Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 21-TCI-346

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’exécution de la loi qui enquête sur les incidents mettant en cause un agent et impliquant un décès, une blessure grave, la décharge d’une arme à feu contre une personne ou une allégation d’agression sexuelle. Selon la définition de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales (Loi sur l’UES), « agents » s’entend des agents de police, des agents spéciaux employés par la Commission des parcs du Niagara et des agents de la paix en vertu de la Loi sur l’Assemblée législative. La compétence de l’UES s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux en Ontario.

En vertu de la Loi sur l’UES, le directeur de l’UES doit établir, d’après les preuves recueillies dans le cadre d’une enquête, s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un agent a commis une infraction criminelle. Si de tels motifs existent, le directeur a le pouvoir de faire porter une accusation criminelle contre cet agent. Par contre, en l’absence de tels motifs, le directeur ne peut pas porter d’accusation. Dans ce cas, un rapport d’enquête est rédigé et rendu public, sauf s’il portait sur des allégations d’agression sexuelle, auquel cas le directeur de l’UES peut consulter la personne concernée et exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas publier le rapport pour protéger la vie privée de la personne concernée.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales

En vertu de l’article 34, certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment :
  • le nom d’un agent impliqué, d’un agent témoin, d’un témoin civil ou d’une personne concernée, ainsi que tout renseignement permettant d’identifier ces personnes; 
  • des renseignements qui pourraient amener à ce que l’identité d’une personne ayant signalé avoir été agressée sexuellement soit révélée dans le contexte de l’agression sexuelle; 
  • des renseignements qui, de l’avis du directeur de l’UES, peuvent présenter un risque de préjudice grave pour une personne; 
  • des renseignements qui divulguent des techniques ou méthodes d’enquête; 
  • des renseignements dont la diffusion est interdite ou restreinte par la loi; 
  • des renseignements pour lesquels la protection de la vie privée d’une personne obtenue grâce à leur non-publication l’emporte clairement sur l’intérêt public de les publier.

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée

En vertu de l’article 14 (article relatif à l’exécution de la loi), certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment : 
  • des renseignements qui révèlent des techniques ou méthodes d’enquête confidentielles utilisées par des organismes chargés de l’exécution de la loi; 
  • des renseignements dont on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 
En vertu de l’article 21 (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment : 
  • les noms de personnes, y compris des témoins civils et des agents impliqués et témoins; 
  • des renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête. 

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé

En vertu de cette loi, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’exécution de la loi.

Exercice du mandat

En vertu de l’article 15 de la Loi sur l’UES, l’UES peut enquêter sur la conduite d’agents (agents de police, agents spéciaux de la Commission des parcs du Niagara ou agents de la paix en vertu de Loi sur l’Assemblée législative) qui pourrait avoir entraîné un décès, des blessures graves, une agression sexuelle ou la décharge d’une arme à feu contre une personne.

Une personne subit une « blessure grave » qui relève de la compétence de l’UES si, selon le cas : elle subit une blessure pour laquelle elle est admise à l’hôpital, elle souffre d’une fracture du crâne, d’un membre, d’une côte ou d’une vertèbre, elle souffre de brûlures sur une grande partie du corps, ou elle subit une perte de la vision ou de l’ouïe par suite d’une blessure.

De plus, une « blessure grave » désigne toute autre blessure subie par une personne susceptible d’avoir des répercussions sur la santé ou le confort de cette personne et qui n’est pas de nature passagère ou bénigne.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur une blessure grave subie par un homme de 33 ans (« le plaignant »).

L’enquête

Notification de l’UES

Le 14 octobre 2021, le Service de police de Toronto (SPT) a avisé l’UES d’une blessure subie par le plaignant.

Selon le rapport du SPT, le 23 août 2021, à 16 h 14, le plaignant a été arrêté pour voies de fait dans un restaurant du boulevard Lakeshore. Le plaignant a résisté et a été plaqué à terre lors de son arrestation, qui a été effectuée par plusieurs agents à service rémunéré qui étaient dans le secteur.

Le plaignant a été emmené à l’hôpital St. Michael (HSM). On lui a fait des radiographies et le SPT a été informé qu’un radiologue donnerait son rapport dans la matinée. Un agent du SPT est revenu le lendemain matin et le personnel de l’hôpital a refusé de révéler la gravité de la blessure.

Le SPT a depuis lors obtenu les dossiers médicaux, qui ont confirmé que le plaignant avait subi une fracture de l’os nasal.

L’équipe

Date et heure de l’envoi de l’équipe : 15 octobre 2021 à 9 h 30

Date et heure de l’intervention de l’UES : 15 octobre 2021 à 10 h 16

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 3

Personne concernée (le « plaignant ») :

homme de 33 ans; impossible à localiser

Témoins civils

TC A participé à une entrevue

Le témoin civil a participé à une entrevue le 25 octobre 2021.

Agents impliqués

AI A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

L’agent impliqué a participé à une entrevue le 16 novembre 2021.

Agents témoins

AT no 1 A participé à une entrevue
AT no 2 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées.

L’agent témoin a participé à une entrevue le 28 octobre 2021.

Éléments de preuve

Les lieux

L’interaction entre le plaignant et les agents de police a eu lieu dans le parc Woodbine, au coin nord-ouest de l’intersection du boulevard Lakeshore Est et du boulevard Northern Dancer.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou de photographies [1]

Communications radio de la police

Le 2 novembre 2021, l’UES a reçu l’enregistrement d’une série de communications radio du SPT concernant l’arrestation du plaignant le 22 août 2021. Ce qui suit est un résumé des communications pertinentes.
  • 16 h 14 min 27 s, l’AI : « Le personnel du [restaurant] vient de nous appeler. Un homme cause des troubles et nous allons essayer de le faire partir – juste pour que vous le sachiez. »
  • 16 h 14 min 36 s, le service de répartition : « Quelle est l’adresse? »
  • 16 h 14 min 41 s, l’AI : « [Adresse] je crois. Lakeshore.”
  • 16 h 14 min 46 s, le service de répartition : "Je vais vous marquer pour ça pour le moment."
  • 16 h 17 min 1 s, l’AI : « Pourriez-vous envoyer une unité s’il vous plaît. Ce n’est pas urgent pour le moment, mais ce type va être un problème. Il a quitté le [restaurant], mais maintenant il cause des problèmes dans la rue. »
  • 16 h 17 min 11 s, l’AI : « Nous sommes dans le parc au nord de Lakeshore, juste à l’ouest de Northern Dancer. »
  • 16 h 17 min 19 s, un autre agent : « Vous pouvez nous mettre là-dessus. On va y aller. »
  • 16 h 20 min 38 s, l’AT no 1 : « (inintelligible). »
  • 16 h 20 min 41 s, le service de répartition : « Allez-y. »
  • 16 h 20 min 44 s, l’AT no 1 : « Nous en avons un sous garde, tout est en ordre. »

Séquence de vidéosurveillance

À 16 h 09 min 25 s, le plaignant, vêtu d’un long short en jean ample qui expose le haut de ses fesses, pieds nus et torse nu, coiffé d’une casquette de baseball et portant un sac de sport noir, marche vers l’ouest le long de la devanture du commerce. Il laisse tomber son sac à côté d’une poubelle, à l’est de l’entrée principale, et se dirige vers l’entrée. Il s’arrête et remonte son short pour couvrir ses fesses, puis se dirige vers le commerce proprement dit, mais s’arrête au seuil de l’entrée. Il semble avoir une chaîne en argent entre l’avant et l’arrière de sa ceinture.

Le plaignant semble avoir du mal à garder son équilibre. Il fait demi-tour et se dirige vers la porte d’entrée. Il ouvre la porte extérieure, récupère son sac et entre dans le commerce. Il pose le sac par terre à l’est de l’entrée et se dirige vers le côté est du hall. Il ne porte pas de masque ou autre couvre-visage.

Une file de clients se forme derrière le plaignant, qui est debout à l’extrême est de la file d’attente. Le plaignant se retourne et marche vers le hall d’entrée où il se penche pour fouiller dans son sac, exposant la moitié supérieure de ses fesses. Il s’assied ensuite par terre à côté de son sac, devant les portes d’entrée principales.

Deux employés [dont on sait maintenant qu’un des deux est le TC] s’approchent du plaignant et commencent à lui parler. Les employés sortent ensuite du commerce et se dirigent vers le nord-est [l’endroit où l’AI et l’AT no 1 travaillent dans le cadre d’une affectation rémunérée]. Le plaignant se relève et tend la main vers une boîte fixée sur le mur, juste à l’est de l’entrée [un poste de déclenchement manuel d’alarme incendie] –presque tout le monde dans le commerce se retourne en direction du plaignant. Il ramasse son sac et avance dans le commerce.

À 16 h 14 min 34 s, l’AT no 1 et l’AI, vêtus de l’uniforme complet de patrouille du SPT et d’un gilet de sécurité à haute visibilité, se dirigent vers le commerce depuis le nord-est. Un troisième employé rejoint le TC à la porte d’entrée et pointe du doigt le poste manuel d’alarme incendie. L’AT no 1 et l’AI s’arrêtent devant l’entrée du commerce et parlent avec le TC. L’AT no 1 et l’AI entrent dans le commerce et commencent à parler avec le plaignant. L’AI semble prendre les devants. Le TC vient de derrière le comptoir et s’approche pour parler avec l’AT no 1. Le plaignant ramasse son sac, fait demi-tour, se dirige vers la sortie, poussant un employé au passage, et sort du commerce, suivi de l’AT no 1 et de l’AI.

On peut alors voir le plaignant commencer à courir vers le boulevard Lakeshore Est, juste à l’ouest de l’intersection du boulevard Northern Dancer. L’AT no 1 et l’AI marchent à un rythme normal jusqu’au au coin sud-ouest de l’intersection, puis se dirigent vers l’ouest ,le long du côté sud du boulevard Lakeshore Est, et traversent en courant le boulevard Lakeshore Est . Il disparaissent du champ de vision de la caméra.

Éléments obtenus auprès du service de police

L’UES examiné les dossiers suivants que lui a remis le SPT :
  • Rapport général d’incident;
  • Vidéos de caméras corporelles; [2]
  • Vidéo de caméra à bord d’un véhicule de police; [3]
  • Procédure – arrestation;
  • Procédure – usage de la force;
  • Notes de l’AI et des ATs.
  • Enregistrements des communications;
  • Dossiers médicaux du plaignant de l’hôpital St. Michael.

Éléments obtenus auprès d’autres sources

L’UES a également obtenu des séquences vidéo du restaurant.

Description de l’incident

Le scénario suivant découle des éléments de preuve recueillis par l’UES, notamment des entrevues avec l’AI et avec un autre agent qui a participé à l’arrestation – l’AT no 1. L’enquête a également bénéficié de la vidéo d’une caméra de sécurité qui a capturé une partie de l’incident. Les enquêteurs ne sont pas parvenus à localiser le plaignant et n’ont donc pas obtenu de déclaration sa part.

Dans l’après-midi du 22 août 2021, l’AI et l’AT no 1 travaillaient dans le cadre d’une affectation rémunérée au coin des boulevards Lakeshore Est et Northern Dancer lorsque des employés d’un restaurant situé près de l’intersection les a accostés. L’un des employés – le TC – a dit aux agents qu’un homme dans le commerce créait des troubles et empêchait les clients d’entrer et sortir du commerce. Les agents se sont rendus sur les lieux pour enquêter.

L’homme en question était le plaignant. Il était entré dans le commerce torse nu et vêtu d’un short qui exposait le haut de ses fesses. Le plaignant s’était assis par terre, bloquant l’entrée, et refusait de partir.

L’AI et l’AT no 1 sont entrés dans le commerce et ont parlé avec le plaignant. Ils lui ont demandé s’il avait besoin de quoi que ce soit et lui ont dit que le personnel du commerce voulait qu’il quitte les lieux et qu’il devait donc partir. Entre-temps, le plaignant avait aussi déclenché l’alarme incendie dans le commerce sans raison particulière. Le plaignant a injurié les agents, mais s’est levé pour sortir du commerce de son propre gré. Alors qu’il s’approchait des portes, le plaignant a légèrement poussé un employé du commerce pour l’écarter de son chemin.
Les agents ont suivi le plaignant hors du restaurant et l’ont vu traverser le boulevard Lakeshore Est, à l’ouest de l’intersection contrôlée, forçant des véhicules à s’arrêter. Le plaignant est ensuite entré dans le parc Woodbine, à l’angle nord-ouest de l’intersection. L’AT no 1 a alors décidé de l’arrêter.

Dans le parc, l’AT no 1 s’est approché du plaignant par derrière, lui a saisi le bras gauche et lui a dit qu’il était en état d’arrestation. Le plaignant s’est dégagé de l’emprise de l’agent, a perdu l’équilibre et est tombé sur le dos sur une allée goudronnée. Une fois par terre, le plaignant a agité les jambes et balancé les bras en direction des agents, en essayant de les frapper pendant qu’ils tentaient de l’arrêter. L’AI a réagi en donnant un coup de poing au plaignant au visage, après quoi les agents l’ont menotté dans le dos.

Le plaignant a été conduit à l’hôpital où on lui a diagnostiqué une fracture du nez.

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 25(1) du Code criminel -- Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :
a) soit à titre de particulier
b) soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
c) soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
d) soit en raison de ses fonctions
est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Analyse et décision du directeur

Le 22 août 2021, le plaignant a été grièvement blessé lors de son arrestation par des agents du SPT. L’un de ces agents a été désigné comme agent impliqué (AI) aux fins de l’enquête de l’UES. L’enquête est maintenant terminée. Après avoir évalué le dossier de preuve, j’estime qu’il n’y a aucun motif raisonnable de croire que l’AI ait commis une infraction criminelle en lien avec l’arrestation et la blessure du plaignant.

En vertu du paragraphe 25 (1) du Code criminel, les agents de police sont exonérés de toute responsabilité criminelle lorsqu’ils ont recours à la force dans l’exécution de leurs fonctions, pour autant que cette force est raisonnablement nécessaire à l’accomplissement de ce qu’il leur est enjoint ou permis de faire en vertu de la loi.

Je suis convaincu que l’AI et l’AT no 1 avaient des motifs légitimes de chercher à arrêter le plaignant pour méfait et voies de fait. On leur avait dit qu’il avait déclenché une alarme incendie et qu’il avait poussé un employé du restaurant, dans les deux cas, sans raison.

Je suis également convaincu que la force utilisée par l’AI était légalement justifiée dans les circonstances. Le plaignant avait réagi avec hostilité et agressivité lorsqu’on lui avait dit qu’il était en état d’arrestation. Il s’était libéré de force de l’emprise de l’AT no 1 et ce faisant, était tombé. Une fois à terre, il avait continué d’être combattif et tenté de donner des coups de pied et de poing aux agents. Dans les circonstances, je ne peux raisonnablement conclure qu’un seul coup de poing, visant à maîtriser le plaignant et à dissuader toute autre agression, était une réponse disproportionnée à la situation. Effectivement, après le coup de poing, les agents ont rapidement menotté le plaignant et n’ont eu recours à aucune autre force contre lui.

Pour les raisons qui précèdent, il n’y a aucun motif raisonnable de croire que l’AI se soit comporté autrement que légalement tout au long de son interaction avec le plaignant. Il n’y a donc pas lieu de déposer des accusations criminelles dans cette affaire, et le dossier est clos.


Date : 11 février 2022


Approuvé par voie électronique par

Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) Les documents suivants contiennent des renseignements personnels délicats qui ne sont pas divulgués conformément au paragraphe 34 (2) de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales. Les éléments importants des documents sont résumés ci-dessous. [Retour au texte]
  • 2) Ces vidéos étaient celles de caméras portées par des agents qui n’étaient pas présents lors de l’incident et ne montraient aucun des événements en question. [Retour au texte]
  • 3) Idem. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.