Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 17-OCI-257

Attention :

Cette page affiche un contenu graphique pouvant choquer, offenser et déranger.

Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu une allégation d’agression sexuelle.

“ On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Le présent rapport décrit l’enquête de l’UES sur la blessure grave qu’aurait subie un homme âgé de 45 ans lors de son arrestation, le 13 septembre 2017.

L’enquête

Notification de l’UES

Le 13 septembre 2017, vers 20 h 10, le Service de police d’Espanola (SPE) a informé l’UES de la blessure subie par le plaignant lors de sa mise sous garde.

Le SPE a indiqué que le 13 septembre 2017, vers 17 h 30, des agents du SPE se sont présentés à une résidence dans la ville d’Espanola pour intervenir dans une situation de dispute conjugale. La police a ensuite arrêté un homme [maintenant désigné comme le plaignant] et l’a mis au sol.

Après son arrestation, le plaignant a été amené au poste de police, où il s’est plaint d’une douleur à l’épaule. On a appelé une ambulance, et le plaignant a été transporté à l’hôpital, où on lui a diagnostiqué une fracture à l’épaule droite

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 4

Nombre d’enquêteurs judiciaires de l’UES assignés : 1

Les enquêteurs judiciaires de l’UES se sont rendus sur les lieux et ont photographié la scène de l’incident et les blessures subies par le plaignant.

Plaignant :

Homme de 45 ans interrogé; dossiers médicaux obtenus et examinés

Témoins civils (TC)

TC no 1 A participé à une entrevue

TC no 2 A participé à une entrevue

TC no 3 A participé à une entrevue

TC no 4 A participé à une entrevue

TC no 5 A participé à une entrevue

TC no 6 A participé à une entrevue

TC no 7 A participé à une entrevue

Agents témoins (AT)

AT n° 1 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

Agents impliqués (AI)

AI n° 1 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

Description de l’incident

Le 13 septembre 2017, vers 17 h 30, l’AI et l’AT no 1 ont répondu à un appel au 9-1-1 signalant une dispute conjugale qui venait de se produire dans une résidence de la ville d’Espanola. à leur arrivée, les agents ont confirmé les renseignements obtenus de l’appel au 9‐1-1 selon lesquels le plaignant avait agressé sa partenaire conjugale, en plus d’avoir fracassé le pare-brise d’un véhicule automobile stationné dans l’entrée de cour. Lorsque les agents ont mis le plaignant en état d’arrestation pour voies de fait, il a refusé de tendre les mains pour le menottage et a opposé de la résistance aux agents. Les deux policiers ont alors simultanément décidé de mettre le plaignant au sol afin de terminer le processus de menottage, et chacun a fauché une jambe du plaignant, de sorte qu’il est tombé durement sur le sol.

En tombant, le plaignant s’est blessé à l’épaule.

Le plaignant a ensuite été transporté à l’hôpital et examiné.

Nature des blessures et traitement

Le plaignant s’est présenté à l’hôpital et a reçu un diagnostic de fracture comminutive légère du col chirurgical (articulation) de l’humérus droit (l’os dans la partie supérieure du bras), qui était essentiellement non déplacé.

Preuve

Les lieux de l’incident

Le plaignant a été arrêté à l’extérieur de sa résidence, dans la ville d’Espanola. La scène de l’incident n’a pas été bouclée pour les fins de l’enquête de l’UES.

Preuve criminalistique

Aucun élément n’a été envoyé pour analyse au Centre des sciences judiciaires.

Preuve vidéo/audio/photographique

Aucun élément de preuve vidéo, audio ou photographique n’a été trouvé.

Enregistrements de communications

Les enregistrements des communications par radio de la police ont été obtenus et écoutés.

Éléments obtenus du service de police

L’UES a demandé au SPE, puis obtenu et examiné les éléments et documents suivants :

  • rapport sur les détails de l’incident
  • notes de l’AT no 1 et de l’AI
  • vidéo de la déclaration des TC nos 2 et 3
  • photographies des blessures subies par le plaignant
  • enregistrement de l’appel au 9-1-1
  • enregistrements des communications par radio de la police
  • résumé écrit de l’incident
  • fiche du registre des prisonniers concernant le plaignant
  • procédure : Emploi de la force
  • procédure : Intervention de la police auprès de personnes en détresse
  • procédure : Arrestation
  • dossiers de formation de l’AT no 1 et de l’AI

L’UES a obtenu et examiné les éléments et documents suivants provenant d’autres sources :

  • dossiers médicaux du plaignant en lien avec l’incident
  • rapport de l’appel au service d’ambulance

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 25(1) du Code criminel – Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :

  1. soit à titre de particulier;
  2. soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public;
  3. soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public;
  4. soit en raison de ses fonctions,

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Paragraphe 265(1) du Code criminel – Voies de fait

265 (1) Commet des voies de fait, ou se livre à une attaque ou une agression, quiconque, selon le cas :

  1. d’une manière intentionnelle, emploie la force, directement ou indirectement, contre une autre personne sans son consentement;
  2. tente ou menace, par un acte ou un geste, d’employer la force contre une autre personne, s’il est en mesure actuelle, ou s’il porte cette personne à croire, pour des motifs raisonnables, qu’il est alors en mesure actuelle d’accomplir son dessein;
  3. en portant ostensiblement une arme ou une imitation, aborde ou importune une autre personne ou mendie.

(2) Le présent article s’applique à toutes les espèces de voies de fait, y compris les agressions sexuelles, les agressions sexuelles armées, menaces à une tierce personne ou infliction de lésions corporelles et les agressions sexuelles graves

(3) Pour l’application du présent article, ne constitue pas un consentement le fait pour le plaignant de se soumettre ou de ne pas résister en raison :

  1. soit de l’emploi de la force envers le plaignant ou une autre personne;
  2. soit des menaces d’emploi de la force ou de la crainte de cet emploi envers le plaignant ou une autre personne;
  3. soit de la fraude;
  4. soit de l’exercice de l’autorité.

Article 266 du Code criminel – Voies de fait

266 Quiconque commet des voies de fait est coupable :

  1. soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans;
  2. soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

Article 267 du Code criminel – Agression armée ou infliction de lésions corporelles

267 Quiconque, en se livrant à des voies de fait, selon le cas,

  1. porte, utilise ou menace d’utiliser une arme ou une imitation d’arme,
  2.  
  3.  
  4.  
  5.  
  6.  
  7.  
  8.  

est coupable soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans, soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d’un emprisonnement maximal de dix-huit mois.

Analyse et décision du directeur

Le 13 septembre 2017, vers 17 h 30, le Service de police d’Espanola (SPE) a reçu un appel au 9-1-1 demandant l’aide de la police pour une situation de conflit familial s’étant produite dans une résidence de la ville d’Espanola, situation dans laquelle il a été allégué que le plaignant avait frappé sa femme au visage avec un objet.

L’AI et l’AT no 1 sont intervenus en réponse à l’appel. L’AT no 1 est arrivée la première à la résidence et a parlé à la TC no 2 et à la TC no 3, à la suite de quoi elle a déterminé qu’elle avait des motifs raisonnables d’arrêter le plaignant pour violence conjugale. L’AT no 1 est alors sortie de la résidence et s’est approchée du plaignant, puis l’a informé qu’il était en état d’arrestation pour violence conjugale. Après son arrestation, le plaignant a ultérieurement été transporté à l’hôpital, où il a été examiné et où l’on a déterminé qu’il avait subi une légère fracture comminutive (cassure ou fissuration de l’os en plus de deux fragments) au col chirurgical de l’humérus droit (l’os dans la partie supérieure du bras qui s’insère dans la cavité de l’épaule), fracture qui était essentiellement sans déplacement (c.‐à-d. que l’os ne s’était pas déplacé et avait conservé son bon alignement).

Le plaignant a été décrit comme étant un homme de très grande stature, mesurant environ 6 pieds 3 pouces et pesant plus de 300 livres, qui souffrait de diabète et avait déjà subi une chirurgie de création d’une fistule pour permettre la dialyse (une fistule est une veine créée chirurgicalement pour sortir et retourner le sang pendant l’hémodialyse). La fistule du plaignant était située dans son avant-bras gauche et créait une ampoule sous la peau, et elle a été décrite par le plaignant comme vibrant lorsque le sang circulait dans la veine artificiellement créée. Afin d’éviter un engorgement du flux sanguin dans la fistule, le plaignant a indiqué qu’il fallait prendre certaines précautions, notamment éviter l’application d’une pression sur l’avant-bras et éviter de porter des vêtements serrés.

Dans sa déclaration aux enquêteurs de l’UES, le plaignant a indiqué qu’il a été approché, à l’extérieur de sa résidence, par l’AT no 1, qui l’a informé qu’elle l’arrêtait pour violence conjugale. Aux dires du plaignant, il a retiré ses bras et a mis les mains en l’air dans une position indiquant qu’il se rendait et a essayé d’expliquer à la police qu’il avait une fistule au bras et qu’on ne pouvait pas le menotter. Au lieu de cela, les agents de police ont chacun tenu un bras du plaignant sur le côté et ont tiré sur ses gras pour lui mettre les mains dans le dos. Le plaignant a indiqué que l’AI se trouvait à sa droite et lui maintenait le bras droit, puis qu’il a placé sa jambe devant lui et l’a poussé vers l’avant, le faisant trébucher au sol, tout en continuant de lui tenir les mains.

Le plaignant a indiqué qu’il a alors atterri face contre terre, le visage et l’épaule droite frappant le sol, et qu’il a ressenti une douleur à l’épaule et qu’il a subi une coupure sur l’arête du nez et sur la pommette gauche. Le plaignant a expliqué qu’en raison de son obésité et de l’engourdissement dans ses jambes, en raison de la dialyse, il a eu de la difficulté à se relever et a imploré l’agent de police de le laisser reprendre son souffle. Le plaignant a reconnu qu’il était en colère parce que les agents de police ne voulaient pas écouter sa version de l’histoire.

Les deux agents de police ont alors menotté le plaignant mains dans le dos, puis ont essayé de le relever du sol, ce qui lui a causé une grande douleur à l’épaule droite; lorsqu’ils ont été incapables de remettre le plaignant debout, les agents de police ont de nouveau tenté de le soulever par les bras, mais n’y sont pas parvenus, et le plaignant a de nouveau ressenti une douleur intense à l’épaule droite. Le plaignant a ensuite glissé ses jambes sous le corps, et les policiers l’ont à nouveau soulevé, et il a été capable de se mettre debout. Le plaignant a soutenu qu’il n’était pas agressif avec les agents de police et qu’il aurait coopéré si les policiers avaient écouté son explication au sujet de la fistule. Le plaignant a ensuite été transporté à l’hôpital, où le médecin a déterminé que son articulation de l’épaule droit était brisée.

Au cours de l’enquête, sept témoins civils et les deux agents ayant procédé à l’arrestation ont été interrogés. Selon l’ensemble de la preuve, il a peu de désaccord quant aux actions des agents de police, mais il y a quelques divergences de vues quant aux actions du plaignant, comme on le décrit ci-après.

L’AI a déclaré que, lorsqu’il est arrivé à la résidence, il a vu un VUS garé dans l’entrée de cour dont le pare-brise était brisé; il s’est enquis de ce qui s’était passé, et le TC no 1, le frère du plaignant, lui a dit que le plaignant avait fracassé le pare-brise avec une clé à molette; le plaignant a admis cela à l’AI sur la scène de l’incident, et cela est confirmé par la déclaration que le TC no 1 a fait aux enquêteurs de l’UES. L’AI a indiqué qu’il ignorait alors où se trouvait la clé à molette et qu’il ne savait pas non plus si le plaignant avait des armes sur lui, de sorte qu’il a pris des précautions face au plaignant, et que, lorsque le plaignant n’a pas voulu coopérer et tendre ses mains pour le menottage, cela lui a suscité des préoccupations.

Bien que le plaignant ait estimé qu’il n’avait pas résisté, mais qu’il avait plutôt adopté une position selon laquelle il se rendait lorsque l’AT no 1 lui a dit qu’il était en état d’arrestation, l’AT no 1 a indiqué que lorsqu’elle a informé le plaignant qu’il était en état d’arrestation et qu’elle lui a dit de se tourner pour qu’elle puisse le menotter, il lui a plutôt fait face et a levé ses mains près de ses épaules, mais vers l’extérieur, et a dit « Non »; l’AT no 1 a interprété cela comme voulant dire « Ne me touchez pas » plutôt que comme une attitude signifiant qu’il se rendait.

L’AI a indiqué avoir entendu le plaignant dire à l’AT no 1 [traduction] « C’est de la foutaise, je n’ai rien fait », et qu’il s’est ensuite penché et s’est avancé légèrement. L’AI a indiqué que, lorsque l’AT no 1 a répété au plaignant qu’il était en état d’arrestation et de mettre ses mains dans le dos, le plaignant a continué d’argumenter avec l’AT no 1 en lui disant qu’il n’avait rien fait de mal.

Cette version des événements semble être confirmée par le témoignage de l’AT no 4, qui a observé les deux policiers parler au plaignant et a entendu ce dernier crier et dire [traduction] « Ne me touchez pas » et s’éloigner de la policière lorsqu’on lui a dit qu’il devait suivre les agents de police, ainsi que par le témoignage du TC no 1, qui a vu le plaignant résister aux policiers pendant qu’ils essayaient de le menotter.

L’un des ambulanciers paramédicaux, la TC no 7, a indiqué avoir entendu le plaignant crier pendant que les agents de police essayaient de le menotter; la TC no 7 a décrit les agents de police comme étant fermes avec le plaignant mais pas en colère.

Les deux agents de police ont déclaré avoir demandé à plusieurs reprises au plaignant de tendre les mains afin d’être menotté, l’AI disant au plaignant de cesser de résister et l’AT no 1 lui disant [traduction] « Allons donc, vous avez juste à coopérer ».

L’AT no 1 a déclaré que, lorsqu’elle a saisi le poignet gauche du plaignant pour lui passer les menottes, le plaignant a fait un pas en avant et a gardé son bras très rigide et immobile lorsque l’AT no 1 a tenté de placer la main du plaignant dans son dos pour le menotter.

L’AI a indiqué que, lorsqu’il a essayé de bouger le bras du plaignant, le bras n’a pas bougé, de sorte que l’AI a employé davantage de force pour déplacer le bras du plaignant, pendant que le plaignant tirait son bras pour le libérer de la prise de l’AI. Lorsque l’AI a resserré sa prise et a recouru à plus de force pour bouger le bras du plaignant, le plaignant a formé un poing avec sa main droite et l’a maintenu au niveau du torse de l’AI. L’AI a indiqué que, comme il n’était pas sûr si le plaignant avait une arme ou non, il ne voulait pas se bagarrer avec le plaignant; il a donc plutôt essayé de l’amener au sol de force en utilisant son poignet droit et, lorsqu’il n’y a pas réussi et qu’il n’a pu bouger le plaignant, l’AI a employé davantage de force pour tirer le plaignant vers l’avant et vers le bas et, en même temps, placer son pied gauche devant la jambe du plaignant, ce qui l’a effectivement fait trébucher.

L’AT no 1 a indiqué qu’au même moment elle a placé le talon de son pied droit devant la jambe gauche du plaignant et qu’elle l’a poussé vers l’avant. Ces actions simultanées de l’AI et de l’AT no 1 ont fait que le plaignant est soudainement tombé vers l’avant avec la force de son corps pendant que les agents de police maintenaient leur prise de ses bras et continuaient d’essayer de lui mettre les mains dans le dos pour le menotter.

L’AI a décrit le plaignant comme étant tombé sur la pelouse, face la première, et a déclaré qu’une fois qu’il s’est retrouvé au sol, sur le vendre, il a essayé de lui tirer les bras de dessous son corps. Là encore, les deux agents ont demandé à plusieurs reprises au plaignant de cesser de résister, à la suite de quoi l’AI a placé son genou gauche sur le bas du dos du plaignant et l’a maintenu au sol. L’AI a indiqué que le TC no 1 criait au plaignant d’arrêter de résister et que lorsque le plaignant a finalement obtempéré, il a été menotté.

Une fois menotté, le plaignant a été incapable de se relever de lui-même, et l’AI a essayé de soulever le plaignant pour le mettre en position assise en le tirant sur le côté gauche, à la suite de quoi les deux agents ont balancé le plaignant et l’ont poussé sur ses genoux, et il a finalement été capable de s’asseoir puis de se mettre sur les genoux et, enfin, sur ses pieds. L’AI a décrit ces gestes comme ayant nécessité des efforts; l’AI a essayé de tirer le plaignant vers le haut par les bras, ce qui n’a pas fonctionné, à la suite de quoi il a mis son bras droit sous l’aisselle gauche du plaignant, en utilisant ses jambes et une force considérable, il a pu mettre le plaignant debout.

Compte tenu de l’ensemble de la preuve, nonobstant le propre point de vue du plaignant quant à savoir s’il opposait ou pas une résistance à la police, je retiens, sur ce point, le témoignage de l’AT no 1 et de l’AI, car il est corroboré par les deux témoins civils, le TC no 1 et la TC no 4, qui ont dit que le plaignant opposait effectivement de la résistance et que lorsqu’on lui a dit qu’il était en état d’arrestation et de tendre les mains pour être menotté, il a refusé et a déclaré que c’était [traduction] « de la foutaise » et a crié aux agents [traduction] « Ne me touchez pas », à la suite de quoi il a reculé et a repoussé les agents de police et a continué de résister physiquement pendant que les agents essayaient de le menotter. J’accepte en outre que le plaignant a résisté au point que le TC no 1 a fini par intervenir et lui a crié de cesser de résister et de faire ce que les agents lui disaient de faire.

J’accepte également, sur la foi du témoignage de l’AI, que le renseignement qu’il avait reçu du TC no 1 selon lequel le plaignant avait, juste avant l’arrivée de la police, fracassé le pare‐brise du véhicule automobile avec une clé à molette, preuve qui a été confirmée par le plaignant, donnait à l’AI des raisons légitimes de craindre que le plaignant pouvait encore être armé et qu’il pouvait représenter un risque pour lui-même et sa partenaire.

De plus, je ne crois pas à la version des événements fournie par le plaignant selon laquelle il était calme et coopératif et qu’il se rendait à la police sans résistance au motif des éléments de preuve suivants : le fait que le plaignant avait fracassé le pare-brise du véhicule; la dispute que le plaignant a eue avec la TC no 2, ce qui a incité la TC no 3 à communiquer avec son petit ami, dont la mère, qui était inquiète à son tour, a appelé la police; les observations de la TC no 4 ainsi que de la TC no 7, selon lesquelles le plaignant criait à l’endroit de la police d’une voie colérique; le fait que le plaignant était très en colère, même après l’arrivée des policiers; le fait que le plaignant a continué d’être colérique lorsque les agents de police ont essayé de le mettre en état d’arrestation, ce qui l’a amené à ne pas être coopératif, à crier et à résister activement aux efforts de la police.

J’accepte, en outre, que la technique employée par les deux agents de police pour amener le plaignant au sol, en le faisant trébucher ou en fauchant ses pieds sous lui, est une technique enseignée à l’école de police comme étant une méthode acceptée et efficace pour contrôler et menotter une personne qui résiste. J’en déduis que, malgré le recours des policiers à cette technique à laquelle ils ont été formés, le plaignant est tombé au sol avec plus de force que prévu en raison du fait que les deux agents ont simultanément eu recours à la même technique et qu’ils ont ainsi chacun fauché en même temps une jambe du plaignant, ainsi qu’en raison de la taille et du poids imposants du plaignant qui ont accentué la force avec laquelle il est tombé sur le sol.

Enfin, malgré le fait que le plaignant ait ressenti de la douleur lorsque les agents ont tenté de le mettre debout en le soulevant par les bras, j’accepte que les policiers n’avaient pas l’intention de faire mal au plaignant. Il est clair, d’après tous les témoins, y compris le plaignant lui-même, que le plaignant était incapable de se remettre debout seul et que les agents de police avaient beaucoup de difficulté à aider le plaignant à se mettre debout en raison de sa stature imposante.

En vertu du paragraphe 25(1) du Code criminel, les agents de police peuvent seulement recourir à la force qui est raisonnablement nécessaire dans l’exécution d’une obligation légale. En ce qui concerne d’abord la légalité de l’appréhension du plaignant, compte tenu de l’appel au 9-1-1 qui a signalé que le plaignant avait frappé sa femme à la tête avec un objet et de l’entrevue subséquente que l’AT no 1 a effectuée auprès de la TC no 2 et de la TC no 3 à la résidence, je n’ai aucune hésitation à conclure que l’AT no 1 avait des motifs raisonnables d’arrêter le plaignant pour voies de fait et/ou agression armée, en contravention des articles 266 et 267, respectivement. Ainsi, l’appréhension et l’arrestation du plaignant étaient légalement justifiées dans les circonstances.

En ce qui a trait à la force employée par les agents dans leurs tentatives de maîtriser le plaignant, j’estime que leur comportement était justifié dans les circonstances et qu’ils n’ont pas employé plus de force que nécessaire pour arrêter et menotter le plaignant.

Compte tenu de l’ensemble de la preuve, j’accepte que le plaignant n’a pas obtempéré, ni verbalement ni physiquement, lorsque l’AT no 1 l’a informé qu’elle l’arrêtait pour violence conjugale et qu’il s’est alors reculé et a repoussé tout à la fois l’agente en disant avec colère aux agents de ne pas le toucher et qu’il considérait l’arrestation comme [traduction] « de la foutaise ».

Bien que j’accepte que le plaignant avait manifestement une fistule à l’avant-bras gauche, ce qui l’aurait amené à craindre d’être menotté, je conclus, d’après la preuve, que l’objection principale du plaignant n’était pas liée aux complications de la fistule mais plutôt à sa conviction que son arrestation était injustifiée et à sa colère extrême et évidente, comme on avait pu l’observer non seulement dans sa réaction face à la police, mais aussi dans le comportement irrationnel qu’il avait eu peu de temps avant cela, lorsqu’il avait fracassé le pare-brise du véhicule garé dans sa propre entrée de cour.

Alors que les deux agents étaient confrontés à de la résistance active de la part du plaignant, à sa taille imposante et au fait qu’il pouvait encore être en possession de l’arme dont il s’était servi pour briser le pare-brise du véhicule automobile, je considère que les actions des deux agents de police lorsqu’ils ont mis le plaignant le sol, afin de procéder à son arrestation, étaient raisonnables dans les circonstances et ne constituaient pas un recours excessif à la force.

Pour en arriver à cette conclusion, je garde à l’esprit l’état du droit applicable tel qu’établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Nasogaluak, [2010] 1 R.C.S. 206, qui dit ceci :

Les actes des policiers ne devraient pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Il ne faut pas oublier que ceux‐ci accomplissent un travail exigeant et dangereux et qu’ils doivent souvent réagir rapidement à des situations urgentes. Leurs actes doivent alors être appréciés selon ce que commande ce contexte difficile. . Comme le juge Anderson l’explique dans R. c. Bottrell (1981), 60 C.C.C. (2d) 211 (B.C.C.A.) :

[traduction] Pour déterminer si la force employée par le policier était nécessaire, les jurés doivent tenir compte des circonstances dans lesquelles le policier y a eu recours. Il aurait fallu leur indiquer qu’on ne pouvait pas s’attendre à ce que l’appelant mesure la force appliquée avec précision. [p. 218]

De plus, j’ai pris en considération la décision rendue par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire R. c. Baxter (1975) 27 C.C.C. (2d) 96 (C. A. de l’Ont.), selon laquelle on ne peut pas s’attendre à ce que les policiers apprécient avec exactitude le degré de force qu’ils emploient dans leur intervention.

Par conséquent, bien que je convienne que la blessure du plaignant a été causée par la police lorsque les agents l’ont mis au sol, je ne saurais conclure que les gestes des agents ont constitué un recours excessif à la force dans ces circonstances. D’après le témoignage de la TC no 7, j’accepte que, alors que le plaignant était en colère, les deux agents de police ont été fermes avec lui mais pas colériques. En outre, d’après le témoignage de tous les témoins, y compris le plaignant lui-même, à aucun moment l’un ou l’autre des agents de police n’a recouru à l’une ou l’autre des options de recours à la force dont ils disposaient, pas plus que l’un ou l’autre des agents n’a jamais donné de coups de poing, de coups de pied ou de coups au plaignant. Une fois que le plaignant a été menotté, le seul contact physique que les agents de police ont eu avec lui a été de tenter de l’aider à se redresser, ce qui, à l’évidence, lui a causé par inadvertance des douleurs supplémentaires en raison de sa masse corporelle et de la blessure qu’il avait subie pendant sa chute. En outre, il ressort clairement de l’ensemble de la preuve que si le plaignant n’avait pas résisté à son arrestation, il n’aurait pas été blessé.

En dernière analyse, je suis convaincu, pour les motifs qui précèdent, que la mise sous détention du plaignant et la manière dont cela s’est fait étaient légitimes malgré la blessure subie par le plaignant. Je suis donc convaincu, pour des motifs raisonnables dans ce dossier, que les gestes posés par les agents de police étaient dans les limites prescrites par le droit criminel et qu’il n’a pas lieu de déposer des accusations criminelles en l’espèce.

Date : 14 juin 2018

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.