Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 17-TCD-046

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu une allégation d’agression sexuelle.

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Le présent rapport décrit l’enquête de l’UES sur le décès d’un homme âgé de 20 ans survenu le 8 mars 2017.

L’enquête

Notification de l’UES

Le 8 mars 2017, à 19 h 50, le Service de police de Toronto (SPT) a informé l’UES de la mort du plaignant survenue durant sa mise sous garde.

Le SPT a déclaré que le mercredi 8 mars 2017, à 18 h 49, un parent du plaignant [dont on sait maintenant qu’il s’agissait du TC no 1] a appelé le 9‐1‐1 pour signaler que le plaignant s’était enfermé à l’intérieur de leur appartement situé au 12e étage, où le TC no 1 et le plaignant habitaient, et que le plaignant voulait se suicider. À 18 h 56, des agents du SPT [dont on sait maintenant qu’il s’agissait de l’agent témoin (AT) no 3 et de l’AT no 4] sont arrivés à l’immeuble d’habitation et, à un moment donné, sont entrés dans l’appartement. Le plaignant a couru vers le balcon et en a sauté à 19 h 22.

Par erreur, le plaignant avait été déclaré par le SPT comme étant vivant et étant transporté d’urgence à l’hôpital au moment de cette constatation, alors qu’en fait son décès a été constaté sur les lieux.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 5

Nombre d’enquêteurs judiciaires de l’UES assignés : 3

Les enquêteurs judiciaires (EJ) de l’UES se sont rendus sur les lieux et ont repéré et préservé les éléments de preuve. Ils ont documenté les lieux pertinents associés à l’incident au moyen de notes, de photographies, de vidéographie, de croquis et de mesures. Les EJ ont assisté à l’autopsie et l’ont enregistrée et ont aidé à soumettre les éléments de preuve au Centre des sciences judiciaires (CSJ).

Plaignant :

Homme âgé de 20 ans, décédé

Témoins civils (TC)

TC no 1 A participé à une entrevue

TC no 2 A participé à une entrevue

TC no 3 A participé à une entrevue

TC no 4 A participé à une entrevue

TC no 5 A participé à une entrevue

Agents témoins (AT)

AT no 1 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées

AT no 2 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées

AT no 3 A participé à une entrevue

AT no 4 A participé à une entrevue

AT no 5 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées

AT no 6 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées

AT no 7 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées

AT no 8 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées

Agents impliqués (AI)

AI A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

Description de l’incident

Le 8 mars 2017, en début de soirée, le plaignant et le TC no 1 étaient chez eux, dans leur appartement du 12e étage, dans la ville de Toronto. Le plaignant est devenu de plus en plus agité et a exprimé des idées suicidaires. Il a ensuite verrouillé l’appartement de l’intérieur en laissant le TC no 1 à l’extérieur. Depuis le couloir de l’étage, le TC no 1 a appelé le service 9‐1‐1 pour obtenir de l’aide.

L’AT no 3 et l’AT no 4 ont été les premiers agents à arriver sur place. Le plaignant a refusé d’enlever la chaîne de sécurité de la porte. L’AT no 3 a parlé au plaignant à travers la porte entrebâillée pour essayer de le convaincre de déverrouiller la porte et de permettre aux agents d’entrer dans l’appartement, mais sans succès.

L’AI est arrivé sur les lieux. Croyant que le plaignant était dans un état de réelle détresse et qu’il fallait que les agents entrent dans l’appartement, l’AT no 3, avec son épaule, a forcé l’ouverture de la porte. Une fois à l’intérieur de l’appartement, l’AI et l’AT no 4 sont restés hors de la vue du plaignant et seul l’AT no 3 a parlé au plaignant. Le plaignant devenait de plus en plus désemparé et a quitté l’entrée de l’appartement pour aller jusqu’au seuil séparant l’appartement de son balcon. Pendant que l’AT no 3 poursuivait son dialogue avec le plaignant, le plaignant ouvrait et fermait la porte du balcon, commençant parfois à enjamber la balustrade du balcon et menaçant de sauter.

Le plaignant a demandé à parler à l’AI et a déclaré qu’il fallait que la police le tue. Inquiet par les mouvements du plaignant sur le balcon et voulant temporairement paralyser le plaignant afin qu’il puisse le mettre sous garde, l’AI a déployé son arme à impulsions et l’a déchargée sur le plaignant. Malheureusement, les dards de l’arme à impulsions ont complètement manqué leur cible, se perdant dans le rideau en tissu, et le plaignant a couru sur le balcon et en a sauté. Il a fait une chute de douze étages et son décès a été prononcé sur les lieux.

Preuve

Les lieux de l’incident

La résidence du plaignant et du TC no 1 est un appartement de deux chambres à coucher situé au 12e étage de l’immeuble. À partir de la porte d’entrée, les deux chambres et une salle de bains se trouvent côté ouest et le salon et la cuisine, côté est. Dans le salon, deux fauteuils inclinables en cuir sont disposés contre le mur côté ouest. Le long du mur côté nord, sous la fenêtre, se trouvait une causeuse inclinable en cuir avec une console entre les deux sièges. Un fauteuil inclinable en cuir se trouvait sur le mur côté est, mais à une certaine distance par rapport au centre de la pièce.

La porte du balcon se trouvait dans l’angle nord‐est du salon. Un rideau couvrait partiellement le côté est de la porte de balcon. Le balcon lui‐même n’était pas éclairé et il n’y avait rien qui avait une valeur probante sur le balcon. On a mesuré le balcon, qui faisait 1,68 mètre sur 5,96 mètres.

Au centre du salon, sur le tapis, se trouvait une petite cartouche noire d’arme à impulsions avec le fil qui lui est associé. Sur le plancher du salon et sur deux fauteuils, il y avait plusieurs petits dépôts d’AFID (Anti Felon Identification Tag), des genres de confettis qui sont projetés de la cartouche lorsque l’arme à impulsions est déployée. Dans le rideau couvrant la porte du balcon se trouvaient les deux dards de couleur argentée de l’arme à impulsions. L’un des dards était encore attaché à son fil, tandis que l’autre n’avait aucun fil d’attaché à lui.

Schéma des lieux

schéma des lieux

Preuve matérielle

TaserMD modèle X2

Cette arme à impulsions a été utilisée par l’AI. Les données que l’EJ de l’UES a tirées de l’arme à impulsions le 9 mars 2017, à 3 h 11 m 41 s, ont permis d’obtenir l’information suivante.

Le 14 octobre 2015, à 14 h 42 m 56 s, l’arme à impulsions a été activée pour la première fois. À 14 h 43 m 42 s, il y a eu un « événement » de « réinitialisation » de l’arme à impulsions, qui est défini par les données comme étant une « réinitialisation pour cause de batterie faible » et enregistré sous le numéro de séquence 12. À 14 h 55 m 01 s, il y a eu un événement de « remplacement de la batterie au lithium » enregistré sous le numéro de séquence 13. À 14 h 55 m 01 s, l’arme à impulsions a été « armée » et l’événement a été enregistré sous le numéro de séquence 14. À 14 h 55 m 02 s, en mode de formation, la détente a été appuyée pour la première fois et l’événement a été enregistré sous le numéro de séquence 15. L’arme a tiré son énergie de sa batterie rechargeable intégrale qui, au moment pertinent, était chargée à 100 %.

Entre le 14 octobre 2015, à 14 h 55 m 02 s, et le 8 mars 2017, à 19 h 22 m 49 s, moment où l’AI a déchargé l’arme à impulsions sur le plaignant, l’arme à impulsions avait eu 1 607 événements séquencés. Au moment où l’arme à impulsions a été déchargée, la batterie a été enregistrée comme ayant encore 51 % de sa charge.

Preuve criminalistique

Le rapport toxicologique du CSJ concernant l’analyse du sang du plaignant prélevé dans son cœur durant l’autopsie indiquait la présence de tétrahydrocannabinol (THC), la principale substance psychoactive des produits du cannabis, comme la marijuana et le hachisch.

Preuve d’expert

L’autopsie a été pratiquée le 10 mars 2017 au CSG, à Toronto. Il a été déterminé de façon préliminaire que la cause du décès était de multiples blessures contondantes. Le médecin légiste a inclus les remarques suivantes dans son rapport : [traduction] « Les caractéristiques des blessures n’indiquent pas qu’il y a eu altercation. La meilleure explication possible pour les blessures est une chute d’une certaine hauteur. »

Preuve vidéo/audio/photographique

L’UES a examiné les alentours à la recherche d’éventuels enregistrements vidéo ou audio et preuves photographiques, mais elle n’en a pas trouvé.

Éléments obtenus du service de police

L’UES a demandé au SPT les éléments et documents suivants, qu’elle a obtenus et examinés :

  • peloton divisionnaire – fiche de service du quart de soir
  • enregistrements des communications
  • rapport sur les détails de l’événement
  • notes de l’AT no1, l’AT no 2, l’AT no 3, l’AT no 4, l’AT no 5, l’AT no 6, l’AT no 7 et l’AT no 8
  • rapport des fiches de service
  • procédure – Personnes perturbées émotionnellement
  • procédure – Emploi de la force
  • données du Taser X2

Dispositions législatives pertinentes

219 (1) Est coupable de négligence criminelle quiconque :

  1. soit en faisant quelque chose
  2. soit en omettant de faire quelque chose qu’il est de son devoir d’accomplir

montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui.

(2) Pour l’application du présent article, devoir désigne une obligation imposée par la loi.

220 Quiconque, par négligence criminelle, cause la mort d’une autre personne est coupable d’un acte criminel passible :

  1. s’il y a usage d’une arme à feu lors de la perpétration de l’infraction, de l’emprisonnement à perpétuité, la peine minimale étant de quatre ans
  2. dans les autres cas, de l’emprisonnement à perpétuité

Analyse et décision du directeur

Le 8 mars 2017, à 18 h 49 m 11 s, le SPT a reçu un appel 9‐1‐1 émanant du TC no 1, qui demandait à la police d’intervenir car le plaignant menaçait de se suicider et avait enfermé le TC no 1 à l’extérieur de leur appartement du 12e étage, dans la ville de Toronto. À 18 h 50 m 09 s, les AT nos 3 et 4 et l’ambulance ont été envoyés sur les lieux. En chemin, l’AT no 4 a demandé que l’on envoie aussi l’équipe mobile d’intervention d’urgence du SPT, qui se compose d’un agent de police et d’une infirmière spécialisée en santé mentale. À 18 h 53 m 27 s, l’AI a été envoyé et à 18 h 53 m 33 s, l’équipe mobile a été envoyée. À 18 h 56 m 03 s, l’AT no 3 et l’AT no 4 sont arrivés sur les lieux et sont immédiatement montés au 12e étage, où ils se sont présentés à la porte de l’appartement et ont parlé au TC no 1, qui se trouvait à l’extérieur de l’appartement. Le TC no 1 a confirmé l’information qu’il avait fournie au répartiteur du service 9‐1‐1. Le TC no 1 a déverrouillé la serrure à pêne dormant de l’appartement, mais il y avait encore un loquet intérieur qui empêchait la porte de s’ouvrir de plus de trois ou quatre pouces [97,62 à 10,16 centimètres]. L’AT no 3 a ouvert la porte et essayé de désengager le loquet intérieur lorsque, alors qu’il était sur le point d’y parvenir, le plaignant a refermé la porte de l’intérieur. Lorsque l’AT no 3 a rouvert la porte, le plaignant leur a demandé pourquoi ils étaient là et l’AT no 3 lui a expliqué que le TC no 1 s’inquiétait pour lui et les avait appelés et qu’ils voulaient simplement s’assurer qu’il allait bien. Le plaignant a de nouveau fermé la porte et l’AT no 3 l’a rouverte à nouveau et lui a demandé s’il pouvait lui parler face à face à l’intérieur de l’appartement, mais le plaignant a refusé, disant [traduction] « Je vais bien. Je ne veux pas vous parler. » Pendant dix minutes environ, le plaignant a ouvert et fermé la porte d’entrée à plusieurs reprises pendant que l’AT no 3 essayait de l’inciter à ouvrir complètement la porte afin qu’ils puissent parler et qu’il essayait simultanément de désengager le loquet intérieur. L’AT no 3 a indiqué qu’il ne voulait pas entrer dans l’appartement en enfonçant la porte car cela aurait pu faire sursauter le plaignant et faire empirer la situation. L’AT no 3 a estimé qu’une entrée calme était la façon d’amorcer une communication et, espérait‐il, de désamorcer la situation.

À 19 h 00 m 02 s, l’AI est arrivé au 12e étage et a avisé l’AT no 3 et l’AT no 4 qu’il était temps d’entrer dans l’appartement. L’AI avait apporté un bélier avec lui, mais l’AT no 3 a poussé la porte de son épaule et le loquet secondaire a cédé, puis il est entré dans l’appartement.

Une fois les trois agents de police à l’intérieur de l’appartement, ils ont observé le plaignant qui était debout devant un canapé et il leur a dit [traduction] « Ne venez pas plus près » tout en se dirigeant lentement vers la porte du balcon qui était grande ouverte. Le TC no 1 est resté à l’extérieur de l’appartement et au bout du couloir. L’AT no 3 a constamment essayé de rassurer le plaignant en lui disant qu’il n’avait aucun ennui avec les autorités et qu’on voulait simplement lui parler et s’assurer qu’il allait bien. Le plaignant a de nouveau averti l’AT no 3 de ne pas s’approcher davantage et l’AT no 3 a reculé dans la cuisine, d’où il pouvait encore voir le plaignant et la porte du balcon. L’AI et l’AT no 4 sont restés dans le couloir de l’étage, hors de la vue de l’AT no 3 et du plaignant. Le plaignant a pris position dans l’embrasure de la porte du balcon et se tenait à la porte du balcon. L’AT no 3, conformément au vÅ“u du plaignant, lui a promis qu’il resterait dans la cuisine et a continué d’essayer d’engager une conversation avec le plaignant en parlant d’une voix calme et en donnant de nouveau au plaignant l’assurance qu’il ne voulait pas qu’il se blesse et qu’il voulait simplement obtenir sa version de l’histoire. Lorsque l’AT no 3 a parlé du TC no 1 au plaignant, celui‐ci est devenu agité et en colère, si bien que l’AT no 3 a ensuite évité ce sujet. De façon répétée, le plaignant a parlé aux agents d’un scénario dans lequel ils lui tireraient dessus pour le tuer ou ils le crucifieraient. À un moment donné, le plaignant a commencé à parler de l’eau qu’il y avait partout, et les agents ont supposé qu’il était en train d’halluciner.

Cette preuve est confirmée par l’enregistrement des communications radio lorsque, à 19 h 11 m 36 s, on entend l’AI dire qu’ils se trouvent à l’intérieur de l’appartement, que l’homme est en détresse et qu’ils essayaient de lui parler.

L’AT no 3 a essayé d’aborder de nombreux sujets susceptibles d’intéresser le sujet afin de le distraire de son intention déclarée de se tuer, mais le plaignant n’a pas engagé la conversation et a évoqué à répétition le scénario dans lequel la police lui tirerait dessus. À un moment donné, le plaignant a ouvert la porte du balcon et l’AI et l’AT no 4 lui ont demandé de ne pas sortir sur le balcon, mais il l’a quand même fait et a refermé la porte derrière lui. Les trois agents ont alors crié au plaignant de revenir à l’intérieur. L’AI et l’AT no 4 ont fait trois pas en avant vers le balcon, lorsque le plaignant a regardé à travers la fenêtre et leur a crié de rester en arrière. L’AT no 3 ne s’est pas avancé vers la porte du balcon de crainte que le plaignant le voie et qu’il saute, tandis que l’AI et l’AT no 4 ont reculé et ont repris leurs positions initiales. Cinq à six secondes après, le plaignant est réapparu dans l’embrasure de la porte du balcon et a demandé aux policiers pourquoi ils ne lui tiraient pas dessus. L’AT no 3 a continué de le rassurer en lui disant qu’ils n’allaient pas tirer sur lui et qu’il n’irait pas non plus en prison car il n’avait rien fait de mal. L’AT no 3 a alors jugé qu’il ne faisait pas de progrès avec le plaignant et lui a demandé s’il voulait parler à quelqu’un d’autre, ce à quoi le plaignant a répondu qu’il voulait parler à l’AI et l’AT no 4. Le plaignant a alors fait face à ces deux agents et leur a déclaré qu’il allait sauter. L’AT no 3 est retourné à sa position initiale et a dit au plaignant qu’une infirmière et un ambulancier allaient bientôt arriver s’il voulait leur parler.

Cette preuve est confirmée par l’enregistrement de communications radio dans lequel on entend, à 19 h 11 m 43 s, l’AI déclarer que le plaignant fait des allées et venues entre le balcon et l’appartement et que chaque fois que les agents s’approchent de lui, il menace de sauter et que s’ils n’arrivaient pas à s’approcher de lui, ils auraient besoin de l’équipe d’intervention d’urgence (EIU).

Le plaignant a alors indiqué qu’il souhaitait parler au TC no 1, et l’AT no 3 a tenté de négocier avec le plaignant en lui disant que s’il pouvait entrer et s’assoir sur le canapé, on irait chercher le TC no 1. Le plaignant a toutefois refusé de négocier ou de s’éloigner de la porte du balcon, indiquant plutôt qu’il voulait que le TC no 1 voie cela, ce que les agents de police ont interprété comme signifiant que le plaignant voulait que le TC no 1 le voie sauter du balcon. L’AT no 4 est sorti de l’appartement en donnant l’impression qu’il allait chercher le TC no 1 et, lorsqu’il est revenu, l’AT no 3 et lui ont remarqué que l’AI avait son arme à impulsions sortie mais qu’il la cachait de la vue du plaignant, et chaque agent a, de façon indépendante, examiné la façon la plus rapide de se rendre jusqu’au plaignant une fois que l’arme à impulsions aurait été déployée. L’AI a également formulé un plan visant à paralyser le plaignant au moyen de l’arme à impulsions afin de donner à l’AT no 3 et l’AT no 4 le temps d’appréhender le plaignant avant qu’il n’ait la possibilité de sauter. L’AI a sorti son arme à impulsions, l’a activée pour qu’elle soit prête à être déchargée, l’a cachée de la vue du plaignant et a attendu l’occasion de la décharger.

Le plaignant a franchi la porte du balcon, a mis le capuchon de son chandail sur la tête et a pris de très profondes respirations. À ce moment‐là, les trois policiers ont cru que le plaignant rassemblait ses forces pour se donner le courage de sauter. L’AI a saisi cette occasion pour lever le bras afin de décharger l’arme à impulsions, mais apparemment ce mouvement a été vu par le plaignant et, lorsque l’AI a déchargé l’arme à impulsions, il a manqué sa cible et le plaignant s’est retourné, a ouvert la porte, s’est précipité sur le balcon et s’est projeté au‐dessus de la balustrade. Le plaignant a été entendu en train de crier comme il chutait des douze étages, avant de s’écraser sur le sol. Les trois agents ont d’abord été en état de choc, puis ils ont vu que les dards de l’arme à impulsions s’étaient pris dans le rideau à côté de la porte du balcon.

À 19 h 20 m 34 s, on entend, sur le registre des communications radio, l’équipe mobile d’intervention d’urgence indiquer qu’elle est arrivée sur les lieux, mais avant qu’elle ne monte au 12e étage, à 19 h 22 m 41 s, on entend l’AI déclarer que le plaignant avait sauté.

À 19 h 57 m 52 s, le décès du plaignant a été constaté sur place. De façon préliminaire, il a été déterminé que de multiples blessures contondantes avaient été la cause de la mort du plaignant. À cette constatation, le rapport d’autopsie ajoute que [traduction] « Les caractéristiques des blessures n’indiquent pas qu’il y a eu altercation. La meilleure explication possible pour les blessures est une chute d’une certaine hauteur. »

À la lumière de cette preuve, je conclus que la mort du plaignant a été causée par ses propres gestes, sans aucune implication directe de la part des agents de police présents, que l’AT no 3, et l’AT no 4 ainsi que l’AI s’acquittaient de leurs fonctions prescrites lorsqu’ils se sont rendus à l’appartement pour tenter de dissuader le plaignant de donner suite à ses intentions et qu’à aucun moment il n’y a eu entre un agent et le plaignant un quelconque contact physique direct ou une quelconque interaction verbale qui, de quelque façon que ce soit, aurait pu être interprétée comme ayant déclenché les gestes du plaignant. La chronologie des événements telle que l’ont décrite les trois policiers présents avec le plaignant dans l’appartement est confirmée par les cinq témoins civils qui ont vu ou entendu diverses parties de l’interaction du plaignant avec la police ou qui l’ont vu tomber du balcon après le déchargement de l’arme à impulsions. Il ressort clairement de ces éléments de preuve que le plaignant, qui aurait pu initialement être décrit comme étant indécis, est devenu plus résolu au fil du temps, prenant apparemment son courage à deux mains pour mettre fin à ses jours et forçant l’AI à formuler un plan qui pouvait paralyser de façon sécuritaire le plaignant, permettant ainsi à l’AT no 3 et l’AT no 4 de se précipiter sur le plaignant et de l’empêcher de s’enlever la vie. Malheureusement, aucun plan n’est parfait et le plaignant semble avoir anticipé l’intention de l’AI lorsqu’il a vu ce dernier lever son bras pour décharger son arme à impulsions, et soit le plaignant a pu esquiver les dards de l’arme à impulsions, soit l’AI a simplement manqué sa cible en raison d’un matériel défectueux ou simplement d’un déploiement faible ou imprécis de l’arme à impulsions. Quelle que soit la raison, l’arme à impulsions s’est avérée inefficace et, anticipant que les agents allaient contrecarrer son désir de s’ôter la vie, le plaignant est passé à l’acte et a sauté du balcon avant que la police ne puisse intervenir et l’en empêcher. Il ressort clairement de l’ensemble de la preuve que le plaignant était très troublé et qu’il était en état de crise psychologique. D’après les observations des policiers, il semble aussi que le plaignant était probablement en train d’halluciner et qu’il se peut qu’il n’ait pas pleinement mesurer les conséquences de ses actes.

Compte tenu de ces faits, la question à trancher est de savoir s’il y a des motifs raisonnables de croire que l’un ou l’autre des agents présents dans l’appartement durant la période qui a abouti au saut du plaignant dans lequel il a trouvé la mort a commis une infraction criminelle, en l’occurrence si les actions des agents ont constitué de la négligence criminelle causant la mort en contravention de l’article 220 du Code criminel.

La Cour d’appel de l’Ontario, dans sa décision R. c. Sharp (1984), 12 C.C.C. (3d) 426 (C.A. de l’Ont.), établit le critère relatif à la négligence criminelle comme nécessitant « un écart marqué et important par rapport à la norme de la personne raisonnable dans des circonstances » où l’accusé « a fait preuve d’une insouciance téméraire à l’égard de la vie et de la sécurité d’autrui. »

Compte tenu de l’ensemble de la preuve, je conclus que les trois agents de police qui se sont présentés à l’appartement l’ont fait dans le but de dissuader le plaignant de s’enlever la vie. Bien qu’il se pourrait que la vie du plaignant ait pu être sauvée si l’AI n’avait pas échoué dans sa tentative de paralyser le plaignant en déchargeant sur lui son arme à impulsions, je ne saurais conclure que le geste de l’AI a constitué un écart marqué et important par rapport à la norme de la personne raisonnable en pareilles circonstances ni que l’AI a fait preuve d’une insouciance téméraire à l’égard de la vie et de la sécurité d’autrui, en l’occurrence la vie du plaignant. Il ressort clairement de la preuve que l’AI s’est fié à son expérience et à ses connaissances pour formuler le plan le mieux adapté à cette situation particulière et sans doute le plus susceptible de réussir pour sauver la vie du plaignant. Les circonstances étaient tendues, se déroulaient rapidement et étaient très stressantes. Le plaignant n’avait pas donné suite aux nombreux efforts que les trois agents ont faits pour converser avec lui ou le détourner de son intention déclarée. Bien que l’opération n’ait pas réussi et qu’il y a eu une tragique perte de vie, je ne puis conclure que cela fonde des motifs raisonnables de croire que l’AI, ou l’un ou l’autre des agents présents, ait agi d’une façon qui constituait un écart marqué et important par rapport à la norme de la personne raisonnable. J’estime que toute personne raisonnable aurait probablement agi exactement de la même façon que ces agents et qu’ils n’ont pas fait preuve d’une insouciance téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité du plaignant. Pendant toute la durée de leur présence dans l’appartement, leurs actions visaient toutes à sauver la vie du plaignant malgré les propres intentions de ce dernier de faire échouer la police à cet égard.

En ce qui a trait à la mauvaise décharge de l’arme à impulsions, je garde en outre à l’esprit le droit applicable tel qu’il a été énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Nasogaluak, [2010] 1 R.C.S. 206, qui dit ceci :

Les actes des policiers ne devraient pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Il ne faut pas oublier que ceux‐ci accomplissent un travail exigeant et dangereux et qu’ils doivent souvent réagir rapidement à des situations urgentes.

En dernière analyse, je ne trouve aucun motif, raisonnable ou autre, qui puisse porter à conclure à une conduite criminelle de la part de l’un ou l’autre des trois policiers qui se sont rendus à l’appartement pour essayer de sauver la vie du plaignant. Malgré la perte tragique d’une vie, les agents à qui l’on a confié l’intervention dans cette situation ont suivi toutes les procédures établies dans leurs lignes directrices et ne sauraient être tenus responsables des gestes que le plaignant a posés pour réaliser son intention de mettre fin à ses jours. Par conséquent, il n’y a en l’espèce aucun motif raisonnable de déposer des accusations au criminel.

Date : 16 janvier 2018

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.