Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 17-TCI-156

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu à une allégation d’agression sexuelle.

Les « blessures graves » englobent celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, a priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant que la gravité de la blessure puisse être évaluée, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider de l’envergure de son intervention.

Ce rapport a trait à l’enquête menée par l’UES sur la blessure grave subie par un homme âgé de 30 ans lors de son arrestation le 23 juin 2017.

L’enquête

Notification de l’UES

Vers 16 h 31, le 24 juin 2017, le Service de police de Toronto (SPT) a informé l’UES de la blessure subie par le plaignant durant sa mise sous garde.

Le SPT a expliqué que le 23 juin 2017, à 20 h 30, des agents du SPT sont intervenus à une adresse dans la ville de Toronto parce qu’une personne armée d’un couteau s’y était barricadée. L’incident est survenu parce que le plaignant avait eu une bagarre avec le TC no 1. Les agents de l’équipe d’intervention en cas d’urgence (ÉIU) du SPT sont entrés dans la résidence et ont appréhendé le plaignant, qui a été amené à l’hôpital et a ensuite été confié à la garde du SPT sans diagnostic confirmé, en raison de l’absence d’un radiologue.

Les radiographies du plaignant ont été interprétées le matin du 24 juin 2017, mais le personnel hospitalier a refusé de fournir le diagnostic au SPT. Plus tard le même après-midi, le SPT a pu obtenir un consentement médical du plaignant et a appris que celui-ci avait subi une fracture nasale.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 4

Nombre d’enquêteurs judiciaires de l’UES assignés : 0

Plaignant :

homme âgé de 30 ans; a participé à une entrevue; dossiers médicaux obtenus et examinés

Témoins civils (TC)

TC no 1 A participé à une entrevue

TC no 2 A participé à une entrevue

Agents témoins (AT)

AT n° 1 Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire

AT n° 2 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées

AT n° 3 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées

AT no 4 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées

AT no 5 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées

AT no 6 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées

AT no 7 Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire

AT no 8 Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire

AT no 9 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées

AT no 10 Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire

L’AT no 7, l’AT no 8, l’AT no 1 et l’AT no 10 n’ont pas été interviewés, car l’examen de leurs notes indiquait qu’ils ne disposaient d’aucun renseignement de valeur probante qui n’était pas déjà connu des autres agents de police témoins qui avaient été interrogés.

Agents impliqués (AI)

AI no 1 N’a pas participé à une entrevue et n’a pas consenti à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué

Description de l’incident

Après avoir consommé des boissons alcoolisées plus tôt le 23 juin 2017, le plaignant est retourné le soir à sa résidence à Toronto, où il a eu une dispute avec le TC no 1. La dispute a évolué d’échanges verbaux désagréables à des voies de fait de la part du plaignant, qui était armé d’un tuyau en métal dont il s’est servi pour frapper le TC no 1, ce qui a incité la TC no 2 à appeler le 9-1-1 pour faire retirer le plaignant de la résidence.

À l’arrivée de la police à la résidence, le plaignant était initialement à l’intérieur de la maison et a refusé de sortir. Lorsque la police a fini par convaincre le plaignant de sortir de la résidence, il a été mis au sol et menotté. Le plaignant allègue que, pendant qu’il était au sol après avoir été menotté, un agent faisant partie de l’ÉIU lui a donné un coup de pied au visage. Le plaignant a ensuite été transporté à l’hôpital, où il a été évalué.

Nature des blessures et traitement

Le plaignant a subi une fracture nasale non déplacée qui était censée guérir tout seul sans nécessiter une intervention médicale.

Preuve

Les lieux de l’incident

La scène de l’incident était l’endroit où le plaignant avait été amené au sol, arrêté et menotté et se limitait à la terrasse recouverte d’asphalte dans la cour fermée du côté est de la maison du plaignant. Une clôture en bois mesurant six pieds de haut, comportant un portail fait du même matériau, limitait l’accès au secteur au côté est du bungalow en briques et en bloquait la vue.

Preuve matérielle

La porte endommagée à travers laquelle le plaignant a passé la tête et les mains.

La porte endommagée à travers laquelle le plaignant a passé la tête et les mains.

La porte endommagée à travers laquelle le plaignant a passé la tête et les mains.

Éléments de preuve médico-légaux

Aucun élément ou document n’a été soumis au Centre des sciences judiciaires.

Preuve vidéo/audio/photographique

Les enquêteurs n’ont trouvé aucune vidéo de la scène. Ils ont obtenu et examiné la vidéo filmée par la caméra située dans le véhicule durant le transport du plaignant.

Enregistrements des communications

Les enregistrements des appels au 9-1-1 et des communications de la police ont été obtenus et examinés.

Éléments obtenus du service de police

L’UES a demandé au SPT les éléments et documents suivants, qu’elle a obtenus et examinés :

  • vidéo de la salle de mise en détention et de l’entrée sécurisée
  • enregistrements des appels au 9-1-1
  • enregistrements des communications de la police
  • rapport d’incident à risque élevé de l’ÉIU
  • rapports détaillés de l’événement (x2)
  • vidéo provenant du système de caméra à bord du véhicule
  • rapport sur les blessures
  • photographies de la scène fournies par le SPT
  • photographies du SPT des blessures subies par le plaignant
  • photographies des vêtements de l’agent impliqué du SPT
  • notes des AT nos 1 à 10
  • procédure : Annexes A et B, Modèle provincial de recours à la force
  • procédure : Emploi de la force
  • résumé des conversations
  • dossier complet du SPT – R c. plaignant
  • dossiers de formation de l’AI

L’UES a obtenu et examiné les éléments et documents suivants provenant d’autres sources :

  • croquis de la scène du TC no 1
  • dossiers médicaux du plaignant relatifs à cet incident

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 25(1) du Code criminel – Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :

  1. soit à titre de particulier
  2. soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
  3. soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
  4. soit en raison de ses fonctions

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Article 267 du Code criminel – Agression armée ou infliction de lésions corporelles

267 Quiconque, en se livrant à des voies de fait, selon le cas :

  1. porte, utilise ou menace d’utiliser une arme ou une imitation d’arme
  2. inflige des lésions corporelles au plaignant

est coupable soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans, soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d’un emprisonnement maximal de dix-huit mois.

Analyse et décision du directeur

Le 23 juin 2017, le Service de police de Toronto (SPT) a reçu un appel au numéro 9-1-1 à 20 h 36 m 09 s. On entend l’appelante crier à un homme en arrière-plan et lui demander plusieurs fois : [traduction] « Qu’est-ce que tu fais? », tandis que l’on entend l’homme répondre : « Qu’est-ce que j’ai fait, tabernak? », puis la femme crier : « C’est toi qui fais ça! ». La préposée à l’appel dit plusieurs fois : « Bonjour », mais personne ne répond et la personne à l’autre bout raccroche. Quand la préposée rappelle, elle tombe sur la boîte vocale. Une vérification des renseignements sur l’abonné permet de retracer le numéro de téléphone au témoin civil (TC) no 1.

À 20 h 36 m 40 s, un deuxième appel a été reçu au 9-1-1. Cette fois-là, l’appelante s’est identifiée comme étant la TC no 2 et elle a indiqué qu’elle avait besoin de la police à son adresse, car le plaignant était fou et venait de battre le TC no 1, et elle a dit : [traduction] « Veuillez envoyer quelqu’un immédiatement! » Durant cet appel, la TC no 2 a indiqué qu’il n’y avait pas d’armes d’utilisées et que le plaignant n’avait pas de problèmes de santé mentale, mais qu’elle pensait qu’il avait consommé de l’alcool.

Tout au long de l’appel, on entend des cris qui sont échangés entre l’appelante et un homme en arrière-plan et on entend ensuite la TC no 2 dire : « Il détruit ma cour arrière! ... il est sur le point de prendre mon téléphone! … Il est fou! … Il s’en prend au TC no 1! »

Au cours de l’appel, on entend la TC no 2 dire à plusieurs reprises que le plaignant était de nouveau en train de battre ou de frapper le TC no 1 et qu’il [traduction] « continue de venir vers nous! ». Lorsqu’on lui a demandé ce qui avait causé l’incident, la TC no 2 a répondu que c’était parce que [traduction] « (le TC no 1) lui avait dit de remonter ses culottes ». La préposée aux appels demande alors à l’appelante de garder la ligne pendant qu’elle envoie une unité à la résidence.

Lorsque la préposée revient à la ligne, on entend seulement des cris en arrière-plan et elle est incapable de joindre la TC no 2, et l’appel finit par se déconnecter. Un rappel de la préposée va directement à la boîte vocale et elle laisse un message indiquant que la police est en route.

À 20 h 37, et encore une fois à 20 h 42, un appel est envoyé par la répartitrice invitant toutes les unités disponibles à intervenir et elle qualifie l’appel de « Hot Shot » (appel prioritaire le plus élevé) : « Personne qui perd les pédales, plaignant hors d’haleine, (le plaignant) a battu (le TC no 1).

À 20 h 41 min 25 s, la première voiture de patrouille, avec l’agent témoin (AT) no 2 et l’AT no 3 à son bord, a répondu à l’appel et a été envoyée sur les lieux. Le registre des appels indique que deux autres appels ont été reçus de la résidence avant l’arrivée de la police à 20 h 54 m 15 s, l’un de l’amie du plaignant et l’autre de la TC no 2, qui veulent toutes deux savoir l’heure approximative à laquelle est censée arriver la police.

L’appel enregistré venant de l’amie du plaignant révèle qu’elle a dit à la préposée au 9-1-1 que [traduction] « mon ami s’est enivré et il est en train de battre (le TC no 1 et la TC no 2) », tandis que le troisième appel de la TC no 2 révèle qu’elle a dit à la préposée que le plaignant continuait de se comporter comme un fou, qu’il avait [traduction] « tabassé » le TC no 1 et elle-même et qu’il « brisait tout ».

Le plaignant a indiqué que, lorsque les agents de police sont arrivés, il s’est rendu à la porte latérale pour parler tranquillement avec eux. Il a allégué qu’il avait une cigarette à la bouche et qu’il avait demandé aux agents de l’ÉIU s’il pouvait retourner à l’intérieur pour aller chercher des chaussettes, car il y avait du verre sur le plancher, mais ils ont répondu par la négative. Il a ensuite placé les deux mains et la tête dans le cadre de la fenêtre de la contre-porte, et l’un des agents de l’ÉIU lui a dit de lâcher sa cigarette.

Le plaignant a allégué qu’un agent de l’ÉIU a alors placé son doigt sur le côté de son pistolet ou de son arme à impulsions électriques (AIE) et a pointé le canon vers son visage et a tenté de faire tomber la cigarette de sa bouche. Lors de la deuxième tentative, l’agent de police a frappé la cigarette, la faisant tomber de sa bouche. Le plaignant estimait qu’il avait fallu environ quatre secondes pour faire tomber la cigarette de sa bouche et que le canon du pistolet était pointé directement vers son visage pendant ce laps de temps. Le plaignant a en outre allégué qu’un des agents de l’ÉIU lui avait dit de [traduction] « se fermer la gueule » et qu’il lui tirerait une balle dans la tête s’il faisait un faux mouvement.

Il est en outre allégué qu’un agent de l’ÉIU a alors tiré les mains du plaignant vers l’extérieur, alors qu’un autre ouvrait la contre-porte, et qu’un troisième agent s’est placé derrière le plaignant et lui a donné des coups de pied aux jambes pour le faire tomber sur le sol à l’extérieur de la maison, la poitrine en premier, sur des éclats de verre. Puis, six agents de l’ÉIU se seraient jetés sur le plaignant.

Le plaignant a allégué avoir mis ses mains derrière le dos et avoir dit à l’agent qu’il ne résistait pas. Il avait fallu environ une minute pour menotter le plaignant, après quoi l’un des agents de l’ÉIU lui avait de nouveau dit de se la fermer tout en lui donnant un coup avec son pied droit sur l’arête du nez. Le plaignant ne pouvait pas décrire l’agent qui lui avait donné un coup de pied, si ce n’est pour dire que ce n’était pas l’agent qui portait des lunettes.

Plus tard, le plaignant s’est rendu à l’hôpital et on lui a diagnostiqué une fracture nasale non déplacée.

Au cours de cette enquête, trois TC, dont le plaignant, et six agents de police témoins ont été interrogés. L’agent impliqué (AI) a refusé d’être interviewé ou de fournir les notes entrées dans son calepin aux fins d’examen, comme la loi l’y autorise. De plus, les enquêteurs de l’UES avaient accès aux notes dans les calepins de dix agents de police témoins ainsi qu’aux enregistrements et au registre des communications radio de la police et des appels au 9-1-1.

Le TC no 1 et la TC no 2 ont tous deux fourni des déclarations qui concordaient avec les appels au numéro 9-1-1 de la TC no 2, durant lesquels elle décrivait, à la préposée, les incidents au fur et à mesure qu’ils se produisaient.

Une fois que le plaignant était entré dans la maison, les TC nos 1 et 2 ont vu l’AT no 2 pointer un fusil de couleur orange (une arme antiémeute ENfield ou ARWEN, qui utilise des balles en caoutchouc ou des sacs de plombs non létaux) vers la porte de la terrasse, tandis que d’autres agents de police se sont rendus à l’arrière de la maison. Ils ont entendu les agents de police dire à plusieurs reprises au plaignant de sortir de la maison, sans recevoir de réponse. La police a ordonné aux TC nos 1 et 2 de quitter la propriété et de traverser la rue pour leur propre sécurité, et aucun d’eux n’a été témoin de l’appréhension du plaignant.

L’AT no 2 a dit que lorsque lui et l’AT no 3 étaient arrivés à la résidence, il s’était dirigé vers celle-ci en apportant un fusil pouvait tirer des « sacs de plombs » moins létaux. Une fois à l’intérieur de la clôture après avoir franchi le portail, l’AT no 2 a vu les trois témoins civils dans la cour et a constaté que le TC no 1 avait du sang sur sa chemise, tandis que le plaignant était sans chemise et avait du sang sur son torse.

L’AT no 3 a déclaré qu’il avait vu des jardinières brisées sur la terrasse et que le plaignant avait du sang sur le corps et hurlait contre les TC nos 1 et 2. L’AT no 2 s’est identifié comme agent de police et a demandé ce qui se passait, tandis que l’AT no 3 a crié au plaignant [traduction] « viens ici », mais le plaignant est entré dans la maison sans répondre. Les agents ont constaté que le verre de la contre-porte avait été brisé. Les AT nos 2 et 3 n’étaient pas entrés dans la maison à ce moment-là, car ils ne savaient pas si le plaignant avait accès à des armes. Lorsque l’AT no 3 a demandé s’il y avait des armes dans la maison, on lui a dit que le plaignant aurait accès aux couteaux de cuisine. L’AT no 2, l’agent principal sur les lieux à ce moment-là, a décrit la situation comme celle d’une personne barricadée et a demandé l’aide de l’ÉIU.

L’AT no 3 se tenait à l’extérieur devant la maison, tandis que l’AT no 2 se tenait à l’entrée sur le côté afin d’éviter que le plaignant ne sorte de la maison. Quatre autres agents du SPT sont arrivés et ont assumé des positions autour de la maison, tandis qu’un est resté avec les TC nos 1 et 2 devant la maison. L’AT no 2 a vu le plaignant descendre l’escalier à partir du rez-de-chaussée vers le sous-sol et lorsque le plaignant est arrivé à la porte, l’AT no 2 lui a crié de s’arrêter, mais le plaignant a dit qu’il voulait aller chercher des chaussettes au sous-sol. L’AT no 2 a dit au plaignant de ne pas aller plus loin et le plaignant s’est arrêté, juste au moment où l’équipe de l’ÉIU est arrivée.

Lorsque l’AT no 2 a demandé au plaignant de montrer ses mains, ce dernier a étendu ses mains dans le cadre de la fenêtre vide de la contre-porte , où il y avait du verre antérieurement. L’AT no 2 a ensuite reculé pour donner de l’espace à l’ÉIU et a vu les agents de l’ÉIU tenir les avant-bras du plaignant, qui étaient toujours étendus à travers la contre-porte, et ils ont pu lentement ouvrir la porte et changer de position pour permettre au plaignant de sortir. L’AT no 2 a déclaré qu’il n’avait pas vu de lutte pendant l’arrestation, mais qu’il avait vu les agents de l’ÉIU placer le plaignant sur son abdomen au sol et le menotter ensuite.

L’AT no 2 a déclaré qu’il n’avait jamais observé un agent de police frapper ou donner des coups de pied au plaignant. L’AT no 2 a décrit le plaignant comme saignant légèrement d’une coupure sur l’arête du nez et a indiqué que le plaignant lui avait dit qu’un des agents de police l’avait blessé. L’AT no 2 a accompagné le plaignant dans l’ambulance et le plaignant lui a dit que la dispute avec les TC nos 1 et 2 avait commencé pour une question d’argent parce qu’il leur avait prêté 20 000 $ et qu’ils n’avaient encore rien remboursé.

L’AT no 6, membre de l’équipe des armes spéciales de l’ÉIU, a indiqué qu’il s’était rendu à la résidence du plaignant en réponse à un appel durant lequel on avait signalé qu’un homme armé d’un couteau s’était barricadé à l’intérieur de la maison. Le rôle de l’AT no 6 était de contenir les lieux pour s’assurer que le plaignant ne sortait pas de la maison, et il (l’AT no 6) se trouvait dans la cour arrière lorsqu’il a entendu quelqu’un dire que le plaignant sortait par la porte de derrière. Lorsque l’AT no 6 s’est rendu à cet endroit, il a vu que le plaignant était au sol, à environ dix pieds de la porte latérale, entouré de plusieurs agents de police. Il a vu les jambes du plaignant bouger et a entendu quelqu’un crier [traduction] « Mettez vos mains derrière le dos ». L’AT no 6 a indiqué que deux ou trois agents de l’ÉIU se trouvaient sur le plaignant, mais il n’a observé aucun agent de police frapper, donner un coup de pied ou donner un quelconque autre coup au plaignant. L’AT no 6 estimait qu’environ 30 à 60 secondes s’étaient écoulées entre le moment où il avait entendu dire qu’un homme était venu à la porte et le moment où il était entré dans la cour arrière, où l’on procédait à l’arrestation du plaignant.

L’AT no 3 a déclaré qu’il avait entendu quelqu’un crier que le plaignant était à la porte latérale et que tout de suite après il avait entendu quelqu’un envoyer un message par la radio pour annoncer que la police avait une personne sous garde. L’AT no 3 estimait qu’entre le moment où il avait entendu que le plaignant était à la porte et le moment où il avait entendu que le plaignant était sous garde, environ une minute s’était écoulée.

L’AT no 3 a vu un agent de l’ÉIU marcher avec le plaignant menotté jusqu’à l’entrée de cour où, à 21 h 35, le plaignant lui a été confié. L’AT no 3 a constaté que le plaignant avait une coupure à l’arête du nez, mais qu’il ne saignait pas. Le plaignant a alors déclaré que son nez était cassé. L’AT no 3 a constaté que l’haleine du plaignant sentait l’alcool, qu’il était très émotif et pleurait, et qu’il avait des coupures aux deux mains près des jointures.

Une fois à l’hôpital, le plaignant a dit à l’AT no 3 que la dispute à la maison avait commencé parce que les TC nos 1 et 2 refusaient de lui donner ses effets personnels, qu’il avait fracassé la fenêtre de la porte latérale, qu’il avait bu de la bière et du cognac, qu’il était entré dans la maison pour prendre une douche froide et que lorsqu’il avait essayé de sortir, un agent de police lui avait un coup de pied pendant son arrestation et que c’était ainsi qu’il s’était retrouvé avec la blessure au nez.

L’AT no 5, membre de l’ÉIU, a indiqué que lorsqu’il était entré dans la cour arrière, il avait constaté que d’autres membres de l’ÉIU avaient mis le plaignant au sol, sur le ventre, mais qu’il n’était pas encore menotté et qu’il maintenait ses mains fermement sous la poitrine. L’AT no 5 avait mis son bouclier au sol et s’était rendu au côté droit du plaignant et avait réussi à sortir son bras droit de sous son torse et à le placer derrière le dos en vue de son menottage. L’AT no 4 lui avait alors remis une paire de menottes et l’AT no 5 avait mis une menotte au poignet droit du plaignant, tandis qu’un autre agent de l’ÉIU avait tourné le plaignant légèrement vers la droite, de sorte à exposer son bras gauche, ce qui avait permis à l’AT no 5 de le contrôler et de menotter l’autre poignet. L’AT no 5 a dit qu’il n’avait pas frappé le plaignant et qu’il n’avait observé aucun agent de police sur place donner des coups en sa présence.

L’AT no 4, l’agent responsable de l’équipe des armes spéciales de l’ÉIU, a indiqué que lui et son équipe, composée de l’AT no 9, de l’AI, de l’AT no 5, de l’AT no 1, de l’AT no 6, de l’AT no 7 et de l’AT no 8, s’étaient rendus à la résidence du plaignant en réponse à un appel concernant une personne barricadée armée d’un couteau.

Lorsque l’AT no 4 s’est approché de la résidence, il a entendu des agents criant les ordres de police. Une fois qu’il avait accédé à la cour arrière par le portail à l’arrière de celle-ci, portail qui avant cela était bloqué en raison de la présence de nombreux agents de police de l’autre côté, il a vu trois ou quatre membres de son équipe au sol tenant le plaignant, qui n’était pas encore menotté. L’AT no 4 a pu identifier l’AI, l’AT no 5 et l’AT no 9 comme étant trois des agents en cause. Il a indiqué qu’à aucun moment il n’a vu quelqu’un frapper, donner des coups de pied ou donner des coups de poing au plaignant pendant la courte période pendant laquelle il a observé la lutte qui s’est terminée par le menottage du suspect.

Selon les notes entrées dans le calepin de l’AT no 9, alors qu’il s’approchait de la résidence du plaignant, il a vu le plaignant se lever du canapé dans le salon et se rendre à l’arrière de la résidence. L’AT no 9 a ensuite été avisé par d’autres agents que le plaignant se trouvait à la porte arrière de la maison et l’AT no 9 est entré par le portail de la cour arrière et a vu le plaignant à la porte arrière de la maison, une cigarette à la bouche, et l’a entendu crier [traduction] « je n’ai rien fait ». D’après ses notes, l’AT no 9 avait alors ordonné au plaignant de montrer ses mains et le plaignant avait passé les mains dans le cadre de la fenêtre maintenant vide et les membres de l’ÉIU avaient saisi les bras du plaignant.

L’AT no 9 s’est alors déplacé pour prendre le contrôle du bras gauche du plaignant et lui a dit de se mettre au sol, ce à quoi le plaignant avait de nouveau répondu qu’il n’avait rien fait. Les notes de l’AT no 9 indiquent que, pendant qu’il tenait son bras gauche, le plaignant avait commencé à reculer en tirant dans le sens opposé, et que l’AT no 9 l’avait mis au sol à l’extérieur de la porte, le plaignant atterrissant sur le sol avec les mains sous lui.

L’AT no 9 avait alors ordonné au plaignant de se mettre les mains derrière le dos, et le plaignant avait répété qu’il n’avait rien fait et avait dit [traduction] « va chier » à l’agent de police. L’AT no 9 a indiqué dans ses notes qu’il avait ensuite retiré le bras gauche du plaignant de sous son corps et que le plaignant avait été menotté les mains dans le dos. L’AT no 9 avait alors amené le plaignant à l’avant de la maison où il avait été remis à l’AT no 3.

Aucun témoin, civil ou policier, n’a vu le plaignant recevoir des coups de pied d’un policier alors qu’il était au sol après avoir été menotté, et c’était un coup de pied auquel le plaignant attribuait son os nasal fracturé. Bien qu’il ne soit pas nécessaire d’avoir une preuve indépendante à l’appui de cette allégation, lorsque, comme en l’espèce, la seule preuve disponible est celle fournie par le plaignant, sa crédibilité devient primordiale pour déterminer si je peux en arriver à des motifs raisonnables de croire qu’un agent de police a effectivement donné un coup de pied au visage du plaignant et a ainsi commis l’infraction de voies de fait causant des lésions corporelles.

Pour évaluer la crédibilité du plaignant, je dois tenir compte d’un certain nombre de facteurs, dont sa capacité de se rappeler l’incident et d’observer et de déterminer ce qui s’est produit et qui a commis les différents actes, ainsi que de toute preuve indépendante qui appuie ou rejette son témoignage. Même si la preuve qui contredit le témoignage du plaignant ne se rapporte qu’aux faits sous-jacents qui l’entourent et non pas directement à la façon dont le plaignant a subi sa blessure, je dois tenir compte de cette preuve dans l’évaluation globale de la crédibilité du plaignant et établir si en raison de ces contradictions, il serait dangereux de s’appuyer sur son témoignage relativement à l’objet de l’enquête.

En ce qui concerne d’abord la capacité du plaignant de se rappeler l’incident, je note qu’il n’y a aucun désaccord entre l’ensemble des témoins, aussi bien civils que policiers, et le plaignant lui-même qu’il était extrêmement intoxiqué durant l’incident en question, le plaignant ayant indiqué qu’il était tellement « parti » qu’il soupçonnait que quelqu’un avait glissé de la drogue dans sa boisson. Par conséquent, je n’ai aucun doute que le souvenir des événements du plaignant et sa capacité d’observer les événements qui se sont produits étaient extrêmement compromis.

De plus, je note que le souvenir qu’a le plaignant des événements semble très sélectif et intéressé; par exemple, bien qu’il prétende qu’il se rappelle clairement avoir reçu un coup de pied au nez de la part d’un policier, il ne se souvenait pas qu’il avait conduit la voiture de la TC no 2 à la résidence, affirmant plutôt qu’il y avait été amené. Je ne peux que présumer, à partir de cette déclaration, qui est directement contredite par le TC no 1 et la TC no 2, que le plaignant souhaitait se présenter sous un meilleur jour et éviter de révéler le fait négatif qu’il conduisait un véhicule automobile alors qu’il était extrêmement intoxiqué. Je considère cette incohérence comme importante dans l’évaluation de la crédibilité globale du plaignant.

En outre, le manque de souvenir du plaignant quant à savoir s’il avait frappé le TC no 1 ou la TC no 2, ou s’ils l’avaient frappé, et son incapacité à se souvenir des détails de la dispute[1] qu’il avait eue avec eux soit est le signe d’une mémoire sélective, soit témoigne d’un manque de souvenir général des événements. Par exemple, le plaignant a dit aux enquêteurs de l’UES qu’il n’avait aucune idée de l’endroit où se trouvait son amie pendant l’incident, tandis que la TC no 2 a déclaré que le plaignant avait eu un échange échauffé avec elle après que le TC no 1 lui avait dit de remonter ses shorts. Je note que le manque de fiabilité de ses souvenirs est d’autant plus évident lorsqu’on prend en considération son commentaire selon lequel il croyait avoir passé la main par la fenêtre d’une contre-porte, parce que [traduction] « l’alcool m’avait vraiment affecté ce soir-là », mais qu’il ne se souvenait pas de l’avoir fait. Manifestement, il ne s’agit pas d’un événement négligeable, et le fait que le plaignant ne se le rappelle pas me préoccupe sérieusement.

Je note également que le plaignant semblait être d’avis qu’il avait dégrisé après avoir pris une douche, explication avancée selon moi pour justifier son incapacité à se souvenir de ses propres méfaits, commis avant la douche, et pourtant, il se souvenait très clairement des actions de la police, qui ont eu lieu après sa douche. Or, comme on le sait, une douche ne fait que vous mouiller, elle ne vous rend pas sobre, pas plus qu’elle est en mesure de réduire votre taux d’alcoolémie, ce que seul le passage du temps peut accomplir.

Bien que je note que le plaignant ait dit aux enquêteurs de l’UES que la dispute avec les TC nos 1 et 2 avait commencé lorsque le TC no 1 lui avait dit de remonter son pantalon, je souligne que le soir de l’incident, il a dit à l’AT no 3, à l’hôpital, qu’elle avait été causée par le fait que le TC no 1 et la TC no 2 avaient refusé de lui rendre ses effets personnels et qu’il a dit à l’AT no 2, qui l’accompagnait dans l’ambulance, que la raison en était qu’il avait prêté de l’argent aux TC nos 1 et 2, soit 20 000 $, que ces derniers n’avaient pas remboursés.

Enfin, en ce qui concerne la capacité du plaignant d’identifier l’agent de police qui lui aurait donné un coup de pied au visage, je note qu’il a indiqué que six agents de l’ÉIU étaient sur lui, dont un lui avait donné un coup de pied au visage alors qu’il était au sol. Mis à part l’exclusion de l’agent de police portant les lunettes, le plaignant n’a pas été en mesure de préciser lequel des six agents aurait été l’agresseur.

Rien qu’en l’absence de cette identification, je ne suis pas en mesure d’en arriver à des motifs raisonnables de croire qu’un agent en particulier a donné un coup de pied au plaignant, même si j’acceptais qu’il a effectivement reçu un coup de pied au visage, le témoignage du plaignant ne faisant que restreindre le choix à six coupables possibles, en excluant l’unique policier portant des lunettes.

Compte tenu des facteurs susmentionnés, je conclus donc que je ne peux arriver à la conclusion que l’allégation du plaignant selon laquelle il a reçu un coup de pied au visage de la part d’un policier après avoir été menotté et pendant qu’il était couché sur le sol soit suffisamment solide pour me convaincre qu’il y a des motifs raisonnables de croire que l’infraction de voies de fait causant des lésions corporelles a été commise par un des six agents de l’ÉIU. Étant donné le degré d’intoxication du plaignant, qui est à l’origine de son piètre souvenir des événements, combiné aux contradictions flagrantes entre son témoignage et celui des TC nos 1 et 2, je conclus que je ne peux accorder foi à la version des événements fournie par le plaignant, sauf lorsque son témoignage va dans le sens d’autres éléments de preuve.

Bien que la blessure elle-même puisse normalement corroborer dans une certaine mesure l’allégation du plaignant, je conclus que, là où, comme en l’espèce, la blessure s’explique aussi facilement par le fait que le plaignant a été blessé durant son comportement violent et hors contrôle avant l’arrivée de la police ou parce qu’il a été blessé soit lorsqu’il est tombé au sol, soit lorsqu’il luttait avec les agents de police qui tentaient de le menotter ou encore parce qu’il aurait peut-être reçu un coup de pied au visage, je ne puis conclure que la présence de la blessure renforce d’une façon ou d’une autre la crédibilité du plaignant. Au contraire, si un agent de police avait intentionnellement donné un coup de pied au visage du plaignant avec sa botte, je me serais attendu à ce que la blessure subie par le plaignant soit beaucoup plus grave que la seule fracture nasale non déplacée qu’il a subie. De plus, je note que les témoins qui ont observé la blessure au nez du plaignant ont décrit uniquement une coupure au nez, avec un saignement minimal, voire nul, de cette coupure. Aucun témoin n’a vu le nez du plaignant saigner effectivement, ce à quoi on se serait attendu s’il avait reçu un coup de pied au visage avec une botte de police et avec suffisamment de force pour lui casser le nez.

En vertu du paragraphe 25 (1) du Code criminel, les agents de police ont le droit de recourir à la force nécessaire pour s’acquitter de leurs fonctions, pourvu qu’ils exercent effectivement leurs fonctions et qu’ils agissent donc légalement et qu’ils n’emploient pas plus de force que ce qui est raisonnable.

Dans cette situation factuelle, il est clair, compte tenu des appels au 9-1-1 de la TC no 2 et de la confirmation ultérieure des faits sur les lieux par les TC nos 1 et 2, que la police avait des motifs raisonnables de croire que le plaignant avait agressé les TC nos 1 et 2 et avait détruit des biens leur appartenant, de sorte que la police avait des motifs de l’arrêter. Par conséquent, l’arrestation du plaignant était légalement justifiée dans les circonstances.

En ce qui concerne la force utilisée par la police pour appréhender le plaignant, la police est protégée contre des poursuites intentées en vertu du paragraphe 25 (1) dans la mesure où elle n’emploie pas plus de force que nécessaire et raisonnable dans les circonstances. Il ne fait aucun doute que si, comme l’allègue le plaignant, un agent de police lui a donné un coup de pied au visage après qu’on lui avait déjà passé les menottes et que l’agression lui avait cassé le nez, il y aurait des motifs raisonnables de croire que l’infraction de voies de fait causant des lésions corporelles avait été commise en contravention de l’article 267 du Code criminel. Je dois non seulement avoir des motifs raisonnables de croire que l’infraction de voies de fait causant des lésions corporelles a été commise, mais je dois aussi avoir des motifs raisonnables de croire qu’elle a été commise par une personne en particulier, à moins qu’elles n’aient agi de concert. Si je me fonde sur le témoignage du plaignant, même si j’acceptais que l’agression a bel et bien eu lieu, je n’ai absolument aucune preuve me permettant de savoir qui a donné le coup de pied et, par conséquent, qui a commis l’infraction, ni qu’un agent ait aidé ou encouragé l’auteur du présumé coup de pied. Par conséquent, ce témoignage ne me fournit pas des motifs raisonnables de croire qu’un policier particulier a commis cette infraction, ni qu’un autre agent ait aidé ou encouragé celle-ci.

Même si cette conclusion mettrait fin à l’affaire, je m’empresse d’ajouter, cependant, que non seulement je n’ai pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir qui a donné un coup de pied au plaignant, mais je ne crois pas non plus que j’ai suffisamment d’éléments de preuve pour en arriver à des motifs raisonnables de croire qu’un coup de pied a effectivement été donné, comme le prétend le plaignant.

Je tire cette conclusion en raison des incohérences relevées dans le témoignage du plaignant entre sa version des événements fournie aux gens au moment des faits et ce qu’il a dit plus tard aux enquêteurs de l’UES et en raison des incohérences entre son témoignage et celui du TC no 1 et de la TC no 2, qui étaient tous deux sobres au moment de l’incident, de l’incohérence entre la nature de sa blessure et ce que l’on s’attendrait à voir s’il avait reçu un coup de pied donné par un agent chaussé d’une botte de police, de son piètre souvenir des événements, de son grave degré d’intoxication et de la nature intéressée de son témoignage. À la lumière de ces facteurs, je conclus que je peux accorder peu de crédibilité à la version des événements fournie par le plaignant, sauf lorsque son témoignage est corroboré indépendamment par d’autres éléments de preuve. Je note également qu’aucune autre personne sur les lieux n’a jamais vu un agent de police frapper le plaignant ou lui donner un coup de pied ou coup de poing, même si un certain nombre d’agents témoins auraient été en mesure d’observer ces gestes, s’ils s’étaient véritablement produits.

Subsidiairement, si la blessure du plaignant a été causée par les actions de la police lorsqu’elle a mis le plaignant au sol, soit parce que son visage a heurté le sol, soit pendant la lutte pour prendre le contrôle de ses mains afin de l’arrêter, je ne peux conclure que les actions d’un agent de police en cause équivalaient à un recours excessif à la force.

Dans ces circonstances, où le plaignant avait été décrit par les TC nos 1 et 2 comme étant en état d’ébriété et comme devenant fou furieux, où il avait déjà agressé à plusieurs reprises les TC nos 1 et 2 et où il a été signalé qu’il aurait accès à des couteaux dans la maison, je ne peux reprocher à la police d’avoir tenté de maîtriser le plaignant et de s’assurer qu’il n’était pas armé le plus rapidement possible, afin de se protéger eux-mêmes, mais pour aussi pour protéger les membres du public, y compris les TC nos 1 et 2.

Pour en arriver à cette conclusion, je garde à l’esprit l’état du droit applicable tel qu’il a été énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Nasogaluak, [2010] 1 R.C.S. 206, qui dit ceci :

Les actes des policiers ne devraient pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Il ne faut pas oublier que ceux-ci accomplissent un travail exigeant et dangereux et qu’ils doivent souvent réagir rapidement à des situations urgentes. Leurs actes doivent alors être appréciés selon ce que commande ce contexte difficile. Comme le juge Anderson l’explique dans R. c. Bottrell (1981), 60 C.C.C. (2d) 211 (C.A.C.-B.) :

[traduction] Pour déterminer si la force employée par le policier était nécessaire, les jurés doivent tenir compte des circonstances dans lesquelles le policier y a eu recours. Il aurait fallu leur indiquer qu’on ne pouvait pas s’attendre à ce que l’appelant mesure la force appliquée avec précision. [p. 218]

De plus, j’ai pris en considération la décision rendue par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire R. c. Baxter (1975), 27 C.C.C. (2d) 96 (C. A. de l’Ont.), selon laquelle on ne peut pas s’attendre à ce que les policiers apprécient avec exactitude le degré de force qu’ils emploient dans leur intervention.

En conclusion, à la lumière de la preuve fiable qui m’a été présentée, je peux seulement affirmer avec certitude qu’à un moment donné le plaignant a été blessé, mais je ne peux conclure qu’il y a suffisamment d’éléments de preuve pour établir exactement comment, quand et par qui le plaignant a été blessé, et je ne dispose donc pas d’éléments de preuve fiables suffisants sur lesquels je peux me baser pour conclure, pour des motifs raisonnables, qu’une infraction de voies de fait a été commise par un agent de police en cause participant à l’appréhension et à l’arrestation du plaignant et je n’ai donc pas les motifs nécessaires pour porter des accusations criminelles, et aucune ne sera portée.

Date : 12 juillet 2018

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) [1] Il a donné au moins trois explications quant à la cause de la dispute : 1) le TC no 1 et le TC no 2 avaient refusé de rembourser les 20 000 $ qu’il leur avait prêtés : 2) ils ont refusé de retourner ses effets personnels et 3) la dispute a commencé quand le TC no 1 lui a dit de remonter son pantalon parce que ses fesses étaient visibles, ce qui correspondait en fait à l’explication fournie par les TC nos 1 et 2. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.