Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 17-TCI-181

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu une allégation d’agression sexuelle.

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Le présent rapport décrit l’enquête de l’UES sur la blessure grave qu’un homme âgé de 24 ans a subie lors de son arrestation, le 16 juillet 2017.

L’enquête

Notification de l’UES

Le 18 juillet 2017, vers 21 h 20, le Service de police de Toronto (SPT) a informé l’UES de la blessure subie par le plaignant lors de sa mise sous garde.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 5

Nombre d’enquêteurs judiciaires de l’UES assignés : 1

Le mercredi 19 juillet 2017, deux enquêteurs et un enquêteur judiciaire (EJ) de l’UES ont été chargés d’enquêter sur la blessure subie par le plaignant lors de sa mise sous garde. L’EJ a pris des photographies du terrain de stationnement situé près du 157, rue Beatrice, où le plaignant a été arrêté, et a photographié les blessures du plaignant.

Les enquêteurs ont trouvé le plaignant à l’hôpital, où il était en attente d’une chirurgie, alors qu’il était toujours sous garde policière. Le plaignant a accepté qu’on l’interroge et a consenti à la divulgation de ses dossiers médicaux. Le même jour, les enquêteurs ont exploré les alentours du 157, rue Beatrice, mais n’ont pas trouvé d’autres témoins ni de séquences vidéo.

Plaignant

Homme âgé de 24 ans; a participé à une entrevue; dossiers médicaux obtenus et examinés

Témoin civil (TC)

Aucun

Agents témoins (AT)

AT no 1 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

AT no 2 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

AT no 3 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

AT no 4 Notes examinées, entrevue jugée non nécessaire

AT no 5 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

AT no 6 Notes examinées, entrevue jugée non nécessaire

Les notes que l’AT no 4 et l’AT no 6 ont consignées dans leur calepin ont été obtenues et examinées. Ces agents témoins n’ont pas été interrogés parce qu’ils n’étaient pas directement impliqués dans l’arrestation du plaignant. Ils ne pouvaient pas offrir un surcroît d’information ayant une valeur probante pour cette enquête.

Agent impliqué (AI)

AI no 1 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

Description de l’incident

Le dimanche 16 juillet 2017, vers 19 h 16, un agent d’infiltration de l’escouade antidrogue du SPT a acheté une certaine quantité de drogue du plaignant à l’intérieur d’un véhicule de police d’infiltration, dans un terrain de stationnement situé au 157, rue Beatrice, à Toronto. à la suite de l’achat, d’autres agents de l’escouade antidrogue ont convergé vers le véhicule de police d’infiltration pour procéder à l’arrestation du plaignant pour trafic de stupéfiants. Pendant l’opération d’arrestation, le plaignant a donné des coups de pied à l’un des agents qui procédaient à son arrestation. Une lutte s’est ensuivie. Le plaignant a été tiré hors du véhicule de police d’infiltration et mis au sol, où il a continué d’opposer une vive résistance aux policiers. Le plaignant a subi des blessures au visage. Il a été arrêté pour des infractions liées aux drogues.

Le plaignant a refusé un traitement médical sur les lieux. Il a alors été transporté au poste de police, où des agents de mise en détention ont consigné ses blessures faciales dans un rapport de blessures. Le plaignant n’a pas demandé d’attention médicale pendant qu’il était au poste de police. Une fois les formalités remplies, le plaignant a été placé dans une cellule en attendant l’issue d’une enquête sur le cautionnement, le matin suivant.

Le lundi 17 juillet 2017, le plaignant a été placé en détention provisoire. Avant d’être transporté au centre de détention, le plaignant a commencé à se plaindre de douleurs au nez. Les agents du SPT l’ont transporté à l’hôpital, où il a été examiné par le médecin de service. Le mardi 18 juillet 2017, le plaignant a reçu un diagnostic de fracture du sinus frontal gauche et a eu besoin d’une chirurgie pour réparer la fracture.

Nature des blessures et traitement

Selon ses dossiers médicaux, le plaignant a été examiné à l’hôpital par le médecin de la salle d’urgence, le 18 juillet 2017, pour des blessures faciales. Un tomodensitogramme a révélé que le plaignant avait subi une fracture du sinus frontal gauche, ce qui a nécessité une chirurgie.

Le plaignant avait un rendez-vous de suivi avec le médecin pour le 25 juillet 2017 pour l’enlèvement des sutures. Le plaignant a obtenu son congé de l’hôpital le 22 juillet 2017 et a été remis à la police. On s’attend à ce que le plaignant se rétablisse complètement de ses blessures.

Preuve

Les lieux de l’incident

La scène de l’arrestation du plaignant est un terrain de stationnement municipal situé au 157, rue Beatrice, juste au sud de la rue College, à Toronto.

Preuve criminalistique

Aucun élément n’a été envoyé pour analyse au Centre des sciences judiciaires.

Preuve vidéo/audio/photographique

L’UES a examiné les alentours à la recherche d’éventuelles enregistrements vidéo ou audio et preuves photographiques, mais elle n’en a pas trouvé.

Enregistrement vidéo de l’aire de mise en détention du SPT

Il y avait une piste audio sur l’enregistrement vidéo de l’aire de mise en détention et du bloc cellulaire. La vidéo montre, à 20 h 06, deux agents en uniforme du SPT qui entrent dans l’aire de mise en détention avec le plaignant. Le plaignant est menotté mains dans le dos et est amené devant le sergent chargé des mises en détention.

La séquence vidéo révèle que le plaignant était obéissant et coopératif lorsque le sergent lui posait des questions. Une partie de la vidéo devient inaudible lorsque le sergent chargé des mises en détention interroge le plaignant au sujet de ses blessures au visage. Une partie de la piste audio révèle que le plaignant mentionne au sergent des mises en détention qu’il a une formation en arts martiaux. On entend le plaignant dire au sergent de mise en détention [traduction] « ils pensaient que j’étais une menace et, accidentellement – par instinct – j’ai essayé de repousser l’agent et il pensait que je lui donnais des coups de pied. Alors je comprends parfaitement ce qui se passait. » On entend ensuite le plaignant ajouter qu’il n’essayait pas de blesser un agent de police.

Le plaignant n’a pas signalé de blessure particulière au sergent chargé des mises en détention ni ne lui a signifié qu’il avait besoin d’un traitement médical pour ses blessures. Peu de temps après, le sergent de mise en détention a autorisé une fouille de niveau 3 (à nu) du plaignant, laquelle a été effectuée hors du champ de la caméra, mais avec la piste audio toujours activée. Une fois la fouille terminée, on a ramené le plaignant à l’aire de mise en détention.

Enregistrement des communications

à 19 h 18 m 27 s, on entend un agent indiquer qu’il a une personne en état d’arrestation sur la rue Beatrice et demander un véhicule pour transporter le plaignant.

à 19 h 47 m 46 s, l’AI appelle pour indiquer, qu’avec d’autres agents, il se rend maintenant à la résidence pour exécuter un mandat de perquisition en vertu de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (LRCDAS).

à 20 h 15 m 35 s, l’AI appelle pour indiquer que le mandat de perquisition est maintenant terminé.

Il n’y a pas d’autres éléments ayant une valeur probante sur l’enregistrement. L’enregistrement était conforme au résumé des communications.

éléments obtenus du service de police

L’UES a demandé au SPT les éléments et documents suivants, qu’elle a obtenus et examinés :

  • communications – résumé de la conversation
  • rapport sur les détails de l’événement
  • rapport d’incident général
  • rapport sur les blessures
  • notes des AT nos 1 à 6 et de l’AI
  • vidéo de l’aire de mise en détention du poste de police
  • enregistrement des transmissions de la police
  • procédure : Surveillance
  • procédure : Opérations d’infiltration
  • procédure : Recours à la force
  • dossiers de formation de l’AI et des AT nos 1 et 2
  • fiche détaillée du véhicule de transfert au palais de justice

Dispositions législatives petinentes

Paragraphe 25(1) du Code criminel – Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :

  1. soit à titre de particulier;
  2. soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public;
  3. soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public;
  4. soit en raison de ses fonctions,

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Paragraphe 354(1) du Code criminel – Possession de biens criminellement obtenus

354 (1) Commet une infraction quiconque a en sa possession un bien, une chose ou leur produit sachant que tout ou partie d’entre eux ont été obtenus ou proviennent directement ou indirectement :

  1. soit de la perpétration, au Canada, d’une infraction punissable sur acte d’accusation;
  2. soit d’un acte ou d’une omission en quelque endroit que ce soit, qui aurait constitué, s’il avait eu lieu au Canada, une infraction punissable sur acte d’accusation.

Paragraphe 4(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances – Possession de substances

4 (1) Sauf dans les cas autorisés aux termes des règlements, la possession de toute substance inscrite aux annexes I, II ou III est interdite.

Paragraphe 5(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances – Trafic de substances

5 (1) Il est interdit de faire le trafic de toute substance inscrite aux annexes I, II, III, IV ou V ou de toute substance présentée ou tenue pour telle par le trafiquant.

Paragraphe 5(2) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances – Possession en vue du trafic

(2) Il est interdit d’avoir en sa possession, en vue d’en faire le trafic, toute substance inscrite aux annexes I, II, III ou IV.

Analyse et décision du directeur

Le 16 juillet 2017, après divers préparatifs, un agent d’infiltration, l’AT no 3, a donné rendez vous au plaignant au panneau vert « P » du terrain de stationnement situé au 157, rue Beatrice, pour effectuer une transaction de drogue. L’AT no 3 devait remettre 480 $ en espèces au plaignant en échange d’une certaine quantité de cocaïne. Le but de cette transaction de drogue, qui succédait à plusieurs autres transactions de drogue réussies au cours des jours précédents entre l’AT no 3 et le plaignant, était de recueillir suffisamment d’éléments de preuve pour obtenir et exécuter un mandat d’acquisition à la résidence du plaignant, dans l’espoir de trouver d’autres éléments de preuve en lien avec des infractions de trafic de stupéfiants et de possession de stupéfiants en vue d’en faire le trafic, en contravention des paragraphes 5(1) et (2) de la Loi réglementant certaines drogues et d’autres substances (LRCDAS). Le plan était que, dès que la transaction de drogue serait terminée, l’AT no 3 donnerait le signal et les autres agents de l’escouade antidrogue qui se cachaient à proximité convergeraient vers le véhicule d’infiltration pour procéder à l’arrestation du plaignant, à la suite de quoi ils iraient exécuter le mandat de perquisition à la résidence du plaignant.

L’AT no 3 a garé son véhicule d’infiltration à l’endroit convenu à 19 h 14 et a observé le plaignant arriver sur les lieux à bicyclette, peu de temps après. Le plaignant s’est alors approché et a pris place dans le véhicule de l’AT no 3, sur le siège du passage, puis la transaction de drogue a eu lieu, à la suite de quoi l’AT no 3 a donné le signal et l’AT no 1 a donné l’ordre aux autres agents de converger vers le plaignant et de l’arrêter.

L’instant d’après, l’AI s’est approché du côté passager du véhicule de l’AT no 3, où le plaignant avait pris place, a ouvert la portière et a crié [traduction] « Police! Vous êtes en état d’arrestation! » Cela a été entendu tant par les autres agents de police qui avaient convergé vers le véhicule que par l’AT no 3, qui était toujours assis sur le siège du conducteur, et cela correspond à la déclaration faite par le plaignant.

L’AI s’est alors penché sur le véhicule pour arrêter le plaignant et l’a agrippé à la chemise; le plaignant a alors immédiatement tourné son corps pour faire face à l’AI et, en s’arc boutant sur le côté conducteur du véhicule, a commencé à donner des coups de pied à l’AI. Cette preuve concorde avec les observations faites par chacun des trois agents témoins. Qui plus est, cette version des faits est corroborée par les déclarations que le plaignant a lui même faites au sergent de mise en détention, déclarations qui ont été enregistrées dans la vidéo de la mise en détention et dans lesquelles il a dit [traduction] « ils pensaient que j’étais une menace et, accidentellement – par instinct – j’ai essayé de repousser l’agent et il pensait que je lui donnais des coups de pied. Alors je comprends parfaitement ce qui se passait. » J’estime que ce n’est pas une coïncidence si le plaignant a mentionné que l’agent de police pensait qu’il lui donnait des coups de pied, lorsque les quatre policiers ont bel et bien confirmé dans leurs déclarations que le plaignant donnait effectivement des coups de pied à l’AI. Je note aussi que le plaignant a mentionné au sergent des mises en détention qu’il avait une formation en arts martiaux.

L’AT no 3 a indiqué qu’il a vu le plaignant donner des coups de pied en faisant un mouvement qui s’apparentait à celui du « pédalage », frappant l’AI à plusieurs reprises à la poitrine, tandis que l’AI a indiqué qu’il a été surpris par les coups de pied, qu’il a décrits comme étant des coups de pied puissants qui l’ont atteint à la taille, au ventre et au haut du torse. L’AT no 2, qui a aussi observé le plaignant en train de donner des coups de pied à l’AI depuis l’intérieur du véhicule, a décrit ces coups de pied comme étant donnés avec un mouvement de « pédalage » et a vu l’un des coups de pied atteindre l’AI au haut de la poitrine. Il a aussi entendu l’AI crier au plaignant d’arrêter de donner des coups de pied.

Lorsque l’AI n’a pas été capable d’agripper le plaignant par la chemise, il l’a saisi par les chevilles, l’a tiré hors du véhicule et l’a mis au sol. Pendant qu’il était tiré hors du véhicule par les chevilles, le plaignant s’est cogné sur le cadre de la portière du véhicule avant d’atterrir au sol, sur le ventre.

à ce moment-là, l’AT no 1 et l’AT no 2 sont tous deux arrivés pour prêter assistance à l’AI pendant que le plaignant continuait de résister en donnant des coups de pied et en agitant ses bras. L’AI a dit au plaignant d’arrêter de résister. Cela concorde avec le témoignage de l’AT no 1, qui a pu entendre l’AI crier [traduction] « Police! Vous êtes en état d’arrestation. Arrêtez de lutter! »

Il est allégué que, alors que le plaignant était encore à l’intérieur du véhicule de l’AT no 3, quatre hommes inconnus se sont approchés de la fenêtre côté passager et ont commencé à crier au plaignant de sortir du véhicule et que le plaignant ignorait qu’ils étaient des agents de police jusqu’à ce que quelqu’un ouvre la portière côté passager et que l’un des policiers s’identifie comme agent de police. Il est allégué que l’AI a alors frappé le plaignant au visage de cinq à sept fois, tout en l’agrippant par la chemise, et qu’il a fait sortir le plaignant de la fourgonnette. Le plaignant a alors été mis au sol où il a atterri face contre terre et a brièvement perdu connaissance. Lorsqu’il est revenu à lui, il a été menotté.

Comme je l’ai déjà mentionné plus haut, je rejette l’allégation selon laquelle le plaignant n’opposait pas de résistance, non seulement parce que les trois agents témoins l’ont vu donner des coups de pied à l’AI, mais aussi en raison des déclarations que le plaignant a lui même faites au sergent de mise en détention selon lesquelles les agents avaient pu croire qu’il donnait des coups de pied alors qu’il essayait de repousser l’agent. Je considère de plus que cette conclusion est corroborée par le fait que l’AI a pu saisir le plaignant par les chevilles et le tirer hors du véhicule, manœuvre qu’il aurait été presque impossible à l’AI d’exécuter, à mon sens, si les pieds du plaignant avaient reposé sur le plancher de l’habitacle du véhicule, plutôt que si le plaignant était en train de donner des coups de pied à l’AI.

Bien qu’aucun des agents témoins n’ait réellement observé l’AI frapper le plaignant du poing, l’AI a volontiers admis qu’il avait donné trois coups de poing au côté droit de la tête et du visage du plaignant, alors que le plaignant continuait de résister en donnant des coups de pieds et en agitant ses bras. L’AI a indiqué qu’il essayait de contrôler les bras du plaignant pour tenter de le menotter dans le dos et qu’il estimait qu’il était immédiatement nécessaire de contrôler le plaignant pour l’empêcher de s’échapper, et que c’est la raison pour laquelle il lui a administré les trois coups de poing, qu’il a décrits comme des coups de distraction qui avaient pour but de distraire le plaignant pour le faire obtempérer. Ces coups se sont avérés efficaces; les agents ont alors pu menotter le plaignant et le fouiller; ils ont trouvé sur lui un canif, une certaine quantité de cocaïne ainsi que l’argent de la police ayant servi à la transaction de drogue. L’AI a tout de suite admis qu’il était responsable des blessures qu’il a alors observées sur le plaignant, soit qu’il y avait du sang sur son œil droit et son front et que la zone sur laquelle il avait administré des coups de poing étaient enflée.

à la suite de son arrestation, le plaignant a fait face à quatre chefs d’accusation de trafic de cocaïne et quatre autres de possession de cocaïne en vue d’en faire le trafic, en contravention de la LRCDAS, ainsi que quatre chefs de possession de produits de la criminalité, en contravention au Code criminel.

Bien que le plaignant ait initialement refusé un traitement médical, après sa première comparution en cour, il a été emmené à l’hôpital, où il a reçu un diagnostic de fracture du sinus frontal gauche (la zone se trouvant derrière le sourcil), ce qui a nécessité une chirurgie.

Après avoir examiné tous les éléments de preuve dignes de foi qui m’ont été présentés, je conclus que le plaignant, après que l’AI l’eut informé qu’il était un agent de police et qu’il le mettait en état d’arrestation, a donné de nombreux coups de pied à l’AI, le frappant à la taille, au ventre et à la poitrine. Je conclus en outre que le plaignant, tandis qu’il exposait ses pieds à l’AI en lui donnant des coups de pied, a été tiré hors du véhicule par les chevilles, s’est cogné au cadre de la portière en sortant du véhicule et a atterri face contre terre sur le sol, où il a continué d’agiter ses pieds et ses bras. à ce moment-là, pour tenter de le faire obtempérer et l’empêcher de s’échapper, l’AI a donné trois coups de poing au plaignant, sur la tête et sur le visage.

Enfin, j’admets que le plaignant a subi des blessures, soit lorsqu’il s’est cogné à la tête contre le cadre de la portière du véhicule alors qu’on le tirait hors du véhicule par les chevilles, soit lorsqu’il a atterri au sol, face la première, et qu’il s’est cogné le visage sur le sol, soit lorsque l’AI lui a administré trois coups de poing sur la région de la tête et du visage, ou encore par une combinaison des trois. Quel que soit le scénario retenu, il ne fait aucun doute que les blessures du plaignant ont été causées par la police, alors que les agents tentaient de l’arrêter.

Pour que l’AI puisse se prévaloir de la protection contre les poursuites prévue par le paragraphe 25(1) du Code criminel, il faut établir qu’il agissait dans le cadre de ses fonctions légitimes lorsqu’il a causé les blessures au plaignant, et que, ce faisant, il n’a pas recouru à une force excessive mais n’a plutôt employé que la force qui était justifiée et nécessaire dans les circonstances.

Je me pencherai d’abord sur la question de savoir si l’AI et les autres agents impliqués dans l’arrestation du plaignant agissaient dans l’exercice de leurs fonctions. Compte tenu des faits qui m’ont été présentés, à la lumière des éléments de preuve dignes de foi, il ne fait pas de doute que la police avait des motifs raisonnables d’arrêter le plaignant pour possession ainsi que pour trafic d’une substance désignée, en contravention de la LRCDAS. La police a fondé ses motifs sur les observations directes de l’AT no 3 selon lesquelles le plaignant était en possession et se livrait au trafic de stupéfiants non seulement lors de la transaction de drogue sous couverture effectuée le 16 juillet, mais aussi lors de toutes les semblables transactions effectuées les jours précédents dans le cadre de l’opération d’infiltration. Par conséquent, il est clair que l’appréhension et l’arrestation du plaignant étaient légalement justifiées dans les circonstances.

En ce qui a trait au degré de force utilisé par l’AI pour tenter de maîtriser le plaignant, lequel attaquait l’AI activement et avec force et résistait à son arrestation, vraisemblablement pour pouvoir échapper à la police, j’estime que l’AI n’a pas employé une force excessive lorsqu’il a tiré le plaignant hors du véhicule et que celui-ci est tombé face contre terre, ou lorsqu’il l’a frappé trois fois et que le plaignant a continué de résister. Je reconnais pleinement que les agents de police impliqués dans cette opération, en particulier l’AI, se sont retrouvés face à une situation imprévue dans laquelle le plaignant a soudainement et avec force commencé à agresser l’AI. Je conclus, en outre, que la résistance énergétique du plaignant et la réaction de l’AI à cette résistance énergique se produisaient dans une situation où les choses se déroulaient très rapidement et où il n’y avait pas beaucoup de temps pour bien mesurer ses actes, mais où il était urgent de réagir et de maîtriser le plaignant au plus vite afin de le faire obtempérer et de l’empêcher de fuir.

Je tiens également à souligner qu’il est fort probable, étant donné l’endroit de la blessure, qui a été décrit comme étant la zone du sinus frontal gauche, que le plaignant se soit blessé lorsqu’il s’est cogné la tête sur le cadre de la portière du véhicule plutôt que lorsqu’il a reçu des coups de poing de l’AI. Je tire cette conclusion en me fondant sur un certain nombre de faits, dont les suivants : lorsque le plaignant a été tiré hors du côté passager du véhicule, ç’aurait été le côté gauche de sa tête qui aurait été le plus près du cadre de la portière; les photos et les dossiers médicaux confirment que le plaignant avait une ecchymose sous la forme d’un œil au beurre noir et plusieurs coupures sur le côté droit du visage, ce qui correspond aux coups de poing donnés par l’AI, lesquels ont été décrits par l’AI comme ayant été administrés sur le côté droit de la tête et du visage du plaignant, alors que la fracture du sinus frontal se trouvait en fait sur le côté gauche de son visage; dans les ouvrages médicaux, il est indiqué que ce type de blessure est le plus souvent causé par une collision de véhicule ou une chute. Toutefois, même si le plaignant avait subi sa fracture à la suite des coups de poing que l’AI lui a administrés, ce que j’estime peu probable, je ne considère pas qu’il s’agissait là de l’emploi d’une force excessive. Bien que l’AI ait effectivement administré trois coups de poing rapides au visage du plaignant, je note que le plaignant a continué de se débattre tout le temps et qu’une fois qu’il s’est calmé aucune autre force n’a été employée, si ce n’est que le minimum requis pour le menotter.

Pour en arriver à cette conclusion, je garde à l’esprit l’état du droit applicable tel qu’il a été énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Nasogaluak, [2010] 1 R.C.S. 206, qui dit ceci :

Les actes des policiers ne devraient pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Il ne faut pas oublier que ceux ci accomplissent un travail exigeant et dangereux et qu’ils doivent souvent réagir à des situations urgentes. Leurs actes doivent alors être appréciés selon ce que commande ce contexte difficile. Comme le juge Anderson l’explique dans R. v. Bottrell (1981), 60 C.C.C. (2d) 211 (C. A. C. B.) :

[traduction] Pour déterminer si la force employée par le policier était nécessaire, les jurés doivent tenir compte des circonstances dans lesquelles le policier y a eu recours. Il aurait fallu leur indiquer qu’on ne pouvait pas s’attendre à ce que l’appelant mesure la force appliquée avec précision. [p. 218]

De plus, j’ai tenu compte de la décision que la Cour d’appel de l’Ontario a rendue dans l’affaire R. v. Baxter (1975), 27 C.C.C. (2d) 96 (C.A. de l’Ont.), qui établit que l’on ne peut pas s’attendre à ce que les policiers apprécient avec exactitude le degré de force qu’ils emploient dans leur intervention, ainsi que de la décision que le juge Power de la Cour supérieure de justice de l’Ontario a rendue dans l’affaire Chartier c. Greaves, [2001] O.J. no 634, telle qu’adoptée par la Cour suprême du Canada et qui établit les points pertinents suivants à prendre en considération en pareilles circonstances :

[traduction]

  1. « Il faut tenir compte dans une certaine mesure du fait qu’un agent, dans les exigences du moment, peut mal mesurer le degré de force nécessaire pour restreindre un prisonnier. » Le même principe s’applique à l’emploi de la force pour procéder à une arrestation ou empêcher une évasion. à l’instar du conducteur d’un véhicule faisant face à une urgence soudaine, le policier « ne saurait être tenu de respecter une norme de conduite dont on aura ultérieurement déterminé, dans la quiétude d’une salle d’audience, qu’elle constituait la meilleure méthode d’intervention. » (Foster c. Pawsey) En d’autres termes, c’est une chose que d’avoir le temps, dans un procès s’étalant sur plusieurs jours, de reconstituer et d’examiner les événements survenus le soir du 14 août, mais ç’en est une autre que d’être un policier se retrouvant au milieu d’une urgence avec le devoir d’agir et très peu d’un temps précieux pour disséquer minutieusement la signification des événements ou réfléchir calmement aux décisions à prendre. (Berntt c. Vancouver).
  2. Les agents de police exercent une fonction essentielle dans des circonstances parfois difficiles et souvent dangereuses. La police ne doit pas être indûment entravée dans l’exécution de cette obligation. Les policiers doivent fréquemment agir rapidement et réagir à des situations urgentes qui surviennent soudainement. Leurs actes doivent donc être considérés à la lumière des circonstances.
  3. « Il est à la fois déraisonnable et irréaliste d’imposer à la police l’obligation d’employer le minimum de force nécessaire susceptible de permettre d’atteindre son objectif. Si une telle obligation était imposée aux policiers, il en résulterait un danger inutile pour eux mêmes et autrui. En pareilles situations, les policiers sont fondés à agir et exonérés de toute responsabilité s’ils n’emploient que la force nécessaire en agissant sur le fondement de leur évaluation raisonnable des circonstances et des dangers auxquels ils se trouvent exposés. (Levesque c. Zanibbi et al.).

Dans ce dossier, il est clair que la force employée par l’AI pour tenter d’empêcher les assauts continus du plaignant sur lui-même et de neutraliser les efforts déployés par le plaignant pour s’échapper était dans les limites de ce qui était raisonnablement nécessaire dans les circonstances pour procéder à l’arrestation légale du plaignant. Il est possible, si l’AI avait eu le loisir d’évaluer la situation après avoir administré un ou deux coups de poing au plaignant et de déterminer si le plaignant était maintenant disposé à cesser son comportement combattif et à se soumettre à son arrestation, que l’AI n’aurait peut-être pas administré le troisième coup. Toutefois, alors que le plaignant continuait de donner des coups de pied et d’agiter ses bras, l’AI n’avait pas une minute à perdre et il a agi rapidement et efficacement pour écarter la menace que le plaignant continuait de représenter jusqu’à ce qu’il soit mis sous garde de façon sécuritaire.

En dernière analyse, je suis convaincu, pour les raisons qui précèdent, que la mise sous garde du plaignant et la manière dont cela s’est fait étaient légitimes malgré la blessure subie par le plaignant. Je conviens parfaitement que les blessures du plaignant sont principalement imputables aux efforts des policiers pour neutraliser son comportement agressif et sa résistance, et je conclus que dès que le plaignant a cessé de résister, aucune autre force n’a été employée contre lui par l’un ou l’autre des policiers. Je suis donc convaincu, pour des motifs raisonnables dans ce dossier, que les gestes posés par l’AI étaient dans les limites prescrites par le droit criminel et qu’il n’y a pas lieu de porter des accusations en l’espèce.

Date : 5 avril 2018

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.