Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 17-OCI-107

Attention :

Cette page affiche un contenu graphique pouvant choquer, offenser et déranger.

Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu une allégation d’agression sexuelle.

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Le présent rapport décrit l’enquête de l’UES sur la blessure grave qu’un homme âgé de 28 ans aurait subie lors de son arrestation, le 10 mai 2017.

L’enquête

Notification de l’UES

Le mercredi 10 mai 2017, vers 19 h 20, le Service de police de Sault Ste. Marie (SPSSM) a informé l’UES d’une blessure subie par le plaignant durant sa mise sous garde.

Le SPSSM a indiqué que des agents de police ont trouvé le plaignant dans la cour arrière d’une résidence, dans la ville de Sault Ste. Marie. Le plaignant était recherché en vertu de plusieurs mandats et, à la suite d’une poursuite à pied, les policiers l’ont trouvé caché à l’intérieur d’un véhicule. Une lutte a eu lieu pendant son arrestation et l’agent de police qui procédait à l’arrestation a frappé le plaignant en lui donnant un coup avec la main ouverte. Pendant qu’on lui faisait passer les formalités au quartier général du SPSSM, le plaignant s’est plaint de douleurs à la mâchoire. Il a alors été transporté à l’hôpital, où on lui a diagnostiqué une fracture de la mâchoire.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 3

Nombre d’enquêteurs judiciaires de l’UES assignés : 0

Plaignant :

homme de 28 ans interrogé; dossiers médicaux obtenus et examinés

Témoins civils (TC)

TC no 1 A participé à une entrevue

TC no 2 A participé à une entrevue

TC no 3 A participé à une entrevue

TC no 4 A participé à une entrevue

TC no 5 A participé à une entrevue

Agents témoins (AT)

AT no 1 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

AT no 2 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

AT no 3 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

AT no 4 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

AT no 5 Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire

AT no 6 Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire

AT no 7 Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire

Agents impliqués (AI)

AI no 1 A décliné l’entrevue et n’a pas consenti à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué

Description de l’incident

Le mercredi10 mai 2017, l’AI a reçu un renseignement (ayant été fourni sur la ligne d’Échec au crime) concernant le plaignant, qui était visé par des mandats d’arrestation non exécutés. Le renseignement obtenu indiquait qu’on pouvait trouver le plaignant chez sa mère, à une adresse dans la ville de Sault Ste. Marie.

À 14 h 41, l’AI et l’AT no 1 se sont présentés à l’adresse en question, où ils ont vu le plaignant à l’extérieur de la résidence. Le plaignant a alors demandé si on lui permettrait de retourner à l’intérieur de la résidence pour qu’il donne de l’argent à sa mère, ce que les agents lui ont permis de faire. Une fois à l’intérieur de l’appartement, cependant, le plaignant en est sorti par une porte de côté et a fui les agents de police.

Une fois à l’extérieur, le plaignant a couru en direction est dans la rue et s’est caché dans le siège arrière d’un véhicule automobile stationné à l’arrière d’une résidence. L’AI et l’AT no 3 ont trouvé le plaignant, et l’AI a ordonné au plaignant de sortir du véhicule, ce qu’il a fait.

Le plaignant, qui avait déjà eu maille à partir avec l’AI et était d’avis que cet agent le harcelait, ne voulait pas que l’AI procède à son arrestation, de sorte qu’il a demandé si l’AT no 3 ne pourrait pas le faire à sa place. Lorsque l’AI a insisté sur le fait que c’est lui qui procèderait à l’arrestation, le plaignant a refusé de mettre ses mains dans le dos et a lutté avec l’AI, mais il n’a pas agressé l’agent ni tenté de s’enfuir une deuxième fois. Lorsque l’AI a été incapable de passer les menottes au plaignant en raison de la résistance qu’il opposait, il lui a administré un coup de poing fermé sur le côté gauche du menton.

L’AI a alors amené le plaignant à l’avant de l’immeuble, où le plaignant a refusé de prendre place sur le siège arrière de l’autopatrouille de l’AI, demandant à nouveau à être transporté par un autre agent, car il s’opposait à la présence de l’AI. L’AI a alors plaqué son genou sur l’abdomen du plaignant pour le faire obtempérer et entrer à l’intérieur de l’autopatrouille. Le plaignant a ensuite été transporté au poste du SPSSM, où on lui a fait passer les formalités, à la suite de quoi il a été emmené à l’hôpital.

Nature des blessures et traitement

Le plaignant a été évalué à l’hôpital et on lui a fait une radiographie de la mâchoire; on a découvert qu’il avait subi une fracture aigue avec léger déplacement définie dans la région du cou du condyle mandibulaire gauche (partie de l’articulation qui rattache la mâchoire ou la mandibule au crâne).

Le traitement recommandé était un régime d’aliments mous pendant trois semaines et, si la fracture ne se résorbait pas d’elle‐même, une fixation de la mâchoire serait alors nécessaire pendant quatre à six semaines.

Preuve

Les lieux de l’incident

La scène de l’incident était la cour arrière d’une résidence dans la ville de Sault Ste. Marie. Le bâtiment était un immeuble de deux étages avec des appartements à l’avant et à l’arrière. L’avant de la résidence faisait face au nord et l’arrière, au sud. À l’arrière de la résidence, il y avait une allée qui était en direction est‐ouest. Si l’on faisait face à l’avant de la résidence, l’ouest était à droite et l’est, à gauche. Il y avait des voies d’accès pour autos des deux côtés de la résidence. Le véhicule en question était une Nissan qui faisait face à l’ouest. Les enquêteurs judiciaires de l’UES ne se sont pas rendus sur les lieux; les photographies de la scène de l’incident ont été fournies par le SPSSM.

Preuve criminalistique

Aucun élément n’a été envoyé pour analyse au Centre des sciences judiciaires.

Preuve vidéo/audio/photographique

Aucun élément de preuve vidéo, audio ou photographique n’a été trouvé.

Enregistrements de communications

Les enregistrements des communications par radio de la police ont été obtenus et examinés.

Éléments obtenus du service de police

L’UES a demandé au SPSSM, puis obtenu et examiné les éléments et documents suivants :

  • enregistrement des communications par radio de la police
  • rapports d’arrestation du plaignant
  • antécédents criminels du plaignant
  • rapport sur le placement sous garde lors de l’arrestation
  • approbation du mandat d’arrestation du plaignant
  • rapport sur les détails de l’incident
  • rapport d’incident général
  • rapports d’incident général antérieurs (mettant en cause l’AI et le plaignant)
  • mandats d’incarcération généraux (x3) visant le plaignant
  • notes des AT nos 1 à 7 et d’un agent non désigné
  • procédure : Recours à la force
  • procédure : Mandats d’arrestation
  • procédure : Arrestation
  • photos des lieux de l’incident
  • courriel interne du SPSSM portant sur la documentation de formation
  • plan de leçon du SPSSM – renouvellement de l’attestation de formation en recours à la force (automne 2015)
  • plan de leçon du SPSSM – renouvellement de l’attestation de formation en recours à la force (automne 2016)
  • plan de leçon du SPSSM – renouvellement de l’attestation de formation en recours à la force (hiver 2013)
  • plan de leçon du SPSSM – renouvellement de l’attestation de formation en recours à la force (hiver 2014)
  • plan de leçon du SPSSM – renouvellement de l’attestation de formation en recours à la force (hiver 2016)
  • plan de leçon du SPSSM – renouvellement de l’attestation de formation en recours à la force (hiver 2017))
  • rapport sur l’emploi de la force
  • mandat d’arrestation visant le plaignant avec autorisation optionnelle d’entrer dans une maison d’habitation

L’UES a obtenu et examiné les éléments et documents suivants provenant d’autres sources :

  • dossiers médicaux du plaignant relatifs à cet incident

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 25(1) du Code criminel – Protection des personnes chargées de l’application et de l’exécution de la loi

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :

  1. soit à titre de particulier
  2. soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
  3. soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
  4. soit en raison de ses fonctions

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Analyse et décision du directeur

Le mercredi 10 mai 2017, l’AI et l’AT no 1 ont obtenu un renseignement concernant le plaignant qui émanait d’une personne ayant communiqué avec Échec au crime. Selon ce renseignement, le plaignant se trouvait chez sa mère, la TC no 1, à une adresse dans la ville de Sault Ste. Marie. À une certaine date entre mars et avril 2017, un mandat d’incarcération avait été émis pour l’arrestation du plaignant à la suite de son défaut de comparaître en cour.

Lorsque l’AI et l’AT no 1 se sont présentés à l’adresse en question, à 14 h 41, le plaignant se tenait à l’extérieur de la résidence. L’AI a permis au plaignant de retourner dans l’appartement de sa mère pour lui donner de l’argent. L’AI et l’AT no 1 ont tous deux suivi le plaignant jusqu’à l’intérieur de l’entrée avant de l’immeuble, qui faisait face à la rue. Le plaignant est entré dans l’appartement de sa mère, a fermé la porte et est sorti de l’appartement par la porte du côté est. Le plaignant, qui a indiqué qu’il était terrifié par l’AI, en raison des expériences qu’il avait vécues avec lui par le passé[1], a couru en direction est jusqu’à la résidence de son cousin. Comme il n’a pu entrer dans cette résidence, le plaignant a alors pris place à l’intérieur d’un véhicule automobile, une Nissan, qui était stationné à l’arrière de la résidence de son cousin et en a verrouillé la portière arrière côté conducteur.

À 14 h 42, l’AT a vu le plaignant sortir par la porte côté est de l’immeuble de sa mère et courir en direction est. L’AT no 3 a indiqué que le plaignant n’a pas été capable d’entrer par la porte avant dans la maison vers laquelle il avait couru et a vu la plaignant se mettre alors à courir en direction sud puis vers l’arrière, entre les maisons.

L’AT no 3 a transmis par radio ce renseignement à l’AT no 1, lequel est sorti de l’immeuble à appartements de la mère du plaignant et a couru en direction est. L’AT no 3 s’est rendu à l’arrière de la résidence du cousin et a constaté que le plaignant essayait de se cacher sur le siège arrière d’une Nissan dont les vitres étaient teintées à l’avant et teintées très foncé à l’arrière.

L’AI s’est rendu à la résidence et a garé sa voiture de patrouille en faisant face au sud, dans la voie d’accès située sur le côté ouest de la résidence. L’AI a ordonné au plaignant d’ouvrir la portière, à défaut de quoi il allait briser la vitre. Dans les secondes qui ont suivi, le plaignant est sorti du véhicule, se tenant entre la portière ouverte et l’AI, qui a alors tenté de menotter le plaignant. Le plaignant a plaidé auprès de l’AI, sans succès, pour que ce soit plutôt l’AT no 3 qui l’arrête et le menotte.

L’AT no 3 a vu le plaignant se tenir dans l’angle entre la portière ouverte et la carrosserie de la Nissan, en faisant face à l’avant de la Nissan. Lorsque l’AI a informé le plaignant qu’il était en état d’arrestation, l’AT no 3 a remarqué que le plaignant ne voulait pas mettre ses mains dans le dos lorsque l’AI le lui avait ordonné et qu’il continuait de tirer ses mains vers l’extérieur. L’AI a dit au plaignant de regarder vers l’avant et il a essayé de menotter le plaignant dans le dos.

Pendant la lutte qui a suivi, les menottes de l’AI sont tombées par terre. L’AT no 3 a dit au plaignant que s’il obéissait aux demandes de l’AI, il n’y aurait pas de problème. Toutefois, le plaignant a continué de résister et de se débattre. L’AI a frappé le plaignant une fois de son poing gauche sur le côté gauche du visage afin de le faire obtempérer. Le plaignant a dit à l’AI que ce coup de poing lui avait brisé la mâchoire. Le plaignant a déclaré que l’AI l’a frappé du poing une deuxième fois sur le côté du visage et que c’est ce qui l’a fait tomber par terre, et qu’il a atterri sur le côté gauche[2]. L’AT no 3 a fait remarquer que le plaignant, hormis le fait qu’il ait résisté à son menottage, n’a pas lutté activement ni tenté de frapper l’AI[3]. L’AT no 3 se trouvait à la gauche de l’AI et de l’AT no 2, lequel venait d’arriver sur les lieux, puis se tenait derrière l’AI lorsque l’AI a frappé le plaignant. L’AT no 3 a alors tendu ses menottes à l’AI, lequel a pu menotter le plaignant, mains dans le dos.

Lorsque l’AT no 1 est arrivé sur le lieu d’arrestation, il a constaté que l’AI avait déjà menotté le plaignant, mains dans le dos. L’AI et le plaignant se tenaient à l’extérieur de l’autopatrouille. La TC no 1 a dit à son fils de monter dans l’autopatrouille. L’AI a dirigé le plaignant vers la portière arrière de la voiture de patrouille identifiée, côté conducteur. Le plaignant a refusé de prendre place à l’intérieur de l’autopatrouille et a adressé des insultes explicites à l’AI. L’AT no 3 a observé l’AI plaquer son genou sur l’abdomen du plaignant pour le forcer à entrer dans l’autopatrouille[4].

Le TC no 3 et le TC no 2 étaient tous deux stationnés sur leur entrée de cour, sur le côté est de la résidence. Le TC no 3 et le TC no 2 avaient tous deux une vue non obstruée d’une mini‐fourgonnette garée à l’arrière de la propriété, ont observé la fourgonnette qui semblait tanguer, et ont entendu l’AI dire [traduction] « Sortez du véhicule, les mains en l’air. » Le TC no 2 a vu le plaignant sortir de la mini-fourgonnette en opposant de la résistance, au début. Le TC no 2 a entendu le plaignant dire [traduction] « Ne me touchez pas. » Le TC no 3 a vu un agent de police frapper le plaignant à deux ou trois reprises avec ce qui semblait être son coude droit, a vu que le plaignant n’était pas tombé au sol et a clairement entendu le plaignant dire [traduction] « Je veux juste que vous arrêtiez de me frapper. Je veux juste voir ma mère. »

La TC no 1 a vu l’AI pousser son fils avec force sur l’entrée de cour, en direction de l’autopatrouille, lui cogner la tête avec force contre le toit de l’autopatrouille et lui donner un coup de pied à l’abdomen. La TC no 1 a dit à son fils de se détendre et qu’on s’occuperait de lui à l’hôpital. À ce moment-là, son fils s’est calmé. La TC no 1 était au courant de l’historique « violent » que son fils avait eu pendant huit ans avec l’AI.

Le plaignant a été transporté au poste du SPSSM, où on lui a fait passer les formalités requises. L’AT no 4 a questionné le plaignant au sujet de sa mâchoire douloureuse. Le plaignant a répondu qu’il s’était brisé la mâchoire à l’âge de 13 ans et qu’il avait 16 vis ainsi qu’une plaque insérées dans la mâchoire. L’AT no 4 a dit au plaignant que l’AI et l’AT no 1 le transporteraient à l’hôpital, où on lui a ultérieurement diagnostiqué une mâchoire fracturée[5].

Le 11 mai 2017, on a fait une radiographie de la mâchoire du plaignant, et il a été déterminé que le plaignant avait une fracture à la partie supérieure de sa mâchoire. Il a été déterminé que la fracture n’était pas significative et qu’il y avait un déplacement minime, sans problèmes causés à l’occlusion (c.-à-d. la capacité de serrer la mâchoire) et qu’une intervention chirurgicale n’était pas nécessaire. Il a été déterminé que la meilleure façon de procéder serait de surveiller l’occlusion et de prescrire un régime alimentaire semi‐liquide au plaignant pour environ trois semaines. Le médecin était d’avis que la blessure aurait pu être causée par un coup de poing énergique sur l’un ou l’autre des côtés de la mâchoire et qu’un coup de poing administré sur le côté opposé de la fracture pouvait propager son effet jusqu’au côté fracturé. Le médecin a également noté que le plaignant s’était déjà fracturé la mâchoire dans le passé et qu’une chirurgie avait alors été nécessaire.

La première question à trancher est de savoir si les agents de police avaient des motifs d’arrêter le plaignant. Il n’est pas contesté que le plaignant était visé par des mandats non exécutés, dont un pour défaut de comparaître en cour, et que l’AI avait donc le pouvoir légal d’arrêter le plaignant.

Il s’agit ensuite de déterminer si l’AI a employé une force excessive lorsqu’il a frappé le plaignant à la mâchoire pendant la manœuvre d’arrestation. En un mot, je dirais que la réponse à cette question est non.

Après avoir soigneusement examiné l’ensemble de la preuve, je suis convaincu que la preuve ne donne pas de motifs raisonnable de croire que l’agent impliqué a commis une infraction criminelle. En vertu du paragraphe 25 (1) du Code criminel, les agents de police ont le droit d’employer la force dans l’exercice de leurs fonctions légitimes pour autant que la force en question soit raisonnablement nécessaire dans les circonstances.

À mon avis, la force employée par l’AI pour procéder à l’arrestation du plaignant était raisonnable dans toutes les circonstances, y compris, mais sans s’y limiter, les suivantes :

  • le plaignant s’est enfui après que les agents de police lui eurent donné la permission de retourner chez sa mère pour, supposément, lui rembourser ses 50 $
  • le plaignant a ensuite tenté d’entrer dans une autre maison dans sa tentative de fuite, puis il s’est caché à l’intérieur de la voiture d’un voisin
  • lorsqu’on lui a dit de tendre les mains, le plaignant a refusé de le faire et a lutté tout en insistant pour qu’un autre agent le menotte
  • le plaignant a lutté au point que l’AI a fait tomber ses menottes et a dû emprunter les menottes de son collègue pour procéder à l’arrestation

Pour en arriver à cette conclusion, je garde à l’esprit l’état du droit applicable tel qu’il a été énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Nasogaluak, [2010] 1 R.C.S. 206, qui dit ceci :

Les actes des policiers ne devraient pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Il ne faut pas oublier que ceux‐ci accomplissent un travail exigeant et dangereux et qu’ils doivent souvent réagir à des situations urgentes. Leurs actes doivent alors être appréciés selon ce que commande ce contexte difficile. Comme le juge Anderson l’explique dans R. v. Bottrell(1981), 60 C.C.C. (2d) 211 (C. A. C.‐B.) :

[traduction] Pour déterminer si la force employée par le policier était nécessaire, les jurés doivent tenir compte des circonstances dans lesquelles le policier y a eu recours. Il aurait fallu leur indiquer qu’on ne pouvait pas s’attendre à ce que l’appelant mesure la force appliquée avec précision. [p. 218]

La jurisprudence établit clairement que, si les actions des agents de police doivent correspondre à la tâche à exécuter, on ne peut pas s’attendre à ce que les policiers apprécient avec exactitude le degré de force qu’ils emploient dans leur intervention (R. c. Baxter (1975), 27 C.C.C. (2d) 96 (C. A. de l’Ont.)) et on ne devrait pas leur appliquer la norme de la perfection.

En dernière analyse, je suis convaincu pour les motifs qui précèdent, que l’arrestation du plaignant et la manière dont elle a été effectuée étaient légitimes, malgré la blessure subie par le plaignant. Je suis donc convaincu, pour des motifs raisonnables, que les actions de l’AI étaient dans les limites prescrites par le droit criminel. En ce qui concerne l’agent impliqué, je ne vois aucune raison de porter des accusations criminelles en l’espèce.

Date : 12 juin 2018

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) [1] Le plaignant a déclaré que cela faisait environ neuf ans que l’AI le harcelait en lien avec une infraction de conduite pendant la suspension et une affaire de violence conjugale. Une vérification des dossiers du SPSSM entre 2006 et la date de cet incident a révélé que l’AI avait été lié à un contrôle de routine, deux rapports pour plainte de harcèlement téléphonique, une plainte relative à la circulation, deux accusations de conduite pendant la suspension du permis et un rapport de violence conjugale impliquant le plaignant. [Retour au texte]
  • 2) [2] Aucun policier ni membre du public, à l’exception du TC no 3, n’a indiqué qu’un deuxième coup de poing fermé avait été donné au plaignant par l’AI. L’AT no 3 n’a pas été témoin d’un deuxième coup qui aurait fait tomber le plaignant par terre. Le TC no 3 a déclaré avoir été témoin d’un agent de police [dont on sait maintenant qu’il s’agissait de l’AI] ayant frappé le plaignant à deux ou trois reprises avec ce qui semblait être son coude droit. Le TC no 3 n’a pas vu, à ce moment‑là, le plaignant tomber sur le sol. [Retour au texte]
  • 3) [3] Dans une déclaration fournie le 6 juin 2017 aux enquêteurs de l’UES, le TC no 5 a indiqué qu’à aucun moment il n’a vu quelqu’un donner un coup de poing ou un coup de pied au plaignant. Ultérieurement, lors d’une conversation avec la TC no 1 (la mère du plaignant), le TC no 5 lui aurait dit qu’il avait tout vu dans la cour arrière pendant l’arrestation et que l’AI avait frappé le plaignant au visage à trois ou quatre reprises alors que le plaignant était au sol. Compte tenu des contradictions flagrantes entre les déclarations du TC no 5, à supposer qu’il ait bel et bien fait une deuxième déclaration à la TC no 1, on ne peut pas se fier aux dires du TC no 5 qui, à l’évidence, n’est pas crédible dans son compte rendu de l’incident. [Retour au texte]
  • 4) [4] D’après l’AT no 3, un coup de genou appliqué sur l’abdomen d’une personne est une technique qu’on leur a enseignée pour faire prendre place à une personne sur le siège arrière d’une autopatrouille. L’AT no 3 a déclaré qu’il n’a pas vu l’AI donner un coup de genou sur le plaignant. Toutefois, l’AT no 2, qui a été témoin du coup de genou administré sur le torse du plaignant, croyait que ce coup de genou avait été administré pour tenter de faire entrer le plaignant dans la voiture de patrouille. [Retour au texte]
  • 5) [5] L’AT no 4 a permis au plaignant de consulter un avocat de la défense. L’AT no 4 a relâché le plaignant à l’hôpital sur promesse de comparaître. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.