Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 17-OCI-178

Attention :

Cette page affiche un contenu graphique pouvant choquer, offenser et déranger.

Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu à une allégation d’agression sexuelle.

Les « blessures graves » englobent celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, a priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant que la gravité de la blessure puisse être évaluée, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider de l’envergure de son intervention.

Ce rapport décrit l’enquête menée par l’UES sur la blessure grave subie par un homme de 52 ans lors de son arrestation le 3 juillet 2017.

L’enquête

Notification de l’UES

Vers 11 h, le jeudi 13 juillet 2017, le plaignant a communiqué avec l’UES et a signalé que le dimanche 2 juillet 2017, il avait affiché sur Facebook des messages annonçant qu’il voulait se suicider.

Le lundi 3 juillet 2017, peu après minuit, le plaignant était debout dans son entrée avec un verre d’alcool à la main, lorsque deux agents du Service de police de Stratford (SPS) sont arrivés. Le plaignant connaissait le prénom de l’un des agents de police (l’AT no 1). Le plaignant parlait à l’AT no 1 quand l’autre agent de police (l’AI) lui a dit de déposer son verre. Le plaignant a refusé et cet agent de police (l’AI) a placé la main sur son pistolet de service et lui a de nouveau dit de déposer son verre. Le plaignant a remis sa boisson à l’AT no 1. La chose suivante dont il se souvenait était d’avoir été placé dans une voiture de patrouille alors qu’il était menotté et d’avoir vu du sang dans l’entrée. Le plaignant a ensuite été amené à l’hôpital par la police, où il a parlé à des travailleurs sociaux en intervention d’urgence. Il a consulté son médecin de famille le lendemain et, d’après le diagnostic, il avait une commotion cérébrale.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 3

Nombre d’enquêteurs judiciaires de l’UES assignés : 0

Plaignant :

Entretien avec l’homme âgé de 52 ans, obtention et examen des dossiers médicaux

Témoins civils (TC)

TC no 1 A participé à une entrevue

Agents témoins (AT)

AT no 1 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

AT no 2 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

Agents impliqués (AI)

AI no 1 A participé à une entrevue, mais n’a pas consenti à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.

Description de l’incident

Le plaignant a affiché sur sa page Facebook un message indiquant qu’il allait se suicider, mais qu’il devait simplement attendre d’en avoir le courage. Par conséquent, deux agents de police [dont on sait maintenant qu’il s’agissait de l’AT no 1 et de l’AI] sont arrivés à son adresse.

L’AT no 1 avait établi une relation par le passé avec le plaignant et a commencé à avoir une conversation avec lui. Le plaignant avait une boisson alcoolisée à la main et était intoxiqué, et l’AI a dit au plaignant de déposer son verre. Le plaignant a commencé à protester et est devenu agressif envers l’AI.

L’AI a dit au plaignant qu’il le mettait en état d’arrestation en vertu de la Loi sur la santé mentale (LSM). Le plaignant a continué de contester et a désobéi à l’ordre de l’AI de déposer sa boisson. Dès que l’AI a saisi le bras du plaignant, le plaignant s’est tendu et a serré les poings. L’AI a répété au plaignant de déposer son verre et a tenté de le lui enlever.

Le plaignant a essayé de s’éloigner de l’AI, qui a alors mis le plaignant au sol, auquel moment le plaignant s’est cogné la tête sur le revêtement de l’entrée.

Plus tard, le plaignant a été transporté à l’hôpital. Après une rencontre avec un intervenant en intervention dans les situations de crise, il a été libéré.

Nature des blessures / traitement

Le 3 juillet 2017, le plaignant a été admis à l’hôpital pour y subir une évaluation psychiatrique. Pendant qu’il s’y trouvait, il a reçu des soins pour une lacération au cuir chevelu, après quoi il a reçu son congé.

Le 4 juillet 2017, le plaignant est allé voir son propre médecin, qui l’a examiné. Le médecin a constaté que le plaignant avait une écorchure à l’occiput (partie arrière de la tête), un mal de tête continu et une photophobie (sensibilité à la lumière), ce qui l’a amené à conclure que le plaignant avait subi une légère commotion cérébrale.

Preuve

Les lieux de l’incident

L’incident est survenu dans l’entrée de la résidence du plaignant à Stratford. Comme le plaignant n’a reçu un diagnostic de commotion cérébrale qu’après la fin de son contact avec la police et que l’UES n’en a été avisée que 11 jours plus tard, la scène n’a pas été bouclée et les éléments de preuve n’étaient plus disponibles pour enquête ou analyse.

Éléments de preuve médico-légaux

Aucun élément n’a été soumis pour analyse au Centre des sciences judiciaires.

Preuve vidéo/audio/photographique

On n’a trouvé aucune photographie ni aucun enregistrement vidéo ou audio de l’interaction.

Enregistrements de communications

Résumé des enregistrements des communications :

Une femme a appelé le numéro 9-1-1 et a déclaré que le mari de sa collègue (désigné maintenant comme le plaignant) avait affiché une note de suicide sur Facebook il y avait environ une heure avant cela. Elle a signalé que le plaignant avait déclaré qu’il attendait de surmonter sa peur et d’avoir le courage de se suicider.

La répartitrice a répondu qu’elle connaissait le plaignant et que les agents de police étaient en route.

La répartitrice a transmis l’information à l’AI.

Documents et éléments obtenus du Service de police

L’UES a demandé au SPS les éléments et documents suivants, qu’elle a obtenus et examinés :

  • rapport d’arrestation
  • détails de la répartition assistée par ordinateur (RAO)
  • notes des AT nos 1 et 2
  • enregistrement de l’appel au 9-1-1
  • enregistrement des communications du service de répartition de la police
  • procédure : Arrestation, aire des cellules et gestion et contrôle des prisonniers
  • procédure : Recours à la force
  • procédure : Intervention de la police auprès des personnes atteintes de maladie mentale, de troubles émotionnels
  • dossier de formation (requalification - recours à la force) de l’AI

L’UES a également obtenu et examiné les documents suivants provenant d’autres sources :

  • dossiers hospitaliers du plaignant concernant cet incident
  • dossiers médicaux du plaignant établis par son propre médecin relativement à cet incident

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 25(1) du Code criminel – Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :

  1. soit à titre de particulier
  2. soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
  3. soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
  4. soit en raison de ses fonctions

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Article 17 de la Loi sur la santé mentale – Intervention de l’agent de police

17 Si un agent de police a des motifs raisonnables et probables de croire qu’une personne agit ou a agi d’une façon désordonnée et qu’il a des motifs valables de croire que cette personne :

  1. soit a menacé ou tenté de s’infliger des lésions corporelles ou menace ou tente de le faire
  2. soit s’est comportée ou se comporte avec violence envers une autre personne ou de manière à lui faire craindre qu’elle lui causera des lésions corporelles
  3. soit a fait ou fait preuve de son incapacité de prendre soin d’elle-même

et qu’en plus, il est d’avis que cette personne souffre, selon toute apparence, d’un trouble mental d’une nature ou d’un caractère qui aura probablement l’une des conséquences suivantes :

  1. elle s’infligera des lésions corporelles graves
  2. elle infligera des lésions corporelles graves à une autre personne
  3. elle subira un affaiblissement physique grave

et qu’il serait dangereux d’agir selon les termes de l’article 16, il peut amener sous garde cette personne dans un lieu approprié afin qu’elle soit examinée par un médecin.

Analyse et décision du directeur

Le 3 juillet 2017, le Service de police de Stratford (SPS) a reçu un appel au numéro 9-1-1 d’une amie de l’épouse du plaignant, l’informant que le plaignant avait affiché sur sa page Facebook des commentaires au sujet de son souhait de s’ôter la vie. L’appelante a demandé l’aide de la police pour procéder à une vérification auprès du plaignant et pour s’assurer qu’il ne posait pas un danger pour lui-même. Par conséquent, l’AT no 1 et l’AI ont été envoyés à la résidence du plaignant.

Le plaignant a ensuite été arrêté en vertu de l’art. 17 de la Loi sur la santé mentale (LSM) et transporté à l’hôpital. Durant son interaction avec la police, le plaignant a subi une blessure au cuir chevelu, qui a été réparée, après quoi il a été libéré. Plus tard, le plaignant s’est présenté au cabinet de son médecin de famille et, selon le diagnostic, avait une commotion cérébrale, en raison de ses plaintes de maux de tête constants, de sensibilité à la lumière et d’un malaise général.

Le plaignant a indiqué qu’après avoir consommé environ 11 onces d’alcool dans la soirée du 2 juillet 2017, il avait affiché plusieurs commentaires sur sa page Facebook annonçant son intention de se suicider.

Le plaignant a indiqué que plus tard dans la soirée, il se trouvait dehors dans son entrée un verre à la main lorsque l’AT no 1 était arrivé chez lui dans une voiture de patrouille identifiée et s’était approché de lui et avait eu une discussion amicale avec lui. Peu après, une deuxième voiture de patrouille était arrivée avec l’AI. L’AI était sorti de sa voiture de patrouille alors que les phares illuminaient l’endroit où se trouvaient le plaignant et l’AT no 1, et l’AI avait été prié d’éteindre les phares, ce qu’il avait alors fait.

Le plaignant s’est rappelé que l’AI s’était alors placé directement devant lui et avait saisi sa manche droite, et qu’il avait exigé qu’il la lâche et que l’AI avait refusé. L’AI avait ordonné au plaignant de laisser tomber le verre qu’il avait à la main, et le plaignant avait refusé de le faire. Le plaignant avait alors regardé l’AT no 1 et lui avait demandé de dire à l’AI de le lâcher. L’AI avait informé le plaignant qu’il était l’agent qui s’occupait de lui et non l’AT no 1, et le plaignant avait alors répondu en disant à l’AI de le lâcher, et l’AI avait de nouveau ordonné au plaignant de laisser tomber sa boisson. Le plaignant avait vu la main droite de l’AI se rapprocher de son arme à feu et avait demandé à l’AI pourquoi il faisait cela.

L’AI avait de nouveau exigé que le plaignant lâche sa boisson, et le plaignant avait de nouveau refusé. L’AT no 1 avait alors proposé de prendre la boisson du plaignant, et le plaignant lui avait remis le verre. Le plaignant ne se souvient pas de ce qui s’était passé ensuite, jusqu’à ce qu’il se trouve debout et menotté à la voiture de patrouille de l’AT no 1 et qu’il avait mal à l’arrière de la tête.

Le plaignant a admis qu’une fois que l’AT no 2 était arrivé, il avait été ouvertement agressif envers l’AI et lui avait dit qu’en dépit de tous ses efforts, il se tenait toujours debout, et lui avait demandé de lui retirer ses menottes, afin qu’il puisse se battre avec lui. L’AT no 2 a dit au plaignant de se calmer et lui a parlé de ses problèmes de santé mentale. L’AT no 1 a ensuite transporté le plaignant à l’hôpital. Le plaignant avait une éraflure à l’arrière de la tête, d’où pendait de la peau, qui avait été recollée à l’hôpital, avant qu’il soit libéré. Le plaignant s’était approché des AT nos 2 et 1 à l’extérieur de l’hôpital, leur avait présenté des excuses et les avait remerciés de leur aide.

Le 4 juillet 2017, le plaignant a consulté son médecin de famille, qui a conclu qu’il avait subi une commotion cérébrale.

Au cours de cette enquête, le plaignant est le seul témoin civil de l’incident à avoir été interrogé, puisque qu’aucun autre civil n’en avait été témoin. Le médecin de famille du plaignant a également été interrogé, et ses dossiers médicaux ont été mis à la disposition des enquêteurs de l’UES pour examen. De plus, les trois agents de police, y compris l’agent impliqué, ont été interviewés et les enregistrements des appels au 9-1-1 et des transmissions radiophoniques des policiers ont été fournis aux enquêteurs de l’UES.

Étonnamment, malgré l’état psychologique du plaignant et son degré d’intoxication, il y a peu de désaccord entre sa version des événements et celle des trois agents de police qui ont eu une certaine interaction avec lui, à l’exception de la partie des événements dont le plaignant n’avait aucun souvenir. L’AT no 1 et l’AI ont tous deux confirmé que l’AT no 1 était arrivé au domicile du plaignant en premier et que l’interaction avait été amicale jusqu’à l’arrivée de l’AI.

Il semble qu’à l’arrivée de l’AI, les choses se soient envenimées, apparemment parce que le plaignant était devenu contrarié du fait que l’AI avait laissé ses phares allumés et l’illuminaient et parce qu’il ne voulait pas qu’on [traduction] « fasse une scène ».

Selon l’AT no 1, en réponse à la question du plaignant demandant à l’AI pourquoi il avait dirigé ses phares vers lui, l’AI avait répondu [traduction] « Pourquoi mettez-vous ces choses sur Facebook? », après quoi il avait immédiatement tenté d’appréhender le plaignant.

Il semble clair, d’après la preuve fournie par toutes les parties présentes, qu’alors que l’AT no 1 avait été discret et amical avec le plaignant, l’AI était immédiatement en situation de confrontation et que le plaignant avait réagi en adoptant une attitude qui reflétait celle de chacun des agents. Alors que l’AI, bien qu’il sache que le plaignant traversait une crise de santé mentale et qu’il menaçait de se suicider, s’était approché du plaignant avec son corps en biais et avec sa main soit reposant sur son arme à feu, soit proche de celle-ci, et lui avait ordonné plusieurs fois de laisser tomber sa boisson et de présenter ses mains pour qu’elles soient menottées; l’AT no 1 avait dit au plaignant de ne pas se battre avec eux, car ils avaient juste l’intention de l’amener à l’hôpital, et il avait proposé de prendre le verre du plaignant, qui la lui avait alors remis de plein gré.

L’AT no 1 a dit que l’AI avait ensuite saisi le plaignant par le bras, l’avait fait pivoter et avait perdu sa prise sur lui et que le plaignant avait continué de tourner et était tombé dans l’entrée tout en se cognant la tête sur le revêtement, incident que l’AT no 1 a décrit plus tard à l’AT no 2 comme une chute « dure » sur le sol durant laquelle le plaignant s’était heurté la tête.

L’AT no 1 a en outre précisé que le plaignant avait continué de rouler au sol après son pivotement et qu’il semblait avoir perdu connaissance pendant deux ou trois secondes, et qu’après cela, il avait été menotté et escorté jusqu’à la voiture de patrouille.

Le souvenir de l’AI était légèrement différent en ce sens qu’il se souvenait d’avoir saisi les poignets du plaignant et que l’AT no 1 avait ensuite pris le verre de la main du plaignant, et qu’à ce moment-là, le plaignant avait reculé, ce qui avait incité l’AI à essayer de mettre le plaignant au sol, mais du fait que le plaignant était un homme corpulent et s’était affaissé sans qu’il s’y attende, l’AI n’avait pas pu contrôler sa chute et le plaignant avait atterri sur le sol de manière incontrôlée et était tombé sur le dos et s’était cogné la tête.

Il n’est pas contesté et le plaignant admet ouvertement qu’il a eu une confrontation avec l’AI après son arrestation et qu’il voulait se battre; chacun des agents a entendu et observé cela.

Plus tard, l’AT no 1 a transporté le plaignant à l’hôpital et les AT nos 1 et 2 ont tous deux eu la sagesse de prévenir toute autre interaction entre le plaignant et l’AI. Il n’est pas non plus contesté qu’après avoir été examiné à l’hôpital, le plaignant est venu parler aux AT nos 2 et 1 et s’est excusé et les a remerciés de leur aide.

En vertu du paragraphe 25(1) du Code criminel, les agents de police peuvent seulement recourir à la force qui est raisonnablement nécessaire dans l’exécution d’une obligation légale. En ce qui concerne d’abord la légalité de l’appréhension du plaignant, il ressort clairement du témoignage du plaignant qu’il traversait une crise de santé mentale et qu’il avait affiché des commentaires sur sa page Facebook indiquant qu’il envisageait de se suicider, ce qu’il a ensuite confirmé en la présence de l’AI. En vertu de l’article 17 de la LSM, un agent de police qui a des motifs raisonnables et probables de croire qu’une personne a menacé de s’infliger des lésions corporelles et souffre d’un trouble mental susceptible de lui causer des lésions corporelles graves peut placer cette personne sous garde et l’amener à un endroit où un médecin peut l’examiner. Après avoir examiné la preuve qui m’a été présentée, je conclus que l’AI avait les motifs raisonnables et probables nécessaires pour appréhender le plaignant en vertu de l’article 17; par conséquent, l’appréhension du plaignant était légalement justifiée dans les circonstances.

En ce qui concerne la force utilisée par l’AI dans ses tentatives d’appréhender et de menotter le plaignant, j’accepte le témoignage de l’AT no 1 selon lequel l’AI n’a rien fait de plus que saisir le plaignant par le bras et le pivoter pour le menotter derrière le dos, mais il a ensuite lâché prise et le plaignant a fini par tomber durement sur le sol, s’est cogné la tête et a brièvement perdu connaissance.

Pour cette raison, je conclus que l’AI, qui était légalement en droit d’appréhender le plaignant, n’a pas utilisé plus de force que ce qui était légalement justifié pour maîtriser le plaignant, le menotter et l’amener à l’hôpital pour y subir une évaluation psychiatrique. Cela dit, je suis fermement d’avis que si cette affaire avait été gérée avec un peu plus de tact et de délicatesse, et avec un peu moins de confrontation et d’agression de la part de l’AI, cet incident aurait pu être entièrement évité.

Il est clair que si l’AI avait adopté la même attitude que les AT nos 1 et 2 et qu’il avait traité le plaignant avec un certain respect et une certaine déférence, il est fort probable que ce dernier aurait eu une attitude semblable, comme c’était le cas envers les AT nos 1 et 2. Au lieu de cela, l’AI est arrivé sur la scène comme un chien dans un jeu de quilles et a immédiatement confronté le plaignant en lui posant la question suivante : [traduction] « Pourquoi mettez-vous ces choses sur Facebook? », suivi presque immédiatement de plusieurs ordres et exigences de lâcher la boisson et de se mettre les mains dans le dos, ce qui a immédiatement fait reculer le plaignant et la situation est tournée au vinaigre.

Il me semble que tout cela ait été fort inutile dans les circonstances. Le plaignant avait indiqué qu’il était suicidaire et non pas meurtrier, qu’il traversait manifestement une crise et qu’il n’était pas armé (bien que le verre qu’il avait à la main ait pu être utilisé comme arme). Je ne peux en toute bonne conscience comprendre la nécessité pour l’AI « d’adopter sa position habituelle » avec le plaignant et de s’approcher de lui en mettant son corps « de biais » tout en ayant la main sur son arme à feu ou près de celle-ci, puis de le confronter immédiatement. Il ressort clairement du témoignage du plaignant et de l’AT no 1 que ce dernier contrôlait bien la situation et que les choses se déroulaient bien jusqu’à ce que l’attitude de l’AI change l’intensité de l’incident.

Le public a l’impression, comme l’a clairement indiqué le médecin qui a examiné le plaignant dans ses notes médicales, que la police ne sait pas comment intervenir correctement auprès des personnes qui traversent une crise de santé mentale. Les actions de l’AI alimenteraient certainement cette perception et, bien que ses actions ne soient pas graves au point où j’aurais des motifs raisonnables de croire que l’infraction criminelle de voies de fait causant des lésions corporelles (contrairement à l’article 267 du Code criminel) a été commise, cet incident aurait pu être géré de façon plus bienveillante et plus calme, avec beaucoup moins de confrontation et avec plus de compassion.

Compte tenu de l’ensemble de la preuve qui m’a été présentée, pour les raisons qui précèdent, je conclus qu’il n’y a pas de motifs raisonnables de conclure qu’une infraction criminelle a été commise dans cette affaire et aucune accusation ne sera portée. Pour en arriver à cette conclusion, j’ai tenu compte de la jurisprudence dominante établie par la Cour suprême du Canada dans R. c. Nasogaluak [2010] 1 R.C.S. 206, qui dit ceci :

Les actes des policiers ne devraient pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Il ne faut pas oublier que ceux-ci accomplissent un travail exigeant et dangereux et qu’ils doivent souvent réagir à des situations urgentes. Leurs actes doivent alors être appréciés selon ce que commande ce contexte difficile. Comme le juge Anderson l’explique dans R. c. Bottrell (1981), 60 C.C.C. (2d) 211 (C.A.C.‐B.) :

[traduction] Pour déterminer si la force employée par le policier était nécessaire, les jurés doivent tenir compte des circonstances dans lesquelles le policier y a eu recours. Il aurait fallu leur indiquer qu’on ne pouvait pas s’attendre à ce que l’appelant mesure la force appliquée avec précision. [p. 218]

De plus, j’ai pris en considération la décision rendue par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire R. c. Baxter (1975), 27 C.C.C. (2d) 96 (C. A. de l’Ont.), selon laquelle on ne peut pas s’attendre à ce que les policiers apprécient avec exactitude le degré de force qu’ils emploient dans leur intervention.

Ainsi, en dernière analyse, étant donné que la chute et le coup de tête contre le sol étaient involontaires, aucune accusation ne sera portée.

Date : 8 mai 2018

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.