitrice dire [traduction] « Il a une arme »
  • La connexion téléphonique de l’AI est interrompue

Fichier 8, canal 16 – 05/05/2017, 0 h 50 m 29 s (durée : 4 m 05 s)

  • On entend l’AI crier [traduction] « Mettez-vous sur le sol » et le plaignant dire « Ne tirez pas »
  • On entend crier [traduction] « Mettez-vous sur le sol » et le plaignant répondre « Qu’est‐ce que j’ai fait? »
  • Il est dit au plaignant de se mettre sur le sol et de mettre ses mains dans le dos
  • Le plaignant répond [traduction] « C’est ce que je fais. »
  • Il est dit au plaignant [traduction] « Baissez vos mains. »
  • Le plaignant répond [traduction] « Je ne peux pas pendant que vous me frappez. »
  • L’ordre est répété et il est dit au plaignant d’arrêter de bouger
  • L’AI dit au plaignant d’éloigner ses mains de sa taille
  • Le plaignant répond [traduction] « Vous me faites mal. »
  • L’AT no 6 commence à crier qu’il s’est empêtré dans la clôture électrique
  • Un deuxième répartiteur annonce [traduction] « Il a une arme »
  • En arrière-plan, on entend le plaignant dire « à l’aide, à l’aide »
  • Lorsqu’on lui dit de mettre ses mains dans le dos, le plaignant dit qu’il a besoin d’aide

Fichier 83, canal 16 – 05/05/2017, 1 h 25 m 40 s (durée : 2 m 33 s)

  • L’AI déclare qu’il a des douleurs et qu’il faut qu’il aille se réchauffer en raison de la poursuite à pied prolongée
  • L’AI déclare qu’il a trouvé un sachet contenant des drogues illicites dans la Corvette, sur un sac à main, et la Corvette est remorquée jusqu’au poste de police
  • L’AI déclare que le plaignant portait une perruque mauve et qu’il ignore ce que le plaignant a jeté dans le champ
  • L’AI dit que le plaignant a résisté avec force
  • La répartitrice demande si le plaignant avait une arme à feu et l’AI déclare qu’il n’a pas signalé que le plaignant avait une arme à feu
  • La répartitrice a déclaré qu’elle avait écouté plusieurs fois l’enregistrement et qu’elle pensait maintenant que c’était peut‐être l’AT no 6 qui avait mentionné une arme à feu alors qu’il était empêtré dans la clôture

Éléments obtenus du service de police

L’UES a demandé au SPS les éléments et documents suivants, qu’elle a obtenus et examinés :

  • enregistrements de communications
  • photos des scènes de l’incident prises par l’AT no 2
  • rapport sur l’arrestation du plaignant
  • rapport sur l’arrestation de la TC no 3
  • résumé du dossier de la Couronne concernant les accusations portées contre le plaignant
  • résumé du dossier de la Couronne concernant les accusations portées contre la TC no 3
  • détails de la répartition provenant du système de répartition assistée par ordinateur
  • rapport d’incident général produit par l’AT no 2
  • notes de l’AT no 2, l’AT no 3, l’AT no 4, l’AT no 5, l’AT no 6 et l’AT no 7
  • mise en détention de prisonnier et rapport de propriété concernant le plaignant fournis par le SPS
  • mise en détention de prisonnier et rapport de propriété concernant la TC no 3 fournis par le SPS
  • rapport sur les données téléchargées du Taser
  • données téléchargées du Taser X26
  • liste des victimes/témoins

Disposition législatives pertinentes

Paragraphe 25(1) du Code criminel – Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :

  1. soit à titre de particulier;
  2. soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public;
  3. soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public;
  4. soit en raison de ses fonctions,

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Analyse et décision du Directeur

Le 4 mai 2017, l’AI se trouvait dans la collectivité, à bord d’un véhicule de police banalisé, lorsqu’il a observé une Corvette jaune connue pour appartenir à un présumé trafiquant de drogue local dont l’AI savait qu’il y avait des mandats d’arrestation contre lui. Après avoir demandé à la répartitrice de vérifier la plaque d’immatriculation pour s’assurer que le véhicule était effectivement enregistré sous le nom du suspect présumé, l’AI a décidé de procéder à un contrôle routier. L’AI a alors activé son système de feux d’urgence. Le véhicule s’est finalement immobilisé et l’AI s’est arrêté derrière le véhicule et a demandé au conducteur de produire ses papiers. Le passager du véhicule, le plaignant, est sorti du véhicule et malgré les nombreuses commandes de retourner dans le véhicule que lui a données l’AI, il s’est enfui en courant et l’AI est parti à sa poursuite à pied. L’AI a reconnu le plaignant et était au courant qu’on le recherchait aussi pour plusieurs mandats d’arrêt non exécutés. à l’issue d’une poursuite à pied, le plaignant a été arrêté et emmené à l’hôpital. On ne sait pas exactement quelles blessures le plaignant aurait éventuellement subies à la suite de son interaction avec la police.

Le plaignant allègue qu’il a été blessé au dos lorsque l’AI a employé une force excessive pour l’appréhender. à l’inverse, l’AI affirme qu’il n’a pas employé plus de force que nécessaire pour maîtriser le plaignant, lequel était combatif et résistait aux efforts pour le menotter.

Durant cette enquête, un témoin civil, en plus du plaignant, et huit agents de police, dont l’AI, ont été questionnés. De plus, les enquêteurs de l’UES ont eu accès aux enregistrements de communications de la répartitrice du SPS ainsi qu’aux notes de calepin de service des sept agents témoins.

Le témoignage de la TC no 3 concorde en tout point avec celui de l’AI; contrairement à ce que le plaignant allègue, à aucun moment l’AI n’a menacé le plaignant qu’il lui fallait coopérer à défaut de quoi on lui ferait mal, et il était évident que le plaignant regardait tout autour comme pour chercher à s’enfuir immédiatement à pied pendant que l’AI s’approchait dans son véhicule de police. La répartitrice de la radio du service de police confirme que, sur l’enregistrement, on entend de nombreuses fois l’AI dire au plaignant de retourner dans la voiture et de sortir les mains de ses poches.

Malgré les allégations du plaignant à l’effet du contraire, l’AI nie avoir dit au plaignant d’arrêter de courir sinon il utiliserait son « Taser » sur lui. Cela est également confirmé par l’enregistrement de communications qui révèle que l’AI a crié à au moins six reprises au plaignant de se mettre sur le sol pendant qu’ils couraient et qu’à un moment donné on entend le plaignant dire « ne tirez pas ». Dans l’enregistrement, on entend à aucun moment l’AI faire mention d’un « Taser ».

Le plaignant allègue qu’une fois qu’il s’est retrouvé sur le sol, l’AI a placé son genou sur son dos et ses mains sur ses épaules puis lui a enfoncé le visage dans le sol avant de lui donner des coups de genou à plusieurs reprises sur le dos. Le plaignant allègue aussi avoir reçu des coups de poing sur les deux côtés de la tête. Le plaignant a fait une description des blessures précises qui ont résulté de ces coups de poing, blessures qui, si elles ont effectivement été infligées, ne sont mentionnées nulle part dans les dossiers médicaux du plaignant. Le plaignant se contredit aussi dans sa déclaration indiquant que l’AI a déchargé son arme à impulsions sur lui.

Dans son témoignage, l’AI a confirmé la majeure partie de la preuve du plaignant jusqu’au moment où il a enjambé la deuxième clôture et a commencé à ralentir parce qu’il s’épuisait. Selon l’AI, environ un kilomètre a été parcouru durant toute la poursuite à pied. L’AI indique toutefois que le plaignant s’est arrêté, s’est retourné et a levé ses poings dans les airs, dans une position de boxeur, comme pour se préparer à se battre avec l’AI. L’AI a indiqué que, lorsqu’il est arrivé à moins de 15pieds [4,57 mètres] du plaignant, il a laissé tomber sa radio portable, a sorti son arme à impulsions et l’a déchargée en direction du plaignant, mais il s’est tout de suite rendu compte que le cycle de neutralisation ne s’était pas correctement appliqué en raison du bruit bizarre qu’avait fait l’arme à impulsions. L’AI a alors laissé tomber son arme à impulsions et s’est dirigé vers le plaignant. L’AI a indiqué que son intention était de mettre ses bras autour du corps du plaignant et de le mettre au sol, mais que le plaignant lui a donné un coup de poing au visage, l’atteignant au nez et lui causant une coupure sur l’arrête du nez. Ce témoignage concorde avec celui de l’AT no 2, qui a vu l’AI après l’incident et a remarqué que son œil était un peu tuméfié, ce qui correspond à un coup de poing reçu sur le nez.

L’AI a indiqué qu’il a alors fait faire volte face au plaignant tout en le mettant simultanément au sol, où le plaignant a atterri sur le ventre les bras sous le corps et où l’AI a atterri sur le plaignant. L’AI a indiqué que le plaignant essayait d’atteindre quelque chose dans son pantalon et que l’AI lui a plusieurs fois crié qu’il était en état d’arrestation et de montrer ses mains, autant de commandes dont le plaignant semble avoir fait fi puisqu’il a résisté à toutes les tentatives de ramener ses bras et ses mains de dessous son corps. L’AI a indiqué qu’il ne voulait pas commencer à se bagarrer aux poings avec le plaignant alors qu’il était seul avec lui dans un champ, si bien qu’il a plutôt frappé le plaignant en arrière de la tête, avec le poing fermé, et, à l’aide de ses jambes, a maintenu en étau les jambes du plaignant pour l’empêcher de se retourner. à ce moment‐là, comme le confirme l’enregistrement des communications radio, on entend un répartiteur déclarer quelque chose au sujet d’une arme à feu et l’AI a indiqué qu’il a alors craint que le plaignant puisse être armé. De plus, l’AI a indiqué qu’il ne savait pas si les autres agents viendraient à lui pour lui prêter assistance ou iraient plutôt aider l’AT no 6, qui s’était apparemment empêtré dans la clôture électrique et que l’on entendait crier en demandant de l’aide et en disant qu’il était électrocuté. Par conséquent, l’AI a continué de frapper le plaignant à la tête pour lui faire sortir ses mains de sous son corps et les mettre dans le dos, jusqu’à ce que l’AT no 3 arrive finalement et saisisse le bras du plaignant, qui a ensuite été rapidement menotté. L’AI a indiqué qu’après l’arrivée de l’AT no 3, le plaignant a cessé de résister. Cela concorde avec le témoignage de l’AT no 3. L’AI a indiqué n’avoir appris que le plaignant avait pu subir une blessure à la colonne vertébrale que lorsqu’il a entendu le plaignant se plaindre à l’ambulancier. L’AI a indiqué qu’à aucun moment il n’a fait contact avec le dos du plaignant et que la seule force qu’il a employée a été celle de l’arme à impulsions et des coups à mains nues donnés sur la tête du plaignant. L’AI a expressément nié avoir donné des coups de genou au dos du plaignant.

L’AT no 3 a indiqué qu’il a observé l’AI dans le champ à environ 300 mètres de distance et qu’il lui a fallu environ deux minutes pour s’approcher. Il a ajouté que, pendant son approche, il n’a pas vu l’AI frapper le plaignant ni employer une force excessive contre lui, mais qu’il a bel et bien vu que l’AI était affaissé au‐dessus du plaignant et que le plaignant avait les mains sous son corps. Il a également vu l’arme à impulsions par terre non loin de là, avec les fils menant au plaignant, mais sans aphides sur le sol, ce qui lui a fait conclure que l’arme à impulsions avait mal fonctionné. Le témoignage de l’AT no 3 concorde aussi avec celui de l’AI en ce qu’il dit avoir entendu l’AI crier au plaignant de mettre ses bras dans le dos et d’arrêter de résister. Ces commandes répétées par l’AI sont aussi confirmées dans l’enregistrement des communications.

Les dossiers médicaux du plaignant indiquent qu’une [traduction] « légère déformation cunéiforme antérieure des vertèbres T12 et L1 » a été observée, mais que le docteur n’a pas été en mesure de déterminer quand cela s’est produit. Les dossiers mentionnent ensuite les [traduction] « changements sclérotiques » comme étant [traduction] « compatibles avec une déformation du nodule de Schmorl (hernie discale intraspongieuse), une constatation chronique, » ce qui semble indiquer que le diagnostic était que la déformation était due à la sclérose (durcissement des tissus au fil du temps) et non à une blessure traumatique récente. Par conséquent, je ne puis trouver, dans les dossiers médicaux du plaignant, aucune preuve que son interaction avec l’AI ait effectivement été la cause de sa blessure sérieuse ou si elle n’a fait qu’aggraver sa blessure préexistante. La constatation notée dans les dossiers médiaux semble cadrer avec l’indication du plaignant selon laquelle il avait antérieurement subi une blessure au dos et que cela semble avoir entraîné la sclérose.

Au vu de l’ensemble de la preuve dans cette affaire, je ne vois pas de différences significatives entre la version des événements du plaignant et celle de l’AI. L’AI a tout de suite admis avoir frappé le plaignant plusieurs fois à la tête pour le maîtriser et l’obliger à dégager ses mains afin qu’on le menotte. De plus, il n’est pas contesté que le plaignant a fui la police, qu’il a désobéi à toutes les commandes pour s’arrêter et se mettre sur le sol, qu’il a enjambé deux clôtures tandis qu’il essayait de prendre la fuite, que l’AI a déployé son arme à impulsions sur le plaignant mais que cela s’est révélé inefficace et que l’AI a finalement mis le plaignant au sol et a atterri sur lui. Les seules contradictions réelles entre le témoignage de l’AI et celui du plaignant résident dans l’allégation de l’AI selon laquelle le plaignant a pris la position d’un boxeur et a frappé l’AI sur le nez et dans l’allégation du plaignant selon laquelle l’AI lui a donné de multiples coups de genou dans le dos et que c’est cela qui lui a causé sa blessure. L’AI nie catégoriquement avoir donné des coups de genou sur le dos du plaignant ou n’importe où ailleurs sur son corps, mais le plaignant et l’AI conviennent que l’AI a mis le plaignant au sol et a atterri au‐dessus de lui. Dans ces circonstances particulières, où tous les témoins ont dit qu’il faisait très noir dehors et qu’il pleuvait, où l’AI et le plaignant étaient apparemment en train de s’enliser dans la boue, où l’AI n’arrêtait pas de crier au plaignant des commandes dont celui‐ci ne faisait aucun cas, où l’on entend en arrière plan l’AT no 6 crier qu’il était électrocuté et où, à un moment donné, pour une raison quelconque, la répartitrice dit sur la radio qu’il a une arme à feu, j’imagine bien que toute la scène était extrêmement chaotique. Chacune des personnes en cause a dû avoir une poussée d’adrénaline dans ce qui a dû être une expérience très effrayante tant pour l’AI, qui ignorait si des renforts allaient venir pour l’aider, que pour le plaignant, qui était sur le sol avec l’AI sur son dos et qui recevait des coups à la tête.

À la lumière de cette preuve, conjuguée aux dossiers médicaux, je suis enclin à retenir le témoignage de l’AI, qui a été très franc en admettant qu’il avait frappé le plaignant à la tête à maintes reprises et qu’il n’avait donc aucune raison logique de nier qu’il aurait administré des coups de genou sur le dos du plaignant, ce qui aurait été tout à fait justifié dans les circonstances. J’estime aussi que le témoignage de l’AT no 2 selon lequel il a remarqué que les yeux de l’AI étaient un peu enflés concorde avec le témoignage de l’AI selon lequel il a été frappé par le plaignant. En outre, je conclus, à la lumière des dossiers médicaux, que le plaignant n’a pas subi de blessure au dos en raison de cet incident, mais qu’il a pu par erreur considérer l’atterrissage de l’AI au‐dessus de lui comme des coups donnés sur son dos. Quel que soit ce qui est arrivé au dos du plaignant, il ressort clairement des dossiers médicaux que ce n’est pas l’emploi d’une telle force qui a causé au plaignant une blessure aigue.

En vertu du paragraphe 25(1) du Code criminel, les agents de police peuvent seulement recourir à la force qui est raisonnablement nécessaire dans l’exécution d’une obligation légale. En ce qui concerne tout d’abord la légalité de l’appréhension du plaignant, il est clair, selon la déclaration de l’AI et ce que le plaignant a ouvertement reconnu, que le plaignant était visé par de nombreux mandats d’arrestation. Par conséquent, la poursuite et l’appréhension du plaignant étaient légalement justifiées dans les circonstances.

En ce qui a trait à la force employée par l’AI dans ses tentatives d’appréhender, de maîtriser et d’arrêter le plaignant, je conclus que ses actions étaient justifiées dans les circonstances et qu’il n’a pas employé plus de force que nécessaire pour maîtriser le plaignant, qui, à l’évidence, avait l’intention de fuir la police et était prêt à ne ménager aucun effort pour atteindre son but. Compte tenu du fait que le plaignant a forcé l’AI à le poursuivre à pied dans l’obscurité et à travers des champs boueux, qu’il a enjambé deux clôtures électriques et qu’il a continué de fuir après que l’AI lui eut maintes fois crié de s’arrêter et ait déchargé son arme à impulsions, il est clair que le plaignant cherchait à tout prix ou presque à éviter d’être appréhendé. Lorsque l’AI a plaqué le plaignant au sol et que le plaignant n’a pas dégagé ses mains et qu’en plus il a été annoncé sur la radio qu’il y avait une arme en cause, je ne doute absolument pas que l’AI a beaucoup craint pour sa sécurité et la présence possible d’une arme. De plus, le fait qu’on entendait en arrière plan l’AT no 6 crier qu’il était en train d’être électrocuté, conjugué à la possibilité très réelle envisagée par l’AI que toute aide qui arriverait serait dirigée vers l’AT no 6 pour le secourir, laissant l’AI sans assistance pour s’occuper du plaignant, me font conclure, sans qu’il y ait de doute dans mon esprit, que l’AI a jugé nécessaire de maîtriser et menotter le plaignant aussi rapidement que possible afin d’éliminer le risque qu’il continuait de poser jusqu’à ce que l’on trouve sur lui une arme éventuelle, qu’on la lui retire et que le plaignant soit complètement menotté.

Tout en concluant que le plaignant n’a pas subi de blessure au dos en raison de son interaction avec l’AI et que l’AI n’a pas donné de coups de genou au dos du plaignant, j’estime que, même si cela avait été le cas, je n’aurais pas davantage pu conclure que l’AI aurait employé une force excessive. Pour en arriver à cette conclusion, j’ai pris en considération l’orientation donnée tant par la Cour suprême du Canada que par la Cour d’appel de l’Ontario pour ce qui est de soupeser la force d’intervention des agents de police dans des situations telles que celle dans laquelle l’AI s’est lui‐même trouvé. Dans l’arrêt R. c. Nasogaluak, [2010] 1R.C.S. 206, la Cour suprême du Canada établit les paramètres suivants :

Les actes des policiers ne devraient pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Il ne faut pas oublier que ceux‐ci accomplissent un travail exigeant et dangereux et qu’ils doivent souvent réagir à des situations urgentes. Leurs actes doivent alors être appréciés selon ce que commande ce contexte difficile. Comme le juge Anderson l’explique dans R. v. Bottrell (1981), 60C.C.C. (2d) 211 (C. A. C.‐B.) :

[traduction] Pour déterminer si la force employée par le policier était nécessaire, les jurés doivent tenir compte des circonstances dans lesquelles le policier y a eu recours. Il aurait fallu leur indiquer qu’on ne pouvait pas s’attendre à ce que l’appelant mesure la force appliquée avec précision. [p. 218]

De plus, j’ai tenu compte de la décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire R. c. Baxter (1975), 27 C.C.C. (2d) 96 (C.A. de l’Ont.), qui établit que l’on ne peut pas s’attendre à ce que les policiers apprécient avec exactitude le degré de force qu’ils emploient dans leur intervention. Dans ce dossier, il est clair que la force employée par l’AI a progressé de façon mesurée et proportionnée pour neutraliser et vaincre la résistance du plaignant ainsi que son désir irrépressible de fuir la police et que cette force est demeurée dans les limites de ce qui était raisonnablement nécessaire dans les circonstances pour procéder à la mise sous garde légale du plaignant.

En dernière analyse, je suis convaincu, pour les motifs qui précèdent, que la mise sous détention du plaignant et la manière dont cela s’est fait étaient légales malgré la blessure qu’il a peut‐être subie, même si j’en venais à conclure que l’AI avait causé la blessure, ce que je ne suis pas enclin à faire. Je suis donc convaincu, pour des motifs raisonnables dans ce dossier, que les gestes posés par l’AI étaient dans les limites prescrites par le droit criminel et qu’il n’y a pas lieu de porter des accusations en l’espèce.

Date : 10 janvier 2018

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) [1] Le TC no 1 est un membre du Service des incendies de Stratford et a prêté assistance dans le traitement prodigué à l’AT no 6. Son témoignage est strictement lié aux premiers soins. [Retour au texte]
  • 2) [2] Le TC no 2 est le chef-adjoint du Service des incendies de Stratford et a supervisé le sauvetage de l’AT no 6. [Retour au texte]
  • 3) [3] Il a ultérieurement été établi que c’est en fait la TC no 3 qui était la conductrice de la Corvette. [Retour au texte]

Note:

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