Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 17-TCI-277

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Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave (y compris une allégation d’agression sexuelle).

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur la blessure grave qu’aurait subie un homme de 52 ans lors de son arrestation le 26 août 2017

L’enquête

Notification de l’UES

Le 26 septembre 2017, vers 12 h 07, le Service de police de Toronto (SPT) a avisé l’UES que le plaignant avait subi une blessure grave.

Le SPT a donné le rapport suivant : ses agents ont arrêté le plaignant à deux reprises. Le samedi 26 août 2017, le plaignant a trébuché et est tombé par terre en sortant du magasin Lululemon du centre commercial Yorkdale. Des agents de police se sont rendus au centre commercial Yorkdale et ont arrêté le plaignant pour ivresse dans un lieu public. Il a été libéré le lendemain.

Le dimanche 27 août 2017, le plaignant a été arrêté pour vol et menaces au couteau. Il a été transporté au poste de police et placé dans une cellule. Après sa libération, le plaignant est allé voir son médecin de famille pour y recevoir des soins. Il s’est ensuite rendu à un poste de police pour se plaindre d’avoir subi une fracture aux côtes lors de son interaction avec des agents de police le samedi 26 août 2017.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 4

Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 0

Plaignant :

Homme de 54 ans; a participé à une entrevue et ses dossiers médicaux ont été obtenus et examinés

Témoins civils

TC no 1 A participé à une entrevue

TC no 2 A participé à une entrevue

Agents témoins

Aucun agent témoin n’a été désigné pour cet incident.

[Remarque : Un agent témoin est un agent de police qui, de l’avis du directeur de l’UES, est en cause dans l’incident qui fait l’objet d’une enquête, mais qui n’est pas un agent impliqué.

En vertu du Règlement de l’Ontario 267/10, pris en vertu de la Loi sur les services policiers, si l’UES en fait la demande, les agents témoins sont tenus de rencontrer l’UES et de répondre à ses questions dès qu’ils ont reçu une demande d’entrevue de celle-ci. L’UES a aussi le droit d’obtenir une copie de leurs notes auprès du service de police dont ils sont membres.]

Agents impliqués

Aucun agent impliqué n’a été désigné pour cet incident.

Description de l’incident

Le samedi 26 août 2017, le plaignant était au magasin Lululemon du centre commercial Yorkdale, à Toronto. Le plaignant était en état d’ébriété et l’un des employés du magasin lui a demandé de partir.

Le plaignant a refusé de partir. Un client – dont on ignore l’identité – l’a alors poussé vers l’extérieur du magasin; le plaignant est tombé et a atterri violemment à plat ventre devant le magasin. Des gardiens de sécurité du centre commercial et un agent de police l’ont alors escorté jusqu’au poste de sécurité.

Deux agents du SPT ont ensuite escorté le plaignant du poste de sécurité à un véhicule de police. Le plaignant a alors été conduit au poste de police et placé dans une cellule. Il a été libéré le lendemain.

Le dimanche 27 août 2017, le plaignant a été conduit en ambulance du poste de police à l’hôpital. On lui a diagnostiqué une fracture à une côte; il a ensuite été libéré. Il s’est alors rendu dans un magasin Canadian Tire où il a commencé à menacer des employés. Des agents de police sont arrivés et ont arrêté le plaignant devant le magasin Canadian Tire. On l’a conduit au poste de police, puis au tribunal, où il a été condamné à une courte peine d’emprisonnement.

Après sa libération, le plaignant s’est rendu à un poste de police pour s’enquérir de ses biens. Au poste de police, le plaignant a déclaré avoir été frappé par un policier à plusieurs reprises lors de son arrestation, le 26 août 2017, et avoir subi une fracture à une côte.

Nature des blessures et traitement

Les dossiers médicaux du plaignant ont révélé qu’il avait subi une fracture légèrement déplacée de la neuvième côte droite.

Éléments de preuve

Les lieux

L’incident s’est produit au magasin Lululemon du centre commercial Yorkdale. En raison du temps qui s’était écoulé avant que l’UES ne soit avisée, il n’était plus possible de recueillir des éléments susceptibles de présenter une valeur pour cette enquête.

Éléments de preuves médicolégaux

Aucun élément n’a été soumis au Centre des sciences judiciaires.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou de photographies

Magasin Lululemon – Enregistrements de caméras de surveillance, samedi 26 août 2017 

L’UES a demandé et reçu des vidéos des caméras de surveillance situées dans le magasin Lululemon. Voici ce qu’on y voit :

18 h 06 min 18 s :

Un homme [identifié plus tard comme étant le plaignant] entre dans le magasin Lululemon, dans le centre commercial Yorkdale. Sa démarche chancelante suggère qu’il est en état d’ébriété;

18 h 09 min 15 s :

Le plaignant ramasse un haltère et le jette en direction d’une femme [identifiée plus tard comme la TC no 1];

18 h 10 min 13 s :

Un homme inconnu saisit le plaignant par-derrière et le pousse avec force vers l’entrée principale du magasin. Le plaignant atterrit sur le ventre devant le magasin, renversant un mannequin dans sa chute;

18 h 10 min 50 s :

L’inconnu sort du magasin et s’éloigne dans le couloir du centre commercial;

18 h 13 min 28 s :

Le plaignant se retourne sur le dos. Des gardiens de sécurité arrivent devant le magasin;

18 h 16 min 20 s :

Le plaignant s’éloigne du magasin, sous l’escorte des gardiens de sécurité.

Hall du centre commercial Yorkdale – Enregistrements de caméras de surveillance du samedi 26 août 2017

L’UES a demandé et reçu divers enregistrements de vidéosurveillance du centre commercial Yorkdale. Ces vidéos ne comportaient aucun horodateur. Voici ce qu’on y voit :

  • Le plaignant entre dans le magasin Lululemon
  • Le plaignant atterrit à plat ventre devant le magasin
  • Quatre gardiens de sécurité arrivent et parlent au plaignant
  • Les gardiens de sécurité escortent le plaignant vers le poste de sécurité
  • Deux agents de police arrivent et rencontrent le plaignant alors que celui-ci est escorté vers le poste de sécurité
  • Les gardiens de sécurité et un agent de police escortent le plaignant vers le poste de sécurité

Poste de sécurité du centre commercial Yorkdale – Enregistrements de caméras de surveillance du samedi 26 août 2017 

  • Le plaignant, deux policiers et plusieurs gardiens de sécurité entrent dans le poste de sécurité du centre commercial Yorkdale
  • Le plaignant entre dans une cellule à l’intérieur du poste de sécurité
  • Un agent de police fouille le plaignant, puis ressort de la cellule
  • Dans la cellule, le plaignant donne des coups de pied qu’on peut entendre de l’extérieur
  • Le plaignant urine sur le sol de la cellule
  • Deux agents de police entrent dans la cellule et menottent le plaignant
  • Les agents sortent de la cellule
  • Un ambulancier paramédical entre dans la cellule et examine le plaignant
  • Deux agents escortent le plaignant hors de la cellule et le conduisent dans une autre cellule
  • Deux agents de police escortent le plaignant hors de la cellule

Stationnement du centre commercial Yorkdale – Enregistrements de caméras de surveillance du samedi 26 août 2017 

  • Deux agents de police et un gardien de sécurité escortent le plaignant jusqu’au stationnement
  • Ils font assoir le plaignant à l’arrière du véhicule de police

Véhicule du SPT – Enregistrements du système de caméra embarquée du samedi 26 août 2017

L’UES a reçu et examiné les enregistrements du système de caméra installée à demeure dans le véhicule du SPT en question. Voici ce qu’on y voit :

20 h 32 min 27 s :

Le plaignant est escorté du poste de sécurité du centre commercial Yorkdale au stationnement, en direction du véhicule de police;

20 h 32 min 50 s :

Le plaignant est placé sur le siège arrière du véhicule de police;

20 h 42 min 00 s :

Le véhicule de police sort du stationnement;

20 h 55 min 00 s :

Le véhicule de police arrive au poste de police.

Hall d’enregistrement et aire des cellules du SPT – Enregistrements des caméras de vidéosurveillance

L’UES a reçu et examiné les vidéos de surveillance du hall d’enregistrement. On peut voir ce qui suit sur les enregistrements du samedi 26 août 2017 au dimanche 27 août 2017 :

20 h 57 min 08 s :

Le plaignant arrive dans le hall d’enregistrement, escorté par deux agents de police. Le plaignant semble être en état d’ébriété et belliqueux envers les policiers;

21 h 04 min 57 s :

Le plaignant est escorté dans la cellule numéro huit;

21 h 24 min 14 s :

Le plaignant est escorté hors de la cellule et conduit dans le hall d’enregistrement. Il dit à un agent spécial qu’il s’est peut-être fracturé les côtes à la suite d’un exercice physique excessif;

21 h 26 min 15 s

Le plaignant dit au sergent de l’enregistrement qu’il a mal aux côtes et veut aller à l’hôpital;

21 h 48 min 34 s :

Le plaignant sort du hall d’enregistrement, allongé sur la civière des ambulanciers.

Éléments obtenus auprès du Service de police

L’UES a demandé les éléments et documents suivants au SPT, qu’elle a obtenus et examinés :

  • Vidéo de la caméra embarquée dans le véhicule de police impliqué
  • Vidéo du hall d’enregistrement et de l’aire des cellules du SPT
  • Rapport général d’incident (26 août 2017)
  • Rapport général d’incident (27 août 2017)

Sur demande, l’UES a obtenu et examiné les éléments et documents suivants d’autres sources :

  • Dossiers médicaux du plaignant liés à cet incident
  • Rapport d’incident rédigé par le personnel de Lululemon
  • Enregistrement de vidéosurveillance du magasin Lululemon; et
  • Enregistrements de vidéosurveillance du centre commercial Yorkdale

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 31 (4), Loi sur les permis d’alcool - Ivresse dans un lieu public

31 (4) Nul ne doit être en état d’ivresse :

  1. dans un lieu où le public accède sur invitation ou permission
  2. dans la partie d’une habitation à plusieurs logements qui sert à l’usage commun

Analyse et décision du directeur

Le 26 août 2017, des agents du Service de police de Toronto ont répondu à un appel du service de sécurité du centre commercial Yorkdale. Le plaignant, qui était apparemment en état d’ébriété, avait été expulsé de force du magasin Lululemon du centre commercial. La police l’a ensuite arrêté pour ivresse dans un lieu public, puis emmené au poste de police et placé dans une cellule. Le lendemain, il a été transporté à l’hôpital où on lui a diagnostiqué une fracture légèrement déplacée de la neuvième côte droite.

Dans sa déclaration aux enquêteurs de l’UES, le plaignant a dit qu’il ne se souvenait pas avoir été dans le magasin Lululemon du centre commercial Yorkdale le samedi 26 août 2017, mais se souvenait avoir consommé trois bières, 20 onces de Tequila et 30 comprimés de Clonazepam, plus tôt dans la journée. Il se souvenait avoir été ensuite debout à côté d’une voiture de police et menotté par deux policiers. Il a affirmé que l’un des agents l’a alors frappé soudainement sur le côté gauche du corps et que, sous le coup, il a ressenti une douleur aux côtes. Il s’est également rappelé avoir légèrement résisté aux agents. Le souvenir suivant du plaignant était sa présence à l’hôpital, le lendemain, mais il ne se souvenait pas de ce qui s’était passé à cet endroit-là. Il se souvenait avoir été plus tard dans la journée dans un magasin Canadian Tire où il avait été arrêté une deuxième fois pour vol, puis avoir été de nouveau à l’hôpital, où on lui avait fait une radiographie et dit qu’il n’avait aucune blessure.

Après l’audience au tribunal où on l’a reconnu coupable et condamné, le plaignant a purgé sa peine et le personnel médical de l’établissement lui a dit qu’il avait subi de multiples fractures aux côtes.

Au cours de l’enquête, outre le plaignant, deux témoins civils ont été interrogés. Par chance, le parcours complet du plaignant a été enregistré par des caméras de vidéosurveillance : dans le magasin Lululemon, dans les couloirs du centre commercial Yorkdale (sous escorte de gardiens de sécurité puis de la police) jusqu’au poste de sécurité, dans le poste de sécurité, du poste de sécurité au véhicule de police, dans le véhicule de police pendant le transport et, enfin, au poste de police.

Les témoignages des témoins civils, combinés à ces enregistrements vidéos, permettent d’établir une séquence claire des événements. Vers 18 h 06, le plaignant a été vu à l’intérieur du magasin Lululemon, où il s’est montré agressif à l’égard du personnel des ventes et a jeté un haltère en direction d’une vendeuse. Il a été décrit comme étant en état d’ébriété. On le voit ensuite, sur une vidéo, poussé avec force par un client hors du magasin, où il tombe par terre, entraînant dans sa chute un mannequin de 20 livres.

Quatre gardiens de sécurité arrivent ensuite et escortent le plaignant du magasin au poste de sécurité. Deux agents de police les rejoignent en route. On voit le plaignant entrer dans le poste de sécurité où un agent de police le fouille et le fait entrer dans une cellule. Lorsque l’agent sort de la cellule, on voit le plaignant donner des coups de pied et de poing sur les murs de la cellule, puis uriner sur le sol. Deux agents de police menottent ensuite le plaignant, après quoi il est examiné par un ambulancier paramédical et transféré dans une autre cellule.

On voit ensuite sur une autre vidéo deux agents de police et un gardien de sécurité escorter le plaignant hors du centre commercial vers un véhicule de police. Contrairement à ce que prétend le plaignant, aucun agent ne l’agresse lorsqu’on le fait monter dans le véhicule de police. La vidéo de la caméra à bord du véhicule montre ensuite le plaignant durant son transport au poste de police, et il n’y a aucun contact physique entre les policiers et le plaignant.

Une fois au poste de police, on voit le plaignant sortir du véhicule de police et être escorté jusqu’à la salle d’enregistrement, puis placé dans une cellule. On entend le plaignant dire à un agent spécial qu’il s’était peut-être fracturé les côtes à la suite d’un exercice physique très intense. On l’entend ensuite dire au sergent chargé de l’enregistrement qu’il a mal aux côtes et qu’il veut aller à l’hôpital. Des ambulanciers le font sortir de la salle d’enregistrement sur une civière.

À la suite de la preuve vidéo irréfutable et complète des activités du plaignant dans le centre commercial Yorkdale le 26 août 2017, puis dans le véhicule de police et au poste de police, il est clair qu’il n’a été, à aucun moment, frappé par un agent de police. S’il a effectivement subi une blessure aux côtes le 26 août 2017, la seule preuve fiable qui indiquerait le moment où il aurait pu la subir serait lorsqu’un client l’a éjecté de force du magasin de Lululemon et qu’il est tombé par terre en entraînant dans sa chute un mannequin de 20 livres. Aucun des actes des gardiens de sécurité ou des agents de police qui ont eu des contacts avec le plaignant le 26 août 2017, comme le montre l’intégralité de la preuve enregistrée sur vidéo, n’a révélé quoi que ce soit de leur part qui pourrait avoir causé d’une manière ou d’une autre les blessures du plaignant. Par ailleurs, il est clair que la blessure du plaignant, qui est sur le côté droit, ne correspond pas à son allégation selon laquelle il aurait été frappé par un policier sur le côté gauche.

Sur la base de cette preuve, je n’ai absolument aucun motif de croire que le plaignant a été maltraité de quelque façon que ce soit par la police, et rien ne permet de croire qu’il a été blessé par la police. Par conséquent, rien ne justifierait le dépôt d’accusations criminelles et aucun chef d’accusation ne sera donc déposé.

Date : 21 juin 2018

Original signed by

Tony Loparco
Director
Special Investigations Unit

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.