Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 17-OCI-215

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu une allégation d’agression sexuelle.

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Ce rapport décrit l’enquête de l’UES sur la blessure grave qu’aurait subie un homme âgé de 48 ans lors de son arrestation, le 16 août 2017.

L’enquête

Notification de l’UES

Le mercredi 16 août 2017, vers 23 h 10, le Service de police de Sarnia (SPS) a informé l’UES de la blessure subie par le plaignant lors de sa mise sous garde.

Le SPS a signalé que vers 14 h 50, le même jour, des agents du SPS ont tenté d’arrêter un véhicule conduit par le plaignant, qui était recherché en lien avec des mandats non exécutés et une révocation de liberté sous caution émis contre lui par la Police provinciale de l’Ontario (PPO), détachement de Petrolia. Après une courte poursuite en voiture, le plaignant a abandonné son véhicule et s’est enfui à pied. Il a tenté d’escalader une clôture, mais sans y parvenir. Il a été tiré vers le sol et mis en état d’arrestation.

Vers 15 h 45, le plaignant a été emmené au quartier général du SPS pour les formalités de la mise en détention et, vers 18 h 40, il a été ramassé par des agents du détachement de la PPO à Petrolia, moment auquel il s’est plaint qu’il avait mal au visage. Le plaignant a alors été transporté à l’hôpital, où on lui a diagnostiqué une fracture de l’os orbitaire.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 2

Nombre d’enquêteurs judiciaires de l’UES assignés : 1

Plaignant :

Homme âgé de 48 ans; a participé à une entrevue; dossiers médicaux obtenus et examinés

Témoins civils (TC)

TC no 1 A participé à une entrevue

TC no 2 A participé à une entrevue

TC no 3 A participé à une entrevue

Agents témoins (AT)

AT no 1 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

AT no 2 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

AT no 3 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

AT no 4 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

AT no 5 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

AT no 6 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

De plus, les notes de deux autres agents ont été reçues et examinées.

Agents impliqués (AI)

AI no 1 A participé à une entrevue, mais n’a pas consenti à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.

Description de l’incident

Le mercredi 16 août 2017, vers 14 h 50, des agents du SPS effectuaient une opération de surveillance à une résidence connue pour être un lieu de transactions de drogue, lorsqu’ils ont observé le plaignant à la résidence. La police a vérifié la plaque d’immatriculation du plaignant à l’ordinateur et a découvert que sa mise en liberté sous caution pour des accusations en instance avait été révoquée et qu’un mandat d’arrestation avait été émis contre lui par le détachement de la PPO à Petrolia.

L’agent impliqué (AI) a demandé par radio que des unités de police identifiées viennent prêter assistance pour effectuer un contrôle routier, car lui‐même se trouvait dans un véhicule du SPS non identifié et qu’il ne pouvait donc pas effectuer seul un contrôle routier. Après une courte poursuite en voiture par d’autres agents du SPS, le plaignant a abandonné son véhicule et s’est enfui à pied. Il a tenté d’escalader une clôture, mais sans succès. Il a été tiré vers le sol puis arrêté par trois agents du SPS. L’AI est arrivé sur place lorsque l’arrestation était presque terminée. Le plaignant allègue que l’AI lui alors donné un coup de genoux au visage. Le plaignant a été transporté au poste de police et sa garde a ensuite été transférée à la PPO, qui l’a emmené à l’hôpital, où il a été évalué et traité.

Nature des blessures et traitement

Le plaignant a été emmené à la salle d’urgence pour un traumatisme facial, puis transporté à un deuxième hôpital pour une évaluation plus approfondie.

Un tomodensitogramme a révélé un complexe de fracture en tripode sur le côté droit (trois composantes distinctes de fracture à la région médiane du visage se composant de fractures à l’arcade zygomatique, à la partie supérieure de la pommette droite, sur la crête orbitaire (orbite de l’œil) inférieure et aux faces antérolatérale et postérolatérale du sinus maxillaire et à la crête orbitaire latérale, avec saignement correspondant dans la lumière du sinus maxillaire droit et emphysème au côté droit du cou et à la fosse temporale. Il y avait une fracture minimalement comminutive de la face postérieure du plancher orbitaire droit, sans compression du muscle extra oculaire ni hématome intra orbitaire. Aucune intervention chirurgicale n’était nécessaire et l’on n’anticipait pas de conséquences à long terme.

Le plaignant a obtenu une ordonnance pour du Naproxen et du Tramacet (pour soulager la douleur). Il a ensuite obtenu son congé de l’hôpital et été remis à la garde de la PPO car il était ambulatoire et avait un discours cohérent.

Le plaignant a été photographié. Ses blessures comprenaient des ecchymoses sous les deux yeux, des ecchymoses à l’épaule gauche, des ecchymoses sur le côté gauche du front et des ecchymoses aux coudes et à la partie supérieure de la jambe gauche.

Preuve

Les lieux de l’incident

La scène de l’incident était une adresse à Sarnia. L’adresse était une maison unifamiliale avec, à droite, une entrée de cour menant à un garage situé à l’arrière de la propriété. À droite du garage, il y avait une grille métallique blanche entre le garage et une clôture de bois qui séparait l’entrée de cour de la propriété voisine.

Après la grille, il y avait un passage entre le garage et la clôture de bois aboutissant à une autre clôture de bois. La hauteur de la grille était de 1,3 mètre (m). La clôture de bois au niveau de la grille métallique avait une hauteur de 1,7 mètre. La hauteur de la clôture de bois à l’extrémité du passage était de 1,6 mètre.

La scène a été photographiée.

Photographie du passage

Photographie du passage

Preuve criminalistique

Aucun élément n’a été envoyé pour analyse au Centre des sciences judiciaires.

Preuve vidéo/audio/photographique

Vidéo cellulaire (résumé)

La vidéo du SPS fournit à l’UES se composait d’un DVD comportant quatre plages d’enregistrement vidéo de l’unité de détention du SPS. La première plage, étiquetée [traduction] « Entrée sécurisée, ouest », montre deux agents du SPS qui transfèrent le plaignant hors du poste du SPS, vers 18 h 32. Il ne semblait pas y avoir de blessure visible au visage du plaignant.

La deuxième plage, étiquetée [traduction] « Salle filmée de détention provisoire », commence à approximativement 3 h 54 du matin. On y voit un agent du SPS, dont on pense qu’il s’agissait de l’agent témoin (AT) no 2, qui est debout dans la salle filmée avec le plaignant, lequel semble débraillé, a les pieds nus, a la chemise déchirée et a l’air sale. Il n’y a pas de sang ou de blessure visible sur le visage du plaignant. On tend le combiné téléphonique au plaignant et, vers 3 h 58, le plaignant a terminé son appel téléphonique et sort de la salle filmée de détention provisoire sans être escorté.

La troisième plage vidéo est étiquetée [traduction] « Cellule 3 ». La vidéo commence à 4 h 04 approximativement et montre le plaignant en train d’être placé à l’intérieur de la cellule 3, vers 4 h 14.

La quatrième plage, étiquetée [traduction] « Aire des formalités de mise en détention, côté nord », montre l’AT no 2 faisant entrer le plaignant dans l’aire des formalités de mise en détention vers 3 h 41. Après quelques minutes, un autre agent du SPS arrive et aide à la fouille et aux formalités de mise en détention du plaignant. Il n’y a pas de piste audio ni d’angle de caméra montrant directement le visage du plaignant.

Enregistrements de communications

L’enregistrement des transmissions radio de la police a été obtenu et examiné.

Éléments obtenus du service de police

L’UES a demandé à la PPO et au SPS, puis obtenu et examiné les éléments et documents suivants :

  • entrée du journal des activités
  • rapport d’arrestation
  • chronologie des événements contextuels
  • résumé du dossier du cas
  • dossier de garde du détenu
  • enregistrements vidéo de l’aire des formalités de mise en détention, du bloc cellulaire, de la salle filmée de détention provisoire et de l’entrée sécurisée du poste du SPS
  • rapport sur le refus de s’arrêter
  • enregistrement des communications par radio de la police
  • notes des AT nos 1 à 6 et de deux agents de police non désignés
  • rapport d’incident (personne) pour le plaignant
  • déclarations écrites des AT nos 1 et 2 et de l’AI

L’UES a obtenu et examiné les éléments et documents suivants provenant d’autres sources :

  • dossiers médicaux du plaignant

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 25(1) du Code criminel – Protection des personnes chargées de l’application et de l’exécution de la loi

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :

  1. soit à titre de particulier
  2. soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
  3. soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
  4. soit en raison de ses fonctions

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Analyse et décision du directeur

Le 16 août 2017, alors qu’il exécutait ses fonctions habillé en civil et dans une voiture banalisée, l’agent impliqué (AI), qui travaillait pour le Service de police de Sarnia (SPS), a observé le plaignant, dans son véhicule automobile, qui était stationné à une résidence connue comme étant liée à des activités criminelles. L’AI a appelé le répartiteur pour demander qu’on vérifie la plaque d’immatriculation du véhicule automobile, et il a été confirmé que le véhicule appartenait au plaignant et que le plaignant était en liberté sous caution, mais que la personne qui s’était portée caution pour le plaignant avait retiré son consentement à agir à ce titre, ce qui a donné lieu à l’émission d’un mandat d’arrestation visant le plaignant.

L’AI, parce qu’il était dans un véhicule banalisé, a alors fait un appel radio pour demander à ce que des agents en uniforme aident à l’appréhension et l’arrestation du plaignant en vertu du mandat non exécuté.

Deux témoins civils (TC) ont vu le plaignant conduire son véhicule automobile alors qu’il était poursuivi par trois autopatrouilles du SPS, leurs feux d’urgence activés, et s’engager dans une impasse, où le plaignant a arrêté son véhicule à une résidence dans cette rue de la ville de Sarnia. L’une des autopatrouilles, conduite par l’agent témoin (AT) no 3, s’est garée dans l’entrée de cour derrière le véhicule du plaignant, et l’AT no 3 est sorti de son autopatrouille. Bien que le plaignant soit d’abord sorti de son véhicule et se soit tourné vers l’agent les mains en l’air, dès que l’agent lui a dit de se mettre au sol et a commencé à marcher vers lui, le plaignant s’est retourné et a couru dans un passage entre le garage et une clôture, et l’AT no 3 l’a suivi.

Le plaignant a alors tenté de s’enfuir à pied en sautant la clôture, qui faisait environ 1,7 mètre de haut (ou 5,5 pieds), mais il a semblé rester coincé sur la clôture et l’AT no 3 a saisi le plaignant par l’arrière de son pantalon et a essayé de le tirer vers le bas. L’AT no 3 a alors crié en indiquant qu’il avait besoin d’aide, et un deuxième agent, l’AT no 2, est également entré dans la cour arrière. Lorsque les deux agents n’ont pu initialement tirer le plaignant vers le sol, l’AT no 3, ainsi qu’il l’a ouvertement admis, a utilisé son bâton télescopique ASP pour frapper le plaignant sur le haut de la cuisse, à la suite de quoi la prise du plaignant sur la clôture s’est affaiblie et les deux agents ont tiré le plaignant vers le bas.

Comme la vue de la lutte qui a suivi entre les policiers et le plaignant était obstruée par le garage sur un côté et par la clôture d’intimité sur l’autre côté, les deux TC n’ont pu observer ce qui s’est produit une fois que le plaignant a été amené au sol.

Après qu’on l’eut fait descendre de la clôture, le plaignant a continué de se battre et d’agiter ses bras tout en essayant de se dégager, et il a été poussé face la première contre le côté du garage; comme il a continué de se battre, il a été amené au sol de façon contrôlée par l’AT no 3 et l’AT no 2. Tous les agents en cause ont décrit le plaignant comme étant en sueur et difficile à saisir alors qu’il continuait de lutter et de se débattre. À ce moment‐là, les AT nos 3 et 2, de même que le plaignant, se trouvaient sur le sol dans un espace exigu avec des objets qui entravaient leur mouvement dans le passage entre le garage et la clôture, pendant que le plaignant continuait de résister.

À son arrivée, ayant entendu l’AT no 3 et l’AT no 2 crier au plaignant d’arrêter de résister et de mettre ses mains dans le dos depuis l’arrière de la résidence, l’AT no 1 s’est également rendu au passage et a vu l’AT no 3 et l’AT no 2 lutter avec le plaignant dans un espace qui n’était pas plus large que trois ou quatre pieds. Le plaignant était sur le ventre et les AT nos 3 et 2 essayaient de prendre le contrôle de ses mains afin de le menotter. En raison de l’exiguïté de l’espace, l’AT no 1 n’a pas été en mesure de passer devant les AT nos 3 et 2, si bien qu’il a placé son genou sur le haut du dos du plaignant pour le maintenir au sol.

Lorsqu’il est arrivé sur les lieux, l’AI, qui avait entendu l’AT no 3 indiquer par communication radio que le plaignant était parti en courant vers l’arrière de la résidence, a observé le plaignant qui se trouvait encore sur le dessus de la clôture, son abdomen reposant sur la clôture. Lorsque l’AI est arrivé dans la cour arrière, le plaignant se trouvait sur le sol, sur le côté gauche, avec les trois agents de police essayant de le maîtriser dans un espace très restreint.

L’AI a décrit le plaignant comme se tortillant et se tournant pendant qu’il parlait de façon incohérente et transpirait abondamment. Bien que l’AI ait évalué la situation et ait déterminé que le plaignant était peut‐être dans un état de délire agité, a posteriori, il semble que le plaignant, qui souffre d’une maladie pulmonaire obstructive chronique (MPOC) et d’asthme, avait probablement de la difficulté à respirer et combattait frénétiquement les agents dans l’espace très restreint.

L’AI a tenté de contrôler la tête du plaignant pendant que les autres agents luttaient pour le menotter. Comme le plaignant saignait à cause d’une éraflure à la joue et qu’il transpirait abondamment, l’AI a décidé d’essayer de maîtriser le plaignant en abaissant le milieu du tibia de sa jambe gauche sur le côté droit du visage du plaignant et en appliquant une pression pendant deux à trois secondes, ce qui a permis aux autres agents de le menotter, à la suite de quoi l’AI a relâché sa pression sur le plaignant.

Le plaignant allègue que, pendant que les agents de police essayaient de le détenir, alors qu’il se trouvait encore sur le dessus de la clôture, il a été frappé à la jambe par un bâton télescopique ASP. Lorsqu’il a été mis au sol, sa tête a heurté le sol et il a subi une contusion au‐dessus du sourcil gauche, près de la ligne de contour capillaire, ainsi qu’une éraflure à l’épaule gauche. Tandis que les deux premiers agents essayaient de lui passer les menottes, deux autres agents de police sont arrivés. Le plaignant allègue que l’un des quatre policiers lui a alors donné un coup de genou sur le côté droit du visage, pendant qu’un autre s’est agenouillé sur son dos.

Les allégations faites par le plaignant sont toutes confirmées par les agents de police eux‐mêmes, à l’exception de celle du coup de genou au visage qui, si cela s’était produit, aurait clairement été la cause de la blessure grave que le plaignant a subie au côté droit de son visage.

L’AT no 3 a ouvertement admis avoir frappé le plaignant à la jambe avec son bâton télescopique ASP lorsque ce dernier a refusé de descendre de la clôture. L’AT no 3 et l’AT no 2 ont tous deux admis avoir tiré le plaignant de la clôture et l’avoir ensuite mis au sol, et l’AT no 1 a convenu qu’il a mis son genou sur le dos du plaignant pour le maintenir au sol pendant que l’AT no 3 et l’AT no 2 le menottaient.

Sur le fondement, par conséquent, que trois des quatre allégations du plaignant sont confirmées par d’autres éléments de preuve, ainsi que par sa propre concession qu’il savait qu’il était recherché par la police et qu’il a tenté d’échapper à la police, j’accepte que la version des événements fournie par le plaignant semble crédible et fiable et j’accepte que la dernière allégation non confirmée du plaignant, selon laquelle il a été frappé au visage par le genou de l’un des agents, s’est probablement bel et bien produite.

Cela dit, le plaignant n’a pas été en mesure de décrire ou d’identifier l’agent qui lui a donné un coup de genou au visage. Bien que l’AI ait été désigné comme l’agent impliqué dans cette enquête, compte tenu du fait qu’il a ouvertement admis qu’il avait mis son tibia contre le visage du plaignant, il est clair, selon l’opinion de l’expert médical, que ce geste n’aurait probablement pas causé la blessure du plaignant[1]. Par conséquent, tandis que le plaignant est incapable d’identifier la personne qui lui a donné un coup de genou au visage et que les quatre agents de police ont tous indiqué que, mis à part de l’utilisation du bâton télescopique ASP par l’AT no 3, aucun d’entre eux n’a donné de coup de genou, de coup de pied ou de coup au plaignant, et qu’aucun d’eux n’a vu un autre agent donner un tel coup, je ne dispose d’aucun élément de preuve me permettant d’identifier le policier qui aurait pu frapper le plaignant au visage avec son genou.

De plus, même si j’étais convaincu de l’identité de la personne qui a frappé le plaignant avec son genou, en pareilles circonstances, alors que quatre agents de police luttaient avec un homme qui était combatif et résistant dans un espace exigu et très restreint, je conclus que je ne saurais être convaincu que le coup a été donné intentionnellement et non par inadvertance.

Je tire cette conclusion en me fondant sur l’opinion de l’expert médical selon laquelle le mécanisme requis pour causer la blessure au visage du plaignant n’aurait pas exigé beaucoup de force, une force modérée étant suffisante, compte tenu de l’âge du plaignant et de la probabilité d’une diminution de la densité osseuse, qui le rendrait plus vulnérable aux fractures.

Si l’on considère donc quatre hommes adultes qui luttaient avec un homme qui se débattait frénétiquement et dont la peau était glissante en raison de sa transpiration abondante et qu’on avait donc du mal à saisir, et ce, dans un espace très restreint d’au plus trois ou quatre pieds de largeur, je n’ai aucune difficulté à accepter que l’un ou l’autre de ces agents, dans cette situation fluide où les choses se déroulaient rapidement, aurait pu, par inadvertance, frapper le plaignant au visage avec son genou. Et même si le coup de genou n’avait pas été donné par accident mais avait été délibéré, je n’en conclurais pas pour autant que ce geste, à lui seul, aurait constitué un recours excessif à la force dans ces circonstances, malgré la blessure malheureuse subie par le plaignant.

Pour en arriver à cette conclusion, je garde à l’esprit l’état du droit applicable tel qu’il a été énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Nasogaluak, [2010] 1 R.C.S. 206, qui dit ceci :

Les actes des policiers ne devraient pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Il ne faut pas oublier que ceux‐ci accomplissent un travail exigeant et dangereux et qu’ils doivent souvent réagir à des situations urgentes. Leurs actes doivent alors être appréciés selon ce que commande ce contexte difficile. Comme le juge Anderson l’explique dans R. v. Bottrell(1981), 60 C.C.C. (2d) 211 (C. A. C.‐B.) :

[traduction] Pour déterminer si la force employée par le policier était nécessaire, les jurés doivent tenir compte des circonstances dans lesquelles le policier y a eu recours. Il aurait fallu leur indiquer qu’on ne pouvait pas s’attendre à ce que l’appelant mesure la force appliquée avec précision. [p. 218]

De plus, j’ai tenu compte de la décision que la Cour d’appel de l’Ontario a rendue dans l’affaire R. v. Baxter (1975), 27 C.C.C. (2d) 96 (C. A. de l’Ont.), qui établit que l’on ne peut pas s’attendre à ce que les policiers apprécient avec exactitude le degré de force qu’ils emploient dans leur intervention.

En vertu du paragraphe 25(1) du Code criminel, un agent de police, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, est fondé à employer la force nécessaire dans l’exécution d’une obligation légale. Par conséquent, pour que les quatre agents impliqués dans la maîtrise et le menottage du plaignant soient à l’abri de poursuites en vertu de l’article 25, il faut établir qu’ils exécutaient une obligation légale, qu’ils agissaient en s’appuyant sur des motifs raisonnables et qu’ils n’ont pas employé plus de force que nécessaire.

À la lumière de ces faits, il est clair que les agents de police, en se fondant sur les renseignements fournis par l’AI, avaient des motifs raisonnables d’arrêter le plaignant relativement au mandat d’arrestation non exécuté qui le visait et qu’ils agissaient raisonnablement ainsi que dans l’exécution d’une obligation légale lorsqu’ils ont tenté d’appréhender et d’arrêter le plaignant.

Par la suite, lorsque le plaignant a une première fois tenté de fuir à bord de son véhicule automobile, puis qu’il a ensuite escaladé une clôture pour, finalement, se battre et lutter avec les policiers qui essayaient de l’arrêter, je ne saurais en conclure que le coup de genou, à lui seul, a constitué un recours excessif à la force en pareilles circonstances. J’accepte aussi que le genou qui a frappé le plaignant n’avait pas pour but, selon toute vraisemblance, de faire contact avec le visage du plaignant, mais que, dans la mêlée et alors que le plaignant luttait et se débattait, ce genou a frappé une autre région que celle à laquelle le coup aurait été initialement destiné, à supposer que ce coup ait bel et bien été administré de façon délibérée, ce que je ne suis pas en mesure de déterminer à partir de ces faits. Je conclus aussi que la blessure subie par le plaignant n’aurait pas été prévisible dans ces circonstances.

Compte tenu de l’ensemble de la preuve, il est clair que le recours à toute autre option non létale de recours à la force, soit l’utilisation d’une arme à impulsions électriques (AIE ou Taser) ou un vaporisateur d’oléorésine de capsicum (OC ou gaz poivré), n’aurait pas été une option viable dans un espace aussi restreint, ce qui n’a pas laissé aux agents d’autres choix que la force physique pour maîtriser le plaignant. J’accepte pleinement que les actions des quatre agents de police, qui ont été impliqués dans une lutte avec un homme frénétique et résistant, ont progressé de façon mesurée et proportionnée par rapport à ce qu’ils percevaient comme une résistance active de la part du plaignant. Il est également clair que si le plaignant n’avait pas tenté de s’enfuir d’abord en voiture puis à pied, aucune force n’aurait été nécessaire et le plaignant n’aurait pas été blessé.

Pour terminer, je conclus que si l’un ou l’autre des quatre agents de police a intentionnellement donné un coup de genou au plaignant, ce que je ne suis pas en mesure de déterminer, cela n’équivalait pas à un recours excessif à la force dans ces circonstances. De plus, je conclus que je ne dispose pas d’éléments raisonnables me permettant d’identifier la partie qui a frappé le plaignant avec son genou, de sorte que je n’ai pas de fondement pour déposer des accusations criminelles, et ce, même si je concluais que l’action a constitué un recours excessif à la force. Compte tenu de ces faits, il n’y a aucune raison de déposer des accusations au criminel, et aucune accusation ne sera donc portée.

Date : 25 mai 2018

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) [1] Parmi les possibilités, mentionnons que le plaignant aurait pu être blessé lorsqu’il a été mis au sol. Le plaignant a indiqué que, lorsqu’on l’a tiré de la clôture, sa tête a heurté le sol. Une autre possibilité pourrait découler du témoignage de l’AT no 3, selon lequel le plaignant a été poussé face la première contre le coté du garage, où il a continué de se battre après avoir été tiré de la clôture. L’opinion du médecin n’a évacué aucun de ces autres recours à la force comme mécanisme potentiel ayant causé la blessure au visage, mais a simplement indiqué qu’un genou était la cause la plus probable de la blessure. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.