Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 17-OCI-268

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu une allégation d’agression sexuelle.

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Ce rapport décrit l’enquête de l’UES sur la blessure grave qu’un homme de 36 ans aurait subie lors de son arrestation, le 21 septembre 2017.

L’enquête

Notification de l’UES

Le 21 septembre 2017, vers 12 h 15, le Service de police du Grand Sudbury (SPGS) a avisé l’UES de la blessure subie par le plaignant lors de sa mise sous garde.

Le SPGS a indiqué que, le 21 septembre 2017, à 00 h 09, le plaignant a appelé la police pour signaler qu’il était victime d’une agression sexuelle. Des agents du SPGS ont répondu à l’appel et ont trouvé le plaignant devant une résidence. Les policiers ont remarqué que le plaignant se comportait étrangement. En temps utile, ils ont vérifié son nom sur l’ordinateur de la police et ont découvert que le plaignant était visé par un mandat d’arrestation non exécuté en lien avec des infractions de fraude.

Au début, le plaignant a été coopératif, permettant aux agents de police de procéder à son arrestation et de le menotter. Toutefois, lorsque le plaignant a été escorté vers une autopatrouille pour y être fouillé, il a résisté. Le plaignant a donné un coup de pied à l’un des agents de police, si bien qu’il a été mis au sol. Le plaignant a continué de résister aux policiers et a subi une coupure au front. Il a été amené à l’hôpital pour faire traiter la coupure et a reçu sept points de suture. Peu de temps après, il a obtenu son congé de l’hôpital et a été remis entre les mains de la police puis emmené au poste de police.

Au cours de la matinée, alors qu’on préparait le plaignant à sa comparution en cour, il s’est plaint de douleurs à l’épaule. On l’a de nouveau transporté à l’hôpital, où on lui a diagnostiqué une fracture à l’épaule gauche. Le plaignant a été traité pour sa blessure à l’épaule, puis il a été retourné à la garde de la police.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 2

Nombre d’enquêteurs judiciaires de l’UES assignés : 1

Plaignant :

Homme de 36 ans; a participé à une entrevue; dossiers médicaux obtenus et examinés

Témoins civils (TC)

TC no 1 A participé à une entrevue

Agents témoins (AT)

AT n° 1 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

Agents impliqués (AI)

AI no 1 N’a pas consenti à participer à une entrevue ni à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.

AI no 2 N’a pas consenti à participer à une entrevue ni à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.

Description de l’incident

Le 21 septembre 2017, vers 00 h 06, le SPGS a reçu un appel au 9-1-1 concernant un homme [maintenant désigné comme le plaignant] qui se trouvait apparemment dans le secteur de la cour Keziak et de la rue Lloyd, dans la ville de Sudbury, et qui affirmait avoir été agressé sexuellement alors qu’il marchait dans la rue. L’agent témoin (AT) no 1, l’agent impliqué (AI) no 1 et l’AI no 2 ont été envoyés sur les lieux pour enquêter. Le plaignant a par la suite été arrêté relativement à un mandat d’arrestation lancé à son endroit pour des infractions de fraude, puis a été transporté à l’hôpital où il a reçu sept points de suture pour une coupure au-dessus de l’œil gauche.

Par la suite, le plaignant a été remis entre les mains de la police puis placé dans une cellule. À 8 h 14, alors que le plaignant était sur le point d’être transporté au tribunal, il s’est plaint de douleurs à l’épaule gauche. On l’a de nouveau transporté à l’hôpital.

Nature des blessures et traitement

Après la prise de radiographies, il a été déterminé que le plaignant avait subi une fracture du tiers distal de la clavicule. On lui a ensuite bandé l’épaule et sa blessure était censée guérir naturellement.

Preuve

Les lieux ce l’incident

Le plaignant a été arrêté devant une résidence privée dans la ville de Sudbury. La scène a été bouclée pour les besoins de l’enquête de l’UES.

Preuve matérielle

Des photos des blessures du plaignant ont été prises. Ces photos révèlent une écorchure à l’extrémité du nez du plaignant, une large abrasion semblable à une blessure causée par un frottement sur une surface routière, directement au-dessus de l’œil gauche, ainsi qu’une lacération, qui semble avoir été suturée, toujours au-dessus de l’œil gauche, un peu plus haut, juste au-dessous de la naissance des cheveux. Le bras gauche du plaignant est en échappe et le plaignant a quelques autres petites éraflures à la jambe et au bras.

Preuve criminalistique

Aucun élément n’a été soumis pour analyse au Centre des sciences judiciaires.

Preuve vidéo/audio/photographique

Enregistrement vidéo de l’aire de mise en détention du SPGS

L’enregistrement date du 21 septembre 2017 et commence à 2 h 04 m 44 s du matin. L’enregistrement n’a pas d’audio et montre ce qui suit :

2 h 04 m 44 s – Le plaignant est debout, menotté mains dans le dos, devant le bureau des formalités de mise en détention. Il agite les doigts de ses deux mains.

2 h 05 m 32 s – Le plaignant est fouillé par un policier non identifié en uniforme. Il n’y a pas de signes apparents de blessures sur le plaignant.

2 h 08 m 40 s – La fouille est terminée.

2 h 09 m 11 s – On retire les menottes au plaignant.

2 h 09 m 24 s – Le plaignant lève facilement les deux bras à hauteur des épaules puis les étire sur les côtés. Après quoi, il lève les bras au-dessus de la tête et les garde là brièvement.

2 h 09 m 53 s – Le plaignant tient les bras devant lui, au niveau des yeux.

2 h 10 m 35 s – Le plaignant sort de l’aire de mise en détention pour entrer dans une pièce et n’est plus dans le champ de la caméra. Il était surveillé par un agent de police non identifié qui se tenait à l’entrée de la pièce.

2 h 13 m 18 s – Le plaignant sort de la pièce sans porter de chaussures ni sa veste.

2 h 13 m 23 s – Le plaignant est escorté et sort du champ de la caméra. De la main gauche, il tenait son pantalon sans ceinture. Il ne montrait aucun signe d’inconfort ni de douleur.

2 h 13 m 29 s – L’enregistrement prend fin.

Enregistrement vidéo de l’aire de mise en détention du SPGS

L’enregistrement date du 21 septembre 2017 et commence à 8 h 13 m 51 s. L’enregistrement n’a pas d’audio et montre ce qui suit :

8 h 13 m 51 s – L’enregistrement commence.

8 h 14 m 06 s – Le plaignant entre dans le champ de la caméra. Il se tient l’épaule gauche de la main droite. Il semble éprouver de la douleur.

8 h 14 m 16 s – Le plaignant se tourne vers la caméra. Il a une coupure au-dessus de l’œil droit. Le plaignant grimace de douleur et se penche en avant.

8 h 14 m 46 s – Le plaignant s’assoit sur le banc de l’aire de mise en détention. Il porte un t‐shirt et un pantalon.

8 h 16 m 56 s – Le plaignant s’affaisse au niveau de la taille, mettant sa tête dans les genoux, et semble ressentir de la douleur.

8 h 22 m 15 s – Le plaignant se lève du banc et sort de l’aire de mise en détention en empruntant une porte à droite de la caméra.

8 h 41 m 51 s – Le plaignant réapparaît sur une civière, enveloppé dans une couverture et en compagnie de deux ambulanciers paramédicaux. Les ambulanciers le déplacent sur la civière à travers l’aire de mise en détention et sortent du champ de la caméra lorsqu’ils franchissent une porte sur le côté gauche.

8 h 42 m 09 s – L’enregistrement prend fin.

Enregistrement vidéo du bloc cellulaire du SPGS

L’enregistrement date du 21 septembre 2017 et commence à 2 h 12 m 45 s du matin. L’enregistrement n’a pas d’audio et montre ce qui suit :

2 h 13 m 45 s – Le plaignant entre dans la cellule et s’assoit sur le banc. Il se tient la tête des deux mains.

2 h 31 m 10 s – On donne au plaignant une couverture qu’il étend sur le banc. Le plaignant alterne entre la position couchée et la position assiste sur le banc. Il ne montre pas de signes visibles de blessure.

4 h 46 m 49 s – Le plaignant montre les premiers signes de douleur. Il se tient l’épaule gauche de la main droite. Il est allongé sur le banc.

8 h 11 m 26 s – Le plaignant est réveillé et favorise son épaule gauche.

8 h 13 m 18 s – Le plaignant sort de la cellule et y retourne à 8 h 22 m 20 s.

8 h 37 m 06 s – Le plaignant est examiné par un paramédic et, peu après, il sort de la cellule.

8 h 38 m 14 s – L’enregistrement prend fin.

Enregistrements de communications

Enregistrement de l’appel au 9-1-1

L’enregistrement de l’appel au 9-1-1 date du 21 septembre 2017; il commence à 00 h 06 m 26 s et illustre ce qui suit :

La standardiste du service 9-1-1 demande à l’appelant s’il a besoin de la police, des pompiers ou d’une ambulance.

L’appelant [maintenant désigné comme le plaignant] répond en disant [traduction] « Bonjour, j’essaie de marcher dans la rue. ».

L’opératrice du 9-1-1 demande à nouveau à l’appelant s’il a besoin de la police, des pompiers ou d’une ambulance.

Irrité et agité, l’appelant crie [traduction] « À qui dois-je parler pour signaler quelqu’un qui essaie de violer un homme qui marche dans la rue? ».

L’opératrice du 9-1-1 demande à l’appelant [traduction] « Avez-vous dit que quelqu’un a essayé de vous violer? » et le plaignant répond « Ouais ».

L’opératrice du 9-1-1 demande au plaignant à quel endroit l’incident s’est produit et le plaignant répond [traduction] « Je marche dans la rue en ce moment. »

L’opératrice du 9-1-1 demande au plaignant à quel endroit il se trouve et le plaignant répond qu’il se trouve sur l’avenue Kingsway. L’opératrice lui demande alors si « la personne » est encore là, et le plaignant commence à maugréer et pester contre les véhicules qui circulent devant lui. Après cela, le plaignant crie au téléphone, et tout ce qu’il dit est inaudible.

L’opératrice du 9-1-1 demande au plaignant d’arrêter de crier en lui disant qu’elle ne comprend pas un mot de ce qu’il dit. Peu après, la connexion téléphonique s’interrompt et l’enregistrement s’arrête.

Éléments obtenus du service de police

L’UES a demandé au SPGS, puis obtenu et examiné les éléments et documents suivants :

  • procédure : Arrestation
  • procédure : Recours à la force
  • procédure : Intervention de la police auprès des personnes perturbées émotionnellement
  • vidéo de l’aire de mise en détention du SPGS
  • vidéo du bloc cellulaire du SPGS
  • enregistrement des communications par radio et enregistrement de l’appel au 9‐1‐1
  • chronologie des événements contextuels
  • notes de l’AT no 1
  • signaux de mise en garde pour le plaignant
  • rapport d’incident (personne) concernant le plaignant
  • accusations d’infractions concernant le plaignant

L’UES a également obtenu et examiné les éléments et documents suivants provenant d’autres sources :

  • dossiers médicaux du plaignant en lien avec l’incident

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 25(1) du Code criminel – Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :

  1. soit à titre de particulier
  2. soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
  3. soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
  4. soit en raison de ses fonctions

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Article 265 du Code criminel – Voies de fait

265 (1) Commet des voies de fait, ou se livre à une attaque ou une agression, quiconque, selon le cas :

  1. d’une manière intentionnelle, emploie la force, directement ou indirectement, contre une autre personne sans son consentement
  2. tente ou menace, par un acte ou un geste, d’employer la force contre une autre personne, s’il est en mesure actuelle, ou s’il porte cette personne à croire, pour des motifs raisonnables, qu’il est alors en mesure actuelle d’accomplir son dessein
  3. en portant ostensiblement une arme ou une imitation, aborde ou importune une autre personne ou mendie

(2) Le présent article s’applique à toutes les espèces de voies de fait, y compris les agressions sexuelles, les agressions sexuelles armées, menaces à une tierce personne ou infliction de lésions corporelles et les agressions sexuelles graves

(3) Pour l’application du présent article, ne constitue pas un consentement le fait pour le plaignant de se soumettre ou de ne pas résister en raison :

  1. soit de l’emploi de la force envers le plaignant ou une autre personne
  2. soit des menaces d’emploi de la force ou de la crainte de cet emploi envers le plaignant ou une autre personne
  3. soit de la fraude
  4. soit de l’exercice de l’autorité

Article 266 du Code criminel – Voies de fait

266 Quiconque commet des voies de fait est coupable :

  1. soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans
  2. soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire

Article 267 du Code criminel – Agression armée ou infliction de lésions corporelles

267 Quiconque, en se livrant à des voies de fait, selon le cas,

  1. porte, utilise ou menace d’utiliser une arme ou une imitation d’arme
  2. inflige des lésions corporelles au plaignant

est coupable soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans, soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d’un emprisonnement maximal de dix-huit mois.

Analyse et décision du directeur

Le 21 septembre 2017, à 00 h 26 m 26 s, le Service de police du Grand Sudbury (SPGS) a reçu un appel au 9-1-1. Lorsque la préposée aux appels au 9-1-1 a demandé à l’appelant s’il avait besoin de la police, des pompiers ou d’une ambulance, l’appelant a commencé à maugréer au sujet du fait qu’il marchait dans la rue. Lorsque l’opératrice du 9-1-1 a interrompu l’appelant pour lui demander à nouveau s’il voulait la police, les pompiers ou une ambulance, l’appelant, qui semblait à la fois irrité et en état d’intoxication, lui a dit [traduction] « J’en sais rien. À qui dois-je parler pour signaler quelqu’un qui essaie de violer un homme qui marche dans la rue? » La préposée aux appels lui a alors dit qu’il avait besoin de la police, puis elle a pris en note les détails. L’appelant était très difficile à comprendre du fait qu’il criait et bafouillait, ainsi qu’en raison des bruits de circulation routière en fond sonore, et il a finalement raccroché.

À 00 h 07 m 42 s, le répartiteur a transmis un appel pour une urgence inconnue dans ce secteur, et trois agents de police ont été envoyés sur les lieux, soit l’agent impliqué (AI) no 1, l’AI no 2 et l’agent témoin (AT) no 1.

Le plaignant allègue que, alors qu’il rentrait chez lui à pied après avoir consommé de l’alcool, deux autopatrouilles se sont approchées de lui. Le plaignant a indiqué qu’il ne savait pas pourquoi la police l’avait approché et a nié avoir fait l’appel au 9-1-1. Les policiers se sont approchés de lui et lui ont demandé ce qu’il faisait, à la suite de quoi il y a eu une dispute entre les policiers et le plaignant. Le plaignant allègue que l’un des agents lui a tenu les bras et qu’on lui a dit qu’il était en état d’arrestation, mais qu’il n’avait aucune idée des raisons pour lesquelles on l’arrêtait, et que, selon lui, les agents n’avaient aucune raison de l’arrêter. Les policiers ont alors essayé de l’amener au sol, mais il a résisté. Le plaignant allègue qu’à un moment donné l’un des agents de police a utilisé sur lui une arme à impulsions, le touchant à la jambe gauche, au-dessous du genou, et que c’est ce qui lui a fait involontairement bouger la jambe et donner un coup de pied à l’un des agents.

Après avoir donné un coup de pied, le plaignant est tombé au sol, face contre terre, et les deux policiers ont pressé leurs genoux sur lui, l’un des agents lui écrasant l’épaule et fracturant sa clavicule. Le plaignant allègue que les agents de police ont ensuite fait frotter son visage sur le sol et que l’un des policiers avait une lame tranchante et qu’il s’en ait servie pour lui lacérer le front.

Bien que l’AI no 1 et l’AI no 2 n’aient pas consenti à être questionnés ni à remettre leurs notes de calepin de service à l’UES pour examen, il y a heureusement eu une témoin civile indépendante qui a observé l’incident et dont le témoignage corrobore entièrement la preuve de l’agent témoin, l’AT no 1, quant aux événements qui ont mené aux blessures du plaignant.

La témoin civile (TC) no 1 a déclaré qu’elle a entendu des voix parlant fort à l’extérieur de sa résidence, qu’elle est sortie dehors et qu’elle a vu le plaignant qui se tenait debout sur la pelouse et qui criait en présence d’au moins deux policiers en uniforme. La TC no 1 a déclaré que les agents n’avaient pas de contact physique avec le plaignant à ce moment‐là.

L’un des agents de police a demandé à la TC no 1 si elle connaissait le plaignant, et lorsqu’elle a répondu que non, l’agent l’a priée de rentrer chez elle, ce qu’elle a fait, mais elle a continué de regarder l’interaction depuis son balcon qui donnait sur la rue.

La TC no 1 a entendu le plaignant jurer et crier et semblant se comporter étrangement, en faisant des déclarations aléatoires qui semblaient absurdes, notamment en appelant les agents de police des [traduction] « nègres », bien qu’ils étaient de race blanche. La TC no 1 a déclaré que les policiers s’adressaient au plaignant en l’appelant par son nom, qu’ils semblaient le connaître et qu’ils lui ont parlé calmement pendant environ cinq minutes. Elle a ensuite entendu l’un des agents de police dire au plaignant qu’ils avaient un mandat d’arrestation contre lui, après quoi ils l’ont conduit jusqu’à leur autopatrouille et l’ont maintenu contre le véhicule de police afin de le menotter. La TC no 1 a indiqué qu’il y avait un agent de police de chaque côté du plaignant, pendant qu’un troisième agent lui passait les menottes.

Une fois le plaignant menotté, les policiers ont commencé à le fouiller et c’est à ce moment‐là qu’il est devenu violent et qu’il a commencé à les repousser et à se débattre pour se dégager de leur prise. La TC no 1 a déclaré que les policiers ont alors, avec ménagement, amené le plaignant au sol en lui disant de se calmer et d’arrêter de résister. La TC no 1 a décrit le comportement des agents de police comme étant ferme mais pas brusque, tout en décrivant le plaignant comme continuant de gesticuler sur le sol en s’y frottant, à la suite de quoi il s’est cogné la tête sur le bord du trottoir. La TC no 1 a indiqué que le plaignant s’est calmé par la suite et qu’elle pendait qu’il s’était endormi.

Par la suite, la TC no 1 a vu une ambulance arriver sur les lieux et le plaignant être enroulé dans une couverture afin d’arrêter ses mouvements de gesticulation, puis être remis debout; la TC no 1 a alors vu que le plaignant saignait à la tête.

Le témoignage de la TC no 1 vient complètement confirmer celui de l’AT no 1, avec l’élément de preuve supplémentaire suivant qui s’est produit avant que la TC no 1 ne fasse ses observations. L’AT no 1 a déclaré qu’à son arrivée, il a vu le plaignant courir sur le trottoir. Lorsque l’AI no 1 et l’AI no 2 sont arrivés, le plaignant a cessé de courir et s’est soudainement tourné pour courir dans la direction opposée, ce à quoi l’AT no 1 a réagi en immobilisant son autopatrouille à travers du chemin du plaignant, dans une entrée de cour, lui bloquant ainsi la route.

L’AT no 1 a indiqué que le plaignant se tenait debout sur la pelouse, vociférait et criait des mots incompréhensibles, et il l’a vu transpirer abondamment avec un téléphone cellulaire à la main. L’AT no 1 a présumé que le plaignant était manifestement sous l’effet de substances intoxicantes.

Bien que le plaignant nie avoir fait l’appel au 9-1-1 dans lequel il alléguait avoir été violé, l’AT no 1 l’a entendu crier quelque chose au sujet d’un viol dont il aurait été victime. Lorsque l’AT no 1 a tenté d’amener le plaignant à s’identifier, celui-ci semblait incapable de le faire, mais il était apparemment connu de l’AI no 1, qui l’a identifié par son nom. L’AI no 1 a alors interrogé l’ordinateur et a appris que le plaignant était recherché en lien avec un mandat d’arrestation non exécuté relativement à des accusations de fraude. Cette preuve est corroborée par l’enregistrement des communications, qui révèle qu’à 00 h 12 m 50 s un agent est entendu en train d’appeler et de demander confirmation qu’un mandat non exécuté avait bel et bien été émis pour l’arrestation du plaignant, ce que le répartiteur a alors confirmé.

L’AT no 1 a déclaré que l’un des deux autres agents a alors dit au plaignant qu’il était en état d’arrestation. Cette preuve est également confirmée par la TC no 1. L’AT no 1 a alors pris le contrôle du bras droit du plaignant pendant que l’un des deux autres agents saisissait son bras gauche et qu’un troisième agent lui passait les menottes.

L’AT no 1 a déclaré que lorsqu’il a placé ses mains sur le bas du torse du plaignant dans l’intention de le fouiller par palpation au niveau de la taille, le plaignant a soudainement donné un coup de pied en arrière, délibérément et avec agressivité, et que les trois agents de police l’ont mis au sol. Une fois au sol, le plaignant a continué de se débattre, de se contorsionner et d’agiter ses jambes pendant que les agents essayaient de le maintenir au sol, l’AT no 1 appliquant son genou sur le bas des jambes du plaignant pour l’empêcher de donner à nouveau des coups de pied. Lorsque l’AT no 1 a vu que le plaignant saignait au front, il a appelé une ambulance.

Comme l’a observé la TC no 1, l’AT no 1 a indiqué qu’à aucun moment il n’a employé son arme à impulsions. Un examen subséquent des armes à impulsions que les trois policiers avaient en leur possession a confirmé qu’aucune n’avait été déployée durant l’interaction avec le plaignant.

Compte tenu de l’ensemble de la preuve, je n’accepte pas les allégations du plaignant selon lesquelles un agent a utilisé sur lui son arme à impulsions, le touchant à la jambe, et un agent avait une arme à bord tranchant qu’il a utilisée pour lacérer la tête du plaignant; je retiens plutôt le témoignage de la témoin indépendante, lequel corrobore la preuve de l’AT no 1 sur tous les aspects importants et réfute les allégations du plaignant concernant l’utilisation tant d’une arme à impulsions que d’une arme à bord tranchant. Il ressort clairement du témoignage de la TC no 1 que le plaignant a subi la lacération à la tête lorsqu’il s’est éraflé sur le sol et qu’il s’est cogné la tête sur le bord du trottoir.

En ce qui concerne la fracture de la clavicule du plaignant, j’accepte également la preuve de la TC no 1 qui a dit que le plaignant avait été amené au sol avec ménagement et qu’elle n’a observé aucune option de recours à la force être appliquée sur le plaignant ni aucune force excessive employée sur le plaignant.

Cela dit, il reste à déterminer si la force employée contre le plaignant, laquelle a, selon toute vraisemblance, causé sa blessure sérieuse, était excessive dans les circonstances et s’il y a des motifs raisonnables de croire que l’un ou l’autre des agents de police impliqués dans l’arrestation du plaignant a commis une infraction criminelle, plus particulièrement celle de l’infliction de lésions corporelles, en contravention de l’article 267 du Code criminel.

Pour déterminer si les actions des trois policiers ayant procédé à l’arrestation équivalaient ou non à un recours excessif à la force dans ces circonstances, j’ai tenu compte du fait qu’en vertu du paragraphe 25(1) du Code criminel, les agents de police sont protégés contre les poursuites s’ils exercent leurs fonctions légitimement et s’ils n’emploient que la force nécessaire à cette fin légitime.

Dans le dossier qui m’a été soumis, il est clair, à la lumière des renseignements qui ont été fournis à la police dans l’appel au 9-1-1, que la police était tenue d’intervenir et d’enquêter sur l’allégation faite dans l’appel selon laquelle l’appelant avait été violé dans la rue par quelqu’un. Après que les policiers fussent arrivés sur les lieux, il est également clair, comme l’a confirmé la TC indépendante, que le plaignant se comportait de façon irrationnelle et qu’il semblait, soit en état de crise de santé mentale, soit en état d’ébriété, soit une combinaison des deux. Sur la foi de cette preuve, il est clair que la police ne pouvait tout simplement pas laisser le plaignant errer dans les rues dans son état, alors qu’il criait, qu’il tempêtait et qu’il troublait l’ordre public.

Par la suite, lorsque la police a confirmé que le plaignant était visé par un mandat d’arrestation non exécuté, il semble que l’exécution de ce mandat était une option raisonnable pour atteindre l’objectif de retirer le plaignant de la rue. Se fiant à la confirmation, par le répartiteur, qu’il y avait bel et bien, contre le plaignant, un mandat d’arrestation valide et en suspens, les agents de police agissaient dans l’exécution de leurs fonctions légitimes au moment où ils ont poursuivi et appréhendé le plaignant, et leurs actions les protègent des poursuites en vertu du paragraphe 25 (1) du Code criminel pour autant qu’ils n’aient pas employé plus de force que nécessaire et que cette force fût justifiée dans les circonstances.

Me fondant essentiellement sur le témoignage de la TC no 1, qui confirme le témoignage de l’AT no 1, j’accepte que les trois agents de police ont traité le plaignant avec calme et qu’aucune des options de recours à la force n’a été déployée. Cette preuve est également étayée par un examen des armes à impulsions que les trois agents avaient en leur possession. J’accepte en outre que la blessure à la tête du plaignant a été causée par ses propres gestes lorsqu’il s’est éraflé sur le sol et s’est cogné la tête sur le bord du trottoir. Me confortent dans cette conclusion les photos qui ont été prises des blessures du plaignant et qui révèlent une blessure qui s’apparente à un frottement sur une surface routière, juste au‐dessous de la lacération suturée sur le front du plaignant, ce qui viendrait également confirmer le témoignage de la TC no 1 selon lequel le plaignant a subi cette blessure lorsqu’il a fait contact avec le trottoir.

En ce qui concerne la clavicule fracturée du plaignant, je note que la littérature médicale (www. Mayoclinic.org) indique que les causes les plus courantes d’une clavicule fracturée comprennent les chutes, les blessures sportives et les traumatismes causés par un accident de la route, et que la clavicule est l’un des os les plus souvent brisés du corps humain (https://orthoinfor.aaos.org; www.thedacare.org).

J’accepte, compte tenu de tous les éléments de preuve fiables, que les trois agents de police qui ont eu affaire au plaignant agissaient calmement et avec ménagement lorsqu’ils l’ont mis au sol, et que la mise au sol a été directement causée par les coups de pied que le plaignant a donnés aux agents de police. J’accepte, en outre, que la blessure du plaignant a vraisemblablement été causée par la résistance qu’il a opposée aux agents et lorsqu’il s’est éraflé la tête sur le sol et que la blessure du plaignant ne se serait pas produite s’il n’avait pas agi comme il l’a fait. À la lumière de l’ensemble de la preuve, il semble évident que le plaignant a été lui-même à l’origine de ses blessures, tant à la tête qu’à sa clavicule, en raison de sa gesticulation qui l’a fait se frotter sur le sol.

Même si les agents de police avaient causé sa blessure, ce qui, à mon avis, est très peu probable d’après le témoignage de la TC no 1, je ne saurais conclure que leurs actions ont été excessives dans les circonstances. J’en arrive à cette conclusion en ayant tenu compte de la décision que la Cour suprême du Canada a rendue dans l’arrêt R. c. Nasogaluak [2010] 1 R.C.S. 206, qui dit ceci :

Les actes des policiers ne devraient pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Il ne faut pas oublier que ceux‐ci accomplissent un travail exigeant et dangereux et qu’ils doivent souvent réagir rapidement à des situations urgentes. Leurs actes doivent alors être appréciés selon ce que commande ce contexte difficile. Comme le juge Anderson l’explique dans R. c. Bottrell (1981), 60 C.C.C. (2d) 211 (C.A.C.‐B.) :

[traduction] Pour déterminer si la force employée par le policier était nécessaire, les jurés doivent tenir compte des circonstances dans lesquelles le policier y a eu recours. Il aurait fallu leur indiquer qu’on ne pouvait pas s’attendre à ce que l’appelant mesure la force appliquée avec précision. [p. 218]

De plus, j’ai pris en considération la décision rendue par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire R. c. Baxter (1975) 27 C.C.C. (2d) 96 (C. A. de l’Ont.), selon laquelle on ne peut pas s’attendre à ce que les policiers apprécient avec exactitude le degré de force qu’ils emploient dans leur intervention.

Il ressort clairement de l’ensemble de la preuve fiable que les policiers ont traité le plaignant avec autant de ménagement que possible, tout en essayant de le maîtriser et de l’empêcher de causer d’autres blessures à lui-même ou aux policiers.

Sur la foi du dossier qui m’a été soumis, je ne puis trouver aucune preuve que les actions de l’un ou l’autre des trois agents de police qui sont intervenus ont représenté un recours excessif à la force, ni aucun élément de preuve qui me porterait à croire que leurs actions sortaient des limites du droit applicable, de sorte qu’aucune accusation ne sera portée.

Date : 12 juillet 2018

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Note:

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