Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 17-TCI-324

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave (y compris une allégation d’agression sexuelle).

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, a priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur la blessure grave subie par un homme de 32 ans (le plaignant) lors de son arrestation le 7 novembre 2017.

L’enquête

Notification de l’UES

Vers 7 h 54, le 8 novembre 2017, le Service de police de Toronto (SPT) a informé l’UES de la blessure subie par le plaignant durant sa mise sous garde.

Le SPT a déclaré que le 7 novembre 2017, à 23 h, des agents de police de la brigade antidrogue du SPT ont arrêté trois personnes, dont le plaignant, pour trafic de cocaïne dans la région de Peel. Les trois personnes ont été amenées à une division du SPT.

Le plaignant s’est plaint d’une blessure et a été transporté à l’hôpital, où, selon le diagnostic posé, il avait une fracture au nez. Le SPT n’a pu confirmer la blessure auprès de l’hôpital.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 4

Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 1 

Plaignant :

Homme âgé de 32 ans; a participé à une entrevue et ses dossiers médicaux ont été obtenus et examinés

Témoins civils (TC)

TC no 1 A participé à une entrevue

TC no 2 A participé à une entrevue

TC no 3 A participé à une entrevue

TC no 4 A participé à une entrevue

Agents témoins (AT)

AT no 1 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées

AT no 2 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées

AT no 3 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées

AT no 4 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées

AT no 5 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées

AT no 6 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées

AT no 7 ses notes ont été examinées; une entrevue n’a pas été jugée nécessaire

AT no 8 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées

AT no 9 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées

AT n° 10 ses notes ont été examinées; une entrevue n’a pas été jugée nécessaire

Agents impliqués (AI)

AI A participé à une entrevue; notes reçues et examinées

Description de l’incident

Le 19 juin 2017, la brigade antidrogue du SPT a ouvert une enquête sur le trafic de drogue visant le témoin civil (TC) no 1. Un agent d’infiltration a communiqué avec le TC no 1, qui a accepté de vendre une quantité d’Alprazolam (Xanax) en échange de 85 $. Ils ont convenu de se rencontrer au 748, Queensway, dans la ville de Toronto, afin de conclure le marché. À la fin de l’échange, le TC no 1 n’a pas été arrêté.

Le 11 septembre 2017, toujours dans le cadre de l’enquête de la brigade antidrogue, le TC no 1 a de nouveau vendu une quantité de cocaïne à un policier d’infiltration, mais n’a pas été arrêté.

Le 7 novembre 2017, un agent d’infiltration a recontacté le TC no 1, qui a accepté de vendre à l’agent de police une quantité de cocaïne en échange de 270 $. Ils ont décidé de se rencontrer dans le secteur du centre commercial Square One à Mississauga.

Vers 23 h, le plaignant et le TC no 1 se sont rendus à l’endroit convenu, où l’agent d’infiltration les a rencontrés. Durant l’opération, les agents de la brigade antidrogue ont arrêté le plaignant et le TC no 1. Durant l’arrestation, le plaignant a été blessé.

Nature des blessures/traitement

Le 8 novembre 2017, le plaignant a reçu un diagnostic qui précisait ceci : [traduction] « Fracture comminutive de l’os nasal légèrement déplacée vers la gauche. Il n’y a pas d’autres fractures au visage. »

Le plaignant n’a reçu aucun traitement et, à 6 h 15, il a obtenu son congé de l’hôpital, après qu’on lui a recommandé de fixer un rendez-vous de suivi avec la clinique de chirurgie plastique.

Preuve

Les lieux

L’incident est survenu dans le parc de stationnement P2, près du côté nord du magasin La baie d’Hudson, au centre commercial Square One à Mississauga. Sur place, il y avait un Chevrolet Equinox avec une petite bosse dans la portière du conducteur. Sous la portière du conducteur de la Chevrolet, sur la surface du stationnement, il y avait des taches de sang formant une mare, ainsi que des bijoux et effets personnels. De plus, il y avait ce qui semblait être des taches de sang sur la surface de circulation du stationnement.

Les lieux

Les lieux

Les lieux

Éléments de preuve médicolégaux

Aucun élément n’a été envoyé pour analyse au Centre des sciences judiciaires.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou photographiques

Résumé de l’enregistrement vidéo de la TVCF

Les images des mouvements des personnes impliquées dans le stationnement étaient floues et impossibles à distinguer; en bref, les séquences n’avaient aucune valeur probante.

Résumé de la vidéo de l’aire de mise en détention

Le 8 novembre 2017, l’agent témoin (AT) no 10 et l’AT no 7 ont procédé à la mise en détention du plaignant, qui leur a été présenté par les AT nos 8 et 9. L’AT no 10 a informé le plaignant qu’il était filmé pendant qu’il se trouvait dans l’établissement de la police. L’AT no 8 a donné le nom du plaignant et a dit qu’il avait été arrêté pour trafic de cocaïne. Lorsqu’on lui a demandé s’il était blessé, le plaignant a dit à l’AT no 10 qu’il avait [traduction] « un genou abîmé et, bien entendu, un nez fracturé ». Le plaignant a dit que ces blessures s’étaient produites cette nuit-là. Le plaignant avait déjà été transporté à l’hôpital.

Résumé du transport au tribunal

Le 8 novembre 2017, le plaignant a été amené dans une salle de mise en détention. On l’a informé qu’il serait transporté au palais de justice. Il n’a pas été question des blessures du plaignant. Il a été escorté hors de la salle de mise en détention et placé dans le fourgon cellulaire.

Enregistrements de communications

Résumé des enregistrements de communications

L’AT no 9 a informé le répartiteur que lui et son collègue aideraient la brigade antidrogue en transportant un homme de 23 ans et un homme de 32 ans à la division du SPT. L’AT no 8 a déclaré qu’ils transportaient un homme de 32 ans de l’hôpital à la Division.

Résumé des données du système intégré de répartition assistée par ordinateur (SRO/I)

Endroit : Rue Hurontario, à l’autoroute 401 Ouest. La voiture de patrouille des AT nos 8 et 9 a transporté un homme de 23 ans et un homme de 32 ans à une division du SPT.

Cette même voiture de patrouille a alors transporté deux hommes, âgés de 23 et 32 ans, de la Division du SPT à l’hôpital. Par la suite, elle avait à son bord un homme de 32 ans qu’elle transportait vers la Division du SPT depuis l’hôpital.

Résumé de la présence de la police régionale de Peel

Le TC no 3 a déclaré ceci : [traduction] « Près d’Earls. Une sorte de trouble, on ignore quoi. Je pense que c’est lié à une bande. Une Dodge Caravan est impliquée. La TC no 3 s’est enfuie en courant parce qu’elle avait peur. »

Quatre voitures de patrouille du PRP avec six agents de police non désignés à leur bord ont été envoyées et sont arrivées au centre commercial Square One. Un homme était couché sur le sol, et un autre l’y maintenait avec son pied. Quatre véhicules étaient toujours présents. Une unité du PRP a indiqué que la brigade antidrogue du SPT avait procédé à des arrestations et que l’agent responsable était l’AT no 4.

Éléments obtenus auprès du service de police

Sur demande, l’UES a obtenu et examiné les éléments suivants du SPT :

  • Rapport sur la chronologie des événements
  • Rapports détaillés de l’événement (x2)
  • Rapport général d’incident
  • Notes des AT nos 1-10 et d’un agent de police non désigné
  • Procédure : Arrestation
  • Procédure : Annexe A
  • Procédure : Annexe B
  • Procédure : Recours à la force
  • Résumé de la conversation (RAO/I)
  • Enregistrement des communications de la police
  • Vidéo de la mise en détention
  • Vidéo de la sortie du suspect de la salle de mise en détention
  • Rapport de surveillance de la brigade antidrogue de Toronto[1]
  • Dossier de formation de l’AI

L’UES a obtenu et examiné les éléments suivants provenant d’autres sources :

  • Dossiers médicaux du plaignant se rapportant à cet incident
  • Images de la télévision en circuit fermé du centre commercial Square One

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 25(1) du Code criminel – Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :

  1. soit à titre de particulier
  2. soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
  3. soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
  4. soit en raison de ses fonctions

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Paragraphe 4(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances – Possession de substances

4 (1) Sauf dans les cas autorisés aux termes des règlements, la possession de toute substance inscrite aux annexes I, II ou III est interdite.

Paragraphe 5(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances – Trafic de substances

5 (1) Il est interdit de faire le trafic de toute substance inscrite aux annexes I, II, III, IV ou V ou de toute substance présentée ou tenue pour telle par le trafiquant.

Paragraphe 5(2) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances – Possession en vue du trafic

(2) Il est interdit d’avoir en sa possession, en vue d’en faire le trafic, toute substance inscrite aux annexes I, II, III ou IV.

Analyse et décision du directeur

Le 7 novembre 2017, un agent d’infiltration de la brigade antidrogue du Service de police de Toronto (SPT) avait pris un arrangement en vue d’acheter de la drogue d’un présumé trafiquant de drogue, le témoin civil (TC) no 1. Deux achats par un agent d’infiltration avaient déjà été effectués auprès du TC no 1, et l’intention de la brigade antidrogue était d’arrêter le TC no 1 après ce troisième achat.

L’endroit convenu pour l’achat de la drogue était le centre commercial Square One à Mississauga. L’agent d’infiltration s’est rendu à l’endroit convenu et, une fois l’achat terminé, a donné un signal à cet effet, donnant aussi le feu vert aux autres agents pour qu’ils interviennent et procèdent à l’arrestation du TC no 1. Au cours de la surveillance, on a constaté que deux autres hommes étaient présents durant l’achat de la drogue : le TC no 2, qui semblait être la personne de qui le TC no 1 avait acheté les stupéfiants qu’il avait ensuite vendus à l’agent d’infiltration, et le plaignant, qui conduisait le véhicule automobile dans lequel le TC no 1 était arrivé.

Une fois que le signal a été donné que l’achat était terminé, les agents de la brigade antidrogue sont intervenus et ont arrêté les trois hommes. Durant son arrestation, le plaignant a été blessé. Il a ensuite été transporté à l’hôpital, où l’on a découvert qu’il avait [traduction] « subi une fracture comminutive à l’os nasal légèrement déplacée vers la gauche ». Le nez du plaignant devait guérir tout seul sans intervention médicale.

Les enquêteurs se sont entretenus avec quatre témoins civils (TC) qui étaient présents durant l’interaction avec la police, y compris avec le plaignant. Parmi ces quatre personnes, une seule était complètement indépendante en ce sens qu’elle n’avait aucun lien avec les autres témoins, mais elle n’était pas en mesure de préciser ce qui s’était produit exactement et son témoignage n’a pas aidé les enquêteurs. Les trois autres témoins ont tous participé dans une certaine mesure à la transaction liée à la drogue et se sont contredits sur divers aspects importants.

En plus des TC, huit policiers témoins et l’agent impliqué (AI) ont fourni des déclarations. Là aussi, seulement quelques-uns de ces témoins avaient effectivement vu l’arrestation du plaignant ou y avaient participé; ceux qui l’avaient observé étaient l’AI et l’AT no 1 et, dans une moindre mesure, l’AT no 3. Même si les autres se trouvaient dans le secteur, soit ils s’occupaient d’autres personnes, soit leur vue avait été bloquée par les VUS qui se trouvaient entre eux et le lieu de l’arrestation du plaignant.

Le dernier témoin interrogé, qui était le médecin qui avait examiné le plaignant, a expliqué que la blessure subie par le plaignant [traduction] « se produit très facilement » et qu’il n’est pas nécessaire de frapper quelqu’un avec un poing fermé pour la causer, mais qu’elle peut aussi résulter d’un coup porté avec la main ouverte.

Les dossiers médicaux du plaignant révèlent qu’il a informé le médecin qu’il avait [traduction] « reçu des coups de poing », sans autre précision. Plus loin dans les notes dactylographiées, le médecin a indiqué ce qui suit :

[traduction]

Patient amené par la police avec les mains menottées.

Aux dires du patient, les agents de police lui ont donné des coups de poing au visage au cours d’une altercation avec eux.

Il n’est pas contesté, compte tenu de l’ensemble de la preuve, que le plaignant a reçu des coups de poing au visage d’un agent de police à un moment donné, et la seule question qu’il reste à trancher est le nombre de ces coups et si cela équivalait à un recours excessif à de la force dans les circonstances.

Selon le plaignant, il avait conduit le TC no 1 au centre commercial Square One pour qu’il y vende de la drogue et s’était garé dans le stationnement, lorsque des hommes avec des pistolets étaient venus vers lui pendant qu’il était assis dans son véhicule automobile, une Equinox. Le plaignant a indiqué que les vitres de son véhicule étaient partiellement baissées et qu’un homme, l’AI, s’est approché du côté du conducteur avec son pistolet à la main et l’a pointé sur lui. Un autre homme, l’AT no 3, s’est approché du côté passager. Cet élément de preuve est cohérent entre le plaignant et l’AI et l’AT no 3.

Le plaignant a indiqué qu’après avoir pensé pendant une dizaine de secondes que l’homme à la vitre était juste une « personne quelconque », cet homme lui a dit qu’il était un agent de police et lui a ordonné de lever ses mains ou de les placer sur le volant et de sortir de la voiture. Le plaignant a dit qu’il était certain qu’il avait paniqué au début lorsqu’il avait reçu l’ordre de lever les mains et qu’il avait donc tardé à le faire. Il a indiqué que c’était [traduction] « à ce moment-là, que les coups de poing avaient commencé » et il a estimé qu’il avait été frappé par l’AI environ cinq ou six fois à la tête et à la poitrine, par la vitre ouverte.

D’après l’AI, une fois que l’AT no 4 avait donné l’ordre d’intervenir pour arrêter les trois hommes, il a couru à la portière du conducteur de l’Equinox et a procédé à une arrestation en pointant une arme à feu. L’AI a décrit le secteur comme étant sombre, mais avec un éclairage artificiel abondant, et a indiqué que la vitre du conducteur de l’Equinox était baissée, le plaignant étant assis dans le siège du conducteur et le moteur étant en marche.

L’AI, qui est droitier, tenait son arme à feu dans la main gauche et la pointait vers le véhicule. Il a dit au plaignant qu’il était en état d’arrestation et il s’est clairement identifié comme agent de police et a ordonné au plaignant de mettre les mains sur le volant. L’AI a indiqué que le plaignant avait obtempéré et qu’il n’avait aucun doute que le plaignant savait qu’il était un agent de police.

L’AI a alors passé la main droite par l’ouverture de la vitre du conducteur et s’en est servie pour saisir le poignet gauche du plaignant; le plaignant n’a pas résisté et l’AI a rengainé son arme à feu. L’AT no 3 a alors ouvert la portière du passager de l’Equinox et a dit au plaignant de couper le moteur.

L’AI a passé la main par l’ouverture de la vitre et a tenté d’ouvrir la portière du conducteur, mais n’a pas réussi à le faire. L’AI et l’AT no 3 ont continué de demander au plaignant d’éteindre le moteur.

Le plaignant a alors retiré son poignet et a mis la main droite à l’intérieur de sa veste. L’AI a crié au plaignant d’arrêter et, lorsqu’il n’a pas obtempéré, l’AI, qui croyait que le plaignant essayait de saisir une arme, a frappé le plaignant au visage avec un poing fermé.

L’AI a indiqué qu’il est bien connu que les drogues et les armes vont de pair et que, lorsque le plaignant a glissé la main dans sa veste, l’AI pensait qu’il voulait en sortir une arme et il a frappé le plaignant pour le distraire et l’empêcher de le faire. L’AI a déclaré qu’il n’avait pas frappé le plaignant de toutes ses forces.

L’AI s’était alors dépêché à tenter d’ouvrir la portière, tandis que le plaignant lui avait saisi le bras d’une main, tout en glissant l’autre main dans la même poche intérieure de sa veste, et l’AI avait décidé de la frapper de nouveau à la tête/au visage. À ce moment-là, l’AT no 1 était arrivé à la portière du conducteur et avait prêté main-forte à l’AI, et la portière avait été ouverte et le plaignant avait été retiré du siège du conducteur.

L’AT no 3 a confirmé qu’il avait été brièvement à la vitre du passager de l’Equinox quand l’AI avait ordonné au plaignant d’éteindre le moteur. Il a indiqué que lorsqu’il lui a semblé que le plaignant obéissait, il a quitté la vitre et n’a observé aucune lutte ni aucun coup entre le plaignant et l’AI.

L’AT no 1 a déclaré qu’il avait vu l’AI à moitié à l’intérieur de l’ouverture de la vitre du conducteur, se battant avec le conducteur, et qu’il avait entendu quelqu’un crier [traduction] « Police de Toronto », mais qu’il ne savait pas qui c’était. L’AT no 1 a alors couru pour prêter secours à l’AI, s’identifiant comme agent de police. L’AT no 1 a déclaré qu’il craignait que le plaignant tente de quitter avec le véhicule pendant que l’AI était coincé dans l’ouverture de la vitre. L’AT no 1 a vu le plaignant tenir le bras de l’AI pendant que l’AI essayait d’ouvrir la portière du conducteur avec sa main libre.

L’AT no 1 avait alors réussi à ouvrir légèrement la portière du conducteur, après quoi le plaignant avait éloigné son corps plus loin dans le véhicule et avait placé ses bras sous la poitrine, donnant l’impression à l’AT no 1 qu’il essayait peut-être de saisir une arme dans sa veste ou dans la console centrale. L’AI et l’AT no 1 avaient continué de crier au plaignant de cesser de résister, tout en s’identifiant comme des agents de police. L’AT no 1 avait alors réussi à rapprocher le plaignant de la portière du conducteur en tirant sur lui et, finalement, à le sortir du véhicule.

Le plaignant a déclaré qu’une fois que l’agent de police avait ouvert la portière, il avait reçu au moins cinq à dix autres coups. Il a indiqué que la main qui le rouait de coups ne tenait aucune arme. Le plaignant a alors été saisi par la veste et jeté au sol, sur le ventre, où il a été frappé à l’arrière de la tête. Le plaignant n’a pas été en mesure de dire si l’agent de police lui avait assené un coup de pied, un coup de genou ou un coup de coude, mais a seulement dit qu’il n’avait pas résisté du tout. Il a ensuite été menotté les mains dans le dos. Le plaignant a indiqué que le seul agent de police qui avait usé de force contre lui était l’AI.

Le TC no 1 a indiqué qu’il n’avait vu personne frapper le plaignant, car il était lui-même sur le sol, mais qu’il avait entendu quelqu’un dire [traduction] « Arrêtez de résister » et le plaignant répondre qu’il ne résistait pas. Le TC no 1 a indiqué que l’un des trois policiers qui étaient venus vers lui avait aussi donné deux coups de poing à la tête, au-dessus de son sourcil gauche et à sa bouche, brisant sa dent.

Le TC no 2 a expliqué que l’AT no 4 s’était approché du côté du véhicule du plaignant et avait pointé son arme sur lui (le TC no 2); puis, il avait appuyé l’arme contre sa tête et l’avait forcé au sol. Pendant qu’il était par terre, le TC no 2 faisait face au véhicule du plaignant et il avait vu le plaignant tenter de sortir de la voiture et les agents de police lui dire de se coucher sur le sol.

Il avait aussi vu l’AT no 1 saisir le plaignant et essayer de le sortir de la voiture, après quoi il avait vu le plaignant au sol, sur le ventre et incapable de résister, pendant que les agents de police le battaient.

Le TC no 2 a prétendu que les agents frappaient le plaignant à la tête et lui donnaient des coups de pied, mais il ne pouvait pas voir qui étaient les agents de police parce qu’il faisait sombre et parce qu’il était lui-même sur le sol.

Le TC no 2 a vu deux agents de police frapper à nouveau le plaignant, tout en le tenant au sol, et puis lui passer les menottes. Le TC no 2 a indiqué que le plaignant était tombé sur le côté et qu’il semblait être inconscient ou mort, car il ne bougeait pas.

Le TC no 2 a également constaté que les mains de l’AT no 1 étaient couvertes de sang et, alors qu’il essuyait le sang de ses mains, il avait entendu l’AT no 4 lui dire de ne pas oublier de nettoyer son pistolet, ce que le TC no 2 avait interprété comme voulant dire que l’AT no 1 avait frappé le plaignant avec le bout de son pistolet.

L’AI a déclaré qu’une fois qu’ils avaient tiré le plaignant hors du véhicule, ils avaient continué de lui dire qu’il était en état d’arrestation et de se coucher sur le sol, alors qu’il résistait physiquement. L’AI a déclaré que lui et l’AT no 1 avaient fini par mettre le plaignant au sol, sur le ventre, où il avait continué de résister et avait gardé les deux mains serrées sous la poitrine, refusant d’être menotté. Lorsque le plaignant a déplacé ses mains près de sa poche, l’AI craignait de nouveau qu’il essaye de prendre une arme et il a frappé le plaignant trois ou quatre fois à la tête ou au corps, afin de l’empêcher de glisser la main dans la poche de sa veste et de peut-être saisir une arme. Le plaignant a alors été menotté et a cessé de se battre.

L’AT no 1 a déclaré que quand le plaignant avait atterri sur le sol, lui et l’AI étaient tombés avec lui. Le plaignant avait continué de se débattre violemment une fois au sol et avait gardé ses mains sous la poitrine, ce qui avait alarmé l’AT no 1. L’AT no 1 avait alors frappé le plaignant aux fesses et aux jambes en utilisant ses poings et ses genoux, dans l’espoir de contrôler le bas du corps du plaignant, tandis que l’AI tentait de maîtriser le haut de son corps. L’AT no 1 a déclaré qu’à un moment donné, le plaignant avait levé son corps du sol, soulevant les deux agents avec lui. L’AT no 1 avait alors saisi un bras et l’AI avait saisi l’autre bras, et ils avaient pu menotter les mains du plaignant ensemble.

En vertu du par. 25 (1) du Code criminel, les agents de police sont à l’abri de poursuites s’ils agissent conformément à leurs fonctions légitimes et s’ils n’utilisent que la force nécessaire et justifiée.

Me penchant d’abord sur la légalité de l’appréhension du plaignant, il est clair qu’il était impliqué dans une transaction de drogue, en ce sens qu’il conduisait la personne qui l’effectuerait et qu’à ce titre, il pouvait être appréhendé, ce qui signifie que l’arrestation du plaignant était légale et justifiée dans les circonstances.

Me tournant ensuite vers la force utilisée par les agents pour arrêter le plaignant, compte tenu de l’ensemble de la preuve, malgré la confusion entourant l’identité des personnes ayant posé les différents gestes, il ne semble pas qu’il y ait beaucoup de désaccord sur ce qui s’est produit. D’après l’AI, il a frappé le plaignant à la tête/au visage deux fois pendant qu’il était encore assis dans la voiture et cinq ou six autres fois lorsqu’il était au sol, ce qui donne un total de sept ou huit coups à la tête/au visage.

Le plaignant a indiqué que l’AI l’avait frappé à la tête ou à la poitrine cinq ou six fois pendant qu’il était encore dans la voiture et qu’après l’ouverture de la portière, il lui avait donné au moins cinq à dix autres coups de poing et qu’après cela il avait été tiré sur le sol, où il avait reçu un coup à l’arrière de la tête, ce qui donnait au total dix à seize coups. Selon lui, aucun agent hormis l’AI n’a usé de force contre lui. Je note que quel que soit le nombre de coups qui ont réellement été portés au plaignant, ils n’ont pas causé de lésions corporelles importantes[2]. Outre la fracture au nez dont le médecin traitant a dit qu’elle aurait pu se produire très facilement (même avec une main ouverte), la seule autre « blessure » constatée était un hématome sous-cutané s’étendant à la paupière inférieure droite du plaignant[3].

Par contre, l’AT no 1 a admis volontiers qu’il avait frappé le plaignant plusieurs fois aux jambes et aux fesses lorsqu’il était sur le sol et refusait de présenter ses mains.

Le témoignage du TC no 2 quant à l’éventuel coup porté à la tête par l’AT no 1 avec le bout de son arme à feu est contredit par le plaignant et par l’AI, et je ne crois pas que cet élément de preuve ne soit autre chose qu’une simple conjecture.

Cependant, l’affirmation du TC no 1 qu’il se souvenait avoir entendu les agents de police dire au plaignant de cesser de résister et le plaignant répondre qu’il ne résistait pas semble être corroborée dans une certaine mesure par les témoignages du plaignant et du TC no 2.

Après avoir analysé la preuve, j’accepte, en tant que fait, que les armes, en particulier les armes à feu, et les drogues vont de pair et que chaque agent de police bien informé s’inquiéterait sérieusement de la possible présence d’armes lorsqu’il a affaire à un trafiquant de drogue.

Je retiens également du commentaire du plaignant, selon lequel il aurait paniqué pendant qu’il était dans la voiture et qu’il n’avait pas réagi assez rapidement lorsque la police lui avait ordonné de sortir du véhicule, que la police craignait légitimement qu’il refuse d’obéir à leurs ordres et qu’il tentait peut-être de saisir une arme.

Je conclus donc qu’il était raisonnable, dans ces circonstances, que l’AI, lorsqu’il a vu le plaignant glisser sa main à l’intérieur de sa veste, prenne toutes les mesures nécessaires pour mettre le plaignant hors d’état de nuire et lui donne deux coups à la tête ou au visage. De toute évidence, l’AI ne pouvait s’exposer lui-même ni ses collègues au risque énorme que poserait le plaignant s’il parvenait à saisir une arme, ou même s’il était en mesure de déplacer le véhicule automobile, dans lequel il restait assis et qu’il pouvait faire redémarrer et utiliser éventuellement comme une arme contre les agents.

Bien que le plaignant ait estimé qu’il avait reçu des coups de poing pendant que la portière de la voiture était encore fermée, dont le nombre s’élevait à environ cinq ou six selon ses dires, dans cette situation qui évoluait rapidement où l’objectif ultime était de sortir le plaignant de la voiture, de le mettre au sol et de le menotter, je conclus qu’il est peu probable que l’AI lui ait donné autant de coups. Toutefois, même s’il l’avait fait, alors que le plaignant continuait de refuser de sortir du véhicule et de présenter ses mains, je ne peux conclure qu’il s’agissait d’un recours excessif à de la force dans ces circonstances.

En ce qui concerne l’allégation du plaignant selon laquelle, une fois la portière ouverte, il avait reçu cinq à dix autres coups de poing, ce qui semble être une fourchette très large, je conclus que cela ne concorde pas avec les témoignages de l’AI et de l’AT no 1 (ni avec celui du TC no 2), car chacun d’eux a indiqué que dès l’ouverture de la portière, les agents avaient immédiatement tiré le plaignant hors de la voiture et sur le sol.

Je conclus toutefois qu’il y a une certaine concordance entre le témoignage du plaignant et celui de l’AI, à savoir que l’AI a bel et bien donné au plaignant un certain nombre de coups de poing, qu’il a estimé à environ cinq ou six, une fois que le plaignant était au sol et refusait toujours de lui présenter ses mains, ce qui lui avait fait craindre une fois de plus qu’il tentait de saisir une arme dissimulée. J’estime que cette preuve concorde aussi avec celle de l’AT no 1, qui a indiqué qu’il était également alarmé, pour la même raison, et qu’il a donc donné un certain nombre de coups au bas du corps du plaignant pour le forcer à obtempérer et à présenter ses mains.

Encore une fois, dans ces circonstances, surtout lorsqu’aucun autre coup n’a été porté après que le plaignant avait présenté ses mains et avait été menotté, je ne crois pas que ces coups équivalaient à un usage excessif de la force, mais plutôt que la force a progressé et correspondait à la résistance du plaignant et était nécessaire pour éliminer la menace qu’il continuait de poser jusqu’à ce qu’il soit menotté.

Par conséquent, bien que je conclue que le plaignant a subi la fracture à l’os nasal lorsqu’il résistait et avait dû être retiré de force de son véhicule automobile, puis maîtrisé et menotté avec force pour l’empêcher d’avoir accès à une arme éventuelle, je ne peux conclure qu’il s’agissait d’un recours excessif à de la force. Pour en arriver à cette conclusion, je garde à l’esprit l’état du droit énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Nasogaluak [2010] 1 R.C.S. 206, qui dit ceci :

Les actes des policiers ne devraient pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Il ne faut pas oublier que ceux-ci accomplissent un travail exigeant et dangereux et qu’ils doivent souvent réagir rapidement à des situations urgentes. Leurs actes doivent alors être appréciés selon ce que commande ce contexte difficile. Comme le juge Anderson l’explique dans R. c. Bottrell (1981), 60 C.C.C. (2d) 211 (C. A. C.-B.)

[traduction] Pour déterminer si la force employée par le policier était nécessaire, les jurés doivent tenir compte des circonstances dans lesquelles le policier y a eu recours. Il aurait fallu leur indiquer qu’on ne pouvait pas s’attendre à ce que l’appelant mesure la force appliquée avec précision. [p. 218]

De plus, j’ai pris en considération la décision rendue par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire R. c. Baxter (1975), 27 C.C.C. (2d) 96 (C. A. de l’Ont.), selon laquelle on ne peut pas s’attendre à ce que les policiers apprécient avec exactitude le degré de force qu’ils emploient dans leur intervention. Dans ce dossier, il est clair que la force utilisée par l’AI et les autres agents participant aux efforts visant à tirer le plaignant hors de son VUS était dans les limites de ce qui était raisonnablement nécessaire dans les circonstances pour procéder à sa mise sous garde légale et pour éliminer le risque qu’il continuait de poser tant qu’il était en mesure de saisir une arme éventuelle.

En conclusion, je rends que la preuve n’est pas suffisante pour me convaincre qu’il existe des motifs raisonnables de croire que l’AI ou n’importe quel autre agent de police participant à l’arrestation du plaignant a eu recours à un usage excessif de la force dans ces circonstances, et je n’ai donc aucun motif de porter des accusations criminelles, et aucune ne sera portée.

Date : 2 octobre 2018

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) [1] Le rapport n’a été obtenu que le 17 janvier 2018. [Retour au texte]
  • 2) [2] Les blessures notées dans le dossier médical étaient une fracture nasale comminutive et un hématome sous-cutané à la joue droite. La fracture nasale était très légèrement déplacée vers la gauche, ce qui signifie qu’il est moins probable qu’elle ait été causée par un coup venant de la gauche vers la droite (c’est-à-dire frappant d’abord le côté droit du visage du plaignant et se dirigeant vers le côté gauche du visage) lorsque le plaignant était assis dans la voiture, car le côté gauche de son visage aurait été plus exposé à un poing qui passait par l’ouverture de la vitre du côté du conducteur. [Retour au texte]
  • 3) [3] Toutefois, lors de mon examen des photographies du plaignant prises après l’incident, j’ai également remarqué deux yeux au beurre noir qui n’étaient pas consignés dans les dossiers médicaux et qui, je présume, auraient résulté également du mécanisme ayant causé la blessure au nez. Bien qu’il y ait eu une quantité considérable de sang sur les lieux et sur la chemise du plaignant (ce qui pourrait faire croire que les blessures étaient très importantes), elle semble provenir d’un nez en sang, puisque le plaignant n’a subi aucune autre entaille ou blessure qui aurait pu causer une importante perte de sang. Dans ce cas-ci, l’hématome sous-cutané, même s’il avait été causé par du saignement, n’aurait pas été la source du sang externe sur les lieux, car l’hématome était contenu dans la joue droite du plaignant plutôt que de saigner du côté extérieur. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.