Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 17-OCI-260

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu une allégation d’agression sexuelle.

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Ce rapport décrit l’enquête de l’UES sur la blessure grave qu’une femme âgée de 52 ans aurait subie lors de son arrestation, survenue le 14 septembre 2017.

L’enquête

Notification de l’UES

Le 14 septembre 2017, vers 23 h 13, le Service de police régional de Halton (SPRH) a avisé l’UES d’une blessure subie par la plaignante, âgée de 52 ans, lors de sa mise sous garde.

Le SPRH a indiqué que vers 14 h, ce jour‐là, deux agents du SPRH ont arrêté la plaignante car ils la soupçonnaient de commettre une infraction de conduite durant l’interdiction. Pendant ce contrôle routier, la plaignante s’est soudainement enfuie au volant de son véhicule et a fini par se rendre au centre commercial Burlington, où elle a garé son véhicule près d’un magasin Canadian Tire. Les deux agents ont suivi la plaignante et l’ont confrontée dans le stationnement. Elle a été arrêtée et mise au sol. Elle a été emmenée au poste, où elle s’est plainte d’une douleur à l’épaule gauche. Elle a ensuite été transportée à l’hôpital, où on lui a diagnostiqué une fracture par avulsion de l’épaule gauche.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 3

Nombre d’enquêteurs judiciaires de l’UES assignés : 0

Plaignante :

femme de 52 ans; a participé à une entrevue; dossiers médicaux obtenus et examinés

Témoins civils (TC)

TC no 1 A participé à une entrevue

Agents témoins (AT)

AT no 1 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

AT no 2 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

AT no 3 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

AT no 4 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

Agents impliqués (AI)

AI no 1 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

Description de l’incident

Le 14 septembre 2017, le SPRH recherchait la plaignante car on savait qu’elle conduisait un véhicule automobile sous le coup d’une interdiction et que, malgré l’interdiction, elle continuait de conduire le véhicule automobile de sa mère.

Vers 14 h 10, l’AI et l’AT no 3 ont vu la plaignante conduire un véhicule dans la ville de Burlington et se sont partiellement mis en travers de son chemin avec leur fourgonnette. Les deux agents sont alors sortis de leur véhicule pour procéder à l’arrestation de la plaignante. Pendant que l’AT no 3 parlait à la plaignante et lui demandait de produire son permis de conduire, la plaignante s’est enfuie au volant de son véhicule.

Les agents ont suivi la plaignante jusqu’au stationnement du Canadian Tire du centre commercial Burlington, où ils l’ont vue arrêter son véhicule. Les agents ont de nouveau bloqué le passage au véhicule de la plaignante et ont crié à la plaignante qu’elle était en état d’arrestation et de sortir de son véhicule. Lorsque la plaignante n’a pas obtempéré et que sa voiture a commencé à avancer, l’AI s’est approché et a tiré vigoureusement la plaignante hors du véhicule par le bras gauche, à la suite de quoi la plaignante a été placée au sol et menottée.

Lorsque la plaignante a indiqué plus tard qu’elle ressentait de la douleur au bras gauche, elle a été transportée à l’hôpital et examinée.

Nature des blessures et traitement

On a diagnostiqué à la plaignante une fracture par avulsion (détachement d’un fragment osseux résultant du retrait d’un ligament, d’un tendon ou d’une capsule d’articulation) de l’épaule gauche.

Preuve

Les lieux de l’incident

La scène était située dans le stationnement du magasin Canadian Tire situé au centre commercial Burlington, au 777, Guelph Line, dans la ville de Burlington.

Preuve vidéo/audio/photographique

L’UES a exploré les alentours du Canadian Tire à la recherche d’éventuels enregistrements vidéo. Il y avait une caméra de surveillance sur le terrain du Canadian Tire, mais elle ne couvrait pas le stationnement. Il n’y avait pas d’autres caméras sur les propriétés adjacentes à proximité du stationnement.

Enregistrements de communications

L’enregistrement des transmissions radio de la police a été obtenu et examiné.

Preuve criminalistique

Aucun élément n’a été soumis pour analyse au Centre des sciences judiciaires.

Éléments obtenus du service de police

L’UES a demandé au SPRH, puis obtenu et examiné les éléments et documents suivants :

  • rapport d’arrestation de la plaignante
  • enregistrement des communications par radio de la police
  • chronologie des événements
  • notes des AT nos 1 à 4 et de l’AI
  • dossier de garde de détenu – la plaignante
  • déclaration écrite de l’AT no 3

L’UES a obtenu et examiné les éléments et documents suivants provenant d’autres sources :

  • dossiers médicaux de la plaignante

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 25(1) du Code criminel – Protection des personnes autorisées

(1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :

  1. soit à titre de particulier
  2. soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
  3. soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
  4. soit en raison de ses fonctions

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Paragraphe 259 (4), Code criminel – Conduite durant l’interdiction

259 (4) À moins d’être inscrit à un programme d’utilisation d’antidémarreurs avec éthylomètre institué sous le régime juridique de la province où il réside et d’en respecter les conditions, quiconque conduit un véhicule à moteur, un bateau, un aéronef ou du matériel ferroviaire au Canada pendant qu’il lui est interdit de le faire est coupable :

  1. soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans
  2. soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire

Article 216 du Code de la route de l’Ontario – Pouvoir d’un agent de police

216 (1) Un agent de police, dans l’exercice légitime de ses fonctions, peut exiger du conducteur d’un véhicule, autre qu’une bicyclette, qu’il s’arrête. Si tel est le cas, à la suite d’une demande ou de signaux, le conducteur obéit immédiatement à la demande d’un agent de police identifiable à première vue comme tel

(2) Quiconque contrevient au paragraphe (1) est coupable d’une infraction et passible, sur déclaration de culpabilité, sous réserve du paragraphe (3), selon le cas :

  1. d’une amende d’au moins 1 000 $ et d’au plus 10 000 $
  2. d’un emprisonnement d’au plus six mois
  3. d’une amende et d’un emprisonnement

(3) Si une personne est reconnue coupable d’une infraction prévue au paragraphe (2) et que le tribunal est convaincu, sur l’ensemble de la preuve, que cette personne a continué volontairement de se soustraire à la police lorsqu’un agent de police la poursuivait :

  1. la personne est passible d’une amende d’au moins 5 000 $ et d’au plus 25 000 $, plutôt que l’amende indiquée à l’alinéa (2) a)
  2. le tribunal ordonne l’emprisonnement de la personne pendant une période d’au moins 14 jours et d’au plus six mois, plutôt que la période indiquée à l’alinéa (2) b)
  3. le tribunal ordonne la suspension du permis de conduire de la personne :
    1. pendant une période de cinq ans, sauf si le sous-alinéa (ii) s’applique
    2. pendant une période d’au moins 10 ans si le tribunal est convaincu, sur l’ensemble de la preuve, que les actes de la personne ou la poursuite ont causé la mort ou une blessure corporelle à quiconque

(4) L’ordonnance prévue au sous-alinéa (3) c) (ii) peut prévoir la suspension du permis de conduire de la personne pour le reste de sa vie.

Analyse et décision du directeur

Le 14 septembre 2017, l’AI et l’AT no 3 du SPRH ont tous deux été affectés à l’Équipe d’atténuation des risques (EAR), qui est chargée d’exécuter des mandats d’arrestation et de surveiller les récidivistes connus afin que la police soit proactive dans l’arrestation de contrevenants et la prévention d’infractions criminelles.

L’AI et l’AT no 3 avaient reçu une liste de récidivistes connus sur lesquels il fallait garder l’œil; dans cette liste figurait la plaignante, qui était une conductrice visée par une interdiction de conduire à la suite de condamnations antérieures pour conduite avec facultés affaiblies et conduite durant l’interdiction et dont on savait qu’elle conduisait le véhicule automobile de sa mère.

Dans l’exécution de leurs fonctions, l’AI et l’AT no 3 ont stationné leur mini‐fourgonnette banalisée de la police à proximité du stationnement extérieur et du stationnement couvert de l’immeuble dans lequel la plaignante et sa mère résidaient, afin de voir si la plaignante conduisait illégalement un véhicule à moteur.

La plaignante a indiqué qu’elle conduisait effectivement le véhicule automobile de sa mère le 14 septembre et qu’elle était parfaitement consciente que cela lui était interdit par la loi. La plaignante a indiqué que, alors qu’elle était en train de conduire, elle s’est arrêtée à une succursale de la LCBO pour acheter une bouteille de vin, qu’elle a ouvert cette bouteille et qu’elle en a bu l’équivalent d’un verre. La plaignante a indiqué qu’elle est retournée à sa résidence vers midi.

À 14 h 10, les deux agents de police ont vu la plaignante conduire le véhicule de sa mère, et l’AT no 3 a immobilisé leur mini‐fourgonnette devant le véhicule de la plaignante, afin de lui barrer la route, et a activé le système de feux d’urgence de la fourgonnette banalisée. L’AT no 3 est alors sorti de la fourgonnette en montrant son insigne de police devant lui et l’AI l’a suivie après avoir avisé le centre de communications.

La plaignante a vu une fourgonnette noire s’immobiliser devant son véhicule en lui barrant la route pendant que l’AT no 3, qui était en civil, est sorti de la fourgonnette et lui a demandé ses pièces d’identité. La plaignante ne se souvenait pas si l’AT no 3 s’était identifié ou non, mais elle savait qu’il était un agent de police. La plaignante a indiqué qu’elle a dit à l’AT no 3 qu’elle n’avait aucune pièce d’identité, à la suite de quoi il lui a demandé si son permis de conduire était suspendu. La plaignante n’a pas répondu et a plutôt conduit sa Kia en contournant la fourgonnette noire pour s’enfuir ensuite dans un état de panique. La plaignante a indiqué qu’elle n’a pas remarqué si la fourgonnette l’avait suivie, mais qu’une fois sa panique dissipée elle a roulé jusqu’à un magasin Canadian Tire et s’est garée dans le stationnement, où elle a vu la fourgonnette de police se ranger derrière elle et lui barrer la route.

La plaignante a alors vu l’un des policiers sauter hors de la fourgonnette et courir vers elle en lui criant des mots lui disant qu’il fallait qu’elle sorte de la voiture. La plaignante savait que l’homme était un agent de police, mais elle est restée assise sur son siège et a même peut‐être avancé sa main vers la poignée de la portière. L’AI a alors ouvert la portière côté conducteur et a saisi la plaignante par le bras gauche et tout ce dont elle se souvient après cela c’est qu’elle était couchée sur l’asphalte face contre terre en train de crier, avec l’AI qui était sur elle et qui appuyait son genou sur son dos pendant qu’il lui tirait le bras gauche vers le haut. La plaignante a déclaré qu’on lui a alors dit qu’elle était en état d’arrestation et qu’on l’a menottée mains dans le dos. La plaignante a d’abord été emmenée au poste de police, mais par la suite, en raison de douleurs à l’épaule, elle a été transportée à l’hôpital, où on lui a diagnostiqué une fracture par avulsion de l’épaule gauche.

L’AT no 3 a déclaré qu’il a vu la plaignante en train de regarder droit devant elle alors qu’il était en train de la questionner au sujet de son permis de conduire et que la plaignante s’est alors enfuie au volant de son véhicule à une vitesse normale pendant qu’il lui criait d’arrêter, mais qu’elle n’a pas obtempéré.

L’AI a indiqué qu’il était en train de contourner sa fourgonnette de police en marchant lorsqu’il a entendu tourner le moteur du véhicule de la plaignante et qu’il a ensuite vu le véhicule rouler en contournant la fourgonnette qui était stationnée. L’AI a déclaré avoir bien montré son insigne de police et avoir crié [traduction] « Police, arrêtez! » et qu’il a échangé un regard avec la plaignante avant que celle‐ci ne s’enfuie dans son véhicule. L’AI a alors demandé par radio de l’assistance et les deux agents sont retournés dans leur fourgonnette et ont décidé de suivre la trace du véhicule de la plaignante plutôt que de la poursuivre, et ils ont désactivé leur système de feux d’urgence et ont suivi la plaignante jusqu’au stationnement du magasin Canadian Tire.

Vers 14 h 12, l’AT no 3 a immobilisé sa fourgonnette devant la Kia de la plaignante, lui barrant partiellement la route, tandis que l’AI a rapidement sauté hors de la fourgonnette et s’est placé près de la porte côté conducteur du véhicule de la plaignante. L’AI a de nouveau montré son insigne de police à la plaignante et lui a crié qu’elle était en état d’arrestation et de sortir de la voiture. L’AT no 3 a déclaré que lui aussi avait ordonné à la plaignante de sortir de sa voiture et qu’il l’a vue regarder fixement en avant et faire semblant de ne pas l’entendre.

L’AI a indiqué qu’il a constaté que la plaignante avait les pupilles dilatées et le regard fixe, qu’elle avait la bouche ouverte et qu’elle semblait être dans un état de panique. La plaignante a regardé l’AI dans les yeux et n’a pas obéi à ses commandes, de sorte que l’AI a ouvert la portière côté conducteur du véhicule de la plaignante tout en continuant, avec l’AT no 3, de crier à la plaignante qu’elle était en état d’arrestation et de lui ordonner de sortir de la voiture.

L’AI a remarqué que la plaignante avait encore les clés sur le contact et il craignait qu’elle ne roule vers l’avant et heurte la fourgonnette, ou encore qu’elle recule et heurte l’AI, dans une autre tentative de fuir la police.

L’AT no 3 a indiqué qu’il a vu la Kia qui commençait à rouler vers l’avant pendant que la plaignante était assise à l’intérieur et semblait ne pas être consciente de cela. L’AI est alors entré dans le véhicule automobile et, avec sa main gauche, a saisi le poignet gauche de la plaignante tout en continuant de lui crier qu’elle était en état d’arrestation et de sortir de la voiture.

L’AI a observé que la plaignante s’est immédiatement raidie et s’est penchée sur son siège lorsque l’AI l’a saisie par le poignet, si bien que l’AI a placé sa main droite sur le muscle du bras gauche de la plaignante et s’est arrangé pour la tirer hors de derrière le volant pendant que l’AT no 3 prenait le contrôle du côté droit de la plaignante alors que cette dernière tirait sur ses bras et criait.

D’après l’AI, dès que les pieds de la plaignante ont été dégagés du plancher de son véhicule, la voiture a commencé à rouler en avant et l’AT no 3 est entré dans la voiture et a tiré sur le levier du frein à main. L’AI a alors amené la plaignante au sol, face la première, tout en gardant le contrôle de son bras gauche et, avec l’assistance de l’AT no 3 qui avait le contrôle de son bras droit, a menotté la plaignante mains dans le dos pendant que celle‐ci continuait de crier et de résister. L’AT no 3 a déclaré qu’aucun recours à la force n’a été appliqué à la plaignante. L’AT no 3 a ensuite mis la plaignante en état d’arrestation pour conduite durant l’interdiction et refus de s’arrêter pour la police.

L’AT no 3 a aussi remarqué que la plaignante avait une odeur d’alcool dans son haleine et était d’avis que la plaignante avait les facultés affaiblies, si bien qu’il lui a demandé de fournir un échantillon d’haleine, comme l’exige le Code criminel, mais elle a refusé.

L’AI a ensuite fouillé le véhicule automobile de la plaignante, dans lequel il a trouvé plusieurs bouteilles de vin, certaines pleines et d’autres vides, ainsi qu’un flacon de pilules.

Lorsque la plaignante a ultérieurement été transportée à l’hôpital, on lui a diagnostiqué une fracture par avulsion de l’épaule gauche, qui, de l’avis du médecin, correspondait à un mouvement de traction du bras ou une force marquée appliquée au bras.

À la lumière de l’ensemble de la preuve, je conclus qu’il semble y avoir très peu de désaccord entre le témoignage de la plaignante et celui de l’AI et de l’AT no 3, sauf en ce qui concerne leurs points de vue individuels et leurs processus de réflexion.

À aucun moment il n’est allégué qu’il y a eu recours, contre la plaignante, à une force autre que celle qui a été appliquée pour la faire sortir de son véhicule automobile en la tirant par le bras gauche et la placer sur l’asphalte face contre terre, puis lui tirer les mains derrière le dos pour la menotter. Il n’y a aucune allégation qu’on ait eu recours à des options de recours à la force, ni que l’un ou l’autre des agents de police ait jamais frappé la plaignante ou lui ait donné un coup de poing, un coup de genou ou un coup de pied. Sur la foi de cette preuve, il est clair que la blessure subie par la plaignante, si elle est survenue pendant l’interaction avec la police, s’est produite pendant que l’AI faisait sortir la plaignante du véhicule en la tirant de derrière le volant par le bras gauche, lorsqu’elle a refusé de sortir du véhicule de son plein gré.

En vertu de paragraphe 25(1) du Code criminel, les agents de police peuvent seulement recourir à la force qui est raisonnablement nécessaire dans l’exécution d’une obligation légale. En ce qui concerne tout d’abord la légalité de l’appréhension de la plaignante, de l’aveu même de la plaignante et selon les renseignements que possédait alors la police, il est clair que la police avait des motifs raisonnables de croire que la plaignante conduisait un véhicule automobile alors qu’elle était sous le coup d’une interdiction de le faire, en contravention du paragraphe 259 (4) du Code criminel.

Qui plus est, lorsque la plaignante a fui de la police au volant de son véhicule, les policiers avaient aussi des motifs raisonnables de l’arrêter pour avoir refusé de s’arrêter pour la police, en contravention du paragraphe 216(1) du Code de la route de l’Ontario. Par conséquent, l’appréhension et l’arrestation de la plaignante étaient légalement justifiées dans les circonstances.

En ce qui concerne la force employée par l’AI pour faire sortir la plaignante de son véhicule, j’ai tenu compte des facteurs suivants pour déterminer si j’avais des motifs raisonnables de croire qu’il y a eu un recours excessif à la force de la part de l’AI :

  • la plaignante avait déjà fui une fois la police au volant de son véhicule après que la police eut partiellement bloqué la route à son véhicule et alors que l’AT no3 parlait activement à la plaignante au sujet de son permis de conduire
  • lorsque la police s’est mise une deuxième fois en travers du chemin du véhicule de la plaignante, dans le stationnement du magasin Canadian Tire, la plaignante a refusé de reconnaître qu’elle était en état d’arrestation et a de nouveau refusé de sortir de son véhicule
  • la plaignante avait encore en sa possession les moyens de déplacer à nouveau son véhicule à moteur et de s’enfuir au volant de son véhicule
  • tant que la plaignante demeurait dans le véhicule, le risque persistait qu’elle puisse soit entrer en collision avec le véhicule de police, soit heurter l’un des agents de police
  • la plaignante avait les pupilles dilatées, gardait la bouche ouverte, avait une odeur d’alcool dans l’haleine et semblait ne pas être consciente du fait que son véhicule avançait et faisait courir un danger aux policiers
  • la plaignant a refusé de sortir de son véhicule malgré les nombreuses commandes à cet effet criées par les deux agents de police

Compte tenu de la preuve susmentionnée, je conclus que les gestes posés par l’AI lorsqu’il a tiré la plaignante hors de son véhicule étaient justifiés dans les circonstances et qu’il n’a pas employé plus de force que nécessaire pour faire sortir la plaignante du véhicule, laquelle avait déjà refusé de s’arrêter à la demande de la police et continuait de représenter un danger pour les autres automobilistes tant qu’elle demeurait assise au volant de son véhicule, avec les clés en sa possession et la capacité de démarrer son véhicule et de s’enfuir.

Le danger s’est également révélé lorsque les deux agents ont vu le véhicule de la plaignante qui commençait à avancer vers la fourgonnette de police et l’AT no 3, mettant les deux en danger. Compte tenu du fait que la plaignante avait déjà fui la police une fois, qu’elle faisait fi des commandes de la police de sortir de son véhicule, qu’elle refusait d’admettre qu’elle était en état d’arrestation et qu’elle résistait pendant qu’on la faisait sortir de son véhicule, il était raisonnable de craindre que la plaignante mette de nouveau son véhicule en marche pour se soustraire à la police, si bien qu’il était prioritaire de la faire sortir de son véhicule le plus vite possible.

Tout en estimant que la plaignante a vraisemblablement subi la fracture à l’épaule lorsqu’elle a opposé de la résistance et qu’il a fallu la faire sortir de force de son siège conducteur, je ne saurai en conclure pour autant qu’il s’agissait d’un recours excessif à la force dans les circonstances. J’en arrive à cette conclusion en gardant à l’esprit l’état du droit applicable tel que la Cour suprême du Canada l’a énoncé en ses termes dans l’arrêt R. c. Nasogaluak [2010] 1 R.C.S. :

Les actes des policiers ne devraient pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Il ne faut pas oublier que ceux‐ci accomplissent un travail exigeant et dangereux et qu’ils doivent souvent réagir rapidement à des situations urgentes. Leurs actes doivent alors être appréciés selon ce que commande ce contexte difficile. Comme le juge Anderson l’explique dans R. c. Bottrell (1981), 60 C.C.C. (2d) 211 (C.A.C.‐B.) :

[traduction] Pour déterminer si la force employée par le policier était nécessaire, les jurés doivent tenir compte des circonstances dans lesquelles le policier y a eu recours. Il aurait fallu leur indiquer qu’on ne pouvait pas s’attendre à ce que l’appelant mesure la force appliquée avec précision. [p. 218]

De plus, j’ai tenu compte de la décision que la Cour d’appel de l’Ontario a rendue dans l’affaire R. c. Baxter (1975) 27 C.C.C. (2d) 96 (C. A. de l’Ont.), qui établit que l’on ne peut pas s’attendre à ce que les policiers apprécient avec exactitude le degré de force qu’ils emploient dans leur intervention.

Dans ce dossier, il est clair que la force que l’AI a employée pour faire sortir la plaignante de son véhicule était dans les limites de ce qui était raisonnablement nécessaire dans les circonstances pour procéder à la mise sous garde légale de la plaignante et supprimer le risque qu’elle continuait de poser tant qu’elle demeurait assise au volant de son véhicule.

De plus, j’accepte que la blessure de la plaignante n’était pas prévisible dans les circonstances et que l’AI était fortement pressé de faire sortir la plaignante au plus vite du véhicule avant que, intentionnellement ou par inadvertance, son véhicule ne heurte l’AI ou l’AT no 3 ou encore leur fourgonnette de police.

En dernière analyse, je suis convaincu, pour les raisons qui précèdent, que la mise sous garde de la plaignante et la manière dont cela s’est fait étaient légitimes malgré la blessure subie par la plaignante. Je suis donc convaincu, pour des motifs raisonnables dans ce dossier, que les actions des agents étaient dans les limites prescrites par le droit criminel et qu’il n’y a pas lieu de porter des accusations en l’espèce.

Date: 12 juillet 2018

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.