Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 17-TCI-090

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu à une allégation d’agression sexuelle.

Les « blessures graves » englobent celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, a priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant que la gravité de la blessure puisse être évaluée, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider de l’envergure de son intervention.

Ce rapport décrit l’enquête de l’UES sur la blessure grave subie par une femme de 61 ans lors de son interaction avec la police le 23 avril 2017.

L’enquête

Notification de l’UES

Le 23 avril 2017, à 6 h 30, le Service de police de Toronto (SPT) a informé l’UES d’une blessure grave qui était survenue durant une mise sous garde plus tôt ce matin‐là.

Le SPT a signalé qu’à 0 h 42, des agents de police s’étaient rendus à un appartement où une femme était en détresse. La femme a brandi un couteau lorsqu’elle a été confrontée par les agents de police. Après que ces derniers avaient utilisé sans succès une arme à impulsions, la femme s’est barricadée à l’intérieur de l’appartement. Une équipe d’intervention d’urgence (EIU) a été envoyée sur place. L’EIU est entrée de force dans l’appartement et a également utilisé une arme à impulsions, en vain. La femme s’est barricadée dans la salle de bain et des membres de l’EIU ont tenté d’envoyer du gaz sous la porte. Lorsque les membres de l’EIU ont forcé la porte de la salle de bain, ils ont découvert que la femme avait sauté dans un bain rempli d’eau brûlante.

La femme a été transportée à l’hôpital avec des brûlures au deuxième degré sur 60 % de son corps.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 4

Nombre d’enquêteurs judiciaires de l’UES assignés : 1

L’enquêteur judiciaire de l’UES s’est rendu sur les lieux de l’incident et a repéré et préservé les preuves. Il a documenté les scènes pertinentes liées à l’incident au moyen de notes, de photographies, de vidéographie, de croquis et de mesures.

Plaignant

Femme de 61 ans interrogée, dossiers médicaux obtenus et examinés

Témoins civils (TC)

Aucun

Agents témoins (AT)

AT no 1 A participé à une entrevue

AT no 2 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées[1]

AT no 3 A participé à une entrevue

AT no 4 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées[2]

AT no 5 A participé à une entrevue

AT no 6 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées[3]

AT no 7 A participé à une entrevue

AT no 8 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées[4]

AT no 9 A participé à une entrevue

AT no 10 A participé à une entrevue

AT no 11 A participé à une entrevue

Agent impliqué (AI)

AI N’a pas consenti à participer à une entrevue et à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué

Description de l’incident

Peu après minuit le 23 avril 2017, la plaignante a appelé le numéro 9‐1‐1 à de nombreuses reprises. Des agents du SPT se sont présentés à l’appartement de la plaignante, juste avant 3 h. Les agents ont frappé à la porte de l’appartement alors que la plaignante continuait d’appeler le numéro 9‐1‐1. Les agents de police ne pouvaient entrer dans l’appartement, du fait que la serrure de la porte de l’unité avait été changée. Les agents de police n’ont vu personne se déplacer à l’intérieur de l’appartement de l’extérieur, mais on pouvait entendre les coups frappés à la porte durant les appels au numéro 9‐1‐1.

Le Service d’incendie de Toronto (SIT) est arrivé et a forcé la porte de l’appartement. Les agents sont entrés et ont constaté qu’une corde avait été attachée entre la poignée de la porte et une étagère. Comme personne ne semblait se trouver dans l’appartement, mais que la porte de la salle de bain était verrouillée, le SIT a forcé la porte de cette pièce.

La plaignante se trouvait dans la salle de bain. Elle était armée d’un couteau. La plaignante a hurlé et s’est lancée en avant vers l’AT no 9. L’AT no 9 a utilisé son arme à impulsions contre la plaignante, mais sans aucun effet. Les agents ont confiné la plaignante dans la salle de bain jusqu’à l’arrivée de l’EIU.

Une fois que les membres de l’EIU étaient dans l’appartement, plusieurs armes à impulsions ont été utilisées par des trous forés dans la porte de la salle de bain. La plaignante a continué d’envoyer des coups de couteau dans la direction des agents par les trous dans la porte. Les agents ont également envoyé du gaz lacrymogène à travers la porte.

À un moment donné, les agents ont vu la plaignante monter dans la baignoire remplie d’eau tout en continuant à tenir le couteau. À ce moment‐là, l’AI, muni d’un bouclier, et l’AT no 1 sont entrés dans la salle de bain. La plaignante continuait d’envoyer des coups de couteau vers les agents, et par conséquent, l’AI l’a plaquée avec le bouclier et l’AT no 1 a utilisé son arme à impulsions. L’AT no 1 a saisi le couteau, et la plaignante a immédiatement été retirée de l’eau et on a appelé les ambulanciers paramédicaux.

La plaignante a été admise à l’hôpital où, selon le diagnostic, elle avait des brûlures au deuxième et au troisième degré sur 75 % de la surface totale de son corps, et elle a été reliée à un ventilateur.

Preuve

Les lieux de l’incident

L’incident est survenu dans un appartement au 6e étage d’un immeuble dans le secteur de North York à Toronto. La plaignante était l’unique occupante de l’appartement, qui se composait d’une cuisine et salle à manger et d’un salon, d’une chambre à coucher et d’une salle de bain.

Au moment de l’examen des lieux par l’UES, il y avait une forte odeur d’un incapacitant[5] dans l’air. La porte de la salle de bain avait été sortie de ses gonds et coupée en deux. Il y avait deux trous circulaires reliés entre eux et une série de trous circulaires également reliés entre eux dans la partie supérieure de la porte, coupant celle-ci en deux. Du côté intérieur de la porte (du côté de la salle de bain), les deux trous circulaires reliés entre eux étaient entourés de taches noires ressemblant à de la suie. C’est par cette ouverture que le gaz lacrymogène avait été envoyé.

On a trouvé des cartouches d’armes à impulsions sur les lieux ainsi que 12 dards avec les fils. On n’a pas apparié les cartouches, dards, fils ou confettis aux différentes armes à impulsions.

On a aussi recueilli une seule cartouche vide provenant du fusil à gaz .

Deux couteaux ont été découverts et mis en lieu sûr. Un couteau de couleur bleue/verte ayant une lame de 8 pouces [20 cm] se trouvait dans la cuisine. Il y avait également un couteau dans la corbeille à déchets, dans la salle de bain. Ce couteau avait une lame en métal mesurant 8 pouces [20 cm]. Voici des photographies des deux couteaux :

photographies des deux couteaux

photographies des deux couteaux

La salle de bain était en désordre. La tringle et le rideau de la douche étaient tombés dans la baignoire. Sur le pourtour intérieur de la baignoire, il y avait un anneau de coloration distinct qui semblait indiquer quel avait été le niveau d’eau à un moment donné. Il n’y avait pas d’eau dans la baignoire au moment de l’examen, et l’enquêteur judiciaire n’a trouvé aucun bouchon.

On a déterminé que l’eau chaude sortant du robinet dans la cuisine avait une température d’environ 56° Celsius[6].

Schéma des lieux

schéma des lieux

Preuve matérielle

Données téléchargées des armes à impulsions :

Au total, il y a eu 5 décharges provenant de 15 armes à impulsions. Les armes à impulsions des AT nos 1, 3, 5, 9 et 11 ont toutes été utilisés. Voici les décharges, dans leur ordre chronologique :

  1. 3 h 13 m 09 s – la cartouche 1 de l’AT no9 a été déchargée pendant 5 secondes
  2. 4 h 24 m 35 s – la cartouche 1 de l’AT no5 a été déchargée pendant 4 secondes
  3. 4 h 24 m 41 s – la cartouche 2 de l’AT no5 a été déchargée pendant 7 secondes
  4. 4 h 24 m 44 s – les cartouches de l’AT no5 ont été réactivées pendant 1 seconde
  5. 4 h 24 m 46 s – les cartouches de l’AT no5 ont été réactivées pendant 2 secondes
  6. 4 h 24 m 49 s – les cartouches de l’AT no5 ont été réactivées pendant 2 secondes
  7. 4 h 24 m 57 s – la cartouche 1 de l’AT no5 a été déchargée pendant 4 secondes
  8. 4 h 33 m 17 s – la cartouche 1 de l’AT no3 a été déchargée pendant 2 secondes
  9. 4 h 33 m 21 s – la cartouche 2 de l’AT no3 a été déchargée pendant 4 secondes
  10. 4 h 37 m 45 s – la cartouche 1 de l’AT no11[7] a été déchargée pendant 9 secondes
  11. 4 h 37 m 56 s – la cartouche 2 de l’AT no11 a été déchargée pendant 5 secondes
  12. 4 h 38 m 01 s – la cartouche 2 de l’AT no11 a été déchargée pendant 19 secondes
  13. 4 h 38 m 22 s – la cartouche 1 de l’AT no11 a été déchargée pendant 13 secondes
  14. 4 h 38 m 36 s – la cartouche 1 de l’AT no11 a été déchargée pendant 31 secondes
  15. 4 h 38 m 53 s – la cartouche 1 de l’AT no1 a été déchargée pendant 5 secondes

Preuve vidéo/audio/photographique

L’UES a exploré les alentours à la recherche d’éventuels enregistrements vidéo ou audio et preuves photographiques, et elle a reçu une copie d’un enregistrement audio de l’incident créé par l’EIU.

Enregistrement audio de l’EIU

À son arrivée à l’appartement, l’AT no 7 a activé un enregistreur audio numérique et l’a placé sur le comptoir de la cuisine près de la porte de la salle de bain. L’appareil a enregistré l’intervention de l’EIU pendant l’entier incident. L’enregistrement d’une durée de 93 minutes et 25 secondes a commencé à 3 h 30.

L’AI s’est présenté à la plaignante. On pouvait entendre la plaignante derrière la porte fermée de la salle de bain. L’AI a dit à la plaignante qu’il l’écouterait. Il a demandé ce qui se passait et lui a demandé de sortir de la salle de bain. La plaignante a répondu qu’elle n’était pas obligée de lui dire ce qui se passait et a dit qu’elle ne sortirait pas. Elle a refusé de répondre à ses questions et a dit à la police de partir, en déclarant que les policiers n’avaient pas le droit d’entrer. L’AI lui a dit qu’il ne partirait pas avant de l’avoir vue.

Lorsqu’on lui a demandé pourquoi elle avait appelé la police et le numéro 9‐1‐1, la plaignante a nié qu’elle l’avait fait. Plus tard, elle a affirmé : [traduction] « Je n’ai rien dit. Comment savez-vous que j’ai appelé le 9‐1‐1? »

Après 25 minutes et 20 secondes[8]depuis le début de l’enregistrement, l’AI a dit à la plaignante de s’éloigner de la porte parce qu’on forerait un trou dedans.

Après 32 minutes 30 secondes[9], l’AI a dit à la plaignante de se tenir éloignée de la porte pendant qu’on forait un autre trou dedans.

Après 57 minutes 48 secondes[10], on entend le son d’une arme à impulsions qui est utilisée pendant environ cinq secondes. Après environ une seconde, on entend une nouvelle décharge pendant dix secondes additionnelles. Puis, on entend une autre décharge après 58 minutes 10 secondes depuis le début de l’enregistrement, pendant environ cinq secondes, suivie d’une autre décharge.

Il n’est pas clair si une ou plusieurs armes à impulsions ont été utilisées en même temps.

À la fin de cet épisode, un agent de police a dit [traduction] « attendez » puisque l’arme à impulsions n’était « pas efficace ».

La plaignante a crié contre la police tout au long de l’épisode et parfois durant les décharges.

Après 1 heure 6 minutes 38 secondes[11], on a utilisé le fusil de gaz lacrymogène sans avertissement. La plaignante a crié brièvement et n’a pas obéi aux ordres de la police de sortir de la salle de bain.

Après 1 heure 7 minutes 58 secondes[12], un agent de police a dit qu’il avait vu la plaignante et qu’elle respirait probablement par le dessous de la porte, puisqu’elle était recroquevillée dans la position fœtale.

Après qu’un agent de police a mentionné que de l’eau coulait, quelqu’un a demandé si on pouvait couper l’eau.

Après 1 heure 11 minutes 37 secondes[13], un agent de police a dit que la plaignante se trouvait toujours dans la même position avec un couteau dans la main gauche.

Après 1 heure 12 minutes 23 secondes[14], on entend plusieurs fois la foreuse. C’est à ce moment‐là que les principaux trous ont été percés dans la partie supérieure de la porte.

Après 1 heure 17 minutes 9 secondes[15], on entend le début de la décharge d’une arme à impulsions, tandis que les agents de police disent à plusieurs reprises [traduction] « laissez tomber le couteau ». La décharge a continué pendant environ neuf secondes. Après une courte pause, la décharge reprend et s’est poursuivie pendant environ 23 secondes, jusqu’à ce qu’une heure 17 minutes et 44 secondes se soient écoulées depuis le début de l’enregistrement. On n’entend pas la plaignante durant ces décharges.

Après une autre courte pause, il y a une nouvelle décharge. On entend des agents de police dire qu’elle était toujours armée du couteau, mais de nouveau, la plaignante n’émet aucun son.

Après 1 heure 18 minutes, la plaignante a gémi et a crié pendant que la décharge continuait. On entend des sons de fracas alors que la police entre dans la salle de bain. Peu après, un agent de police dit [traduction] « on dirait que ça marche », et après 1 heure 18 minutes 8 secondes[16], un agent de police crie [traduction] « sortez‐la de là ». La plaignante continue de crier alors que les décharges se poursuivent jusqu’à ce qu’une heure 18 minutes et 31 secondes se soit écoulée depuis le début de l’enregistrement.

Après 1 heure 18 minutes 36 secondes un agent de police dit [traduction] « coupez l’eau ». La plaignante a été retirée presque immédiatement de la salle de bain et un agent de police dit : [traduction] « L’eau est presque bouillante. Eau très chaude. Elle aura probablement quelques brûlures. » La plaignante hurlait et a demandé à plusieurs reprises pourquoi la police lui avait fait cela.

Les ambulanciers paramédicaux sont entrés dans l’appartement et environ 89 minutes après le début de l’enregistrement, la plaignante a été sortie de l’appartement.

On entend un agent de police dire aux autres agents de police de tout laisser sur place, à l’exception de leur « trousse personnelle ».

Un agent de police a noté qu’il était 5 h 04, quand l’enregistrement a été arrêté.

Enregistrements des communications

Enregistrement des appels au numéro 9-1‐1

Dans l’enregistrement de l’appel initial au numéro 9‐1‐1, la plaignante s’est identifiée comme « Dre [nom de la plaignante] ». Elle a dit à la préposée aux appels qu’elle ne se portait [traduction] « pas bien » et a fourni son adresse et le numéro de l’appartement. Lorsque la préposée avait de la difficulté à comprendre le nom de la rue, la plaignante lui a dit qu’elle était [traduction] « trop stupide » et a mis fin à l’appel. Lors d’appels subséquents, la plaignante s’est attaquée verbalement aux divers préposés aux appels avant la fin des appels. Durant l’un des appels, la plaignante a demandé que la police et le service d’incendie viennent. Après les appels initiaux, la plaignante n’a plus jamais parlé durant les appels et n’a jamais répondu aux préposés. Quand ceux‐ci ont rappelé, il n’y avait aucune réponse et ils tombaient sur sa boîte vocale.

Rapport du système de répartition assisté par ordinateur

Les détails initiaux ayant trait à cet incident ont révélé qu’un appel avait été reçu au numéro 9‐1‐1 depuis le téléphone cellulaire de la plaignante. Le rapport généré à 12 h 42 le 23 avril 2017 précisait qu’il s’agissait du troisième appel à partir de ce numéro. Le rapport énumérait ensuite une douzaine d’appels faits au cours des 80 minutes subséquentes et indiquait que les préposés aux appels n’avaient reçu aucune réponse de l’appelante.

Des agents de police ont été expédiés sur les lieux à 2 h 17. Durant l’un des appels au numéro 9‐1‐1, le préposé aux appels a entendu ce qui aurait pu correspondre aux coups frappés à la porte par la police à 2 h 43.

La police est entrée dans l’appartement à 3 h 10 et a informé le centre des communications qu’une femme dans l’appartement s’était barricadée dans une salle de bain et était armée d’un couteau.

À 3 h 14, le système de répartition assisté par ordinateur a noté ce qui suit : [traduction] « Arme à impulsions utilisée et efficace. » Moins de deux minutes plus tard, la police a signalé que la femme était toujours barricadée et armée.

À 4 h 07, les agents de police appartenant à l’EIU avaient commencé à communiquer avec la plaignante.

Le centre de communications a été informé que du gaz serait utilisé, et du gaz a effectivement été utilisé à 4 h 36.

Une dizaine de minutes plus tard, les agents de police ont signalé que la plaignante n’était [traduction] « pas encore sous garde ».

À 4 h 54, la police a signalé que la plaignante avait été placée sous garde. À 5 h 15, elle était en route vers l’hôpital.

Dossiers obtenus du service de police

L’UES a demandé au SPT les éléments et documents suivants, qu’elle a obtenus et examinés :

  • enregistrements des communications
  • rapports sur les détails de l’incident
  • rapport d’incident général
  • notes des AT nos1, 3, 5, 7, 9, 10 et 11
  • procédure – Arme à impulsions
  • fiche sommaire du système de répartition automatisée (ADS) – résumé des conversations

Lois pertinentes

Paragraphe 25(1) du Code criminel - Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :

  1. soit à titre de particulier
  2. soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
  3. soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
  4. soit en raison de ses fonctions

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Article 17 de la Loi sur la santé mentale – Intervention de l’agent de police

17 Si un agent de police a des motifs raisonnables et probables de croire qu’une personne agit ou a agi d’une façon désordonnée et qu’il a des motifs valables de croire que cette personne :

  1. soit a menacé ou tenté de s’infliger des lésions corporelles ou menace ou tente de le faire
  2. soit s’est comportée ou se comporte avec violence envers une autre personne ou de manière à lui faire craindre qu’elle lui causera des lésions corporelles
  3. soit a fait ou fait preuve de son incapacité de prendre soin d’elle-même

et qu’en plus, il est d’avis que cette personne souffre, selon toute apparence, d’un trouble mental d’une nature ou d’un caractère qui aura probablement l’une des conséquences suivantes :

  1. elle s’infligera des lésions corporelles graves
  2. elle infligera des lésions corporelles graves à une autre personne
  3. elle subira un affaiblissement physique grave

et qu’il serait dangereux d’agir selon les termes de l’article 16, il peut amener sous garde cette personne dans un lieu approprié afin qu’elle soit examinée par un médecin.

Paragraphe 265(1) du Code criminel – Voies de fait

265 (1) Commet des voies de fait, ou se livre à une attaque ou une agression, quiconque, selon le cas :

  1. d’une manière intentionnelle, emploie la force, directement ou indirectement, contre une autre personne sans son consentement
  2. tente ou menace, par un acte ou un geste, d’employer la force contre une autre personne, s’il est en mesure actuelle, ou s’il porte cette personne à croire, pour des motifs raisonnables, qu’il est alors en mesure actuelle d’accomplir son dessein
  3. en portant ostensiblement une arme ou une imitation, aborde ou importune une autre personne ou mendie

Article 267 du Code criminel – Agression armée ou infliction de lésions corporelles

267 Est coupable soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans, soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d’un emprisonnement maximal de dix-huit mois quiconque, en se livrant à des voies de fait, selon le cas :

  1. porte, utilise ou menace d’utiliser une arme ou une imitation d’arme
  2. inflige des lésions corporelles au plaignant

Paragraphe 270(1) du Code criminel - Voies de fait contre un agent de la paix

270 (1) Commet une infraction quiconque exerce des voies de fait :

  1. soit contre un fonctionnaire public ou un agent de la paix agissant dans l’exercice de leurs fonctions, ou une personne qui leur prête main-forte
  2. soit contre une personne dans l’intention de résister à une arrestation ou détention légale, la sienne ou celle d’un autre, ou de les empêcher
  3. soit contre une personne, selon le cas :
    1. agissant dans l’exécution légale d’un acte judiciaire contre des terres ou des effets, ou d’une saisie
    2. avec l’intention de reprendre une chose saisie ou prise en vertu d’un acte judiciaire

Analyse et décision du directeur

Le 22 avril 2017, vers 0 h 29, le premier de multiples appels au numéro 9‐1‐1 a été reçu par le Service de police de Toronto (SPT) demandant l’aide de la police et du service d’incendie. Lors de l’appel initial, l’appelante s’est identifiée comme Dre [nom de la plaignante] et a dit qu’elle ne se portait pas bien et qu’elle voulait que le service d’incendie et de police se rendent chez elle. Lorsque la préposée aux appels n’a pas compris l’adresse où la plaignante avait besoin d’aide, cette dernière est devenue grossière et a raccroché. Les appels ont recommencé vers 0 h 24 le 23 avril. De nombreux rappels du service d’incendie et de la police sont restés sans réponse tandis que de nombreux autres appels au numéro 9‐1‐1 ont été reçus du même numéro. Durant la majorité de ces appels, rien n’était dit. Grâce à l’aide du fournisseur de services de téléphonie cellulaire, on a pu trouver l’adresse de l’appelante, et la police s’y est rendue. Après l’arrivée de nombreux agents de police, y compris de l’EIU, la plaignante a été transportée à l’hôpital du fait qu’elle souffrait de nombreuses brûlures au second degré sur tout son corps.

Malheureusement, il a été impossible de s’entretenir avec la plaignante avant février 2018, à cause de la gravité de ses blessures et parce qu’elle était incapable de parler. De plus, il n’y avait malheureusement aucun témoin civil qui aurait observé cet incident et l’AI a refusé de subir une entrevue ou de fournir les notes dans son calepin pour examen, comme c’était son droit légal. Onze agents témoins, cependant, ont accepté de participer à une entrevue. Sur ces onze agents, sept étaient considérés comme possédant des éléments de preuve pertinents et se sont entretenus avec les enquêteurs. Les enquêteurs avaient également accès aux enregistrements des appels au numéro 9‐1‐1, aux enregistrements des communications de la police, à un enregistrement audio créé sur place de l’entière intervention de l’EIU et aux données téléchargées des armes à impulsions. Les faits ne sont pas contestés. Les résultats de l’examen des lieux de l’incident et les différents éléments de preuve recueillis ainsi que l’ensemble des enregistrements examinés concordaient avec la version des événements fournie par les agents témoins interviewés. Voici un résumé du déroulement de l’incident extrapolé à partir de l’ensemble des éléments de preuve disponible.

En tout, 68 appels ont été faits au numéro 9‐1‐1 à partir du téléphone cellulaire de la plaignante les 22 et 23 avril 2017. Une fois qu’on avait pu confirmer une adresse après avoir consulté le fournisseur des services de téléphonie cellulaire et qu’il avait été confirmé à l’aide des données du système mondial de localisation que le téléphone cellulaire se trouvait à cette adresse, le Service d’incendie de Toronto (SIT) s’est rendu sur place, mais est reparti lorsqu’il n’a pas été en mesure de trouver quiconque ayant besoin d’aide. Les appels au numéro 9‐1‐1 ont toutefois continué et la police a été envoyée sur les lieux, et les AT nos 2 et 4 se sont présentés à l’appartement de la plaignante. Après que les agents ont cogné à la porte, sans qu’il y ait de réponse, et après avoir tenté d’entrer dans l’appartement avec l’aide du surintendant de l’immeuble, qui avait la clé maîtresse, tentative qui a échoué du fait que quelqu’un avait changé les serrures, l’AT no 6, l’AT no 8 et l’AT no 9 sont arrivés. Les enregistrements des appels au numéro 9‐1‐1 semblent confirmer l’arrivée de la police à l’appartement, puisqu’on peut les entendre frapper à la porte sur la ligne ouverte. Après que la police n’avait pas réussi à ouvrir la porte pour entrer dans l’appartement, l’AT no 9 a demandé l’aide du SIT, qui est revenu à 2 h 50 et a réussi à forcer la porte en utilisant un outil en sa possession.

L’AT no 9, après avoir fouillé l’appartement sans trouver quelqu’un, a essayé d’ouvrir la porte de la salle de bain et, constatant qu’elle était verrouillée, y a frappé sans recevoir de réponse. De nouveau, le SIT a forcé la porte. Dès que la porte était ouverte, les agents ont vu que la plaignante était armée d’un couteau, et elle a crié et s’est lancée vers l’AT no 9. Celui‐ci a immédiatement crié [traduction] « couteau » et a dégainé son arme à impulsions et l’a déchargée sur elle, mais cela ne semblait avoir aucun effet. Puis, l’AT no 9 a refermé la porte de la salle de bain et a demandé que l’EIU et une ambulance viennent sur place, après quoi il a tenté d’avoir une conversation avec la plaignante à travers la porte fermée. Puis, cette porte a été bloquée de l’extérieur afin de confiner la plaignante et son couteau à l’intérieur. L’AT no 8, un négociateur entraîné, a alors lui aussi tenté d’entamer une conversation avec la plaignante, en l’assurant que la police était là pour l’aider et en lui demandant de glisser le couteau sous la porte.

À l’arrivée de l’EIU, les agents qui avaient été les premiers à intervenir ont quitté l’appartement et l’EIU y est entrée. L’AT no 7, le superviseur de l’EIU, a ordonné aux agents qui l’accompagnaient d’essayer de parler à la plaignante. L’AI a été désigné comme négociateur et a tenté d’entamer une conversation avec la plaignante, mais elle n’a jamais réellement répondu. La plaignante semblait agitée et elle a dit qu’elle tuerait tout agent de police qui entrait dans la salle de bain. À aucun moment n’a‐t‐elle fait de commentaires qui auraient laissé croire qu’elle était peut‐être suicidaire. Lorsque les tentatives de négociation avec la plaignante ont échoué, à 3 h 58, l’AT no 3 a percé un trou dans la porte de la salle de bain, afin de permettre à l’AT no 3 et à l’AT no 5 de regarder à l’intérieur de la pièce, mais ils ont découvert que la plaignante avait couvert le trou avec une serviette. Puis, les agents se sont servis d’un balai pour enlever la serviette, et la plaignante a immédiatement commencé à donner des coups de couteau au manche du balai et à dire qu’elle allait tuer la police. Une fois que les agents avaient retiré la serviette, ils ont pu voir la plaignante dans la salle de bain, toujours armée d’un couteau, et l’ont observée donner des coups de couteau par l’ouverture créée dans la porte et puis, recouvrir le trou d’une autre serviette. La police a ôté cette deuxième serviette et a foré un autre trou dans lequel la plaignante a de nouveau enfoncé son couteau et qu’elle a de nouveau couvert d’une serviette, qui a été retirée une fois de plus par la police.

À 4 h 29, l’AT no 3 a déchargé son arme à impulsions par le trou et estimait que les dards avaient solidement touché la plaignante, mais l’arme s’est avérée inefficace. Une deuxième décharge de l’arme à impulsions était tout aussi inefficace et de nouveau, la plaignante a couvert le trou dans la porte avec une serviette. L’AT no 3 a précisé que la plaignante n’avait même pas eu un tressaillement lorsqu’elle avait été touchée par les dards de l’arme à impulsions.

À 4 h 34, on a utilisé une carabine à gaz, et on a déchargé une cartouche contenant du gaz lacrymogène, une poudre incapacitante, dans la salle de bain par les trous forés dans la porte. Plutôt que de paralyser la plaignante, elle a légèrement toussé et puis a fait couler de l’eau dans la salle de bain et apparemment s’est recouverte d’une serviette mouillée et s’est couchée sur le sol près de la porte pour pouvoir aspirer de l’air frais sous la porte.

Puis, on a percé des trous dans le dessus de la porte pour en enlever la partie supérieure et pour mieux voir ce qui se passait dans la salle de bain tout en continuant à être protégé de la plaignante et de son couteau. Les agents ont constaté que la plaignante était accroupie sur le plancher juste à côté de la porte et qu’elle était toujours armée du couteau. On a utilisé une arme à impulsions une troisième fois, et l’AT no 3 a vu les dards entrer en contact avec la plaignante près de la colonne vertébrale, à environ 8 pouces [20 cm] l’un de l’autre, cible qu’il a décrite comme le [traduction] « parfait scénario d’utilisation d’une arme à impulsions, puisque le dos était complètement exposé » et on a entendu la plaignante gémir. Il y a eu une nouvelle décharge de l’arme à impulsions, mais la plaignante, qui aurait dû avoir été rendue inoffensive, a continué de se déplacer dans la salle de bain. Puis, on a déchargé des cartouches additionnelles d’une autre arme à impulsions et l’AT no 3 a utilisé le manche du balai pour essayer de faire tomber le couteau de la main de la plaignante, tandis que l’arme à impulsions continuait sa décharge, et la plaignante a saisi le manche du balai et a essayé de le tirer de la main de l’AT no 3. Quand l’arme à impulsions a été désactivée, l’AT no 3 a observé la plaignante se mettre debout immédiatement tout en faisant face à la porte et puis reculer vers la baignoire à l’arrière de la salle de bain, jusqu’à ce que ses mollets touchent la baignoire. On pouvait toujours entendre l’eau qui coulait dans la salle de bain. Puis, la plaignante s’est assise dans la baignoire et a tiré le rideau sur toute la longueur, alors que ses jambes étaient toujours par-dessus le côté de la baignoire, et elle a ramassé un contenant en plastique et s’est versée de l’eau sur la tête. Quand l’AT no 3 a perdu de vue la plaignante, il a réactivé les quatre dards de l’arme à impulsions, mais il a seulement vu la jambe de la plaignante tressaillir [traduction] « quelque peu ».

À ce moment‐là, la police a forcé la porte et l’AI était le premier agent à entrer dans la salle de bain, muni de son bouclier, suivi de l’AT no 1, tandis que l’AT no 3 continuait de décharger son arme à impulsions. L’AT no 7 a expliqué que dans ces situations, c’est le rôle de l’agent muni du bouclier de [traduction] « plaquer » la personne afin de l’empêcher de bouger et afin de la désarmer. L’AT no 1 a indiqué qu’il avait observé la plaignante dans la baignoire, qui était remplie d’eau, et que son corps était entièrement submergé et que seulement son visage était exposé. L’AT no 1 a expliqué qu’il avait vu la plaignante étendre son bras gauche comme si elle voulait poignarder l’AI alors qu’il s’approchait avec le bouclier et que lui (l’AT no 1) avait alors tenté de lui enlever le couteau. À ce moment‐là, il s’est rendu compte que l’eau était extrêmement chaude, au point d’être brûlante, et il l’a décrite comme semblable à de l’eau bouillante dans une bouilloire. L’AI a alors plaqué la plaignante dans le bain en utilisant son bouclier. Se trouvant à l’extérieur de la salle de bain, l’AT no 3 et l’AT no 7 ont tous deux entendu l’AT no 1 dire que la plaignante était toujours armée et que l’eau était extrêmement chaude. Quand la plaignante a continué d’envoyer de nombreux coups de couteau vers l’AI, l’AT no 1 a utilisé son arme à impulsions, et les dards ont solidement pénétré dans la partie supérieure de sa poitrine et ses épaules. Elle a alors arrêté de lancer des coups de couteau, et l’AT no 1 a pu retirer le couteau de sa main. L’AT no 1 et l’AI ont ensuite sorti la plaignante de la baignoire et l’ont portée jusqu’au salon, où les agents ont constaté qu’elle avait subi des blessures importantes et ont demandé qu’on fasse venir des ambulanciers paramédicaux. L’AT no 3 a estimé que sept à dix secondes s’étaient écoulées entre le moment où la porte avait été forcée et le moment où la plaignante avait été sortie de la salle de bain.

Tous les agents avec lesquels les enquêteurs se sont entretenus étaient unanimes à déclarer durant leur témoignage qu’aucun agent n’était présent dans la salle de bain quand la plaignante était entrée dans la baignoire.

Un examen des lieux par l’enquêteur judiciaire de l’UES a permis de trouver 7 cartouches d’armes à impulsions, ainsi que 12 dards avec les fils, ainsi qu’une seule cartouche de gaz vide tirée par la carabine à gaz. Il a également trouvé et sécurisé des couteaux, qui correspondaient aux couteaux décrits par les agents témoins. Le couteau qui avait été enlevé de la plaignante pendant qu’elle était dans le bain se trouvait dans la cuisine et était de couleur bleue/verte et avait une lame de 8 po [20 cm], tandis qu’un deuxième couteau ayant une lame de 8 po [20 cm] se trouvait toujours dans la salle de bain, dans une corbeille à déchets.

Les données téléchargées des armes à impulsions ont confirmé que 5 agents différents avaient déchargé celles‐ci 15 fois et confirmaient leurs témoignages. La vérification concernant les circonstances durant lesquelles les armes à impulsions peuvent être utilisées a révélé que rien n’interdisait l’utilisation de ces armes à proximité d’eau.

L’enregistrement audio numérique, qui a commencé quand l’AT no 7 est arrivé dans l’appartement, corrobore et confirme entièrement les déclarations de tous les agents interviewés. Il convient de noter que sur l’enregistrement, on entend l’AI se présenter à la plaignante et lui dire qu’il l’écouterait, lui demander ce qui se passe et la prier de sortir de la salle de bain. On entend la plaignante répondre qu’elle n’est pas obligée de dire à l’AI ce qui se passe et qu’elle ne sortirait pas. Puis, on l’entend dire à la police de partir et affirmer que les agents n’avaient pas le droit d’entrer. L’AI dit alors qu’il ne quitterait pas avant de l’avoir vue. La plaignante, au moment de son interrogation, a aussi commencé par nier qu’elle avait fait les appels au numéro 9‐1‐1, mais plus tard on l’entend demander comment la police savait que c’était elle alors qu’elle n’avait rien dit durant les appels. On entend la plaignante crier contre la police tout au long de l’incident. Après qu’on entend la police entrer dans la salle de bain, on entend un agent de police dire [traduction] « l’eau est presque bouillante » et « eau très chaude; elle finira probablement par avoir quelques brûlures » tandis qu’on entend la plaignante hurler aux agents de police et leur demander à répétition pourquoi ils l’ont traitée ainsi.

Il ressort clairement de la preuve que les blessures subies par la plaignante étaient causées par l’eau brûlante dans laquelle elle s’était placée intentionnellement et volontairement. Il n’y a aucune preuve que l’utilisation des armes à impulsions a causé une quelconque blessure à la plaignante.

En vertu du paragraphe 25(1) du Code criminel, les agents de police peuvent seulement recourir à la force qui est raisonnablement nécessaire dans l’exécution d’une obligation légale. Me penchant d’abord sur la légalité de l’appréhension de la plaignante, il ressort clairement des enregistrements des communications que la plaignante avait fait de nombreux appels au numéro 9‐1‐1 pour demander l’intervention de la police et du service d’incendie. Lors de l’appel initial, quand elle parlait encore, elle avait indiqué qu’elle n’était pas bien et avait demandé l’aide de la police et du service d’incendie. Par la suite, des appels ont continué à être reçus, quelque 68 au total et venant tous du téléphone cellulaire de la plaignante, et la police était tenue d’enquêter et de fournir de l’aide au besoin. La Cour d’appel de l’Ontario a clairement indiqué, d’abord dans R. c. Godoy, [1997] O.J. No. 1408, et puis de nouveau dans R. c. Nichols, [1999] O.J. No. 3660, que la police a le devoir d’enquêter sur les appels au numéro 9‐1‐1, même si cela nécessite une entrée de force dans une résidence privée. Dans R. c. Godoy, la Cour a indiqué ce qui suit :

[traduction]

Cet appel interjeté soulève directement et pour la première fois la question de l’étendue de l’obligation d’un agent de police de répondre à un appel au 9‐1‐1, lorsque la nature de l’appel n’a pas été établie. [...] La question est de savoir si la police a le pouvoir d’entrer dans un logement privé lorsqu’elle a des motifs raisonnables de croire que l’occupant est en détresse et qu’il est nécessaire d’y pénétrer, non pas pour procéder à une arrestation, mais pour protéger la vie, empêcher la mort et prévenir des blessures graves.

Et la Cour a statué comme suit :

[traduction]

Compte tenu de toutes les circonstances en l’espèce, j’estime qu’il s’agissait d’un usage justifiable des pouvoirs de la police d’entrer dans l’appartement en réponse à l’appel au 9‐1‐1, qui avait été interrompu. Lorsqu’ils sont entrés dans l’appartement de l’appelant pour enquêter sur un appel signalant un « trouble inconnu », la police accomplissait son devoir de common law de « protéger la vie », « prévenir la mort » et « prévenir les blessures graves ». L’entrée dans l’appartement était un usage justifiable des pouvoirs de la police dans les circonstances.

De même, dans R. c. Nichols, la Cour a réitéré sa conclusion :

[traduction]

Les policiers et les ambulanciers répondaient à un appel au 9‐1‐1 dont le contenu était grave et avaient le devoir d’enquêter sur la situation pour s’assurer que l’appelant ne constituait pas un danger pour lui‐même ou pour les autres. Pour localiser l’appelant et pour enquêter, il fallait entrer de force.

En se basant sur le contenu et le grand nombre d’appels au numéro 9‐1‐1, on pouvait conclure que la plaignante était en situation de crise et qu’elle avait besoin d’aide et que la police avait des motifs raisonnables de croire, une fois qu’elle avait pénétré dans l’appartement et avait observé la plaignante, qu’elle était un danger pour elle‐même ou pour d’autres personnes, et qu’ainsi, elle pouvait légalement être appréhendée en vertu de l’article 17 de la Loi sur la santé mentale. De plus, lorsqu’ils sont entrés dans l’appartement pour faire enquête sur la demande d’aide de la plaignante et que la plaignante avait fait un mouvement brusque vers l’AT no 9 avec un couteau, les agents de police avaient des motifs raisonnables de l’arrêter pour voies de fait contre un policier et/ou agression armée en contravention du Code criminel. Par conséquent, l’appréhension de la plaignante était légalement justifiée dans les circonstances.

En ce qui concerne la force utilisée par les agents dans leurs tentatives d’aider et/ou d’appréhender la plaignante, je conclus que leur comportement était justifié dans les circonstances et qu’ils n’ont pas eu recours à plus de force que nécessaire pour appréhender la plaignante, qui manifestement était combative, résistait et était réticente à permettre à la police de l’aider, en dépit de ses 68 appels au numéro 9‐1‐1. Par ailleurs, du fait que la plaignante était armée d’un couteau qu’elle a tenté d’utiliser à maintes reprises contre la police, les agents étaient limités dans leur capacité d’appréhender la plaignante tout en évitant d’être blessés. À la lumière de l’ensemble de la preuve, il est clair que la police a eu recours à toutes les autres options dans sa tentative d’appréhender la plaignante, avant de forcer la porte et de la maîtriser physiquement. L’interaction a progressé d’une négociation avec la plaignante à des ordres l’enjoignant de lâcher le couteau et de sortir et à de nombreuses options de recours à la force moins létales, soit l’utilisation d’armes à impulsions, qui ont toutes été inefficaces, et de gaz lacrymogène, et finalement, au forçage de la porte et à l’utilisation d’un bouclier de police pour contenir et contrôler la plaignante, dans le but de la désarmer et de l’appréhender, tout en atténuant les risques pour les agents de police. Le fait que la plaignante avait déjà fait un mouvement brusque vers l’AT no 9 tout en étant armée d’un couteau et qu’elle avait utilisé à plusieurs reprises le même couteau pour envoyer des coups dans la direction des agents de police et les menacer, il était tout à fait raisonnable de croire que la plaignante était tout à fait capable de blesser un agent de police avec qui elle entrait en contact, si les agents ne prenaient pas les précautions voulues.

Le souvenir de la plaignante de l’entier incident (obtenu lors d’une entrevue qui s’est tenue le 13 février 2017), bien qu’il semble correspondre à un point de vue délirant paranoïaque, a en fait confirmé les déclarations des agents de police sur des points essentiels.

Je conclus également, sur la foi de la preuve présentée par tous les agents témoins interviewés et confirmée par la preuve matérielle, que la plaignante s’est intentionnellement placée[17] dans une baignoire remplie d’eau brûlante, sans aucune intervention de la part de la police. Tandis que l’AT no 3 et l’AT no 1 ont tous deux utilisé leurs armes à impulsions quand la plaignante se trouvait dans la baignoire, et que l’AI l’a plaquée dans la baignoire pendant qu’on la désarmait, je ne peux conclure qu’il s’agissait là d’un recours excessif à de la force. Il ressort clairement de l’enregistrement audio de l’incident, ainsi que des éléments de preuve fournis par les agents que ceux‐ci ne pouvaient aucunement savoir que la plaignante avait rempli la baignoire d’eau brûlante. Il est certain qu’en raison de sa décision de se coucher dans la baignoire et de s’immerger complètement à l’exception du visage et de se verser de l’eau sur la tête avec un pichet et en raison de l’absence de réaction chez elle à l’eau dans la baignoire, les agents de police n’avaient aucune idée que l’eau était tellement chaude qu’elle causait des brûlures au deuxième degré au corps de la plaignante. De plus, le fait que la plaignante a continué d’envoyer des coups de couteau vers les agents, même pendant qu’elle subissait des brûlures dans la baignoire et était plaquée par l’AI, la police n’avait d’autre choix que de recourir aux moyens qu’elle a utilisés pour appréhender la plaignante et je ne peux conclure que cela représentait un recours excessif à la force. Tandis qu’il y a des éléments de preuve que l’AI a plaqué la plaignante dans la baignoire, je conclus que le comportement de la plaignante montrait clairement qu’elle n’avait nullement l’intention de sortir de la baignoire toute seule et le résultat n’aurait probablement pas été différent si les agents n’étaient pas entrés dans la salle de bain et n’avaient pas maîtrisé la plaignante. Je note également que l’entière interaction dans la salle de bain avec la police a duré de sept à dix secondes, tandis que les tentatives de négocier avec elle et de la convaincre de quitter la salle de bain se sont déroulées sur plusieurs heures.

Pour en venir à la conclusion que les actes de la police, au moment de l’appréhension de la plaignante, ne constituaient pas un recours excessif à la force, je garde à l’esprit l’état du droit applicable tel qu’établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Nasogaluak, [2010] 1 R.C.S. 206, qui dit ceci :

Les actes des policiers ne devraient pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Il ne faut pas oublier que ceux-ci accomplissent un travail exigeant et dangereux et qu’ils doivent souvent réagir rapidement à des situations urgentes. Leurs actes doivent alors être appréciés selon ce que commande ce contexte difficile. Comme l’a expliqué le juge Anderson dans l’affaire R. c. Bottrell (1981), 60 C.C.C. (2d) 211 (C.A.C.-B.) : (1981), 60 C.C.C. (2d) 211 :

[traduction] Pour déterminer si la force employée par le policier était nécessaire, les jurés doivent tenir compte des circonstances dans lesquelles le policier y a eu recours. Il aurait fallu leur indiquer qu’on ne pouvait s’attendre à ce que l’appelant mesure la force appliquée avec précision. [p. 218]

De plus, j’ai pris en considération la décision rendue par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire R. c. Baxter (1975), 27 C.C.C. (2d) 96 (C. A. de l’Ont.), selon laquelle on ne peut pas s’attendre à ce que les policiers apprécient avec exactitude le degré de force qu’ils emploient dans leur intervention. Dans ce dossier, il est clair que la force employée, non seulement par l’AI mais aussi par tous les agents qui ont participé à l’appréhension de la plaignante, a progressé d’une façon mesurée et proportionnée en réponse à la résistance de la plaignante, à sa résilience surprenante et à son manque total de réaction aux autres options de recours à la force utilisées par les agents durant l’interaction et que cette force tombait dans les limites de ce qui était raisonnablement nécessaire dans les circonstances pour procéder à sa détention légale.

En dernière analyse, malgré le résultat tragique pour la plaignante, je suis convaincu que les blessures résultaient de sa décision de se placer volontairement et intentionnellement dans une baignoire remplie d’eau brûlante sans aucune intervention de la part de la police et qu’elle a ensuite été plaquée dans la baignoire à l’aide du bouclier de la police pour la désarmer et sans que les agents sachent qu’elle s’était en fait immergée dans de l’eau bouillante. Je conclus également que la police, immédiatement après avoir découvert ce que la plaignante avait fait et dès qu’elle était désarmée, l’a sortie de la baignoire afin de réduire autant que possible les blessures qu’elle s’était infligées. Je suis donc convaincu, pour des motifs raisonnables, que les gestes posés par les agents étaient dans les limites prescrites par le droit criminel et qu’il n’y a pas de motifs de porter des accusations en l’espèce.

Date : le 27 février 2018

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) [1] L’AT no 2 n’était pas présent durant l’interaction de l’EIU avec la plaignante ni durant son arrestation par l’équipe. [Retour au texte]
  • 2) [2] L’AT no 4 n’était pas présent durant l’interaction de l’EIU avec la plaignante ni durant son arrestation par l’équipe. [Retour au texte]
  • 3) [3] L’AT no 6 n’était pas présent durant l’interaction de l’EIU avec la plaignante ni durant son arrestation par l’équipe. [Retour au texte]
  • 4) [4] L’AT no 8 n’était pas présent durant l’interaction de l’EIU avec la plaignante ni durant son arrestation par l’équipe. [Retour au texte]
  • 5) [5] Un agent chimique ou biologique utilisé pour causer l’incapacité temporaire d’une personne. [Retour au texte]
  • 6) [6] Selon un avertissement émis par le Conseil de sécurité du Canada, l’eau à 60° Celsius peut causer des brûlures au troisième degré en six secondes chez la plupart des adultes. (https://canadasafetycouncil.org/chaudes-discussions-sur-leau-chaude/?lang=fr) [Retour au texte]
  • 7) [7] L’AT no 3 a effectué toutes les décharges de l’arme à impulsions de l’AT no 11. [Retour au texte]
  • 8) [8] Vers 3 h 55 [Retour au texte]
  • 9) [9] Vers 4 h 02 [Retour au texte]
  • 10) [10] Vers 4 h 27 [Retour au texte]
  • 11) [11] Vers 4 h 37 [Retour au texte]
  • 12) [12] Vers 4 h 38 [Retour au texte]
  • 13) [13] Vers 4 h 41 [Retour au texte]
  • 14) [14] Vers 4 h 42 [Retour au texte]
  • 15) [15] Vers 4 h 47 [Retour au texte]
  • 16) [16] Vers 4 h 48 [Retour au texte]
  • 17) [17] La déclaration faite par la plaignante elle-même corrobore cette version des faits (dans la mesure où l’on peut s’y fier, étant donné son état à l’époque, sa grave blessure et les thérapies qu’elle a dû subir). [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.