Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 21-OVD-379

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’exécution de la loi qui enquête sur les incidents mettant en cause un agent et impliquant un décès, une blessure grave, la décharge d’une arme à feu contre une personne ou une allégation d’agression sexuelle. Selon la définition de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales (Loi sur l’UES), « agents » s’entend des agents de police, des agents spéciaux employés par la Commission des parcs du Niagara et des agents de la paix en vertu de la Loi sur l’Assemblée législative. La compétence de l’UES s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux en Ontario.

En vertu de la Loi sur l’UES, le directeur de l’UES doit établir, d’après les preuves recueillies dans le cadre d’une enquête, s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un agent a commis une infraction criminelle. Si de tels motifs existent, le directeur a le pouvoir de faire porter une accusation criminelle contre cet agent. Par contre, en l’absence de tels motifs, le directeur ne peut pas porter d’accusation. Dans ce cas, un rapport d’enquête est rédigé et rendu public, sauf s’il portait sur des allégations d’agression sexuelle, auquel cas le directeur de l’UES peut consulter la personne concernée et exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas publier le rapport pour protéger la vie privée de la personne concernée.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales

En vertu de l’article 34, certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment :
  • le nom d’un agent impliqué, d’un agent témoin, d’un témoin civil ou d’une personne concernée, ainsi que tout renseignement permettant d’identifier ces personnes; 
  • des renseignements qui pourraient amener à ce que l’identité d’une personne ayant signalé avoir été agressée sexuellement soit révélée dans le contexte de l’agression sexuelle; 
  • des renseignements qui, de l’avis du directeur de l’UES, peuvent présenter un risque de préjudice grave pour une personne; 
  • des renseignements qui divulguent des techniques ou méthodes d’enquête; 
  • des renseignements dont la diffusion est interdite ou restreinte par la loi; 
  • des renseignements pour lesquels la protection de la vie privée d’une personne obtenue grâce à leur non-publication l’emporte clairement sur l’intérêt public de les publier.

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée

En vertu de l’article 14 (article relatif à l’exécution de la loi), certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment : 
  • des renseignements qui révèlent des techniques ou méthodes d’enquête confidentielles utilisées par des organismes chargés de l’exécution de la loi; 
  • des renseignements dont on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 
En vertu de l’article 21 (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment : 
  • les noms de personnes, y compris des témoins civils et des agents impliqués et témoins; 
  • des renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête. 

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé

En vertu de cette loi, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’exécution de la loi.

Exercice du mandat

En vertu de l’article 15 de la Loi sur l’UES, l’UES peut enquêter sur la conduite d’agents (agents de police, agents spéciaux de la Commission des parcs du Niagara ou agents de la paix en vertu de Loi sur l’Assemblée législative) qui pourrait avoir entraîné un décès, des blessures graves, une agression sexuelle ou la décharge d’une arme à feu contre une personne.

Une personne subit une « blessure grave » qui relève de la compétence de l’UES si, selon le cas : elle subit une blessure pour laquelle elle est admise à l’hôpital, elle souffre d’une fracture du crâne, d’un membre, d’une côte ou d’une vertèbre, elle souffre de brûlures sur une grande partie du corps, ou elle subit une perte de la vision ou de l’ouïe par suite d’une blessure.

De plus, une « blessure grave » désigne toute autre blessure subie par une personne susceptible d’avoir des répercussions sur la santé ou le confort de cette personne et qui n’est pas de nature passagère ou bénigne.

Le présent rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur les blessures graves subies par une jeune fille de 14 ans (la plaignante no 1), le décès d’un homme de 40 ans (le plaignant no 2) et les blessures graves subies par un homme de 26 ans (le plaignant no 3).

L’enquête

Notification de l’UES

Le 7 novembre 2021, à 14 h 45, le Service de police de West Grey (SPWG) a contacté l’UES et donné les renseignements suivants.

Le 7 novembre 2021, des agents du SPWG ont été avisés par la Police provinciale qu’ils suivaient un véhicule en route vers la ville de Durham sur Grey Road 4, dans le comté de West Grey. Le SPWG a déployé avec succès une barre cloutée. Le véhicule a parcouru une certaine distance et a percuté de plein fouet un autre véhicule dont le conducteur a été tué sur le coup.

L’équipe

Date et heure de l’envoi de l’équipe : 7 novembre 2021 à 15 h 05

Date et heure d’arrivée de l’UES sur les lieux : 7 novembre 2021 à 17 h 05

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 4

Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 1

Nombre de spécialistes de la reconstitution des collisions assignés : 1

Personnes concernées (« plaignant » ou « plaignante ») :

Plaignante no 1 Jeune fille de 14 ans; a participé à une entrevue le 8 novembre 2021; ses dossiers médicaux ont été obtenus et examinés

Plaignant no 2 Homme de 40 ans, décédé

Plaignant no 3 Homme de 26 ans; n’a pas consenti à participer à une entrevue.

Témoins civils (TC)

TC no 1 A participé à une entrevue
TC no 2 N’a pas participé à une entrevue (proche parent)
TC no 3 N’a pas participé à une entrevue (proche parent)
TC no 4 A participé à une entrevue
TC no 5 N’a pas participé à une entrevue (proche parent)
TC no 6 A participé à une entrevue
TC no 7 A participé à une entrevue
TC no 8 A participé à une entrevue
TC no 9 A participé à une entrevue
TC no 10 A participé à une entrevue
TC no 11 A participé à une entrevue

Les témoins civils ont participé à une entrevue entre les 7 et 23 novembre 2021.

Agent impliqué (AI)

AI N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue ni à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.

Agents témoins (AT)

AT no 1 A participé à une entrevue
AT no 2 A participé à une entrevue
AT no 3 A participé à une entrevue
AT no 4 A participé à une entrevue
AT no 5 A participé à une entrevue

Les agents témoins ont participé à une entrevue entre le 10 et le 17 novembre 2021.

Éléments de preuve

Les lieux

L’incident s’est déroulé sur Grey County Road 4, juste à l’est de Concession Road 2.

D’après les débris et les traces de pneus sur les lieux, une camionnette Ford F150 roulait vers l’ouest sur Grey County Road 4 à l’approche de la courbe et de la descente entre Baseline Road et Concession Road 2. La Ford F150 a traversé la voie en direction est et a frappé un Nissan qui roulait vers l’est, près de l’accotement sud.

Le Nissan avait été propulsé sur le talus du côté sud de la route. Le pneu avant gauche de la Ford F150 a été trouvé près de la zone d’impact. Des traces de pneus et des éraflures sur la chaussée allaient de la Ford F150 vers l’ouest puis revenaient sur la voie ouest. La Ford F150 a roulé sur l’accotement nord et a heurté la glissière de sécurité, faisant tomber plusieurs poteaux avant de s’immobiliser.

Un examen de la barre cloutée a révélé qu’il manquait des pointes, ce qui indiquait que son déploiement avait réussi. Il n’y avait aucun indice sur les lieux qui auraient permis de déterminer combien de pneus avaient été touchés par la barre cloutée.


Figure 1 – Le Nissan


Figure 2 – La Ford F150, situé à 0,2 km du lieu de la collision, auquel était attaché du métal blanc provenant du Nissan


Figure 3 — Barre cloutée

Schéma des lieux

Éléments de preuves médicolégaux

Analyse des données du système de positionnement global (GPS)

L’UES a reçu le 20 décembre 2021 les données GPS fournies par le SPWG.

Un spécialiste de la reconstitution des collisions de l’UES a examiné les données GPS, ainsi que les rapports de l’enquêteur spécialiste des sciences judiciaires de l’UES, le schéma des lieux dressé par l’UES, les photographies des lieux, les déclarations des agents témoins, le formulaire de rapport d’accident de véhicule à moteur du ministère des Transports rempli par le SPWG et les données téléchargées de récupération de données d’accident (RDA). En se fondant sur l’examen de ces documents et données, le spécialiste de la reconstitution des collisions a déterminé ce qui suit.

L’AI s’est rendu au 403696 Grey County Road 4 pour déployer la barre cloutée vers 13 h 16. À 13 h 24, le plaignant no 3 a franchi la barre cloutée, et l’AI, l’AT no 3 et l’AT no 4 se sont dirigés vers l’ouest sur Grey County Road 4 en direction de la Ford F150. La vitesse de l’AI a été enregistrée par intermittence à 117, 149, 152, 149, 175 et 83 km/h. La vitesse la plus élevée – 175 km/h – a été enregistrée à peu près à mi-chemin entre Baseline Road et le lieu de la collision. Il a ralenti à environ 83 km/h quand il est arrivé devant le lieu de la collision et la zone d’impact. Les données GPS concordent avec le fait que l’AI a accéléré en roulant vers l’ouest sur Grey County Road 4 pour tenter de rattraper l’AT no 4 et l’AT no 3, et le véhicule conduit par le plaignant no 3. L’AI a mis environ 112 secondes pour atteindre le lieu de la collision depuis la barre cloutée, soit 1,5 fois le temps mis par le plaignant no 3 pour parcourir la même distance.
 

Données de RDA

La Police provinciale a remis les données de RDA à l’UES le 24 novembre 2021.

En se fondant sur l’examen des données de RDA associées à la camionnette Ford F150, un spécialiste de la reconstitution des collisions a déterminé ce qui suit.

Environ une seconde avant l’impact, le plaignant no 3 roulait à 161 km/h. Une demi-seconde avant l’impact, le plaignant no 3 a freiné, décélérant à 148 km/h.

Ces données, associées aux renseignements susmentionnés provenant d’autres sources, concordent avec le fait que le plaignant no 3 avait encore le contrôle de son véhicule dans les quelques secondes précédant la collision. Il s’est engagé dans une légère courbe vers la gauche à une vitesse d’environ 154 km/h, roulant partiellement en direction ouest sur la voie en sens inverse lorsque la collision s’est produite.
 

Données téléchargées de l’arme à impulsions

Après la collision, l’AI a déployé son arme à impulsions. Selon les données dérivées de cette arme, elle a été déployée deux fois : à 13 h 27 min 15 s pendant cinq secondes, puis à 13 h 27 min 20 s pendant six secondes.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou de photographies [1]

Vidéo de l’itinéraire prise par l’UES

La vidéo de l’itinéraire commence à l’endroit où la barre cloutée a été déployée, à la hauteur du 403696 Grey County Road 4. L’itinéraire va l’ouest sur Grey County Road 4, une route à deux voies – une dans chaque direction – où la limite de vitesse affichée est de 80 km/h. La chaussée est droite et vallonnée à certains endroits, dans un secteur rural parsemé çà et là de maisons dispersées, de fermes et de boisés. La chaussée est surélevée par rapport au terrain adjacent et certaines sections sont bordées de garde-corps en fil de fer et en câble. Le marquage de la chaussée (médiane et lignes blanches en bordure) était bien visible et il y avait de larges accotements en gravier de chaque côté.

L’itinéraire traversait deux intersections, mais sans panneau d’arrêt pour les véhicules circulant sur Grey County Road 4. Il y avait des panneaux d’arrêt sur les autres routes.

La distance totalisait 3,4 kilomètres entre l’endroit où la barre cloutée avait été déployée et le lieu de la collision, et 3,6 kilomètres jusqu’à la Ford F150 immobilisée.

Enregistrements des communications de la police

L’UES a reçu les enregistrements des communications le 10 novembre 2021. Il s’agissait d’appels téléphoniques entre la Police provinciale et le SPWG. Le résumé suivant a été établi d’après les parties pertinentes de ces communications.

À 13 h 21 min 20 s, la Police provinciale avise le SPWG que la Ford F150 roule vers l’ouest depuis Priceville et qu’il lui reste 19 milles à parcourir avant qu’elle ne soit « vide ». La surveillance aérienne du véhicule est à 30 minutes de là. Le SPWG répond qu’ils ont trois unités à Grey County Road 4 et Camp Oliver Road, juste à l’est de Glen Oak 23. La Police provinciale dit [traduction] : « Assurez-vous d’avoir un tapis clouté ou quelque chose du genre; vous avez eu affaire à lui hier soir et il s’est enfui. »

À 13 h 24 min 40 s, le SPWG avise la Police provinciale que la Ford F150 a été vue pour la dernière fois en direction ouest sur Grey County Road 4. La Ford F150 a dépassé les unités du SPWG; un de ses pneus a touché la barre cloutée, et il continue sa route à vive allure sur trois pneus au-delà de la Concession 2.

À 13 h 27, le SPWG dit qu’ils ont besoin des Services médicaux d’urgence et des pompiers, et qu’ils ont une personne sous garde.

Éléments obtenus auprès du service de police

L’UES a examiné les éléments et documents suivants que lui a remis, sur demande, la Police provinciale et le SPWG :
  • Données RDA de la camionnette;
  • Enregistrements des communications;
  • Rapport d’accident de véhicule à moteur;
  • Détails d’événement du centre de répartition de la Police provinciale;
  • Police provinciale (brouillon) notes de l’AT no 1 ;
  • Police provinciale — Notes de l’AT no 1;
  • Police provinciale — Notes de l’AT no 5;
  • Police provinciale — Notes de l’AT no 2;
  • SPWG — Détails d’événement;
  • SPWG — Suivi GPS de véhicule (x3);
  • SPWG — Rapport général;
  • SPWG — Rapport d’homicide/mort subite;
  • SPWG — Notes de l’AT no 4;
  • SPWG — Notes de l’AT no 3;
  • SPWG — Résumé de l’incident;
  • SPWG — Rapport de défaut de s’arrêter;
  • SPWG — Politique relative aux poursuites en vue de l’appréhension d’un suspect;
  • SPWG — Déclaration de témoin — TC no 1;
  • SPWG — Synopsis de l’entrevue par vidéo de témoin TC no 10

Éléments obtenus auprès d’autres sources

L’UES a examiné les éléments suivants obtenus auprès d’autres sources :
  • Dossiers médicaux du South Bruce Grey Health Centre – site de Durham;
  • Résultats préliminaires de l’autopsie du Service de médecine légale de l’Ontario.

Description de l’incident

La séquence d’événements suivante découle des éléments de preuve recueillis par l’UES, notamment des entrevues avec des agents de police et des civils qui ont été témoins de certaines parties de l’incident en question. L’enquête a également bénéficié des données GPS et de celles de la « boîte noire » associées aux véhicules conduits par l’AI et par le plaignant no 3, respectivement. L’AI n’a pas consenti à participer à une entrevue avec l’UES ni autorisé la communication de ses notes, comme c’était son droit.

Peu avant 13 h 30, alors qu’il se dirigeait vers l’est sur Grey County Road 4, en direction de Midland et venait de franchir l’intersection de Concession Road, le Nissan Rogue du plaignant no 2 a été frappé de plein fouet par une camionnette. La collision s’est produite alors que le plaignant no 2 négociait une courbe vers la droite. La camionnette, qui roulait vers l’ouest, a empiété sur la voie est et roulait à environ 136 km/h quand elle a frappé l’autre véhicule.
La police avait suivi la camionnette – une Ford F150. Cette camionnette avait été volée et son propriétaire, à l’aide d’un appareil GPS sur le véhicule, fournissait à la police des renseignements sur son déplacement.

Le plaignant no 3 – le conducteur de la camionnette – était déchaîné ce matin-là. Son père avait communiqué avec la Police provinciale pour exprimer son inquiétude au sujet de son fils, qui l’avait agressé. Des agents de la Police provinciale et du SPWG avaient localisé le plaignant no 3 et tenté d’arrêter la camionnette, mais il avait réussi à prendre la fuite.

Mis au courant par des rapports de la Police provinciale que le plaignant no 3 se dirigeait vers l’ouest sur Grey County Road 4 depuis Flesherton en direction de leur territoire de compétence, trois agents du SPWG – l’AI, l’AT no 4 et l’AT no 3 – ont décidé d’intervenir. Ils craignaient que la camionnette entre dans la zone urbaine de Durham et se sont donc rendus aussi loin que possible à l’est de la ville dans leurs véhicules de police respectifs pour essayer de l’arrêter. Ils se sont arrêtés à l’intersection de Camp Oliver Road et Grey County Road 4, où le plan était de déployer une barre cloutée avant l’arrivée de la camionnette à cet endroit.

Juste à l’est de Camp Oliver Road, le plaignant no 3 a roulé sur la barre cloutée que l’AI avait placée sur la voie ouest. Au moins un des pneus de la camionnette a été percé. La camionnette a continué à des vitesses supérieures à 150 km/h après l’intersection. Avec l’AT no 4 en tête, les agents ont accéléré pour suivre la camionnette.

Dans la minute qui a suivi, la camionnette – dont au moins un des pneus était dégonflé ou déchiqueté - s’est engagée dans un virage vers la gauche sur la route, a fait une embardée dans la voie opposée et a frappé le Nissan du plaignant no 2. La camionnette a continué sur une certaine distance vers l’ouest – environ 200 mètres – et a fini par s’immobiliser au nord de la route après avoir renversé des garde-corps et des poteaux. Le Nissan a été propulsé dans le fossé au sud de la route.

Après la collision, le plaignant no 3 est sorti du véhicule et a accosté un autre automobiliste qui s’était arrêté pour voir s’il allait bien, l’a agressé et a tenté de lui voler sa camionnette. L’AT no 4 et l’AI, arrivés sur les lieux entre-temps, ont arrêté le plaignant no 3 à l’issue d’une lutte.

Le plaignant no 2 est décédé à la suite de la collision et sa fille a subi une fracture du poignet gauche. La TC no 4 a eu la chance de ne pas être grièvement blessée. La nature et l’étendue des blessures du plaignant no 3 demeurent incertaines.

Cause du décès

Le pathologiste chargé de l’autopsie était d’avis préliminaire que le décès du plaignant no 2 résultait de multiples blessures contondantes.

Dispositions législatives pertinentes

Article 320.13, Code criminel – Conduite causant des lésions corporelles

320.13 (1) Commet une infraction quiconque conduit un moyen de transport  d’une façon dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances.

(2) Commet une infraction quiconque conduit un moyen de transport d’une façon dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances, et cause ainsi des lésions corporelles à une autre personne.

(3) Commet une infraction quiconque conduit un moyen de transport d’une façon dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances, et cause ainsi la mort d’une autre personne.

Articles 219 et 220 du Code criminel -- Négligence criminelle causant la mort

219 (1) est coupable d’une négligence criminelle quiconque :
a) soit en faisant quelque chose;
b) soit en omettant de faire quelque chose qui est de son devoir d’accomplir, montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui.

(2) Pour l’application du présent article, devoir désigne une obligation imposée par la loi.

220 Quiconque, par négligence criminelle, cause la mort d’une autre personne est coupable d’un acte criminel passible :
a) s’il y a usage d’une arme à feu lors de la perpétration de l’infraction, de l’emprisonnement à perpétuité, la peine minimale étant de quatre ans;
b) dans les autres cas, de l’emprisonnement à perpétuité.

Analyse et décision du directeur

Le 7 novembre 2021, le plaignant no 2 a perdu la vie et sa fille, la plaignante no 1, a été grièvement blessée dans une collision de véhicules, juste à l’est de Durham, en Ontario. Leur véhicule avait été percuté par une camionnette conduite par le plaignant no 3. Comme le véhicule du plaignant no 3 avait roulé sur une barre cloutée posée par la police peu avant la collision, l’UES a été avisée et a ouvert une enquête. Un agent du SPGW a été identifié comme étant l’agent impliqué (AI). L’enquête est maintenant terminée. Après avoir évalué les éléments de preuve, j’estime qu’il n’y a aucun motif raisonnable de croire que l’AI ait commis une infraction criminelle en lien avec la collision.

Les infractions à prendre en considération en l’espèce sont la conduite dangereuse causant la mort et la négligence criminelle causant la mort, en contravention du paragraphe 320.13(3) et de l’article 220 du Code criminel, respectivement. [2] Pour la première, la culpabilité serait fondée, en partie, sur la conclusion que la conduite constituait un écart marqué par rapport au niveau de diligence qu’une personne raisonnable aurait exercé dans les mêmes circonstances. La deuxième correspond aux cas graves de négligence qui font preuve d’un mépris déréglé ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autres personnes. Pour que cette infraction soit établie, il faut notamment que la négligence constitue un écart à la fois marqué et important par rapport à un niveau de diligence raisonnable. En l’espèce, il faut donc déterminer si l’AI, dans la manière dont il s’est conduit, a causé la collision ou y a contribué, et a fait preuve d’un manque de diligence suffisamment flagrant pour justifier une sanction pénale. À mon avis, ce n’est pas le cas.

Les agents qui se sont rendus à l’intersection de Camp Oliver Road et de Grey County Road 4 pour tenter d’empêcher la camionnette d’entrer dans Durham, notamment l’AI, agissaient dans l’exercice légal de leurs fonctions. Ils avaient des motifs de croire que le plaignant no 3 conduisait une camionnette volée au mépris total de la sécurité publique, et ils avaient raison de s’inquiéter de ce qui se passerait s’il entrait dans la zone urbaine de Durham, où il y avait beaucoup de monde, à environ cinq kilomètres de là.

Je suis également convaincu que la décision de déployer la barre clouée était raisonnable. Une poursuite policière ou l’utilisation de véhicules de police pour arrêter la camionnette n’était pas envisageable, car lors de rencontres antérieures avec la police, le plaignant no 3 ne s’était pas arrêté lorsqu’on lui avait signalé de le faire et avait frappé d’autres véhicules. Dans les circonstances, l’utilisation d’une barre cloutée devrait forcer la camionnette à s’arrêter en toute sécurité si tout fonctionnait comme prévu, par un dégonflage graduel et contrôlé des pneus. L’emplacement que les agents avaient choisi pour exécuter la tactique – une route rurale sans virages sur environ deux kilomètres – était également idéal, car il atténuerait le risque pour la sécurité publique au cas où le conducteur perdrait le contrôle du véhicule à cause du dégonflage des pneus.

Cette tactique permettrait d’atténuer le risque – sans toutefois l’éliminer complètement – car toute décision prise par les agents présente toujours un certain risque. Les agents auraient pu décider de ne rien faire en espérant que le plaignant no 3 ralentirait et cesserait de conduire dangereusement à l’approche de Durham. Néanmoins, les agents n’avaient aucune raison de penser que c’est ce qu’il ferait. Au moment où ils sont intervenus, le plaignant no 3 conduisait de façon dangereuse depuis déjà un certain temps. Effectivement, sans qu’aucun agent de police ne le poursuive ou le suive, il a roulé à des vitesses supérieures à 150 km/h avant d’atteindre la barre cloutée. Peut-être que les agents auraient dû arrêter la circulation en direction est sur une certaine distance derrière eux avant de déployer la barre cloutée pour réduire davantage le risque. Cependant, les événements se déroulaient rapidement et il n’a pas fallu longtemps avant que la camionnette arrive à leur hauteur – les agents devaient agir vite. Face à ces choix difficiles, je ne peux raisonnablement conclure que la tactique qu’ils ont adoptée était déraisonnable ou, si elle l’était, qu’elle était déraisonnable de façon marquée.

En ce qui concerne les vitesses atteintes par l’AT no 4, l’AT no 3 et l’AI quand ils ont accéléré après le passage de la camionnette sur la barre cloutée, je suis convaincu que les agents n’ont pas transgressé les limites de prudence prescrites par le droit criminel. Ces vitesses, comme l’établissent les données GPS du véhicule de l’AI, ont atteint 175 km/h, soit bien au-delà de la limite de vitesse de 80 km/h. Cela dit, rien n’indique que d’autres usagers de la route aient été directement mis en danger par les véhicules de police, et il ne semble pas non plus que les agents aient provoqué la fuite du plaignant no 3. Le dossier de preuve montre que le plaignant no 3 était déterminé à rouler à des vitesses incroyables, avec ou sans agents de police derrière lui, et que les agents ne se sont jamais approchés de la camionnette au point d’empêcher le plaignant no 3 de ralentir, s’il l’avait voulu.

Pour les raisons qui précèdent, je suis convaincu que l’AI et les autres agents du SPWG se sont comportés avec la prudence et le respect nécessaires pour la sécurité tout au long de la série d’événements qui a abouti à la mort tragique du plaignant no 2 et à la blessure grave de sa fille. Il n’y a donc pas lieu de déposer des accusations criminelles dans cette affaire, et le dossier est clos.


Date : 7 mars 2022

Approuvé par voie électronique par

Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) Les éléments de preuve suivants contiennent des renseignements personnels délicats qui ne sont pas divulgués conformément au paragraphe 34 (2) de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales. Les parties importantes de ces éléments de preuve sont résumés ci-après. [Retour au texte]
  • 2) Il existe des éléments de preuve d’une lutte et d’un recours à la force par l’AT no 4 et l’AI durant l’arrestation du plaignant no 3. Cependant, en l’absence de preuve confirmée que le plaignant no 3 a subi une blessure grave au cours de cette altercation physique, l’enquête de l’UES n’a pas porté sur cet aspect. Cela dit, d’après les éléments de preuve recueillis par l’UES, il semble que les agents se sont comportés légalement. Le plaignant no 3 venait d’agresser un civil et résistait vigoureusement à son arrestation. Compte tenu des circonstances, il était impératif qu’il soit maîtrisé rapidement et placé sous garde. Il ne semble donc pas que les décharges de l’arme à impulsions par l’AI et les coups de poing assénés par l’AT no 4 étaient excessifs. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.