Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 17-OCI-225

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu à une allégation d’agression sexuelle.

Les « blessures graves » englobent celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, a priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant que la gravité de la blessure puisse être évaluée, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider de l’envergure de son intervention.

Le présent rapport a trait à l’enquête menée par l’UES sur la blessure grave subie par un homme de 52 ans alors qu’il était sous garde policière le 22 août 2017.

L’enquête

Notification de l’UES

Vers 0 h 25, le mercredi 23 août 2017, le Service de police régional de Waterloo (SPRW) a communiqué avec l’UES et lui a transmis les renseignements suivants :

Le mardi 22 août 2017, le plaignant a été remis en liberté à la suite d’une audience de mise en liberté sous caution qui s’est tenue dans la ville de Kitchener. Vers 17 h 10, le SPRW et les Services médicaux d’urgence (SMU) sont intervenus après avoir été informés qu’un homme, plus tard identifié comme le plaignant, soit était blessé, soit était sans connaissance à une adresse à Kitchener. Le plaignant a refusé de recevoir des soins médicaux, mais a toutefois accepté que le personnel des SMU lui mette un pansement pour une blessure à l’arrière de la tête. Le SPRW a dépêché un agent [dont il a été établi par la suite qu’il s’agissait de l’agent témoin (AT) no 1], qui a proposé d’amener le plaignant à un refuge situé à Kitchener, offre que le plaignant a accepté.

Vers 17 h 50, le refuge a communiqué avec le SPRW pour l’informer que le plaignant était ivre et causait des troubles et pour demander que la police le retire des lieux.

Le SPRW s’est de nouveau rendu sur place et, pendant qu’un de ses agents parlait avec lui aux marches avant du refuge, le plaignant a fait une chute. L’AT no 1 a arrêté le plaignant pour intoxication dans un lieu public et l’a ensuite ramené au poste de police, où il a été placé dans une cellule.

Vers 21 h 30, lors d’une vérification des cellules, un agent spécial du SPRW a entendu un bruit sourd et a découvert le plaignant sur le plancher de la cellule en proie à ce qui semblait être une crise épileptique. On a communiqué avec les SMU et le plaignant a été transporté à l’hôpital, où selon le diagnostic posé, il avait deux hémorragies au cerveau. Le plaignant a été admis à l’hôpital pour y être observé davantage.

L’accès à la cellule du SPRW et à la voiture de patrouille de l’AT no 1, qui avait servi à transporter le plaignant, a été bloqué en attendant l’arrivée de l’UES.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 5

Nombre d’enquêteurs judiciaires de l’UES assignés : 1

Plaignant :

Entretien avec l’homme âgé de 52 ans, obtention et examen des dossiers médicaux

Témoins civils (TC)

TC n° 1 A participé à une entrevue

TC n° 2 A participé à une entrevue

Agent témoin (AT)

AT n° 1 A participé à une entrevue, et ses notes ont été reçues et examinées.

Employés de la police témoins (EPT)

EPT no 1 A participé à une entrevue, et ses notes ont été reçues et examinées.

EPT no 2 A participé à une entrevue, et ses notes ont été reçues et examinées.

Agent impliqué (AI)

AI no 1 A participé à une entrevue, mais n’a pas consenti à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.

Description de l’incident

Le matin du 23 août 2017, le plaignant a été libéré du palais de justice de Kitchener à la suite d’une audience de mise en liberté sous caution.

Au milieu de l’après-midi, le plaignant était très intoxiqué et a fait une chute dans les environs de la rue Brenton à Kitchener et une passante a appelé le numéro 9-1-1. Des membres du personnel des SMU ont tenté d’aider le plaignant, mais il a refusé de recevoir des soins. Les SMU ont alors demandé l’aide de la police, et l’AT no 1 a été dépêché. À son arrivée sur les lieux, l’AT no 1, dans l’espoir de mettre le plaignant dans un endroit sûr, l’a amené dans un refuge, qui était en fait celui où le tribunal avait ordonné au plaignant de résider.

Le plaignant a d’abord été accepté au refuge, mais il est rapidement devenu évident qu’il était trop intoxiqué pour y rester, car le personnel n’était pas en mesure de le gérer. Le personnel du refuge était également préoccupé par le fait que le plaignant risquait de tomber et de se blesser en raison de son état d’ébriété, et un employé du refuge a donc communiqué avec le SPRW pour qu’il vienne le chercher.

L’AT no 1 est retourné au refuge et, pendant qu’il discutait avec des membres du personnel de la situation du plaignant, on a vu celui-ci tomber dans le couloir du refuge. L’AT no 1 a alors décidé d’arrêter le plaignant parce qu’il était intoxiqué dans un lieu public en contravention du paragraphe 31 (4) de la Loi sur les permis d’alcool, le plaignant étant manifestement incapable de s’occuper de lui-même.

L’AT no 1 a transporté le plaignant au poste central du SPRW, où il l’a amené devant l’AI. L’AI a procédé à la mise en détention du plaignant au poste de police et l’a placé dans une cellule ordinaire. Après avoir passé un certain temps dans la cellule, le plaignant semblait avoir une crise épileptique, au cours de laquelle il est tombé sur le sol et a atterri entre le mur de la cellule et la toilette. Le plaignant avait été incapable d’amortir sa chute en raison de la crise épileptique qu’il traversait à ce moment-là et il semblait s’être heurté la tête sur le plancher ou sur la toilette. On a ensuite constaté que la tête du plaignant saignait et on a demandé qu’une ambulance vienne, et le plaignant a été transporté à l’hôpital, où il a été évalué.

Nature des blessures/traitement

On a pris un tomodensitogramme de la tête du plaignant et l’on a conclu qu’il avait une hémorragie sous-arachnoïdienne et des contusions cérébrales.

D’après les dossiers médicaux, les blessures du plaignant ne se prêtaient pas à une intervention chirurgicale et aucune n’a eu lieu. Le plaignant est demeuré à l’hôpital jusqu’au 5 septembre 2017, date à laquelle il a été envoyé dans une maison de retraite pour y obtenir le soutien nécessaire, dans l’espoir que son état s’améliorerait avec le temps.

Preuve

Les lieux de l’incident

Le 23 août 2017, à 2 h 15, un enquêteur judiciaire (FI) de l’UES est arrivé au centre de détention central du SPRW, situé au 145, rue Fredrick, à Kitchener. À son arrivée, il a constaté que la cellule no 19, où le plaignant avait été placé, avait été verrouillée et scellée au moyen d’un sceau du SPRW, que l’AI y avait placé.

La cellule et l’aire de mise en détention où se trouvaient les écrans de télévision en circuit fermé (TVCF) ont été photographiées. Un schéma à échelle (ci-dessous) a été créé.

Une petite mare de ce qui semblait être du sang était située sur le sol à côté de la toilette et du mur nord. Il y avait aussi ce qui semblait être des taches de sang transféré sur le mur nord et sur le matelas. Des prélèvements ont été effectués aux deux endroits.

Photos de la cellule

Photos de la cellule

Photos de la cellule

À 4 h 30, l’EJ de l’UES a examiné et photographié la voiture de patrouille du SPRW dont s’était servi l’AT no 1 pour transporter le plaignant. Aucun élément ayant de la valeur probante n’a été trouvé dans le compartiment réservé aux prisonniers de la voiture de patrouille.

À 11 h 15, l’EJ de l’UES est arrivé au refuge où le plaignant avait été hébergé. Il a examiné et photographié l’endroit où le plaignant était tombé et s’était heurté la tête. Il n’a découvert aucun élément ayant de la valeur probante.

Schéma des lieux

Schéma des lieux

Éléments de preuve médico-légaux

Aucun document ou élément n’a été soumis au Centre des sciences judiciaires.

Preuve vidéo/audio/photographique

Les enquêteurs ont reçu et examiné les vidéos de l’aire de mise en détention et du bloc cellulaire. Voici un résumé du contenu des vidéos :

  • La vidéo pertinente commence à 18 h 16, lorsque la voiture de patrouille du SPRW arrive dans l’entrée sécurisée. L’ATno 1 sort du côté du conducteur et aide le plaignant à sortir de l’arrière du véhicule
  • À 18 h 17, l’ATno 1 et le plaignant arrivent au bureau de mise en détention, où ils sont accueillis par l’EPT no 2, l’EPT no 1 et l’AI
  • À 18 h 24, l’ETP no2 et l’ETP no 1 escortent le plaignant à une cellule
  • À 21 h 22, on peut voir le plaignant debout à la porte de la cellule et il commence à frapper la porte avec sa paume droite et son fessier
  • À 21 h 23, l’EPTo 2 arrive à la porte de la cellule et a une discussion avec le plaignant
  • À 21 h 25, le plaignant est toujours debout à la porte de la cellule, il regarde le plafond de la cellule et commence à tourner lentement vers la gauche tout en continuant de regarder vers le haut. Le plaignant commence à agiter rapidement sa main gauche vers le haut et vers le bas comme s’il salue de la main. Le haut du corps du plaignant s’incline vers l’arrière et il perd l’équilibre et tombe en arrière, atterrissant sur les fesses entre la toilette et le mur de la cellule, et sa jambe gauche commence à se secouer. Il reste couché sur le sol
  • À 21 h 26, l’EPTo 2 arrive dans le bloc cellulaire
  • À 21 h 35, les membres du personnel des SMU de la région de Waterloo se présentent à la cellule
  • À 21 h 37, le plaignant est levé du plancher de la cellule et placé sur une civière
  • À 21 h 41, le plaignant est sorti du bloc cellulaire et transporté à l’hôpital

On n’est pas parvenu à trouver d’autres enregistrements vidéo ou audio des divers endroits où le plaignant était tombé antérieurement.

Enregistrements des communications

Les enregistrements des appels au numéro 9-1-1 et des communications avec la police ont été obtenus et examinés.

Éléments obtenus du Service de police

L’UES a demandé au SPRW les éléments et documents suivants, qu’elle a obtenus et examinés :

  • détails du système de répartition assistée par ordinateur (RAO) (x2)
  • rapport sur les détails de l’incident
  • vidéo de l’aire de mise en détention et du bloc cellulaire du poste de police
  • lettre à l’UES concernant la divulgation
  • notes de l’AT no 1 et des EPT nos 1 et 2
  • rapport d’incident (personne) ayant trait au plaignant
  • détails de l’incident (x2)
  • attestation d’infractions antérieures impliquant le plaignant
  • sommaire du dossier de la Couronne antérieur concernant le plaignant
  • détails d’événements précédents impliquant le plaignant
  • rapports généraux antérieurs concernant le plaignant
  • enregistrements des appels au numéro 9-1-1 et des communications de la police
  • procédure : traitement et contrôle des prisonniers

L’UES a également obtenu et examiné les documents suivants provenant d’autres sources :

  • dossiers médicaux du plaignant
  • rapport d’incident du refuge

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 31(4) de la Loi sur les permis d’alcool – Intoxication dans un lieu public

31. 4) Nul ne doit être en état d’ivresse :

  1. dans un lieu où le public accède sur invitation ou permission
  2. dans la partie d’une habitation à plusieurs logements qui sert à l’usage commun

Articles 219 et 221 du Code criminel - Négligence criminelle causant des lésions corporelles

219 (1) Est coupable de négligence criminelle quiconque :

  1. soit en faisant quelque chose
  2. soit en omettant de faire quelque chose qu’il est de son devoir d’accomplir

montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui.

(2) Pour l’application du présent article, devoir désigne une obligation imposée par la loi.

221 Est coupable d’un acte criminel est passible d’un emprisonnement maximal de dix ans quiconque, par négligence criminelle, cause des lésions corporelles à autrui.

Analyse et décision du directeur

Le 22 août 2017, après avoir passé un certain temps dans le bloc cellulaire du Service de police régional de Waterloo (SPW), le plaignant a été transporté à l’hôpital, où selon le diagnostic, il avait subi une hémorragie sous-arachnoïdienne (saignement dans la partie entourant le cerveau) et des contusions cérébrales (tissu cérébral). L’enquête avait pour but de déterminer si un membre du SPRW était responsable des blessures subies par le plaignant ou si le SPRW, sous la supervision de l’agent impliqué (AI), avait fait preuve de négligence criminelle durant son traitement du plaignant, ce qui aurait entraîné ses blessures.

Même si le plaignant lui-même n’avait aucun souvenir d’aucune des interactions avec la police le 22 août 2017, ni même d’aucun des autres événements du 22 août 2017, avec l’aide de deux témoins civils (TC), d’un policier et de deux employés de la police témoins (EPT) et de l’AI et grâce aux enregistrements des communications, j’ai réussi à brosser un tableau clair de ce qui est arrivé au plaignant le 22 août. Les faits ne sont pas contestés.

Le 22 août 2017, le plaignant, après avoir été arrêté pour vol à l’étalage, a été amené devant le tribunal à Kitchener, en vue d’une audience de mise en liberté sous caution et a été libéré à condition de loger dans un refuge dans la même ville.

Après sa libération, le plaignant s’est d’abord présenté au refuge, puis est sorti dans la collectivité où il est devenu intoxiqué. Le plaignant, d’après toutes les personnes interrogées qui le connaissaient, souffrait d’alcoolisme aigu et de crises épileptiques. Le plaignant avait révélé à d’autres par le passé qu’il buvait pour éviter les crises épileptiques, qui selon lui ne se produisaient pas pendant qu’il était ivre.

À 14 h 38, le SPRW a reçu un appel au numéro 9-1-1 d’une personne qui lui a signalé qu’elle avait trouvé un homme couché à l’extérieur de l’église St. Matthews, dans le stationnement, et qu’il saignait. L’appelante, qui ne s’est pas identifiée, a indiqué qu’elle n’avait pas vu l’homme tomber, mais qu’elle supposait qu’il avait fait une chute, car elle avait constaté qu’il y avait du sang sur le trottoir, sur les escaliers et sur l’homme. Elle a décrit l’homme comme étant confus et somnolent, avec les yeux fermés, mais respirant, et a indiqué qu’elle pensait qu’il avait eu une commotion cérébrale. Une ambulance a été envoyée sur les lieux.

À leur arrivée, les ambulanciers paramédicaux ont trouvé le plaignant avec une blessure qui saignait à l’arrière de la tête. Toutefois, le plaignant refusait de se faire soigner et les ambulanciers paramédicaux ont communiqué avec le SPRW, qui a envoyé l’agent témoin (AT) no 1.

Au moment de son arrivée, l’AT no 1 a appris des ambulanciers paramédicaux que le plaignant avait une coupure à l’arrière de la tête. L’AT no 1 a également remarqué que l’haleine du plaignant sentait l’alcool et qu’il avait de la difficulté à garder son équilibre. Puisque le plaignant refusait d’être évalué par les ambulanciers paramédicaux ou d’être transporté à l’hôpital en vue d’y être soigné, l’AT no 1 a demandé que les ambulanciers lui mettent un bandage et il a ensuite ramené le plaignant au refuge.

Pendant que le plaignant était au refuge, on a constaté qu’il était intoxiqué et qu’il avait une démarche titubante et que son haleine sentait l’alcool. Le personnel au refuge savait, de par sa propre expérience, que le plaignant était tombé à de nombreuses reprises par le passé et qu’il s’était souvent cogné l’arrière de la tête, un employé se rappelant plus particulièrement qu’il avait vu le plaignant tomber sur le béton la semaine précédente et se heurter la tête pendant une crise épileptique. Durant le séjour du plaignant à cette date, le personnel du refuge avait observé le plaignant perdre son équilibre et trébucher contre un membre du personnel et puis reculer et heurter un second membre du personnel.

Le personnel du refuge a alors communiqué avec le SPRW et a demandé que le plaignant soit retiré des lieux, car il contrevenait aux règles du refuge, qui interdisent la présence sur place d’une personne intoxiquée. L’AT no 1 a été renvoyé au refuge où, pendant qu’il parlait à un membre du personnel, un témoin civil a vu le plaignant perdre son équilibre et faire une chute assez violente vers l’arrière et se cogner le côté droit de la tête contre le mur. Le témoin a ensuite vu une tache de sang sur le mur à l’endroit de l’impact, ainsi qu’une trace de sang à l’arrière de la tête et dans les cheveux du plaignant.

L’AT no 1 a indiqué que le personnel du refuge lui avait dit qu’aucune personne intoxiquée ne pouvait se trouver au refuge, surtout si elle était incapable de prendre soin d’elle-même et que, comme le plaignant avait fait de nombreuses chutes par le passé, le personnel du refuge ne voulait pas qu’il s’y trouve au cas où quelque chose arriverait. L’AT no 1 s’est alors approché du plaignant à l’endroit où il était tombé et était couché sur le sol et, lorsque le personnel du refuge a refusé de lui prêter secours, l’AT no 1 a aidé le plaignant à se lever et l’a arrêté pour intoxication dans un lieu public.

L’AT no 1 a expliqué qu’en raison du refus du personnel du refuge d’accueillir le plaignant dans l’établissement, du refus du plaignant de se rendre à l’hôpital et du manque de place et de lits au centre de désintoxication, aucune autre solution raisonnable ne s’offrait à lui pour s’occuper du plaignant hormis son arrestation pour intoxication dans un lieu public, car il semblait incapable de s’occuper de lui-même. L’AT no 1 a alors transporté le plaignant au poste de police.

Pendant la mise en détention du plaignant, l’AT no 1 a dit au sergent chargé de la mise en détention que, comme il avait vu le plaignant tomber dans des escaliers au refuge, il croyait que le plaignant serait à risque dans la collectivité et que c’était pourquoi il l’avait finalement arrêté, après avoir épuisé toutes les autres options.

Le poste de police du SPRW où le plaignant a finalement été placé n’avait pas de cellule douce ou rembourrée, de sorte que le plaignant a été placé dans la cellule 9, qui est habituellement réservée aux personnes en état d’ébriété et qui se trouve le plus près de l’aire de mise en détention. La cellule du SPRW fait l’objet d’une surveillance audio et vidéo constante et les écrans sont visibles au sergent chargé de la mise en détention. De plus, un agent spécial a procédé à un contrôle visuel de l’état physique du plaignant toutes les 30 minutes, durant sa ronde dans le bloc cellulaire, et a confirmé ensuite cette vérification en la notant sur la fiche de détention.

À 21 h 30, l’AI a vu le plaignant faire des mouvements de va-et-vient contre la porte de la cellule et il a alerté l’EPT no 2, qui est alors allé dans le bloc cellulaire et a procédé à une vérification physique du plaignant et a signalé à son retour que ce dernier souhaitait être relâché et qu’il lui avait répondu de se dégriser en dormant dans la cellule et qu’il serait relâché en l’espace de quelques heures.

Pendant que l’AI était assis au bureau comportant les écrans de surveillance, il a entendu un bruit venant du bloc cellulaire et il a vu le plaignant couché sur le sol dans la cellule 9 et lui et les deux agents spéciaux se sont rendus au bloc cellulaire, où ils ont vu que le plaignant semblait traverser une crise épileptique, alors que tout son corps vibrait et qu’il avait la tête entre le mur de la cellule et la toilette.

On a immédiatement fait venir une ambulance, et le plaignant a été transporté à l’hôpital où il a été évalué et où l’on a déterminé qu’il avait subi une hémorragie sous-arachnoïdienne et des contusions cérébrales.

À leur arrivée à la cellule 9 du SPRW, les enquêteurs judiciaires de l’UES ont observé du sang sur le matelas du lit à l’intérieur de la cellule ainsi qu’une mare de sang entre la toilette et le mur, où le plaignant avait été trouvé. Bien qu’il soit clair que la tête du plaignant saignait dans la cellule, il est tout aussi clair qu’il avait déjà subi une blessure au même endroit de la tête plus tôt cette journée-là à l’église St. Matthews. Cette blessure saignait encore lorsqu’il est tombé au refuge et de nouveau dans la cellule. À la lumière de ces renseignements, il est clair que, bien que la blessure du plaignant ait pu empirer ou simplement commencer à saigner de nouveau pendant qu’il était dans la cellule, la blessure à la tête était préexistante et il ne fait aucun doute qu’elle n’a pas été causée directement par un agent de police.

La seule question à trancher, sur la base de ces faits, est de savoir si le SPRW, sous la supervision du sergent chargé de la mise en détention, c’est-à-dire l’AI, qui était responsable du bloc cellulaire pendant que le plaignant s’y trouvait et en avait le contrôle, a fait preuve de négligence criminelle en contravention de l’article 219 du Code criminel et a donc causé des lésions corporelles au plaignant (contrairement à l’article 221).

L’infraction de « négligence criminelle » comporte les éléments essentiels suivants :

219 (1) Est coupable de négligence criminelle quiconque :

  1. soit en faisant quelque chose
  2. soit en omettant de faire quelque chose qu’il est de son devoir d’accomplir

montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui.

(2) Pour l’application du présent article, devoir désigne une obligation imposée par la loi.

La Cour d’appel de l’Ontario, dans sa décision R. c. Sharp (1984), 12 CCC (3d) 428 (C.A. de l’Ont.), a défini comme suit les exigences légales de la négligence criminelle :

[Traduction]

La négligence criminelle n’exige pas de preuve d’intention ou de volonté délibérée, l’indifférence est suffisante. […] Ainsi, l’accusé peut être reconnu coupable sur la preuve d’une conduite qui indique un écart marqué et important par rapport à la norme que respecterait une personne raisonnable dans les circonstances, lorsque l’accusé soit a eu conscience d’un risque grave et évident pour la vie et la sécurité d’autrui, sans pour autant l’écarter, soit ne lui a accordé aucune attention.

Même si la décision dans l’affaire R. c. Sharp porte spécifiquement sur la négligence criminelle d’un conducteur, elle s’applique de façon générale à tous les actes pour lesquels il est démontré qu’ils constituent « un écart marqué et important par rapport à la norme de la personne raisonnable dans des circonstances » lorsque l’accusé « a fait preuve d’une insouciance téméraire à l’égard de la vie et de la sécurité d’autrui » soit en faisant quelque chose soit en omettant de faire quelque chose qu’il était de son devoir légal d’accomplir.

En ce qui concerne la conduite de l’AI lorsque le plaignant est arrivé au poste de police et qu’il a par la suite été placé dans le bloc cellulaire, je conclus qu’il n’y a aucune preuve d’une « insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie et de la sécurité d’autrui » de la part de l’AI, comme cela serait nécessaire pour décider qu’une infraction criminelle a été commise ni puis-je trouver aucun élément de preuve que l’AI soit a fait quelque chose, soit a omis de faire quelque chose qu’il était de son devoir l’égal d’accomplir pour les raisons suivantes :

  • D’après les renseignements fournis par l’AT no 1 durant le processus de mise en détention, l’AI a été informé que l’AT no 1 avait fait tous les efforts possibles pour loger le plaignant en toute sécurité, notamment en essayant de le convaincre de se rendre à l’hôpital, de l’amener au refuge pour qu’il y soit hébergé et d’obtenir une place pour lui au centre de désintoxication, et qu’il n’avait été arrêté qu’en dernier recours pour assurer sa protection
  • L’AI, même s’il savait que le plaignant avait une blessure à l’arrière de la tête, a également été informé du fait que le plaignant avait refusé de recevoir un traitement médical et que son état avait été évalué par des ambulanciers paramédicaux
  • Bien qu’aucune cellule douce ou rembourrée n’était disponible pour loger le plaignant, il a été placé dans la cellule la plus proche de la salle de mise en détention, laquelle cellule est utilisée normalement pour loger des personnes en état d’ébriété
  • L’AI ignorait que le plaignant avait tendance à faire des chutes, car il ne l’avait jamais fait pendant les dix à vingt fois où le plaignant avait été placé dans le bloc cellulaire sous la surveillance de l’AI par le passé
  • Le plaignant faisait l’objet d’une surveillance audio et vidéo constante et d’une vérification de son état physique toutes les 30 minutes pendant qu’il était dans le bloc cellulaire
  • Dès qu’il y a eu indication d’un problème, ce qui s’est produit à deux reprises, un agent spécial s’est immédiatement rendu à la cellule pour vérifier l’état du plaignant
  • Une fois que le plaignant a eu une crise épileptique et qu’il est tombé, on a immédiatement appelé une ambulance et elle est arrivée sur-le-champ pour le transporter à l’hôpital
  • Il n’y a aucune preuve que les blessures subies par le plaignant ont été causées pendant son séjour dans le bloc cellulaire, plutôt que d’être une conséquence directe de ses chutes antérieures à l’église ou au refuge. D’après la preuve qui m’a été présentée, il est clair que le plaignant était déjà blessé avant son arrivée dans le bloc cellulaire

Compte tenu de l’ensemble de la preuve, il est clair que l’AT no 1 a pris toutes les mesures possibles pour s’assurer que le plaignant était logé correctement et en toute sécurité et que ce n’est que lorsque le plaignant a refusé de se rendre à l’hôpital, ce qu’on ne pouvait le forcer à faire, et qu’aucune autre option ne pouvait être exercée, qu’il a été arrêté et placé dans le bloc cellulaire.

De plus, l’AI a clairement rempli son obligation de diligence envers le plaignant pendant son séjour dans la cellule, en assurant une surveillance constante et vigilante de son état et de ses besoins. La réaction à sa chute/crise d’épilepsie était immédiate et des soins médicaux ont été demandés et prodigués immédiatement.

Enfin, rien dans la preuve ne me permet de conclure que, pour des motifs raisonnables, il existe un lien de causalité entre les actes ou l’inaction de n’importe lequel des agents de police et les blessures subies par le plaignant.

Dans ce dossier, non seulement il n’y a pas de preuve qui me convainc que l’un ou l’autre des agents de police qui ont eu affaire au plaignant a commis une infraction criminelle, mais je conclus, en me fondant sur l’entièreté de la preuve, que l’AT no 1 et l’AI ont réservé au plaignant le meilleur traitement possible, lorsque toutes les autres ressources s’étaient révélées non disponibles. Par conséquent, je conclus qu’il n’y a aucune raison en l’espèce de porter des accusations au criminel et qu’aucune accusation ne sera portée.

Date : 31 mai 2018

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.