Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 17-OCI-144

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu à une allégation d’agression sexuelle.

Les « blessures graves » englobent celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, a priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant que la gravité de la blessure puisse être évaluée, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider de l’envergure de son intervention.

Le présent rapport décrit l’enquête menée par l’UES sur la blessure grave subie par un homme de 49 ans lors de son arrestation le 25 janvier 2013.

L’enquête

Notification de l’UES

Vers 12 h 55, le mercredi 14 juin 2017, la Police régionale de Peel (PRP) a communiqué avec l’UES et a indiqué que durant l’exécution d’une enquête interne n’ayant aucun rapport avec l’incident décrit ici, le Bureau des normes professionnelles de la PRP avait obtenu une copie d’une décision rendue par la Cour supérieure concernant la conduite d’agents de la PRP lors de l’arrestation d’un présumé trafiquant de drogue en janvier 2013. Les agents de la PRP en cause étaient l’agent témoin (AT) no 6, l’agent impliqué (AI) et l’AT no 7. Au moment de l’incident, les agents de police faisaient partie de l’Unité de lutte contre la délinquance urbaine (ULDU).

La PRP a signalé que le 25 janvier 2013, les agents de la PRP ont vu le plaignant effectuer une transaction de drogue proche d’un immeuble d’habitation situé sur la rue Bathurst, dans la ville de Toronto. Les agents de police ont suivi le véhicule du plaignant et ont ensuite procédé à un arrêt véhiculaire en entourant et en bloquant le véhicule. Apparemment, le plaignant a été retiré de son véhicule et a subi une fracture à une côte. Comme l’infraction et l’arrestation ont eu lieu dans la région de Toronto, on a demandé à des agents du Service de police de Toronto (SPT) de se rendre dans le secteur, lesquels agents ont placé le plaignant sous garde et ont procédé aux formalités de mise en accusation.

Entre le 27 et le 30 octobre 2015, une juge de la Cour supérieure a entendu une demande de retrait des accusations en raison d’une violation des droits du plaignant en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés, et les accusations portées contre le plaignant ont été retirées en raison d’inconduite policière. Apparemment, cette décision est seulement venue à l’attention du Bureau des normes professionnelles de la PRP récemment, et la PRP en a alors informé l’UES.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 5

Nombre d’enquêteurs judiciaires de l’UES assignés : 0

Plaignant :

Homme de 53 ans interviewé (âgé de 40 ans au moment de l’incident), obtention et examen des dossiers médicaux

Témoins civils (TC)

En raison du temps écoulé, on n’a pas réussi à trouver ou identifier aucun témoin civil.

Agents témoins (AT)

AT n° 1 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées

AT n° 2 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées

AT n° 3 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées

AT no 4 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées

AT no 5 Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire

AT no 6 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées

AT no 7 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées

Employés de la police témoins

EPT no 1 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées

EPT no 2 Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire

Agent impliqué (AI)

AI no 1 N’a pas participé à une entrevue et n’a pas consenti à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué

Bien que l’agent impliqué ait refusé de fournir ses notes pour examen, puisque l’affaire avait déjà été tranchée par les tribunaux, ses notes ont été fournies par le ministère de la Justice.

Description de l’incident

L’Unité de lutte contre la délinquance urbaine (ULDU) de la PRP avait reçu de l’information selon laquelle une personne recherchée, M. X, vendait de la drogue à un résident à une adresse sur la rue Bathurst, dans la ville de Toronto. L’ULDU a commencé à surveiller l’immeuble le soir du 25 janvier 2013.

Les membres de l’ULDU ont vu ce qu’ils croyaient être une transaction de drogue dans un petit véhicule de couleur foncée et ont suivi le conducteur sur une certaine distance avant d’entourer et de bloquer son véhicule à l’intersection de l’avenue Kipling et du boulevard Rexdale, de tirer le conducteur hors du véhicule et le mettre au sol. L’une des dents du conducteur a été ébréchée durant l’arrestation.

Une fois que le conducteur avait été arrêté, on a découvert qu’il n’était en fait pas la personne recherchée, mais qu’il s’agissait du plaignant. La police a cependant saisi une quantité de drogue et d’argent dans le véhicule automobile du plaignant. Puis, des agents de police du SPT sont intervenus et ont porté des accusations contre le plaignant. Une fois qu’il avait été mis en liberté sous caution, le plaignant s’était rendu de son proche chef à l’hôpital pour y être évalué et traité. La blessure n’a pas été signalée à la police, qui ne savait pas que le plaignait avait été blessé avant que la question soit soulevée au tribunal en octobre 2015.

Nature des blessures et traitement

Le plaignant a été examiné à l’hôpital le 27 janvier 2013 et se plaignait d’une blessure à une côte. Selon le diagnostic posé, il avait une fracture de la 10e côte, au côté droit, qui était légèrement déplacée. On lui a donné des analgésiques, puisqu’aucun autre traitement n’était nécessaire.

Preuve

Les lieux de l’incident

L’arrestation du plaignant a eu lieu sur une chaussée asphaltée sur l’avenue Kipling, du côté sud de l’intersection avec le boulevard Rexdale, dans la ville de Toronto. La route a été décrite comme couverte de neige et glissante au moment de l’arrestation du plaignant. En raison du temps écoulé, il n’était plus possible d’obtenir des éléments de preuve sur les lieux de l’incident.

Éléments de preuve médico-légaux

Aucun élément n’a été soumis pour analyse au Centre des sciences judiciaires.

Preuve vidéo/audio/photographique

Du fait que beaucoup de temps s’était écoulé, on n’a trouvé aucun enregistrement vidéo ou audio ni aucun élément de preuve photographique.

Enregistrements des communications

Les enquêteurs ont obtenu et examiné les enregistrements des communications du jour en question.

Transcription de l’examen de la demande de suspension des procédures

Cette question a été entendue devant la Cour supérieure entre le 27 et le 30 octobre 2015. L’UES a obtenu le CD de l’audience, qui s’est tenue les 28 et 29 octobre; malheureusement, le CD renfermant l’enregistrement de la première journée de présentation de la preuve, qui comprenait la majorité de la preuve du plaignant, avait été perdu par l’administration du tribunal et n’était donc plus disponible; on a également obtenu la décision de la juge présidant à l’examen de la demande, et les éléments de preuve présentés ont été transcrits. La juge saisie de la demande de suspension des procédures a accueilli la demande et a retiré les accusations portées contre le plaignant.

Documents et éléments obtenus du service de police

L’UES a demandé à la PRP et au SPT les éléments et documents suivants, qu’elle a obtenus et examinés :

  • rapport sur les détails de l’événement
  • notes des AT nos 1-7 et des EPT nos 1 et 2
  • rapports renfermant les détails de l’incident du PRP (x2)
  • dossiers de réparation des véhicules endommagés de la PRP
  • données téléchargées de l’arme à impulsions de la PRP utilisée par l’AT no 7
  • photographies des dommages au véhicule non identifié de la PRP conduit par l’AT no 6
  • résumé des conversations
  • enregistrement des communications de la police
  • rapport du Système de traitement des enquêtes criminelles (CIPS)
  • historique des contacts du SPT
  • rapport d’incident général du SPT

L’UES a obtenu et examiné les éléments et documents suivants provenant d’autres sources :

  • enregistrements audio de la présentation de la preuve à l’audience préliminaire
  • enregistrements audio de l’audience d’examen de la demande de suspension des procédures
  • dossiers médicaux du plaignant relatifs à l’incident
  • copie de la décision de la juge ayant examiné la demande
  • copie du dossier de la poursuite

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 25(1) du Code criminel – Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :

  1. soit à titre de particulier
  2. soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
  3. soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
  4. soit en raison de ses fonctions

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Paragraphe 4(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances – Possession de substances

4 (1) Sauf dans les cas autorisés aux termes des règlements, la possession de toute substance inscrite aux annexes I, II ou III est interdite.

Paragraphe 5(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances – Trafic de substances

5 (1) Il est interdit de faire le trafic de toute substance inscrite aux annexes I, II, III, IV ou V ou de toute substance présentée ou tenue pour telle par le trafiquant.

Paragraphe 5(2) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances – Possession en vue du trafic

(2) Il est interdit d’avoir en sa possession, en vue d’en faire le trafic, toute substance inscrite aux annexes I, II, III ou IV.

Analyse et décision du directeur

Juste avant le 25 janvier 2013, la Police régionale de Peel (PRP) a reçu un indice anonyme concernant une personne recherchée (que je désignerai comme M. X pour faciliter la lecture du présent document), un trafiquant de drogue connu qui s’était récemment échappé à la police lors de l’exécution d’un mandat de perquisition et qui avait été expulsé du Canada à deux reprises, mais qui avait réussi à revenir au pays et à poursuivre son commerce illégal de drogue.

L’informateur a indiqué qu’il savait que M. X vendait de la drogue à un homme nommé M. Y (que je désigne ainsi, toujours pour faciliter la lecture du document, puisque l’identité de ces deux personnes n’est pas pertinente dans le contexte de la présente enquête), qui résidait dans un immeuble d’habitation sur la rue Bathurst, dans la ville de Toronto; l’informateur a ajouté que les transactions de drogue survenaient généralement à cette adresse en soirée, que M. X se rendrait à l’adresse au volant d’une petite voiture noire, et que les transactions se déroulaient rapidement.

Après avoir reçu cette information et tout en sachant que M. X était recherché par la police pour des infractions liées à la fois aux stupéfiants et à l’immigration, l’Unité de lutte contre la délinquance urbaine (ULDU) de la PRP a décidé de mettre l’adresse sur la rue Bathurst sous surveillance dans l’espoir d’appréhender M. X.

Le soir du 25 janvier 2013, l’ULDU a commencé à surveiller l’immeuble d’habitation; plusieurs agents se trouvaient à l’extérieur de l’immeuble dans leurs véhicules non identifiés, et un agent était à l’intérieur, c’est-à-dire dans le hall de l’immeuble, où il espérait repérer M. Y.

Confirmant les renseignements fournis par l’informateur, vers 20 h 30, l’agent de police dans le hall a informé ses collègues à l’extérieur, qui se trouvaient dans leurs véhicules respectifs, que M. Y sortait de l’immeuble. Les agents assurant la surveillance à l’extérieur de l’immeuble ont également vu une petite Pontiac Vibe de couleur noire s’approcher de l’immeuble. M. Y est monté dans la voiture, qui a fait le tour de l’immeuble. Puis, M. Y en est ressorti et le véhicule est parti. Se fondant sur leur expérience, tous les agents de police en cause étaient d’avis qu’une transaction de drogue venait tout juste d’avoir eu lieu à l’intérieur du véhicule automobile.

Suite à la confirmation de l’information fournie par l’informateur quant à la manière dont se déroulerait la transaction, les agents de police étaient également convaincus que le conducteur de la voiture était M. X, et ils ont décidé de suivre ce véhicule dans le but de l’immobiliser et de placer son occupant en état d’arrestation pour la transaction de drogue ainsi que pour d’autres questions en souffrance.

Selon les agents de police qui ont participé à la surveillance, ce jour-là, les conditions météorologiques étaient mauvaises et il y avait une grave tempête de neige. Par conséquent, lorsque les cinq véhicules participant à la tentative d’arrêter et de bloquer la Pontiac Vibe et de mettre M. X en état d’arrestation ont commencé à suivre la voiture, ils se sont séparés au moment où ils accédaient à l’autoroute 401, ce qui signifiait que seulement trois membres de l’équipe ont réussi à se placer derrière la Pontiac, tandis que les deux autres ont été retardés du fait qu’ils se trouvaient derrière plusieurs chasse-neige.

D’après le site Web http://climate.weather.gc.ca/climate, le 25 janvier 2013, la température a atteint un maximum de -8 et un minimum de -15, 2,2 centimètres de neige se sont ajoutés à 1 centimètre de neige déjà sur le sol, et la vitesse maximale des coups de vent était moins de 31 km/h.

Lorsque la Vibe s’est approchée de l’intersection de l’avenue Kipling et du boulevard Rexdale et s’y est arrêtée à un feu rouge, seuls l’AT no 7, l’AT no 6 et l’AI étaient toujours derrière la Pontiac, dans trois véhicules de police non identifiés individuels. Vers 21 h 30, l’AT no 7 a décidé que les agents s’approcheraient du conducteur de la Vibe et l’arrêteraient.

Peu après, les agents ont procédé à l’arrestation du conducteur, qui a été tiré hors du véhicule, mis au sol, menotté et arrêté. Toutefois, le conducteur du véhicule n’était pas M. X, tel que prévu, mais plutôt le plaignant. Malgré le fait que le conducteur n’était pas la personne ciblée, la police l’a quand même arrêté pour les infractions de possession et de trafic de stupéfiants, en se fondant sur son observation de ce qu’elle croyait être une vente de drogue effectuée à l’adresse sur la rue Bathurst et la découverte, dans la console centrale du véhicule automobile du plaignant, de plusieurs paquets individuels de cocaïne en poudre et de crack.

Le plaignant a finalement été transporté au poste de police où il a subi les formalités habituelles. Le lendemain, il a été libéré sous caution au palais de justice. La police ignorait que le plaignant avait subi une blessure.

Après la mise en liberté du plaignant, les accusations portées contre lui en vertu de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances ont fait leur chemin par les tribunaux; il y a d’abord eu une enquête préliminaire, puis une date devait être fixée pour la tenue d’un procès devant la Cour supérieure de l’Ontario. Deux requêtes préalables au procès devaient être entendues devant la Cour supérieure à compter du 27 octobre 2015, soit près de deux ans après l’arrestation. Lors de l’examen de ces demandes préalables au procès, on a allégué que les trois agents de police avaient eu recours à une force excessive au moment de l’arrestation du plaignant.

Ces requêtes ont été accueillies et, le 8 mars 2016, la juge de la Cour supérieure a rendu sa décision accordant à la défense sa demande de suspension des procédures contre le plaignant, et les accusations portées contre le plaignant ont été retirées, car la juge estimait que les droits accordés au plaignant par la Charte canadienne des droits et libertés avaient été violés en raison de la force utilisée par les trois agents de police lors de son arrestation et que la tenue d’un procès ternirait l’image de l’administration de la justice.

Dans l’intervalle, c’est-à-dire entre la date d’arrestation le 25 janvier 2013 et la date de suspension des procédures le 6 mars 2016, aucune plainte d’inconduite n’a jamais été déposée contre les trois agents de police au Bureau du directeur indépendant de l’examen de la police (BDIEP) ou à l’UES. Par conséquent, aucun témoin civil n’a été identifié, la scène n’a pas été préservée et ne pouvait plus faire l’objet d’une enquête, et il ne restait aucun élément de preuve à recueillir.

Par ailleurs, aucune plainte n’a été déposée contre ces trois agents de police après la décision du tribunal.

Le 14 juin 2017, le Bureau des normes professionnelles de la PRP a reçu une copie de la décision de la juge accueillant la demande fondée sur la Charte, et l’UES en a été avisée le même jour.

Malheureusement, entre-temps, l’enregistrement du premier jour de la présentation de la preuve dans le cadre de l’examen de la demande fondée sur la Charte, soit la preuve principale fournie par le plaignant, avait apparemment été perdu par l’administration du tribunal et n’était plus disponible pour examen par l’UES. Par conséquent, pour déterminer s’il y avait des motifs raisonnables de croire que ces trois agents de police avaient eu recours à de la force excessive pendant l’arrestation du plaignant, je ne disposais que de la brève transcription du contre-interrogatoire du plaignant, portant sur sa demande fondée sur la Charte, ainsi que du souvenir que le plaignant avait des événements plus de quatre ans après l’incident.

Outre celui du plaignant, les enquêteurs de l’UES ont obtenu d’autres témoignages en interrogeant sept agents de police et deux employés de la police témoins, même si parmi ces témoins, seuls les AT nos 7 et 6 étaient présents durant l’arrestation et avaient des éléments de preuve matériels directs à offrir. Les enquêteurs de l’UES avaient également accès au reste du dossier du tribunal relativement aux demandes préalables au procès, ainsi qu’à la transcription de l’audience préliminaire et au dossier de la poursuite, bien que la majeure partie du document versé au dossier eût trait manifestement à la poursuite du plaignant et non pas à l’inconduite alléguée des trois agents de police qui l’avaient arrêté.

L’agent impliqué (AI) a refusé d’être interrogé ou de fournir pour examen les notes entrées dans son calepin, comme c’était son droit légal; tel que mentionné plus haut, l’UES avait toutefois accès aux notes de l’AI, puisqu’elles faisaient partie du dossier de la poursuite.

Alors que j’ai examiné le témoignage fourni par l’AI sous serment aussi bien lors de l’enquête préliminaire qu’à l’examen des demandes préalables au procès, je m’empresse de souligner qu’en vertu de l’article 3 de la Charte canadienne des droits et libertés, l’AI, comme c’est le cas pour toute personne accusée, est protégée contre l’auto‐incrimination et, par conséquent, la Couronne ne peut se servir de la transcription de la preuve fournie par l’AI comme preuve lors de tout procès éventuel intenté contre lui. De plus, si la preuve établissait que l’AT no 7 ou l’AT no 6 partage, à égalité, la responsabilité pour les blessures subies par le plaignant, dans ce cas-là, les transcriptions de leur preuve, ainsi que leurs déclarations à l’UES, ne seraient pas accessibles non plus par la Couronne lors du procès. Par conséquent, au moment de l’analyse de la preuve disponible, j’ai pris soin de ne pas me fonder sur des éléments de preuve qui ne seraient pas admissibles lors du procès afin de formuler mon opinion.

L’analyse que je suis chargé d’effectuer consiste à déterminer si, à la lumière des éléments de preuve disponibles et fiables qui m’ont été présentés, je suis en mesure de former des motifs raisonnables de croire qu’un agent ou l’ensemble des agents ayant procédé à l’arrestation a eu recours à une force excessive pour arrêter le plaignant et que cette force a causé ses blessures, ou si leurs actions étaient justifiées en vertu du paragraphe 25(1) du Code criminel du Canada, en ce sens qu’ils accomplissaient leurs fonctions légales et n’ont pas utilisé plus de force que nécessaire pour atteindre cet objectif légal, auquel cas ils seraient protégés contre des poursuites intentées en vertu de l’article 25(1).

Je tiens également à préciser que le fait que la juge de la Cour supérieure a conclu que les droits du plaignant garantis par la Charte avaient été violés en raison d’un recours excessif à la force par les agents ne signifie pas nécessairement qu’il existe des motifs raisonnables de croire que ces agents ont commis une infraction criminelle. Ni puis‐je substituer l’opinion de la juge à la mienne, car je dois, en particulier, être convaincu qu’il y a suffisamment d’éléments de preuve sur lesquels je peux me fonder pour croire que ces agents ont commis un acte criminel; aucune autre conviction n’est pertinente dans le contexte de cette décision.

D’après la déclaration faite par le plaignant aux enquêteurs de l’UES, il conduisait sa Pontiac Vibe le soir du 25 janvier 2013, dans le secteur de la rue Bathurst et de l’avenue Wilson, à Toronto, et ignorait que la police le suivait. Il a admis qu’il s’était arrêté à un immeuble d’habitation pendant une courte période et puis était reparti, s’arrêtant finalement à un feu rouge, à l’intersection des avenues Kipling et Rexdale.

Le plaignant a déclaré qu’alors qu’il était assis dans son véhicule automobile, des véhicules de police non identifiés s’étaient placés de chaque côté de son véhicule et avaient fortement braqué devant lui, l’empêchant ainsi de poursuivre son chemin. Il avait vu un homme sortir de chacun des VUS avec son arme dégainée et pointée vers lui. Le plaignant savait qu’il s’agissait d’agents de police et avait clairement entendu l’un d’eux lui dire en criant de garder ses mains là où on pouvait les voir et de sortir du véhicule.

Le plaignant avait mis le levier de vitesse à stationnement et l’AT no 7 avait ouvert la portière du conducteur. Lorsque le plaignant était sorti de son véhicule, il avait entendu l’AT no 7 crier [traduction] « couchez-vous sur le sol » et il avait donc commencé à se mettre sur les genoux, auquel moment on l’avait poussé et appuyé par terre sur le ventre. Il a déclaré qu’il n’avait offert aucune résistance et que les agents de police lui avaient menotté les mains derrière le dos.

Le plaignant s’est rappelé que les agents de police l’appelaient constamment « M. X ».

Le plaignant avait alors vu un troisième agent de police s’approcher de son véhicule automobile et se joindre aux deux premiers.

Le plaignant a indiqué que l’un des agents de police, qu’il n’a pas pu identifier, l’avait alors frappé à l’arrière de la tête, en lui donnant un coup de poing ou en le poussant et qu’à cause de cela, il s’était cogné le visage contre le sol, ce qui avait brisé l’une de ses dents avant. Il a également décrit d’autres coups, y compris trois coups de genou ou coups de pied à son torse, à sa tête et à sa tempe. Il a également reçu deux chocs d’une arme à impulsions dans la région de l’épaule gauche.

Le plaignant a déclaré que la police avait alors trouvé ses pièces d’identité ainsi qu’une certaine quantité de cocaïne dans sa voiture. Le plaignant a indiqué qu’une fois qu’ils étaient convaincus qu’il n’était pas M. X, les agents de police avaient commencé à se calmer et à le traiter différemment, en riant et en observant que le plaignant avait juste été au mauvais endroit au mauvais moment.

Après sa libération le lendemain, le plaignant s’était rendu à l’hôpital où l’on avait découvert qu’il avait subi [traduction] « une fracture latérale à la 10e côte droite, qui avait été légèrement déplacée » et où l’on avait conclu ceci : « Aucune autre fracture n’est soupçonnée, aucun pneumothorax (poumon affaissé) »; on avait constaté également que le plaignant avait une dent cassée.

Bien que le plaignant ait allégué avoir été battu pendant son arrestation, il est important de noter qu’il n’a pas été en mesure d’indiquer quel agent avait fait quoi ni n’était-il en mesure d’identifier aucun des trois agents de police. Son seul point de référence quant à ce que chaque agent de police avait fait était basé sur le témoignage des agents de police eux-mêmes lors de l’audience du plaignant, c’est-à-dire que l’AT no 7 avait indiqué qu’il avait utilisé son arme à impulsions pour donner un choc paralysant en mode contact à l’épaule droite du plaignant pendant trois ou quatre secondes, et que l’AI a témoigné qu’il avait donné deux coups de poing avec sa main droite au côté droit du corps du plaignant.

Selon l’AT no 7, il était le premier agent de police à sortir de son véhicule après que les trois véhicules de police avaient entouré et coincé la Pontiac. L’AT no 7 a déclaré que lorsqu’il s’était approché de la Pontiac, il avait vu le conducteur faire marche arrière et heurter l’avant du véhicule de police de l’AT no 6 avec suffisamment de force pour endommager la calandre et plier le capot.

Cet élément de preuve semble être au moins partiellement confirmé par un devis de réparation obtenu pour le véhicule de l’AT no 6, qui décrivait les dommages au véhicule et le coût des réparations, y compris les réparations au pare-chocs, au capot et aux phares. L’AT no 7 a indiqué qu’il avait dégainé son arme à feu et l’avait pointé vers le plaignant en lui criant de s’arrêter, ce qu’il avait alors fait.

L’AT no 6 a indiqué qu’il s’était placé le plus près possible le long de la Pontiac, afin de resserrer l’« étau », tandis que l’AT no 7 et l’AI bloquaient le véhicule à l’avant en formant un « V » et l’empêchaient ainsi d’avancer. L’AT no 6 a indiqué qu’il avait vu les feux arrière de la Pontiac s’allumer, après quoi elle avait fait marche arrière et avait touché son VUS pour ensuite s’arrêter. Cet élément de preuve correspond au témoignage de l’AI.

L’AT no 7 s’était approché de la portière du conducteur et l’avait ouverte, alors qu’en même temps l’AT no 6 et l’AI s’en étaient tous deux approchés, en passant par l’AT no 7, pour ensuite tirer le plaignant hors du véhicule. D’après l’AT no 7, le plaignant se débattait et résistait aux tentatives des agents de le sortir de la voiture. Puis, le plaignant avait été retiré rapidement de la voiture et amené sur le sol vers l’avant, atterrissant sur le ventre avec les mains sous le corps.

Les trois agents de police ont indiqué lors de leur témoignage qu’ils avaient tenté de tirer les mains du plaignant de sous son corps et qu’il refusait d’obtempérer. Dans la transcription, on lit que l’AT no 7 ne se souvenait pas si des coups avaient été donnés au plaignant, mais pensait que c’était possible. Dans sa déclaration aux enquêteurs de l’UES, il a toutefois affirmé que l’AI avait, en réalité, donné deux coups de poing à l’épaule gauche du plaignant pour tenter de l’amener à offrir son bras, mais en vain.

À la suite des efforts infructueux faits par l’AI pour retirer les mains du plaignant afin qu’il puisse être menotté, l’AT no 7 avait utilisé son arme à impulsions une seule fois, pendant trois ou quatre secondes, en la plaçant contre l’épaule droite du plaignant, afin de l’obliger à fournir sa main, ce qu’il avait alors fait. Il s’agit de la seule force à laquelle l’AT no 7 a dit avoir eu recours.

Cette preuve va dans le sens du témoignage sous serment de l’AI, qui a précisé que lui-même et l’AT no 6 avaient tiré le plaignant du véhicule et l’avaient mis au sol, où le plaignant avait continué de se débattre.

L’AI a témoigné qu’il croyait que cette arrestation devait être effectuée le plus rapidement possible pour un certain nombre de raisons, notamment parce qu’il avait vu le plaignant tenter de sortir de l’« étau » en reculant son véhicule et en heurtant la voiture de l’AT no 6, parce qu’il y a toujours un risque que des éléments de preuve soient détruits lorsqu’il est question de stupéfiants illégaux, parce que le plaignant, une fois au sol, continuait de lutter, ce que l’AI avait interprété comme motivé par son souhait continu d’échapper à la police, et parce que le plaignant avait les mains sous le corps où il risquait d’avoir accès à une arme, la police sachant pertinemment que le trafic de drogue et la possession d’armes vont souvent de pair.

L’AI a témoigné que, dans le but de dégager les mains du plaignant et de les retirer de sous son corps, de maîtriser le plaignant et de s’assurer qu’il n’avait pas accès à une arme et ne poserait pas de risque pour les agents de police, il avait donné deux coups de poing au côté droit de son corps. Après les deux coups de poing, le plaignant avait présenté sa main droite, mais sa main gauche était toujours sous son corps, et l’AT no 7 avait donc utilisé son arme à impulsions, et les agents de police avaient alors également pu saisir la main gauche du plaignant et l’avaient menotté.

Cet élément de preuve correspond également aux affirmations faites par l’AT no 6 lors de son témoignage sous serment et à sa déclaration aux enquêteurs de l’UES, sauf qu’il a indiqué qu’il n’avait vu personne donner des coups de poing au plaignant, mais qu’il avait vu l’AT no 6 utiliser son arme à impulsions pour lui donner un choc paralysant en mode contact.

L’AT no 6 a également indiqué, durant son témoignage sous serment, qu’il avait placé son genou contre le dos du plaignant pour exercer une certaine force qui le dissuaderait de garder ses mains sous lui. Durant le contre-interrogatoire, on a interrogé l’AT no 6 sur l’entrée dans son calepin où il avait inscrit [traduction] « coup de genou au dos pour faire obéir le sujet », mais il a répété qu’il ne croyait pas avoir donné un coup de genou au plaignant, mais qu’il avait seulement placé son genou sur son dos.

Après avoir examiné à fond l’ensemble de la preuve dans cette affaire, bien que j’estime qu’il y a des divergences entre les témoignages des trois agents de police, je conclus que cela n’est pas surprenant dans ces circonstances particulières.

J’ai tenu compte du fait que si les agents ont appréhendé le plaignant de la manière dont ils l’ont fait, c’était sur la foi d’information selon laquelle le conducteur du véhicule automobile, qui venait tout juste d’effectuer une transaction, dont les trois agents de police étaient absolument convaincus qu’il s’agissait d’une transaction de drogue, était la personne qui avait déjà échappé à la police auparavant, qui avait été expulsé à deux reprises du pays et qui avait réussi à y revenir et à y mener ses activités illégales, et qui, de toute évidence, était assez habile pour éviter son arrestation. De plus, les agents de police ont vu ce qui, d’après eux, constituait une manœuvre faite par le plaignant pour heurter le véhicule de l’AT no 6, ce qu’ils ont chacun interprété comme une autre tentative de sa part d’échapper à la police. Puis, combinant cela au fait qu’il est bien connu que les trafiquants de drogue portent des armes pour protéger leurs produits et que le plaignant avait les mains sous le corps et refusait de les présenter, je n’ai aucune hésitation à accepter que chacun de ces agents éprouvait un certain sentiment d’urgence pour maîtriser le conducteur et le menotter le plus rapidement possible.

De plus, il faisait noir, il neigeait, la chaussée sur laquelle ils ont mis le plaignant était déjà couverte de neige et probablement glissante, et ils avaient affaire à un homme dans un espace relativement exigu entre les véhicules automobiles où trois hommes se trouvaient très proches du plaignant, voire sur lui. Je conclus qu’il n’est pas surprenant, à la lumière de ces faits, que les agents ne savaient pas ce que faisaient leurs collègues, puisqu’ils concentraient leurs efforts sur le retrait des mains du plaignant de sous son corps afin de le menotter.

En vertu du paragraphe 25(1) du Code criminel, un agent de police, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, est fondé à employer la force nécessaire dans l’exécution d’une obligation légale. Par conséquent, pour que les trois agents visés aient droit à une protection contre des poursuites en vertu de l’art. 25, il doit être établi qu’ils s’acquittaient d’une obligation légale, qu’ils agissaient pour des motifs raisonnables et qu’ils n’ont pas employé plus de force que nécessaire.

Me penchant d’abord sur la légalité de l’arrestation, je n’ai aucune hésitation à conclure que les agents de police, qui agissaient en se fondant sur de l’information reçue au sujet du modus operandi d’un certain M. X durant ses transactions de drogue, laquelle méthode spécifique a été observée par les agents de police qui surveillaient l’immeuble d’habitation sur la rue Bathurst, auraient été convaincus qu’ils venaient tout juste d’assister à une transaction de drogue et que le trafiquant de drogue était M. X. pour les raisons suivantes :

1) Une petite voiture de couleur noire 2) s’est approchée de l’immeuble sur la rue Bathurst 3) le soir, 4) M. Y est monté dans la voiture, 5) qui a fait le tour de l’immeuble, 6) M. Y est alors ressorti tout de suite de la voiture et 7) la voiture s’est éloignée.

Avec le recul, après avoir découvert que le conducteur n’était pas en fait M. X, la police avait toujours des motifs raisonnables de croire qu’elle venait d’observer une transaction de drogue (qui a ensuite été confirmée) en raison des stupéfiants découverts dans le véhicule automobile du plaignant. À la lumière de ces faits, il est clair que les agents de police agissaient légalement dans l’exercice de leurs fonctions au moment des faits relatés ici et que l’arrestation du plaignant était légalement justifiée dans les circonstances.

En ce qui concerne la force utilisée par les trois agents en cause, si j’accepte le témoignage des trois agents, la force utilisée était la suivante :

  • l’AT no 6 et l’AI ont tiré le plaignant de son véhicule automobile et l’ont mis au sol, vers l’avant et sur le ventre
  • l’AT no 7 a donné une seule décharge paralysante avec son arme à impulsions en mode contact contre le bras droit du plaignant, afin de le forcer à présenter ses mains
  • l’AI a donné deux coups de poing au plaignant pour le forcer à offrir ses mains
  • l’AT no 6 a soit placé son genou contre le dos du plaignant, soit lui a donné un coup de genou à cet endroit, afin de le forcer à sortir les mains de sous son corps

Compte tenu du fait que la personne à laquelle la police pensait avoir affaire, c’est‐à‐dire un trafiquant de drogue qui avait déjà évité la police et les services d’immigration à un certain nombre d’occasions, et compte tenu des tentatives apparentes du conducteur durant l’incident décrit ici d’échapper encore une fois à la police, je n’ai aucune difficulté à conclure que la police se trouvait dans une situation extrêmement dynamique et rapide, où elle avait le sentiment qu’il fallait agir urgemment. Cette situation factuelle, en particulier, rappelle l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans R c. Nasogaluak [2010] 1 S.C.R. 206, qui dit ceci :

Les actes des policiers ne devraient pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Il ne faut pas oublier que ceux-ci accomplissent un travail exigeant et dangereux et qu’ils doivent souvent réagir rapidement à des situations urgentes. Leurs actes doivent alors être appréciés selon ce que commande ce contexte difficile. Comme le juge Anderson l’explique dans R. c. Bottrell(1981), 60 C.C.C. (2d) 211 (C. A. C.‐B.) :

[traduction] Pour déterminer si la force employée par le policier était nécessaire, les jurés doivent tenir compte des circonstances dans lesquelles le policier y a eu recours. Il aurait fallu leur indiquer qu’on ne pouvait pas s’attendre à ce que l’appelant mesure la force appliquée avec précision. [p. 218]

De plus, la décision rendue par le juge Power de la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans l’affaire Chartier c. Greaves, [2001] O.J. No. 634, énonce un certain nombre d’autres principes juridiques tirés des précédents cités, dont les suivants et parmi lesquels, à mon avis, le paragraphe (i) ci-dessous (que j’ai mis en gras) est particulièrement pertinent dans cette affaire :

[traduction]

  1. Quel que soit l’article du Code criminel utilisé pour évaluer les actions de la police, la Cour doit mesurer la force qui était nécessaire en tenant compte des circonstances entourant l’événement en cause
  2. « Il faut tenir compte dans une certaine mesure du fait qu’un agent, dans les exigences du moment, peut mal mesurer le degré de force nécessaire pour restreindre un prisonnier. » Le même principe s’applique à l’emploi de la force pour procéder à une arrestation ou empêcher une évasion. À l’instar du conducteur d’un véhicule faisant face à une urgence soudaine, le policier « ne saurait être tenu de respecter une norme de conduite dont on aura ultérieurement déterminé, dans la quiétude d’une salle d’audience, qu’elle constituait la meilleure méthode d’intervention. » (Foster c. Pawsey). En d’autres termes, c’est une chose que d’avoir le temps, dans un procès s’étalant sur plusieurs jours, de reconstituer et d’examiner les événements survenus le soir du 14 août, mais ç’en est une autre que d’être un policier se retrouvant au milieu d’une urgence avec le devoir d’agir et très peu d’un temps précieux pour disséquer minutieusement la signification des événements ou réfléchir calmement aux décisions à prendre. (Berntt c. Vancouver)
  3. Les agents de police exercent une fonction essentielle dans des circonstances parfois difficiles et souvent dangereuses. La police ne doit pas être indûment entravée dans l’exécution de cette obligation. Les policiers doivent fréquemment agir rapidement et réagir à des situations urgentes qui surviennent soudainement. Leurs actes doivent donc être considérés à la lumière des circonstances
  4. « Il est à la fois déraisonnable et irréaliste d’imposer à la police l’obligation d’employer le minimum de force nécessaire susceptible de permettre d’atteindre son objectif. Si une telle obligation était imposée aux policiers, il en résulterait un danger inutile pour eux-mêmes et autrui. En pareilles situations, les policiers sont fondés à agir et exonérés de toute responsabilité s’ils n’emploient que la force nécessaire en agissant sur le fondement de leur évaluation raisonnable des circonstances et des dangers auxquels ils se trouvent exposés. » (Levesque c. Zanibbi et al.)

Finalement, j’ai tenu compte de la décision rendue par la Cour d’appel de l’Ontario, dans l’affaire (non traduite en français) R. v. Baxter (1975), 27 C.C.C. (2d) 96 (C.A. de l’Ont.) qu’on ne peut pas s’attendre à ce que les policiers apprécient avec exactitude le degré de force qu’ils emploient dans leur intervention.

Sur ce fondement, si j’accepte le témoignage de l’AT no 7, de l’AT no 6 et de l’AI, je conclus que leurs actions ne me convainquent pas qu’ils ont eu recours à une force excessive dans les circonstances décrites ici et que la preuve ne me convainc pas que j’ai des motifs raisonnables de croire que ces trois agents ont commis une infraction criminelle.

Subsidiairement, si je rejetais la preuve des trois agents de police en cause en faveur du témoignage du plaignant, il n’y aurait pas de preuve en ce sens que le plaignant n’a pas pu identifier qui était l’agent qui l’aurait en fait agressé et je n’aurais toujours pas les motifs nécessaires m’amenant à croire que l’un de ces trois agents de police a eu recours à une force excessive contre le plaignant, et je ne disposerais toujours pas des motifs nécessaires pour porter des accusations.

En conclusion, à la lumière des éléments de preuve examinés ici, je conclus que je n’ai pas de motifs de porter des accusations criminelles, et aucune accusation ne sera portée.

Date : 1er juin 2018

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.