Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 23-TCI-277

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’exécution de la loi qui enquête sur les incidents mettant en cause un agent et impliquant un décès, une blessure grave, la décharge d’une arme à feu contre une personne ou une allégation d’agression sexuelle. Selon la définition de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales (Loi sur l’UES), « agents » s’entend des agents de police, des agents spéciaux employés par la Commission des parcs du Niagara et des agents de la paix en vertu de la Loi sur l’Assemblée législative. La compétence de l’UES s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux en Ontario.

En vertu de la Loi sur l’UES, le directeur de l’UES doit établir, d’après les preuves recueillies dans le cadre d’une enquête, s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un agent a commis une infraction criminelle. Si de tels motifs existent, le directeur a le pouvoir de faire porter une accusation criminelle contre cet agent. Par contre, en l’absence de tels motifs, le directeur ne peut pas porter d’accusation. Dans ce cas, un rapport d’enquête est rédigé et rendu public, sauf s’il portait sur des allégations d’agression sexuelle, auquel cas le directeur de l’UES peut consulter la personne concernée et exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas publier le rapport pour protéger la vie privée de la personne concernée.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales

En vertu de l’article 34, certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment :
  • le nom d’un agent impliqué, d’un agent témoin, d’un témoin civil ou d’une personne concernée, ainsi que tout renseignement permettant d’identifier ces personnes; 
  • des renseignements qui pourraient amener à ce que l’identité d’une personne ayant signalé avoir été agressée sexuellement soit révélée dans le contexte de l’agression sexuelle; 
  • des renseignements qui, de l’avis du directeur de l’UES, peuvent présenter un risque de préjudice grave pour une personne; 
  • des renseignements qui divulguent des techniques ou méthodes d’enquête; 
  • des renseignements dont la diffusion est interdite ou restreinte par la loi; 
  • des renseignements pour lesquels la protection de la vie privée d’une personne obtenue grâce à leur non-publication l’emporte clairement sur l’intérêt public de les publier.

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée

En vertu de l’article 14 (article relatif à l’exécution de la loi), certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment : 
  • des renseignements qui révèlent des techniques ou méthodes d’enquête confidentielles utilisées par des organismes chargés de l’exécution de la loi; 
  • des renseignements dont on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 
En vertu de l’article 21 (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment : 
  • les noms de personnes, y compris des témoins civils et des agents impliqués et témoins; 
  • des renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête. 

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé

En vertu de cette loi, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’exécution de la loi.

Exercice du mandat

En vertu de l’article 15 de la Loi sur l’UES, l’UES peut enquêter sur la conduite d’agents (agents de police, agents spéciaux de la Commission des parcs du Niagara ou agents de la paix en vertu de Loi sur l’Assemblée législative) qui pourrait avoir entraîné un décès, des blessures graves, une agression sexuelle ou la décharge d’une arme à feu contre une personne.

Une personne subit une « blessure grave » qui relève de la compétence de l’UES si, selon le cas : elle subit une blessure pour laquelle elle est admise à l’hôpital, elle souffre d’une fracture du crâne, d’un membre, d’une côte ou d’une vertèbre, elle souffre de brûlures sur une grande partie du corps, ou elle subit une perte de la vision ou de l’ouïe par suite d’une blessure.

De plus, une « blessure grave » désigne toute autre blessure subie par une personne susceptible d’avoir des répercussions sur la santé ou le confort de cette personne et qui n’est pas de nature passagère ou bénigne.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur la blessure grave subie par un adolescent de 15 ans (le « plaignant »).

L’enquête

Notification de l’UES [1]

Le 20 juillet 2023, vers 2 h 27 du matin, le Service de police de Toronto (SPT) a communiqué à l’UES les renseignements suivants.
Le 19 juillet 2023, vers 20 h 57, plusieurs jeunes qui résidaient dans un immeuble d’appartements du secteur de la rue Jane et de l’avenue Finch Ouest buvaient dans la cage d’escalier. Un résident a demandé aux jeunes de faire moins de bruit, ce qui a incité l’un d’eux [connu plus tard comme étant le plaignant] à aller dans son appartement récupérer une machette. Le plaignant semble alors s’être rendu par erreur à l’appartement d’un autre résident, où il a commencé à frapper la porte avec la machette. La police a été contactée à 20 h 58 et est intervenue. Une arrestation a été effectuée à 21 h 06 et une lutte s’est ensuivie. Des techniques à main nue ont été utilisées pour maîtriser le plaignant, qui a été blessé au visage. Le plaignant a été conduit à l’Hôpital régional Humber River, où on lui a diagnostiqué une fracture de la mâchoire et où il a été admis en attente d’une intervention chirurgicale.

L’équipe

Date et heure de l’envoi de l’équipe : 20 juillet 2023 à 7 h 58

Date et heure de l’intervention de l’UES : 20 juillet 2023 à 8 h 00

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 3
Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 0

Personne concernée (le « plaignant ») :

Adolescent de 15 ans; a participé à une entrevue et ses dossiers médicaux ont été obtenus et examinés

Le plaignant a participé à une entrevue le 24 juillet 2023.


Témoins civils (TC)

TC no 1 A participé à une entrevue
TC no 2 A participé à une entrevue

Les témoins civils ont participé à une entrevue le 14 septembre 2023.
 

Agents impliqués (AI)

AI N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue, comme la loi l’y autorisait en tant qu’agent impliqué; ses notes ont été reçues et examinées


Agents témoins (AT)

AT no 1 A participé à une entrevue
AT no 2 A participé à une entrevue
AT no 3 A participé à une entrevue
AT no 4 A participé à une entrevue

Les agents témoins ont participé à une entrevue le 26 juillet et le 24 août 2023.


Éléments de preuve

Les lieux

Les événements en question se sont déroulés dans le corridor à l’extérieur d’un appartement d’un immeuble d’habitation situé dans le secteur de la rue Jane et de l’avenue Finch Ouest, à Toronto.

Le corridor avait une largeur d’environ 1,2 mètre et une longueur d’environ 27,4 mètres. À l’extrémité est du corridor, une porte donnait sur un escalier. À l’extrémité ouest, au coin sud-ouest, une sortie menait à un escalier. Le corridor était recouvert de moquette.

Le plaignant avait accédé à l’étage par le coin sud-ouest du corridor.

L’appartement où le plaignant s’était rendu avec un couteau était situé à l’extrémité est du corridor.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou de photographies [2]


Vidéo du corridor

Vers 20 h 45, le 19 juillet 2023, le plaignant marche dans le corridor. Des amis le suivent. Le plaignant tient un couteau de cuisine dans la main droite. Il arrive devant un appartement au bout du corridor et commence à donner des coups de poing et de pied à la porte. Ses amis s’approchent de lui et semblent lui parler pour tenter de le convaincre de cesser, mais il continue. Au bout d’un moment, les amis s’éloignent. Le plaignant continue de donner des coups de pied dans la porte et, par moments, des coups de couteau. Il agit de façon erratique et semble agité et énervé. Ses amis se tiennent à l’écart et continuent de le regarder de loin. Ils semblent impuissants et incapables de faire quoi que ce soit pour dissuader le plaignant. Le plaignant continue à donner des coups de pied et de couteau dans la porte. Ses amis continuent de le surveiller de loin.

Vers 21 h 04, l’AT no 2, l’AT no 3, l’AI et l’AT no 1 arrivent dans le corridor. L’AT no 2 et l’AT no 3 tiennent chacun un fusil à létalité réduite. L’AI a dégainé son arme de poing, et l’AT no 1 tient une carabine. Les agents passent devant les deux amis du plaignant, qui ont les mains en l’air, et se dirigent vers le plaignant. Ils s’arrêtent près du plaignant et semblent lui parler. L’AI prend son arme à impulsions et s’accroupit sur un genou entre l’AT no 3 sur sa droite et l’AT no 2 sur sa gauche. L’AT no 1 est derrière eux. Ils continuent tous de pointer leurs armes vers le plaignant. Deux autres agents arrivent et prennent le contrôle des deux amis du plaignant.

Vers 21 h 05, le plaignant laisse tomber le couteau par terre. Il lève brièvement les mains pour se rendre, puis les rabaisse devant son corps. L’AT no 2 et le plaignant parlent brièvement. L’AT no 2 pose son fusil, s’avance vers le plaignant et lui saisit les bras pour le maîtriser. L’AT no 3, l’AI et l’AT no 1 rejoignent rapidement l’AT no 2, et les quatre agents plaquent le plaignant par terre. L’AT no 2 est à droite du plaignant, et l’AI à gauche, près du torse du plaignant. L’AT no 3 et l’AT no 1 sont derrière l’AT no 2 et l’AI. Immédiatement après que le plaignant est mis à terre, l’AI lui assène trois coups de son poing droit, suivis quelques secondes plus tard de trois autres coups au côté gauche du visage et de la mâchoire. L’agent saisit ensuite le plaignant par les cheveux et lui relève la tête tandis qu’un autre agent tire la main droite du plaignant de sous sa tête pour la lui placer dans le dos. Les quatre agents maintiennent le plaignant au sol et le menottent.

Vers 21 h 05, l’AI, agenouillé sur les épaules du plaignant, semble parler sur sa radio. L’AT no 2 se relève et commence à parler avec les occupants de l’appartement, qui ont maintenant ouvert leur porte.

Vers 21 h 06, l’AI se relève et rejoint l’AT no 2 dans l’appartement. Le plaignant est à plat ventre par terre.

Vers 21 h 15, l’AT no 4 arrive et regarde le plaignant, qui est menotté dans le dos, à plat ventre par terre. L’AT no 4 parle brièvement aux autres agents.

Vers 21 h 16, l’AT no 3 et l’AT no 1 aident le plaignant à se relever. Ils l’escortent dans le corridor et disparaissent du champ de vision de la caméra.

Vidéo de caméra d’intervention

Caméra d’intervention de l’AI

Au début de la vidéo, vers 21 h 02, l’AI et l’AT no 2 montent l’escalier depuis le hall d’entrée de l’immeuble jusqu’à un étage, où ils rejoignent l’AT no 3 et l’AT no 1. L’AI tient son arme de poing dans la main droite. Les quatre agents montent l’escalier jusqu’à l’étage où se trouve le plaignant.
 

Vidéo de la caméra d’intervention de l’AT no 2

Au début de la vidéo, vers 21 h 01, l’AT no 2 se dirige vers les portes d’entrée de l’immeuble. L’AT no 2 et l’AI montent l’escalier jusqu’à un étage où ils rejoignent l’AT no 3 et l’AT no 1. Les quatre agents montent l’escalier jusqu’à l’étage où se trouve le plaignant.
 

Vidéo de la caméra d’intervention de l’AT no 1

Vers 21 h 01, l’AT no 1 entre dans l’immeuble en compagnie de l’AT no 3. L’AT no 1 et l’AT no 3 montent l’escalier jusqu’à un étage où ils rejoignent l’AI et l’AT no 2. L’AT no 2, l’AI, l’AT no 3 et l’AT no 1 montent alors jusqu’à l’étage où se trouve le plaignant. L’AT no 1 porte sa carabine C8 sur son épaule droite.
 

Vidéo de la caméra d’intervention de l’AT no 3

Vers 21 h, l’AT no 3 franchit la porte d’entrée de l’immeuble en compagnie de l’AT no 1. L’AT no 3 et l’AT no 1 tentent de prendre l’ascenseur, mais il ne fonctionne pas. Ils montent l’escalier jusqu’à un étage où ils rejoignent l’AT no 2 et l’AI. L’AT no 3 porte son fusil à létalité atténuée.
 

Description cumulative du contenu des vidéos des caméras d’intervention de l’AI, l’AT no 1, l’AT no 2 et l’AT no 3;

Vers 21 h 04, l’AT no 2 et l’AI sortent de la cage d’escalier, voient un homme inconnu et passent devant lui. L’AT no 1 et l’AT no 3 voient le même homme et lui ordonnent de lever les mains en l’air. Ils passent devant lui et suivent l’AT no 2 et l’AI dans le corridor.

Le plaignant est devant la porte d’un appartement, près du bout du corridor. Il tient un couteau dans la main droite. L’AT no 2 et l’AI marchent côte à côte, suivis directement par l’AT no 1 et l’AT no 3. Les quatre agents crient au plaignant de laisser tomber le couteau.

L’AI prend à son arme à impulsions et dit à l’AT no 2 et à l’AT no 4 de se placer à ses côtés.

Vers 21 h 05, les lasers des armes des agents sont pointés sur le plaignant. Les agents continuent de lui crier de lâcher le couteau. Il lâche le couteau qui tombe à ses pieds. Il fait un pas en arrière pour s’éloigner de la porte de l’appartement. L’AT no 2 s’approche du plaignant et, de la main gauche, lui saisit l’épaule droite et le pousse contre un mur. L’AI, l’AT no 3 et l’AT no 1 interviennent pour maîtriser le plaignant et le plaquer à terre.

Vers 21 h 05, le plaignant atterrit sur le plancher couvert de moquette sur son côté droit. Son poignet gauche est menotté et son bras droit est sous son torse. L’AT no 1 est debout à droite du haut du torse du plaignant. L’AT no 3 est sur la droite du plaignant; il lui saisit le pied droit et le tire vers l’arrière. L’AT no 2 est debout, un pied de chaque côté de la taille du plaignant. L’AI est à gauche du plaignant, agenouillé sur la partie supérieure gauche de son torse. Le genou droit de l’AI est sur le cou du plaignant et son poing droit appuie sur le dos de ce dernier. L’AI donne trois coups de poing au plaignant au haut de la tête et du visage, sur le côté gauche. L’AI se désengage ensuite pendant environ trois secondes, puis frappe de nouveau le plaignant à trois reprises au côté gauche de la tête et du visage. L’AT no 2 se relève et recule.

Vers 21 h 06, l’AI saisit le plaignant par les cheveux de sa main droite et lui relève la tête en la tirant vers l’arrière. De la main droite, un agent retire la main droite du plaignant de sous son corps, puis l’AT no 1 et l’AT no 3 menottent le plaignant dans le dos.

Vers 21 h 07, on fait rouler le plaignant sur le côté droit; du sang coule sur la gauche de sa mâchoire et de sa joue. Il demande pourquoi l’AT no 3 et l’AT no 1 l’ont frappé au visage. L’AI lui dit que c’est lui qui l’a frappé parce qu’il résistait à son arrestation. L’AI lui dit qu’il est arrêté pour « agression armée » et « méfait ». Le plaignant a le visage tourné vers la droite, vers l’AT no 1. L’AI continue de crier : [traduction] « Ta gueule. » Le plaignant est toujours par terre avec l’AT no 3 et l’AT no 1 au-dessus de lui. Ils contrôlent ses mouvements. L’AI regarde le plaignant et déclare qu’ils le connaissent.

Vers 21 h 15, l’AT no 4 marche dans le corridor jusqu’à l’endroit où le plaignant est allongé par terre. On demande au plaignant s’il peut marcher, et il répond par l’affirmative. L’AT no 3 et l’AT no 1 le remettent sur pied, puis l’escortent vers l’ascenseur.

Vers 21 h 18, l’ascenseur s’ouvre et les agents y escortent le plaignant.

Le plaignant est ensuite escorté de l’ascenseur à l’extérieur, devant de l’immeuble, où on lui demande de s’asseoir sur le trottoir. Des civils voient que sa bouche saigne. Le plaignant dit qu’il a lâché le couteau quand on le lui a demandé et que la police l’ont « boxé ». La foule commence à protester et à crier en direction de l’AT no 3 et de l’AT no 1.

Vers 21 h 40, l’AT no 3 fait monter le plaignant dans l’ambulance. L’AT no 1 retourne à son véhicule de police et suit l’ambulance jusqu’à l’hôpital.
 

Enregistrements des communications de la police

Vers 20 h 13, une femme appelle le SPT au 9-1-1 et demande que des policiers viennent à un immeuble d’appartements près de la rue Jane et de l’avenue Finch Ouest. Cinq à six adolescents sont dans le corridor, devant son appartement, et donnent des coups de pied à sa porte. Elle était déjà sortie dans le corridor auparavant à cause du bruit et leur avait demandé d’arrêter de faire du bruit. La préposée à l’appel lui dit que des policiers vont venir sur place dès que possible.

Vers 20 h 59, un préposé de la police répond à un appel provenant d’un autre appartement. La personne qui appelle confirme qu’un jeune cogne à sa porte depuis dix minutes. Elle ne sait pas qui c’est et elle appuie sur la porte pour l’empêcher d’entrer. Il a une arme. Le préposé à l’appel lui dit que des agents de police sont en route. Il lui demande de décrire le jeune, mais elle ne peut pas en donner et dit qu’elle appuie sur la porte pour l’empêcher de la forcer.

Vers 21 h 01, un préposé de la police rappelle la femme et lui demande à quoi ressemble le jeune. Elle répond qu’elle ne peut pas voir s’il a une arme et qu’elle ne peut pas voir à travers le judas. Elle tient la porte. On peut entendre le bruit de coups sur la porte en arrière-plan.

Éléments obtenus auprès du service de police

Le SPT a remis les documents et éléments suivants à l’UES entre le 21 juillet et le 18 septembre 2023 :
  • Chronologie de l’incident;
  • Rapport général;
  • Enregistrements des communications;
  • Vidéos de caméras d’intervention;
  • Dossier de la répartition assistée par ordinateur;
  • Liste des agents concernés;
  • Notes de l’AI;
  • Notes de l’AT no 1;
  • Notes de l’AT no 2;
  • Notes de l’AT no 3;
  • Notes de l’AT no 4;
  • Procédure du SPT – urgences médicales ;
  • Procédure du SPT – intervention sur un incident;
  • Procédure du SPT – personnes sous garde.

Éléments obtenus auprès d’autres sources

L’UES a obtenu les éléments suivants auprès d’autres sources :
  • Séquence vidéo de l’immeuble d’appartements;
  • Dossiers médicaux du plaignant de l’Hôpital régional Humber River, reçus le 16 août 2023.

Description de l’incident

La séquence d’événements suivante découle des éléments de preuve recueillis par l’UES, notamment des entrevues avec le plaignant et avec des témoins oculaires, de la police et civils, ainsi que de vidéos qui montraient certaines parties de l’incident. L’AI a n’a consenti à participer à une entrevue avec l’UES, comme c’était son droit, mais a autorisé la communication de ses notes sur l’incident.

Dans la soirée du 19 juillet 2023, des agents du SPT ont été dépêchés à un immeuble d’appartements du secteur de la rue Jane et de l’avenue Finch Ouest, à Toronto. Une résidente avait appelé le 9-1-1 pour signaler qu’un jeune cognait sa porte depuis dix minutes pour tenter de s’introduire par effraction. Elle appuyait sur la porte pour empêcher le jeune d’entrer.

Le jeune en question était le plaignant. Plus tôt dans la soirée, une autre locataire de l’immeuble avait abordé le plaignant et ses amis dans la cage d’escalier pour se plaindre de leur comportement, parce qu’ils buvaient et étaient bruyants. Le plaignant n’a pas apprécié la réprimande. Il est retourné à son appartement et a pris un couteau, déterminé à affronter la personne qui s’était plainte. Suivi de deux de ses amis, le plaignant est arrivé devant un appartement, où il croyait à tort que cette personne vivait. Il a commencé à donner des coups de poing et de pied dans la porte et, par moments, des coups de couteau. Ses amis ont tenté en vain de l’en dissuader.

L’AI, son partenaire – l’AT no 2 – et deux autres agents – l’AT no 3 et l’AT no 1 – sont arrivés à l’immeuble et sont montés par un escalier jusqu’à l’étage où se trouvait le plaignant. L’AI avait d’abord pris son pistolet, mais est ensuite passé à une arme à impulsions. L’AT no 2 et l’AT no 3 avaient chacun un fusil à létalité atténuée tandis que l’AT no 1 tenait une carabine. À leur sortie de l’escalier, les agents ont vu le plaignant au fond du corridor, près de la porte d’un appartement. Il tenait un couteau dans la main droite. Leurs armes pointées vers le plaignant, les agents se sont dirigés vers lui, lui ordonnant à plusieurs reprises de laisser tomber le couteau. Le plaignant a refusé, disant plutôt aux agents de reculer et de lâcher leurs armes. Cet échange s’est poursuivi pendant plusieurs secondes avant que le plaignant ne finisse par laisser tomber le couteau à ses pieds. Le plaignant a reculé quand les agents lui ont ordonné de le faire, mais a refusé de se déplacer vers le mur de l’autre côté du corridor comme ils le lui demandaient. L’AT no 2 s’est avancé vers le plaignant, l’a saisi et l’a poussé contre le mur. L’AI a saisi le plaignant et, avec ses collègues, l’a plaqué à terre.

Le plaignant est tombé sur le côté droit et l’AI lui a rapidement asséné une série de trois coups de poing au côté gauche de la tête. À peu près au même moment, l’AT no 2, qui était debout au-dessus du plaignant, lui a asséné plusieurs coups de poing au côté gauche du torse. Deux à trois secondes après sa première série de coups, l’AI a donné une autre série de trois coups de poing à la tête du plaignant. Peu après, les agents ont tiré les bras du plaignant dans son dos et l’ont menotté.

Après son arrestation, le plaignant a été conduit à l’hôpital où il a reçu un diagnostic de fracture de la mâchoire.

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 25(1) du Code criminel -- Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :
a) soit à titre de particulier
b) soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
c) soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
d) soit en raison de ses fonctions
est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Paragraphe 88(1) du Code criminel -- Port d’arme dans un dessein dangereux

88 (1) Commet une infraction quiconque porte ou a en sa possession une arme, une imitation d’arme, un dispositif prohibé, des munitions ou des munitions prohibées dans un dessein dangereux pour la paix publique ou en vue de commettre une infraction.

Analyse et décision du directeur

Le plaignant a été grièvement blessé durant son arrestation à Toronto le 19 juillet 2023. Un agent a été désigné en tant qu’agent impliqué (AI) aux fins de l’enquête de l’UES qui a suivi. L’enquête est maintenant terminée. Après avoir évalué les éléments de preuve, j’estime qu’il n’y a aucun motif raisonnable de croire que l’AI a commis une infraction criminelle en lien avec l’arrestation et les blessures du plaignant.

En vertu du paragraphe 25 (1) du Code criminel, les agents de police sont exonérés de toute responsabilité criminelle pour le recours à la force dans l’exécution de leurs fonctions, à condition que cette force soit raisonnablement nécessaire à l’accomplissement d’un acte qu’ils sont tenus ou autorisés à faire en vertu de la loi.

Le plaignant s’était armé d’un couteau et tentait de s’introduire par effraction dans un appartement. Son arrestation était justifiée pour diverses infractions, notamment pour « armes dangereuses », en contravention du paragraphe 88 (1) du Code criminel.

La force utilisée par l’AI lors de l’arrestation du plaignant est sujette à un examen légitime. J’ai tendance à croire que les trois premiers coups de poing qu’il a donnés se situaient dans la fourchette de ce qui était raisonnable dans les circonstances. Le plaignant avait, pendant une longue période, brandi un couteau pour tenter de s’introduire par effraction dans un appartement. Confronté par la police, le plaignant s’est montré provocateur. Il a d’abord demandé aux agents de lâcher leurs armes et de reculer, puis a refusé de s’éloigner du couteau après l’avoir lâché. Son attitude belliqueuse s’est poursuivie quand l’AT no 2 l’a agrippé, puis quand il a été plaqué à terre; il a crié et refusé de dégager son bras gauche pour se laisser menotter dans le dos. Sur la base de ces éléments, je suis convaincu que l’AI était probablement dans son droit lorsqu’il a donné les trois premiers coups de poing au plaignant. L’agent avait sans doute des raisons de craindre que le plaignant soit encore armé, ce qui nécessitait de recourir immédiatement à la force physique pour le neutraliser et le placer sous garde.

La justification des trois coups suivants est moins évidente. Il y avait quatre agents autour du plaignant à ce moment-là, chacun engagé avec lui d’une manière ou d’une autre. À proprement parler, je ne pense pas qu’il était objectivement nécessaire d’asséner ces coups supplémentaires. Cela dit, la justification énoncée au paragraphe 25 (1) n’est pas automatiquement annulée lorsqu’un agent se trompe quant à la nécessité de recourir à la force. Un agent peut, de bonne foi, faire une erreur dans son évaluation des faits, l’amenant à croire qu’il est nécessaire de recourir à une forme ou une autre de force, à condition qu’une personne raisonnable aurait pu commettre la même erreur dans les circonstances. L’AI a déclaré dans ses notes qu’au moment où il a décidé de donner trois autres coups de poing, il croyait que le plaignant résistait et refusait de dégager un bras qu’il semblait tenir coincé contre sa poitrine. L’AI affirme l’avoir fait dans l’intention de maîtriser le plaignant – [traduction] « pour détendre [sa] main coincée » – afin qu’on puisse le menotter. En fait, le bras gauche du plaignant était replié contre sa poitrine à ce moment-là, et a été tiré dans son dos seulement après les coups de poing de l’AI. Compte tenu de la tension du moment et de la rapidité avec laquelle les événements se déroulaient, cet élément de preuve m’amène à conclure que l’erreur de l’AI était raisonnable dans les circonstances et que la force qui en a résulté restait dans les limites de la justification énoncée au paragraphe 25 (1). Dans tout cela, je tiens aussi compte du fait que les policiers aux prises avec une situation volatile ne sont pas tenus de mesurer avec précision la force avec laquelle ils réagissent; ce qui est requis de leur part est une réaction raisonnable, et non mesurée de façon rigoureuse : R. c. Nasogaluak, [2010] 1 R.C.S 206; R. c. Baxter (1975), 27 CCC (2d) 96. (Ont. CA).

En conséquence, même si j’accepte qu’un ou plusieurs des coups de poing donnés par l’AI soient la cause des blessures du plaignant, je ne peux pas conclure avec certitude que l’agent se soit comporté autrement que dans les limites du droit criminel tout au long de son intervention. [3] Il n’y a donc aucune raison de porter des accusations dans cette affaire. Le dossier est clos.


Date : 17 novembre 2023


Approuvé par voie électronique par

Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) Les renseignements contenus dans cette section reflètent les informations reçues par l’UES au moment de la notification et ne reflètent pas nécessairement les conclusions de fait de l’UES à la suite de son enquête. [Retour au texte]
  • 2) Les éléments de preuve suivants contiennent des renseignements personnels délicats qui ne sont pas divulgués conformément au paragraphe 34 (2) de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales. Les parties pertinentes des enregistrements sont résumées ci-après. [Retour au texte]
  • 3) Je suis convaincu que les coups de poing de l’AT no 2 étaient légalement justifiés pour essentiellement les mêmes raisons. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.