Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 17-OCI-335

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu une allégation d’agression sexuelle.

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Le présent rapport a trait à l’enquête de l’UES sur la blessure grave qu’un homme de 44 ans (le plaignant) a subie lors de son arrestation survenue le 16 novembre 2017.

L’enquête

Notification de l’UES

Vers 5 h 51 du matin, le 16 novembre 2017, le Service de police du Grand Sudbury (SPGS) a indiqué que ce même jour, à 2 h 39 du matin, le plaignant avait été impliqué dans une collision véhiculaire à la suite d’une brève poursuite par un véhicule de police. Le plaignant est alors sorti en courant de son véhicule et a été poursuivi à pied par l’AI. Le plaignant a été mis au sol dans le secteur du 1199, promenade Marcus, dans la ville de Sudbury. Le plaignant s’est plaint d’une douleur à l’épaule et a été transporté à l’hôpital, où on lui a diagnostiqué une fracture à la clavicule. Le plaignant a été traité pour sa blessure, puis a été retourné à la garde de la police.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 3

Nombre d’enquêteurs judiciaires de l’UES assignés : 0

Plaignant :

Homme de 44 ans; a participé à une entrevue; dossiers médicaux obtenus et examinés

Témoins civils (TC)

Aucun témoin civil n’a été trouvé ou ne s’est présenté pour faire une déposition.

Agents témoins (AT)

AT no 1 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

AT no 2 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

AT n° 3 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

AT no 4 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

Agents impliqués (AI)

AI no 1 A décliné l’entrevue et n’a pas consenti à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué

Preuve

Les lieux de l’incident

L’incident s’est produit dans le stationnement du magasin Lowe’s, dans la ville de Sudbury. Le sol était alors recouvert de neige.

Preuve criminalistique

Aucun élément n’a été soumis pour analyse au Centre des sciences judiciaires.

Preuve vidéo/audio/photographique

Vidéo de sécurité du magasin Lowe’s

Les séquences vidéo de deux caméras de sécurité extérieures ont été obtenues du magasin Lowe’s. L’enregistrement provenant de la caméra installée à l’arrière du magasin montre un petit VUS en train de reculer et une voiture de police qui le suit avec les feux d’urgence activés. Il semblait y avoir de deux à trois longueurs de voiture entre les deux véhicules. Les deux véhicules ont tourné à un angle du bâtiment et sont sortis du champ de la caméra.

Dans l’enregistrement provenant de la deuxième caméra, fixée à l’avant du magasin, on voit les deux véhicules rouler le long de la devanture du magasin puis sortir du champ de la caméra. La positon des deux véhicules et l’espace qui les sépare n’avaient pas changé. Une ambulance est arrivée dix minutes plus tard.

Les caméras de sécurité n’ont pas capté la collision du VUS avec une remise ni la poursuite subséquente à pied du plaignant et son arrestation.

Enregistrements de communications

Les enregistrements des communications radio de la police ont été obtenus et écoutés.

Éléments obtenus du service de police

L’UES a demandé au SPGS, puis obtenu et examiné les éléments et documents suivants :

  • rapport d’arrestation
  • vidéo enregistrée de la détention en cellule
  • enregistrement des communications radio de la police
  • rapport sur les détails de l’événement
  • rapport de circulation
  • listes des agents
  • photos du VUS au magasin Lowe’s (3)
  • photo du plaignant
  • rapport de circulation
  • notes et déclarations écrites des AT nos 1 à 4

L’UES a obtenu et a examiné les éléments et documents suivants provenant d’autres sources :

  • dossier médical du plaignant lié à cet incident
  • séquences vidéo des caméras de surveillance du magasin Lowe’s

Nature des blessures et traitement

Le plaignant a reçu un diagnostic de fracture en trois parties de la clavicule droite pour laquelle son épaule a été placée dans une élingue immobilisante. Également, une lacération au‐dessus du sourcil gauche a été observée et a été suturée.

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 25(1) du Code criminel – Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :

  1. soit à titre de particulier
  2. soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
  3. soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
  4. soit en raison de ses fonctions

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Description de l’incident

Le 16 novembre 2017, vers 2 h 40 du matin, l’AI et l’AT no 1, du Service de police du Grand Sudbury (SPGS), effectuaient une patrouille de routine à bord d’un véhicule de police identifié lorsqu’ils ont remarqué un véhicule à moteur qui était garé dans le stationnement du magasin Lowe’s, dans la ville de Sudbury. Les agents se sont approchés du véhicule et ont vu qu’un homme dormait à l’intérieur. Les agents de police ont braqué un faisceau de lumière sur l’intérieur de la voiture et ont pu réveiller l’homme endormi, le plaignant, qui, en se réveillant, semblait désorienté. Le plaignant a paniqué à la vue des agents, a mis son véhicule en marche arrière et s’est lentement éloigné du véhicule de police en reculant. Les agents ont suivi à faible vitesse à environ deux à trois longueurs de voiture derrière, avec leurs feux d’urgence activités. Pendant qu’il reculait, le plaignant ne voyait pas bien parce que la lunette arrière de son VUS était recouverte de neige, et il a reculé dans une remise qui était installée dans le stationnement du magasin Lowe’s. Le plaignant est alors sorti de son véhicule et s’est mis à courir.

Comme le plaignant venait de causer des dommages à la propriété du magasin Lowe’s, l’AI et l’AT no 1 l’ont poursuivi à pied. Le plaignant n’a pas écouté la commande de l’AI d’arrêter de courir et, selon divers éléments de preuve, soit a été plaqué de derrière par l’AI, soit a été agrippé par l’AI à sa veste, ce qui a fait tomber les deux hommes au sol, l’AI atterrissant sur le plaignant. Lorsque les deux hommes sont tombés, le torse du plaignant a heurté le sol, ce qui lui a causé une fracture à la clavicule[1].

Le plaignant a alors été redressé puis escorté jusqu’à l’autopatrouille. Le plaignant n’a pas été menotté en raison de sa blessure, mais il était assis sur le trottoir pendant que la police appelait une ambulance. D’autres agents de police et une ambulance sont ensuite arrivés et le plaignant a été transporté à l’hôpital, où on lui a diagnostiqué une clavicule fracturée.

Analyse et décision du directeur

La question à trancher est de savoir si l’AI a recouru à une force excessive lorsqu’il a, soit plaqué, soit agrippé le plaignant et qu’ils sont tous deux tombés sur le sol, l’AI atterrissant sur le plaignant, ce qui a causé la fracture de la clavicule et la lacération au front du plaignant. En vertu du paragraphe 25(1) du Code criminel, les agents de police sont à l’abri de la responsabilité criminelle lorsqu’ils emploient la force pour autant qu’ils le fassent dans l’exercice de leurs fonctions légitimes, et qu’ils n’aient employé que la force nécessaire à cette fin légitime. Dans ce dossier, je n’ai aucune hésitation à conclure que l’AI et l’AT no 1, en premier lieu, s’acquittaient de leurs fonctions légitimes lorsqu’ils ont enquêté sur les raisons de la présence d’un véhicule garé dans le stationnement du magasin Lowe’s pendant la nuit avec le plaignant qui dormait à l’intérieur, puis, ultérieurement, lorsqu’ils ont appréhendé le plaignant après que celui-ci eut causé des dommages aux remises d’entreposage qui étaient exposées dans le stationnement. Par conséquent, les actions de l’AI lorsqu’il a poursuivi le plaignant et qu’il l’a arrêté étaient légitimes, s’appuyant sur des motifs raisonnables, et conformes à ses fonctions.

Je n’ai aucune hésitation non plus à conclure que lorsque le plaignant est sorti de son véhicule en courant, après avoir causé des dommages à la propriété du magasin Lowe’s, il n’a pas laissé à l’AI beaucoup d’autres choix que celui de le suivre à pied et de l’empêcher de fuir. À mon avis, la mise au sol était une option raisonnable pour permettre à l’AI d’arrêter un suspect en fuite qui avait montré tous les signes d’une intention d’échapper à l’arrestation. Dans les circonstances, pour regrettables que soient les blessures du plaignant, je ne saurais conclure, à la lumière de ces faits, que l’AI a recouru à une force qui n’était pas raisonnablement nécessaire pour atteindre son objectif légitime.

J’en arrive à cette conclusion en gardant à l’esprit l’état du droit applicable tel que la Cour suprême du Canada l’a établi en ces termes dans l’arrêt R. c. Nasogaluak, [2010] 1 R.C.S. 206 :

Les actes des policiers ne devraient pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Il ne faut pas oublier que ceux‐ci accomplissent un travail exigeant et dangereux et qu’ils doivent souvent réagir rapidement à des situations urgentes. Leurs actes doivent alors être appréciés selon ce que commande ce contexte difficile. Comme le juge Anderson l’explique dans R. c. Bottrell(1981), 60 C.C.C. (2d) 211 (B.C.C.A.):

[traduction] Pour déterminer si la force employée par le policier était nécessaire, les jurés doivent tenir compte des circonstances dans lesquelles le policier y a eu recours. Il aurait fallu leur indiquer qu’on ne pouvait pas s’attendre à ce que l’appelant mesure la force appliquée avec précision. [p. 218]

De plus, j’ai pris en considération la décision rendue par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire R. c. Baxter (1975) 27 C.C.C. (2d) 96 (C. A. de l’Ont.), selon laquelle on ne peut pas s’attendre à ce que les policiers apprécient avec exactitude le degré de force qu’ils emploient dans leur intervention.

En conclusion, dans ce dossier, je conclus que la preuve ne me fournit pas les motifs nécessaires pour porter des accusations au criminel, et aucune accusation ne sera donc déposée.

Date : 8 août 2018

Original signé par

Joseph Martino
Directeur intérimaire
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) [1] Il a été suggéré que l’AI, une fois au sol avec le plaignant, a poussé la tête du plaignant dans le sol, faisant ainsi cogner le front du plaignant sur le sol et lui causant une lacération au-dessus du sourcil gauche. Toutefois, j’écarte ce scénario, compte tenu du poids de la preuve fiable. Par exemple, l’AT no 1, qui se trouvait à trois mètres environ de l’AI et du plaignant lorsqu’ils ont fait contact et sont tombés au sol, n’a pas indiqué qu’elle avait vu son partenaire pousser la tête du plaignant au sol ni qu’elle avait observé le moindre comportement répréhensible de la part de l’AI. Dans les circonstances, je crois qu’il est beaucoup plus probable que la coupure du plaignant ait été une blessure collatérale survenue lorsqu’il a été mis au sol par l’AI et non que cette lacération est le produit d’une poussée distincte et intentionnelle après la chute. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.