Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 17-OOD-208

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu une allégation d’agression sexuelle.

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Le présent rapport décrit l’enquête de l’UES sur le décès d’un homme âgé de 45 ans à la suite d’un contact qu’il avait eu avec la police le 9 août 2017.

L’enquête

Notification de l’UES

Le 11 août 2016, vers 11 h 25, le Service de police de Woodstock (SPW) a informé l’UES du décès du plaignant, un homme que le SPW avait essayé de localiser.

Le 9 août 2017, le détachement de la Police provinciale de l’Ontario (PPO) du comté d’Elgin a envoyé au SPW un message du Centre d’information de la police canadienne (CIPC) qui demandait au SPW de trouver le plaignant. L’agent impliqué (AI) s’est rendu à la résidence du plaignant, mais le plaignant n’était pas chez lui.

À 20 h 14, le même jour, l’AI a appelé le plaignant sur son téléphone cellulaire et a informé le plaignant que la PPO voulait l’arrêter pour manquement aux conditions de son ordonnance de probation. Le plaignant avait apparemment enfreint les conditions de sa probation lorsqu’il a communiqué avec sa femme. Le plaignant a dit à l’AI qu’il rencontrerait les agents de police dans 45 minutes chez lui. Les agents de police se sont de nouveau présentés au domicile du plaignant, mais il n’était pas chez lui. Le SPW a alors envoyé à la PPO un message du CIPC les avisant de la mesure que le SPW avait prise.

Le 10 août 2017, la PPO a envoyé un autre message du CIPC au SPW pour les informer que la PPO avait un mandat d’arrêt contre le plaignant. Le SPW a tenté plusieurs fois de trouver le plaignant à son domicile, mais les autres locataires ne l’avaient pas vu.

Le 11 août 2017, à 7 h 33, un membre du personnel de l’Hôpital général de Woodstock (HGW) a communiqué avec le SPW pour signaler une personne qui dormait dans un véhicule, dans le stationnement. L’occupant du véhicule [dont on sait maintenant qu’il s’agissait du plaignant] était décédé. L’enregistrement vidéo du système de télévision en circuit fermé (TVCF) de l’hôpital a révélé que le véhicule du plaignant se trouvait dans le stationnement depuis le 9 août 201, à 21 h 31.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 3

Nombre d’enquêteurs judiciaires de l’UES assignés : 1

L’enquêteur judiciaire (EJ) de l’UES s’est rendu sur les lieux et a photographié la scène dans le terrain de stationnement de l’hôpital ainsi que la résidence du plaignant. Les images correspondantes du système de TVCF de l’hôpital ont été trouvées et saisies.

Plaignant :

Homme âgé de 45 ans, décédé

Témoins civils (TC)

TC no 1 A participé à une entrevue

TC no 2 A participé à une entrevue

TC no 3 A participé à une entrevue

TC no 4 A participé à une entrevue

TC no 5 A participé à une entrevue

TC no 6 N’a pas participé à une entrevue; plus proche parent

TC no 7 A participé une entrevue

Agents témoins (AT)

AT no 1 Notes examinées, entrevue jugée non nécessaire

AT no 2 Notes examinées, entrevue jugée non nécessaire

AT no 3 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

AT no 4 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

Agents impliqués (AI)

AI no 1 A décliné l’entrevue et n’a pas consenti à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué

Description de l’incident

Le 9 août 2017, vers 15 h 18, le détachement de la PPO dans le comté d’Elgin a communiqué avec le SPW pour leur demander de trouver et d’arrêter le plaignant, lequel était recherché pour avoir violé les conditions de son ordonnance de probation lorsqu’il avait communiqué avec une ex-petite amie.

À la suite de cela, vers 20 h 04, l’AI et l’agent témoin (AT) no 4 se sont rendus à la résidence du plaignant, dans la ville de Woodstock, mais il n’était pas chez lui. Quelques instants plus tard, l’AI a appelé le plaignant sur son téléphone cellulaire pendant que l’AT no 4 écoutait la conversation. L’AI a expliqué au plaignant qu’il était recherché par la PPO et a demandé au plaignant de rencontrer les agents de police, soit à son domicile, soit au poste de police. Le plaignant a dit qu’il allait se livrer de lui-même à la police dans environ 45 minutes. Les agents de police n’ont plus eu de nouvelles du plaignant après cela.

Le 10 a0ût 2017, vers 18 h 46, le détachement de la PPO dans le comté d’Elgin a avisé le SPW qu’un mandat avait été émis pour arrêter le plaignant relativement à une infraction de défaut de se conformer à une ordonnance de probation, en contravention de l’article 733.1 du Code criminel. L’AI et l’AT no 4 sont retournés au domicile du plaignant, mais il n’était toujours pas là. Les agents de police se sont alors mis à la recherche du plaignant et de son véhicule automobile.

Le 11 août 2017, vers 7 h 29, un agent de sécurité de l’HGW a été averti qu’un homme dormait dans son véhicule dans le stationnement. L’agent de sécurité s’est rendu au terrain de stationnement et a trouvé le plaignant mort dans son véhicule, puis on a communiqué avec la police pour qu’elle se présente sur les lieux.

Cause du décès

Le coroner a constaté le décès à 7 h 40, le vendredi 11 août 2017. Le coroner a alors informé la police qu’il n’y avait pas de cause anatomique de décès.

L’autopsie a été effectuée le 12 août 2017. Le rapport d’autopsie concluait que la cause immédiate du décès du plaignant était [traduction] « Toxicité de la quétiapine‐clonazépam ».

Sous la rubrique Commentaire/opinion, on pouvait lire ce qui suit :

[traduction] Il n’y avait pas de cause anatomique de décès.

Les résultats de l’analyse toxicologique post-mortem indiquent qu’il y avait un taux mortel de quétiapine dans le sang fémoral. Le rapport du CSJ indiquait que la concentration mortelle pour ce médicament est située entre 7 et 18 mg/L. Bien que le niveau de clonazépam présent dans le sang était à l’intérieur de l’intervalle thérapeutique, les constatations sur les lieux ont porté à croire que le clonazépam avait également pu contribuer à la cause du décès.

Preuve

Les lieux de l’incident

La scène était située dans le stationnement sud de l’Hôpital général de la ville de Woodstock (Ontario). Le stationnement était réservé à l’aile Reynolds de l’HGW et avait un accès contrôlé. Le terrain de stationnement était surveillé par un système de TVCF. Les enquêteurs de l’UES ont récupéré les enregistrements de TVCF.

Le véhicule du plaignant était garé sur le côté est du terrain de stationnement avec quatre autres véhicules stationnés du nord au sud. Le véhicule du plaignant était garé à reculons dans l’espace de stationnement et faisait face à l’ouest. Le corps du plaignant avait été retiré du véhicule avant l’arrivée de l’UES. À l’intérieur du véhicule du plaignant, il y avait des papiers, des gobelets à café, des paquets de cigarettes et des vêtements. En particulier, il y avait trois couvercles de flacons de pilules d’ordonnance de Pharmasave sur le plancher du véhicule, à l’avant, côté passager, mais aucun contenant de comprimés n’a été trouvé. Il y avait plusieurs reçus de médicaments d’ordonnance pour de la quétiapine, du clonazépam et de l’escitalopram.

Preuve matérielle

Les enquêteurs judiciaires de l’UES se sont rendus au SPW, où ils ont reçu de la police un sac de preuves scellé contenant un téléphone cellulaire de marque Samsung, quatre flacons à pilules pour des médicaments sur ordonnance et une bouteille partiellement vidée de whisky Forty Creek; les ordonnances avaient été délivrées pour de la quétiapine, du clonazépam et du bupropion.

Preuve criminalistique

Des échantillons biologiques prélevés du plaignant lors de l’autopsie ont été envoyés pour analyse au Centre des sciences judiciaires (CSJ). Un rapport toxicologique produit par le CSJ a révélé que le sang de l’artère fémorale du plaignant contenait un niveau mortel de quétiapine et un taux de clonazépam situé dans l’intervalle thérapeutique.

Témoignage d’expert

Le rapport d’autopsie était daté du 30 novembre 2017 et l’UES l’a reçu le 16 janvier 2018. Le rapport indiquait que le corps ne présentait aucun signe de traumatisme et qu’il n’y avait pas de cause anatomique de décès. Il a été déterminé que la cause du décès était la [traduction] « toxicité de la quétiapine‐clonazépam ».

Preuve vidéo/audio/photographique

Enregistrements de TVCF de l’HGW

Les enquêteurs de l’UES ont récupéré les enregistrements de TVCF du stationnement de l’hôpital pour les dates des 9, 10 et 11 août 2017.

Séquences TVCF 109, 117 et 176

Le 9 août 2017, à 8 h 09, on voit le plaignant sortir de l’hôpital et marcher jusqu’à son véhicule. Le véhicule du plaignant était stationné sur le terrain de stationnement, avenue Athlone. Après 24 minutes, le plaignant sort du stationnement au volant de son véhicule.

Séquence TVCF 178-02

Le 9 août 2017, à 21 h 31, on voit le plaignant revenir, au volant de son véhicule, au stationnement Athlone et passer la barrière de sécurité.

Enregistrement de TVCF de l’entrée du stationnement de l’HGW, avenue Athlone

Le 9 août 2017, à 21 h 31, on voit le véhicule du plaignant entrer dans le stationnement et se garer en marche arrière dans un espace de stationnement. Les feux du véhicule s’éteignent. Le véhicule n’a pas bougé entre le moment où il a été stationné jusqu’au moment où il a été découvert, le 11 août 2017. Avant 7 h 18, le 11 août 2017, on voit trois véhicules entrer et se garer dans le terrain de stationnement. À 7 h 28, on voit un agent de sécurité sortir du bâtiment de l’hôpital et s’approcher du véhicule du plaignant, côté passager. On le voit se rendre à la porte du conducteur et regarder à l’intérieur. L’agent de sécurité ouvre ensuite la porte côté conducteur et se penche à l’intérieur du véhicule.

À 7 h 31, deux membres du personnel de l’hôpital s’approchent du véhicule. À 7 h 32, un autre agent de sécurité arrive; à 7 h 39, les SMU arrivent; à 7 h 42, les pompiers arrivent et à 7 h 44, deux véhicules du SPW arrivent sur les lieux.

Enregistrements de communications

Enregistrements des communications du SPW

Le SPW a fourni quatre enregistrements de communications à l’UES. Les marquages temporels des enregistrements avaient une heure de retard sur l’heure normale de l’est (HNE).

Appel d’absence de signes vitaux (ASV)

Le 11 août 207, vers 6 h 31, le SPW a reçu un appel d’un agent de sécurité de l’HGW. L’appelant a déclaré qu’on lui a signalé une personne dormant à l’intérieur de son véhicule et que cette personne avait également été remarquée la veille. Une membre du personnel de l’hôpital avait vu le plaignant dans le véhicule la veille au soir, lorsqu’elle était partie du travail, puis de nouveau lorsqu’elle était retournée travailler le lendemain, le 11 août 2017, elle a remarqué que le plaignant n’avait pas bougé. Elle a alors appelé la sécurité.

Un agent de sécurité a ouvert la portière du véhicule du plaignant et a secoué le plaignant, mais celui-ci ne s’est pas réveillé. Le plaignant était décédé. Le véhicule était garé dans le stationnement Athlone.

Appels d’intervention concernant un cas d’ASV (absence de signes vitaux)

At 6 h 34, le SPW a appelé les SMU pour leur demander de se présenter à l’hôpital pour un homme avec ASV. À 6 h 35, le service des incendies de Woodstock (SIW) a également été envoyé sur les lieux.

At 6 h 36, le répartiteur a appelé l’une des unités pour confirmer que le véhicule était immatriculé au nom du plaignant. Le plaignant avait des antécédents d’incidents de SMT (santé mentale et toxicomanie) et avait déjà fait une tentative de suicide.

À 6 h 37, une unité a mentionné qu’on avait tenté de trouver le plaignant depuis les deux dernières nuits en lien avec un mandat d’arrêt émis par la PPO du comté d’Elgin pour défaut de se conformer à l’ordonnance de probation dans une situation domestique. À 6 h 42, la répartition a confirmé que le plaignant avait été déclaré mort à 7 h 33.

Documents obtenus du service de police

L’UES a demandé au SPW, puis obtenu et examiné les éléments et documents suivants :

  • mandat d’arrestation lancé contre le plaignant
  • message du CIPC (Centre d’information de la police canadienne)
  • enregistrements des transmissions radio de la police et de l’appel concernant le cas d’ASV
  • recherches d’incidents (x3)
  • liste des agents impliqués et des rôles
  • liste des témoins
  • photographies des lieux
  • notes des AT nos 1-4
  • rapport d’incident (personne) pour le plaignant
  • résumés d’incident (x4)
  • procédure : Arrestation et garde et contrôle d’un prisonnier
  • procédure : Personnes perturbées affectivement ayant une maladie mentale ou une déficience intellectuelle
  • rapport d’incident supplémentaire
  • déclarations écrites des témoins du SPW pour cinq témoins non désignés

L’UES a obtenu et examiné les éléments et documents suivants provenant d’autres sources :

  • dossiers médicaux du plaignant à la suite d’un récent congé de l’hôpital
  • rapport d’autopsie du plaignant
  • rapport de toxicologie produit par le Centre des sciences judiciaires
  • rapports d’incident rédigés par les agents de sécurité de l’hôpital
  • capture d’écran de messages se trouvant sur la page Facebook du plaignant

Dispositions législatives pertinentes

Articles 219, 220 et 221 du Code criminel – Négligence criminelle causant la mort ou des lésions corporelles

219 (1) Est coupable de négligence criminelle quiconque :

  1. soit en faisant quelque chose
  2. soit en omettant de faire quelque chose qu’il est de son devoir d’accomplir

montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui

(2) Pour l’application du présent article, devoir désigne une obligation imposée par la loi.

220Quiconque, par négligence criminelle, cause la mort d’une autre personne est coupable d’un acte criminel passible :

  1. s’il y a usage d’une arme à feu lors de la perpétration de l’infraction, de l’emprisonnement à perpétuité, la peine minimale étant de quatre ans
  2. dans les autres cas, de l’emprisonnement à perpétuité

221 Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans quiconque, par négligence criminelle, cause des lésions corporelles à autrui.

Article 733.1 du Code criminel – Défaut de se conformer à une ordonnance de probation

733.1 (1) Le délinquant qui, sans excuse raisonnable, omet ou refuse de se conformer à l’ordonnance de probation à laquelle il est soumis, est coupable :

  1. soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de quatre ans
  2. soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d’un emprisonnement maximal de 18 mois et d’une amende maximale de 5 000 $, ou de l’une de ces peines

Analyse et décision du directeur

Le 9 août 2017, le détachement de la Police provinciale de l’Ontario (PPO) dans le comté d’Elgin a envoyé au Service de police de Woodstock (SPW) un message demandant l’assistance de la police pour tenter de localiser et d’arrêter le plaignant relativement à des accusations de manquement aux conditions de sa mise en liberté ordonnée par le tribunal lorsqu’il a communiqué avec une ancienne petite amie à l’égard de laquelle il était visé par une interdiction de contact que lui avait imposée le tribunal. La demande d’assistance a été envoyée à 15 h 18 m 33 s. À la suite de cela, l’AI et l’AT no 4 se sont présentés au domicile du plaignant vers 20 h 04 et ont frappé à sa porte, mais il n’y a pas eu de réponse. Les agents de police ont quitté la résidence et ont ultérieurement appelé le plaignant sur son téléphone cellulaire et lui ont parlé.

L’AI a informé le plaignant qu’un mandat d’arrestation avait été émis contre lui après qu’il eut violé les conditions de sa probation et lui a dit qu’il pouvait, soit retourner chez lui, auquel cas les agents l’amèneraient au poste, soit se présenter au poste de police. Le plaignant a indiqué à l’AI qu’il lui faudrait 45 minutes et, qu’alors, soit il se présenterait au poste de police, soit il communiquerait par téléphone avec le SPW.

D’autres renseignements obtenus par l’UES ont révélé que le plaignant avait tenté de s’enlever la vie moins de deux semaines auparavant, à la suite de quoi il avait été admis à l’hôpital.

Le 9 août 2017, à 8 h 03, le plaignant avait lui-même pris son congé de l’hôpital à l’encontre des conseils du médecin.

Le plaignant a reçu un appel téléphonique l’informant des accusations en instance relativement à son arrestation après 20 h 04, le même soir.

Les enregistrements de TVCF de l’hôpital ont révélé que le plaignant avait quitté l’hôpital à 8 h 09, le matin du 9 août, et qu’on l’avait vu marcher jusqu’à son véhicule, qui était garé dans le stationnement de l’hôpital coté avenue Athlone, et sortir du stationnement peu de temps après au volant de son véhicule.

Le 9 août 2017[1], à 21 h 31, le plaignant est vu sur les enregistrements de TVCF de l’hôpital revenant à l’entrée du stationnement, avenue Athlone, où on le voit reculer son véhicule dans un espace de stationnement et se garer là. Le personnel de l’hôpital a vu le véhicule aux petites heures du matin, le 10 août, puis une autre fois plus tard dans la journée, et de nouveau au même endroit, le 11 août. Chaque fois, les témoins ont vu quelqu’un à l’intérieur du véhicule, la tête penchée en avant, et ont présumé qu’il textait. Aux petites heures du matin, le 11 août 2017, le véhicule et son occupant ont de nouveau été vus, alors que l’occupant semblait être penché en avant; on a alors avisé la sécurité de l’hôpital et les agents de sécurité se sont rendus au stationnement, où ils ont localisé le véhicule du plaignant, avec le plaignant à l’intérieur, apparemment décédé. Le coroner est arrivé peu de temps après et, à 7 h 33, le plaignant a été déclaré mort. Ont été saisis sur le siège avant du véhicule du plaignant quatre flacons de comprimés pour des médicaments délivrés sur ordonnance, soit de la quétiapine, du clonazépam et du bupropion, ainsi qu’une bouteille partiellement vidée de whisky Forty Creek et le téléphone cellulaire du plaignant.

Les rapports d’autopsie et de toxicologie appuient l’opinion initiale de diverses personnes selon laquelle le plaignant s’est enlevé la vie par surdose de médicaments. Cette conclusion semble évidente compte tenu des éléments suivants : le fait que des témoins ont vu le plaignant dans le stationnement de l’hôpital; la présence de flacons de médicament d’ordonnance et de whisky dans le véhicule; la précédente tentative de suicide du plaignant, qu’il avait enregistrée et publiée sur Facebook, alors qu’on le voyait ingérer une grande quantité de comprimés d’ordonnance et d’alcool; la séquence vidéo de TVCF qui a permis de confirmer que le plaignant a garé son véhicule dans le stationnement, le 9 août 2017 à 21 h 31, et qu’aucune autre personne ne s’est approchée du véhicule ni n’y est entrée ou sortie entre le moment où le véhicule a été stationné et le moment où le corps du plaignant a été découvert, le 11 août 2017, à 7 h 29.

L’autopsie a confirmé qu’il n’y avait pas de cause anatomique de décès (ni de traumatisme physique au corps du plaignant) et que le plaignant s’est enlevé la vie en faisant une surdose de médicaments d’ordonnance, en particulier la quétiapine et le clonazépam. Il est également clair que le plaignant avait l’intention de s’enlever la vie, comme en témoignent sa précédente tentative du 28 juillet 2017 et ses déclarations et aveux subséquents à des témoins civils, ainsi que dans les messages et textes qu’il a publiés sur Facebook selon lesquels il avait l’intention de tenter de nouveau de s’enlever la vie, et ce, même avant avoir reçu l’appel téléphonique de l’AI l’informant des accusations en instance qui pesaient contre lui.

Compte tenu de l’ensemble de cette preuve, il est évident que le plaignant, en raison d’une rupture relationnelle et de son état mental fragile, avait décidé de s’enlever la vie et c’est ce qu’il a fait ensuite, sans aucune interaction avec la police, hormis l’avis téléphonique qu’il a reçu de l’AI le 9 août 2017, peu après 20 h 04. Il n’est pas non plus contesté que le plaignant avait déjà fait part de son intention de s’enlever la vie à un certain nombre de personnes, ainsi que par la voie des médias électroniques, avant d’avoir été informé des nouvelles accusations qui pesaient contre lui et qu’il avait déjà mis en marche son plan de suicide environ deux semaines avant que l’AI l’ait jamais informé des accusations en instance qui pesaient contre lui. Par conséquent, il ne fait aucun doute que le plaignant s’est enlevé la vie de sa propre initiative, sans aucune intervention de la part de la police.

En communiquant par téléphone avec le plaignant, après la tentative infructueuse de le joindre chez lui, l’AI agissait conformément à ses fonctions et donnait au plaignant la possibilité de retourner chez lui plutôt que d’obliger la police à le chercher et à l’arrêter. Cette proposition a été faite à la discrétion de l’AI et aurait donné au plaignant la possibilité de se livrer aux autorités sans être arrêté publiquement et menotté dans la collectivité.

Compte tenu de l’ensemble de la preuve, il semble peu probable que l’appel reçu de l’AI ait été le facteur décisif du suicide du plaignant, car le plaignant avait apparemment décidé de passer à l’acte longtemps avant d’avoir reçu cet appel. Cela dit, même si l’appel concernant les accusations en instance avait été la « goutte d’eau qui a fait déborder le vase », je ne saurais conclure que l’appel téléphonique de l’AI, qui a fait un usage courtois de son pouvoir discrétionnaire, était inapproprié dans les circonstances. De toute évidence, la police est tenue d’aviser les personnes visées par des mandats non exécutés de l’existence de tels mandats et de leur donner l’occasion de se livrer elles‐mêmes volontairement aux autorités[2], et je ne peux conclure à aucune faute de la part de l’AI lorsqu’il a fait cela.

La seule accusation à prendre en considération dans ces circonstances serait celle de négligence criminelle (art. 219) causant ainsi la mort, en contravention de l’art. 220 du Code criminel, qui comporte les éléments essentiels suivants :

Définition de négligence criminelle dans l’art. 219 :

219. (1) Est coupable de négligence criminelle quiconque 

  1. soit en faisant quelque chose
  2. soit en omettant de faire quelque chose qui est de son devoir d’accomplir

montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui.

(2) Pour l’application du présent article, devoir désigne une obligation imposée par la loi.

La Cour d’appel de l’Ontario a précisé davantage encore la définition des éléments essentiels de la négligence criminelle dans R c. Sharp (1984), 12 CCC (3d) 428 (C. A. de l’Ont.), en ces termes :

[traduction]

[…] ainsi, l’accusé peut être reconnu coupable sur la preuve d’une conduite qui indique un écart marqué et important par rapport à la norme que respecterait une personne raisonnable dans les circonstances, lorsque l’accusé, soit a eu conscience d’un risqué grave et évident pour la vie et la sécurité d’autrui, sans pour autant l’écarter, soit ne lui a accordé aucune attention.

Bien que la décision Sharp traite spécifiquement d’une infraction impliquant la conduite d’un véhicule, les tribunaux ont clairement établi que les mêmes principes s’appliquent aussi à d’autres comportements.

Dans ce dossier, il n’y a aucune preuve que la décision de l’AI de communiquer avec le plaignant et de l’aviser des accusations en instance qui pesaient contre lui ou que la façon dont la conversation s’est déroulée constituait « un écart marqué et important » par rapport à la conduite d’un agent de police raisonnable dans les circonstances ou que l’on pouvait le moindrement anticiper que le plaignant s’enlèverait la vie en apprenant cela, d’autant plus que le plaignant faisait déjà face à des accusations beaucoup plus sérieuses que celles qui pesaient contre lui à ce moment‐là.

De plus, comme le plaignant s’est enlevé la vie sans aucune intervention, de quelque nature que ce soit, de la part de l’AI, il n’y a aucun lien de causalité entre les actions de l’AI et le décès du plaignant, et il n’y a assurément aucune preuve que l’AI ait montré une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie du plaignant dans son interaction avec lui.

Il ressort clairement de ces faits que le plaignant avait déjà formé le projet de mettre fin à ses jours bien avant de recevoir l’appel de l’AI. Toutefois, même si l’appel téléphonique l’avisant du mandat non exécuté avait été le facteur déterminant dans la décision du plaignant, il n’y a certainement rien dans les faits connus par l’AI à ce moment-là qui porterait à croire que le geste extrême du plaignant aurait pu être anticipé et il n’incombait donc pas à l’AI de prendre un surcroît de mesures pour vérifier cela auprès du plaignant, hormis les mesures qu’il avait déjà prises.

En conclusion, il ressort clairement de l’ensemble de la preuve que l’AI n’a commis aucun acte criminel en avisant le plaignant des accusations en instance qui pesaient contre lui et, dans ce dossier, la preuve ne me convainc pas qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’une infraction criminelle a été commise, de sorte qu’aucune accusation ne sera déposée.

Date : 15 juin 2018

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) [1] Environ une heure et 15 minutes après qu’il eut parlé à l’AI sur son téléphone cellulaire. [Retour au texte]
  • 2) [2] Il y a des raisons évidentes à cela, par exemple lorsque la notification pourrait créer un danger pour quelqu’un, lorsque la personne avisée serait susceptible de s’enfuir, etc. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.