Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 17-TCI-264

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu une allégation d’agression sexuelle.

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Le présent rapport décrit l’enquête de l’UES sur la blessure grave qu’aurait subie un homme âgé de 18 ans lors de son arrestation, le 16 septembre 2017.

L’enquête

Notification de l’UES

Le 16 septembre 2017, vers 10 h 05, le Service de police de Toronto (SPT) a signalé une blessure subie lors d’une mise sous garde qui s’est produite à proximité de la boîte de nuit Fiction, au 180, rue Pearl, dans la ville de Toronto, à 2 h 30 plus tôt ce matin-là. Le SPT a déclaré que le plaignant avait apparemment été impliqué dans une bagarre avec deux portiers à la boîte de nuit avant de fuir les lieux et qu’il a été mis au sol par la police. Lorsqu’il s’est plaint de douleurs au coude, le plaignant a été transporté à l’hôpital, où on lui a diagnostiqué une fracture par avulsion.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 4

Nombre d’enquêteurs judiciaires de l’UES assignés : 0

Le dossier a été confié à quatre enquêteurs de l’UES, qui ont été envoyés sur les lieux, arrivant au poste du SPT à 23 h 55.

Un examen des établissements situés sur la rue Pearl a révélé des caméras de surveillance dans deux établissements, dont les enregistrements vidéo ont été obtenus.

Plaignant :

Entretien avec l’homme âgé de 18 ans; dossiers médicaux obtenus et examinés

Témoins civils (TC)

TC no 1 N’a pas participé à une entrevue

TC no 2 A participé à une entrevue

TC no 3 A participé à une entrevue

TC no 4 A participé à une entrevue

Agents témoins (AT)

AT n° 1 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

AT n° 2 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

AT n° 3 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

AT n° 4 Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire

AT n° 5 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

AT n° 6 Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire

AT n° 7 Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire

AT n° 8 Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire

AT n° 9 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

AT n° 10 Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire

AT n° 11 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

Après un examen des notes que les agents ont consignées dans leurs calepin de service et évaluation de leur implication dans l’incident, il a été décidé que les AT nos 4, 6, 7, 8 et 10 ne seraient pas soumis à une entrevue.

Employés de la police témoins

EPT no 1 A participé à une entrevue

Agents impliqués (AI)

AI no 1 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

Description de l’incident

Le samedi 16 septembre 2017, des agents de police étaient sur place dans le quartier des divertissements de la ville de Toronto lorsque le plaignant a été observé en train de s’approcher d’un videur posté à l’extérieur de la boîte de nuit Fiction, puis le frapper au visage. Le plaignant a immédiatement commencé à fuir les lieux et a été poursuivi par l’AT no 5. L’AI, qui se trouvait également non loin de là, a vu que l’AT no 5 tentait d’appréhender le plaignant et que le plaignant s’enfuyait, si bien qu’il s’est placé sur le chemin du plaignant. Lorsque le plaignant a légèrement changé de direction pour éviter l’AI, l’AI s’est aussi déplacé et s’est de nouveau mis à travers du chemin du plaignant.

Le plaignant a couru directement vers l’AI, qui s’est alors baissé plus près du sol, et a fait un pas directement vers la trajectoire du plaignant, saisissant le plaignant en le plaquant à la façon d’une prise de l’ours, les deux hommes se retrouvant au sol. Le plaignant a été arrêté et a ultérieurement été transporté à l’hôpital.

Nature des blessures et traitement

Le plaignant a subi une fracture comminutive du processus coronoïde du coude droit.

Preuve

Les lieux de l’incident

À l’extérieur de la boîte de nuit Fiction, au 180, rue Pearl, dans la ville de Toronto.

Preuve vidéo/audio/photographique

Enregistrement vidéo de la caméra de sécurité de la boîte de nuit Fiction

La caméra de sécurité située à l’entrée de la boîte de nuit Fiction a capté un incident à 2 h 29 m 37 s du matin. À ce moment-là, un homme dont on sait maintenant qu’il s’agissait du plaignant, s’est approché d’un employé de la boîte de nuit, maintenant désigné comme le TC no 2, et l’a frappé à la tête. Le plaignant a immédiatement fui les lieux en courant en direction est sur la rue Pearl.

Il a couru devant de nombreux agents de police lorsque, à 2 h 39 m 43 s sur l’enregistrement, l’AI s’est placé sur le chemin du plaignant. Le plaignant a légèrement modifié sa trajectoire en virant à droite. L’AI s’est déplacé vers sa gauche, s’est de nouveau placé sur le chemin du plaignant et l’a plaqué. Malheureusement, cela s’est produit hors du champ de la caméra. De plus, un véhicule stationné obstruait la vue du plaignant qu’on menottait.

Images vidéo de sécurité du pub Grace O’Malley

Le pub Grace O’Malley est situé à l’angle nord-ouest des rues Duncan et Pearl. Les caméras de sécurité étaient installées devant l’entrée du pub au coin sud-est, filmant le côté ouest le long de la rue Pearl, et ont capté ce qui suit :

À 2 h 33 sur l’enregistrement, le véhicule de transport des prisonniers était garé sur le côté nord de la rue, à l’ouest de l’entrée de la boîte de nuit Fiction. Les deux voies de la rue unidirectionnelle de circulation vers l’ouest étaient encombrées de taxis et de piétons sur les trottoirs nord et sud, à l’ouest de la rue Duncan.

À 2 h 33 m 32 s, deux agents de la police montée se sont placés rapidement, depuis leurs positions près du véhicule de transport des prisonniers, à proximité de l’entrée de la boîte de nuit Fiction.

À 2 h 33 m 55 s, on voit une personne vêtue d’un haut de couleur pâle courir du côté nord de la rue au côté sud, à l’extrémité ouest de l’enregistrement vidéo. Il semble qu’un certain nombre d’agents de police étaient après cette personne, laquelle est sortie du champ de la caméra lorsqu’elle s’est retrouvée sur le sol. Les deux gendarmes se sont placés à cet endroit et sont restés à cheval.

À part cela, les images vidéo ne montrent rien de particulier.

Vidéo de la mise en détention

Le plaignant a passé les formalités de mise en détention au poste de police, à 4 h 12 du matin, le 16 septembre 2017, avec les mains menottées dans le dos. Lorsqu’on lui a demandé s’il avait mal ou s’il s’était blessé, le plaignant a hoché la tête, mais sa réponse était incompréhensible dans l’enregistrement. L’un des agents de police qui avaient escorté le plaignant a dit au sergent chargé de la mise en détention : [traduction] « J’ai remarqué que son coude droit fait saillie. Ce n’est pas normal. » Le sergent chargé des mises en détention lui a répondu qu’il allait voir à cela.

Après qu’on eut fouillé le plaignant, on lui a dit qu’on allait le placer dans une cellule jusqu’à ce qu’une voiture soit disponible pour le conduire à l’hôpital.

À 4 h 48 du matin, on a ramené le plaignant dans la salle des mises en détention. Il était menotté mains devant et a été escorté jusqu’à une voiture par deux policiers, qui l’ont transporté à l’hôpital.

Enregistrement vidéo de surveillance cellulaire

La vidéo de surveillance dans la cellule ne contenait que des images (aucun enregistrement audio) de l’incarcération du plaignant.

Enregistrements du système de caméra à bord du véhicule

Dans l’enregistrement provenant du système de caméra dans le véhicule à bord duquel le plaignant a été transporté à l’hôpital, on voit le plaignant assis sur le siège arrière de l’autopatrouille. Sauf pour répondre à une question de l’agent de police au sujet de son âge, le plaignant est resté silencieux. Il n’y avait rien de notable dans l’enregistrement.

Enregistrements de communications

Les enregistrements de communications par radio de la police ont été reçus et écoutés.

Preuve criminalistique

Aucun élément n’a été soumis pour analyse au Centre des sciences judiciaires.

Éléments obtenus du service de police

L’UES a demandé au SPT, puis obtenu et examiné les éléments et documents suivants :

  • rapport d’incident général
  • rapport sur les détails de l’événement tiré du système de répartition assistée par ordinateur d’Intergraph (I/CAD)
  • notes des AT nos 1 à 8, 10 et 11 et de l’AI
  • vidéo de la salle de mise en détention
  • vidéo de la détention en cellule
  • vidéo du système de caméra à bord de l’autopatrouille transportant le plaignant
  • enregistrements des transmissions radio de la police
  • résumé de conversation

L’UES a également obtenu et examiné les éléments et documents suivants provenant d’autres sources :

  • dossiers médicaux du plaignant liés à cet incident
  • séquences vidéo du système de TVCF du pub Grace O’Malley
  • séquences vidéo du système de TVCF de la boîte de nuit Fiction

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 25(1) du Code criminel – Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :

  1. soit à titre de particulier
  2. soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
  3. soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
  4. soit en raison de ses fonctions

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Article 265 du Code criminel – Voies de fait

265 (1) Commet des voies de fait, ou se livre à une attaque ou une agression, quiconque, selon le cas :

  1. d’une manière intentionnelle, emploie la force, directement ou indirectement, contre une autre personne sans son consentement
  2. tente ou menace, par un acte ou un geste, d’employer la force contre une autre personne, s’il est en mesure actuelle, ou s’il porte cette personne à croire, pour des motifs raisonnables, qu’il est alors en mesure actuelle d’accomplir son dessein
  3. en portant ostensiblement une arme ou une imitation, aborde ou importune une autre personne ou mendie

(2) Le présent article s’applique à toutes les espèces de voies de fait, y compris les agressions sexuelles, les agressions sexuelles armées, menaces à une tierce personne ou infliction de lésions corporelles et les agressions sexuelles graves

(3) Pour l’application du présent article, ne constitue pas un consentement le fait pour le plaignant de se soumettre ou de ne pas résister en raison :

  1. soit de l’emploi de la force envers le plaignant ou une autre personne
  2. soit des menaces d’emploi de la force ou de la crainte de cet emploi envers le plaignant ou une autre personne
  3. soit de la fraude
  4. soit de l’exercice de l’autorité

Article 266 du Code criminel – Voies de fait

266 Quiconque commet des voies de fait est coupable :

  1. soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans
  2. soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire

Article 267 du Code criminel – Agression armée ou infliction de lésions corporelles

267 Quiconque, en se livrant à des voies de fait, selon le cas,

  1. porte, utilise ou menace d’utiliser une arme ou une imitation d’arme
  2. inflige des lésions corporelles au plaignant

est coupable soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans, soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d’un emprisonnement maximal de dix-huit.

Analyse et décision du directeur

Le 16 septembre 2017, vers 2 h 30 du matin, le plaignant, après avoir consommé un certain nombre de boissons alcoolisées à la boîte de nuit Fiction, s’est indigné de la façon dont son ami, qu’on avait sorti du club sans ménagement, était traité. Le plaignant s’est alors approché de l’un des videurs et, sans aucune provocation de la part de ce dernier, l’a frappé au visage, à la suite de quoi il s’est enfui.

Au moment où le plaignant a agressé le videur, il y avait déjà plusieurs agents de police dans le secteur qui s’occupaient d’autres incidents impliquant des clients intoxiqués dans le quartier de divertissements. L’un de ces policiers, l’agent témoin (AT) no 5, a vu le plaignant agresser le videur puis l’a vu courir dans sa direction (AT no 5). L’AT no 5 a essayé d’étirer le bras pour agripper le plaignant, mais il l’a manqué, et le plaignant l’a dépassé en courant pendant que l’AT no 5 partait alors à sa poursuite.

L’agent impliqué (AI) a vu l’AT no 5 se lancer à la poursuite du plaignant et se mettre en travers du chemin du plaignant pour essayer de l’arrêter. Le plaignant a alors légèrement modifié la trajectoire de sa course, l’AI faisant de même en se déplaçant vers sa gauche et se mettant de nouveau sur le chemin du plaignant. Tout l’incident, jusqu’à ce moment‐là, a été capté par les caméras de sécurité et n’est pas contesté. Malheureusement, le plaignant est alors sorti du champ de la caméra lorsqu’il a été arrêté par la police, et cette interaction n’a pas été filmée.

Le plaignant allègue que trois agents de police se sont mis sur son chemin, lui bloquant la route, et qu’alors qu’il s’approchait d’eux, l’un des policiers l’a saisi, des deux mains, à l’avant‐bras droit, qu’il [le plaignant] est alors tombé sur les genoux et que l’agent lui a mis de force le bras droit derrière le dos et a maintenu sa prise de son bras dans cette position inconfortable pendant environ 30 secondes à 1 minute. Le plaignant croit que le stress et cette tension causés par cette prise de son bras l’ont blessé au coude.

L’AI, par contre, déclare qu’à aucun moment il n’a saisi et tordu le bras du plaignant en lui faisant subir une fracture, mais a plutôt indiqué qu’alors que le plaignant courait vers lui, il s’est baissé et a fait un pas de côté pour se mettre en travers du chemin du plaignant et que le milieu du corps du plaignant avait contact avec l’épaule droit de l’AI, ce qui fait que le plaignant a poussé l’AI sur le dos et que les deux hommes se sont retrouvés au sol. L’AI a indiqué qu’il a alors pris le bras gauche du plaignant pendant que l’AT no 5 lui prenait le bras droit et que le plaignant a été menotté, mains dans le dos.

Le témoignage de l’AI cadre avec celui de l’AT no 5, qui a également vu l’AI se mettre sur le chemin du plaignant, se baisser et empoigner le plaignant à la façon d’une « prise de l’ours », qu’il a décrite comme étant essentiellement un plaquage, le plaignant atterrissant sur le dos. L’AT no 5 a cependant cru que c’est lui qui avait saisi le plaignant par le bras gauche pendant que l’AI le tenait par le bras droit et a déclaré que le plaignant a été menotté.

Bien que le plaignant allègue qu’il s’est blessé au bras du fait que l’AI lui a tordu le bras derrière le dos, je n’accepte pas cette affirmation pour les raisons suivantes :

  • L’AT no 11, le surveillant de la circulation, a indiqué que le plaignant lui avait dit qu’il s’était blessé au coude droit lorsqu’un policier l’avait plaqué
  • Dans les dossiers médicaux du plaignant, le registre de triage indique que le plaignant [traduction] « déclare avoir été attaqué par le SPT, frappé au coude droit et mis au sol […]. Il se plaint maintenant de douleurs au coude droit. »
  • Un peu plus loin dans ses dossiers, il est noté ce qui suit au sujet du plaignant : [traduction] « Plaqué par la police + tombé au sol + douleurs au mouvement. »
  • Le dossier des soins infirmiers d’urgence se lit comme suit : [traduction] « Homme âgé de 18 ans amené par la police, plaqué au sol », se plaint de douleurs au coude droit. »
  • Je note que les dossiers mentionnent aussi que le plaignant a une éraflure au coude droit, ce qui, à mon avis, correspondrait davantage à une chute et à un coup de coude sur le sol qu’à une torsion du coude
  • Enfin, je note que l’expert médical consulté a indiqué que la blessure du plaignant, [traduction] « une fracture comminutive du processus coronoïde (le processus qui fait saillie à l’extrémité proximale de l’ulna) », n’était compatible ni avec une chute faite sur une main tendue ni avec un mouvement de torsion, mais que ce type de blessure était plutôt généralement dû à une chute en arrière avec un bras plié et lorsque la pression est appliquée de derrière. J’estime que ce scénario semble correspondre exactement à la description fournie par l’AT no 5 de la façon dont le plaignant a été plaqué au sol

Après avoir évalué cette preuve, il me reste à déterminer si les actions de l’AI, lorsqu’il a plaqué le plaignant au sol, ce qui a entraîné une fracture dans la région du coude droit du plaignant, ont constitué un recours excessif à la force dans les circonstances.

Pour déterminer si ces actions de l’AI équivalent ou non à un recours excessif à la force dans les circonstances, j’ai tenu compte du fait qu’en vertu du paragraphe 25(1) du Code criminel, les agents de police sont protégés contre les poursuites pénales pour autant qu’ils exercent leurs fonctions légitimement et qu’ils n’emploient que la force nécessaire à cette fin légitime.

Dans le dossier dont je suis saisi, il est clair que l’AT no 5 a vu le plaignant commettre une infraction de voies de fait sur le videur de la boîte de nuit Fiction et qu’il avait donc des motifs raisonnables d’arrêter le plaignant pour cela. Lorsqu’il a vu l’AT no 5 se lancer à la poursuite du plaignant, l’AI pouvait fort bien déduire de ces actions que l’AT no 5 avait des motifs raisonnables d’appréhender le plaignant, si bien que l’AI pouvait se fier à ces mêmes motifs raisonnables pour appréhender et arrêter le plaignant, même s’il n’avait pas eu le loisir de s’arrêter et d’avoir une conversation avec l’AT no 5 pour donner l’occasion à ce dernier de lui transmettre cette information.

Par conséquent, il est clair, à la lumière de ces faits, que les agents de police agissaient dans l’exécution de leurs fonctions légitimes lorsqu’ils ont poursuivi et appréhendé le plaignant, et que leurs actions étaient justifiées pour autant qu’ils n’aient pas employé une force excessive.

En ce qui concerne la force que l’AI a employée pour arrêter un homme qui, à l’évidence, était en fuite alors qu’un autre policier le poursuivait, j’accepte que ses actions lorsqu’il s’est mis en travers du chemin du plaignant et lorsque, quand le plaignant s’est approché de lui à portée de main, il l’a plaqué dans ce qui a été décrit comme une prise de l’ours et l’a mis au sol, étaient à la fois nécessaires et justifiées dans ces circonstances. Je note qu’à part le fait d’arrêter le plaignant, aucune autre force n’a été employée contre lui, si ce n’est que le minimum requis pour le menotter et l’aider à se redresser.

Je conclus, dans ces circonstances, que l’AI n’a rien fait d’autre que ce qui était nécessaire pour arrêter le plaignant, et que, malgré la blessure causée au plaignant, cette action ne constituait pas un recours excessif à la force. En fait, il semble que le plaignant, en continuant de courir malgré les tentatives évidentes de l’AI de lui bloquer la route, a eu une part de responsabilité aussi importante que celle de l’AI dans le résultat de cette action. Le plaignant avait manifestement l’intention de continuer de fuir alors que l’AI voulait l’arrêter dans sa course. À mon avis, à ce moment-là, l’AI n’a pas eu d’autre choix que de se servir de son corps pour arrêter le plaignant. Les actions de l’AI semblent avoir été mesurées et directement proportionnelles aux actions du plaignant.

J’en arrive à cette conclusion en gardant à l’esprit l’état du droit applicable tel que la Cour suprême du Canada l’a établi en ces termes dans l’arrêt R. c. Nasogaluak, [2010] 1 R.C.S. 206 :

Les actes des policiers ne devraient pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Il ne faut pas oublier que ceux‐ci accomplissent un travail exigeant et dangereux et qu’ils doivent souvent réagir rapidement à des situations urgentes. Leurs actes doivent alors être appréciés selon ce que commande ce contexte difficile. . Comme le juge Anderson l’explique dans R. c. Bottrell(1981), 60 C.C.C. (2d) 211 (B.C.C.A.) :

[traduction] Pour déterminer si la force employée par le policier était nécessaire, les jurés doivent tenir compte des circonstances dans lesquelles le policier y a eu recours. Il aurait fallu leur indiquer qu’on ne pouvait pas s’attendre à ce que l’appelant mesure la force appliquée avec précision. [p. 218].

De plus, j’ai pris en considération la décision rendue par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire R. c. Baxter (1975) 27 C.C.C. (2d) 96 (C. A. de l’Ont.), selon laquelle on ne peut pas s’attendre à ce que les policiers apprécient avec exactitude le degré de force qu’ils emploient dans leur intervention

En conclusion, compte tenu de la preuve fiable qui m’a été présentée, j’accepte que, lorsque l’AI a plaqué le plaignant au sol afin d’empêcher sa fuite, le coude du plaignant a heurté le sol, ce qui lui a causé une éraflure, comme l’indique ses dossiers médicaux, ainsi que la fracture à son coude. Malgré les conséquences malheureuses pour le plaignant, j’estime que, si le plaignant s’était arrêté comme on lui avait ordonné, au lieu de continuer à courir en fonçant sur l’AI, il n’aurait pas été blessé. Malheureusement, en courant en direction d’un agent qui était légalement fondé à l’arrêter, le plaignant a fait tomber à la fois l’agent et lui-même au sol, et c’est ainsi qu’il s’est blessé au coude.

Compte tenu de ces faits, je ne puis conclure que l’AI a recouru à une force excessive ni que j’ai des motifs raisonnables de croire que ses actions ont été telles qu’il y a lieu de porter une accusation au criminel, de sorte qu’aucune accusation ne sera déposée.

Date : 12 juillet 2018

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.