Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 21-OCD-193

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’exécution de la loi qui enquête sur les incidents mettant en cause un agent et impliquant un décès, une blessure grave, la décharge d’une arme à feu contre une personne ou une allégation d’agression sexuelle. Selon la définition de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales (Loi sur l’UES), « agents » s’entend des agents de police, des agents spéciaux employés par la Commission des parcs du Niagara et des agents de la paix en vertu de la Loi sur l’Assemblée législative. La compétence de l’UES s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux en Ontario.

En vertu de la Loi sur l’UES, le directeur de l’UES doit établir, d’après les preuves recueillies dans le cadre d’une enquête, s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un agent a commis une infraction criminelle. Si de tels motifs existent, le directeur a le pouvoir de faire porter une accusation criminelle contre cet agent. Par contre, en l’absence de tels motifs, le directeur ne peut pas porter d’accusation. Dans ce cas, un rapport d’enquête est rédigé et rendu public, sauf s’il portait sur des allégations d’agression sexuelle, auquel cas le directeur de l’UES peut consulter la personne concernée et exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas publier le rapport pour protéger la vie privée de la personne concernée.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales

En vertu de l’article 34, certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment :
  • le nom d’un agent impliqué, d’un agent témoin, d’un témoin civil ou d’une personne concernée, ainsi que tout renseignement permettant d’identifier ces personnes; 
  • des renseignements qui pourraient amener à ce que l’identité d’une personne ayant signalé avoir été agressée sexuellement soit révélée dans le contexte de l’agression sexuelle; 
  • des renseignements qui, de l’avis du directeur de l’UES, peuvent présenter un risque de préjudice grave pour une personne; 
  • des renseignements qui divulguent des techniques ou méthodes d’enquête; 
  • des renseignements dont la diffusion est interdite ou restreinte par la loi; 
  • des renseignements pour lesquels la protection de la vie privée d’une personne obtenue grâce à leur non-publication l’emporte clairement sur l’intérêt public de les publier.

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée

En vertu de l’article 14 (article relatif à l’exécution de la loi), certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment : 
  •  des renseignements qui révèlent des techniques ou méthodes d’enquête confidentielles utilisées par des organismes chargés de l’exécution de la loi; 
  • des renseignements dont on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 

En vertu de l’article 21 (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment : 
  •  les noms de personnes, y compris des témoins civils et des agents impliqués et témoins; 
  • des renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête. 

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé

En vertu de cette loi, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’exécution de la loi.

Exercice du mandat

En vertu de l’article 15 de la Loi sur l’UES, l’UES peut enquêter sur la conduite d’agents (agents de police, agents spéciaux de la Commission des parcs du Niagara ou agents de la paix en vertu de Loi sur l’Assemblée législative) qui pourrait avoir entraîné un décès, des blessures graves, une agression sexuelle ou la décharge d’une arme à feu contre une personne.

Une personne subit une « blessure grave » qui relève de la compétence de l’UES si, selon le cas : elle subit une blessure pour laquelle elle est admise à l’hôpital, elle souffre d’une fracture du crâne, d’un membre, d’une côte ou d’une vertèbre, elle souffre de brûlures sur une grande partie du corps, ou elle subit une perte de la vision ou de l’ouïe par suite d’une blessure.

De plus, une « blessure grave » désigne toute autre blessure subie par une personne susceptible d’avoir des répercussions sur la santé ou le confort de cette personne et qui n’est pas de nature passagère ou bénigne.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur la mort d’un homme de 31 ans (le « plaignant ») au cours d’une interaction avec la police.

L’enquête

Notification de l’UES

Le 24 juin 2021, à 19 h 2, le Service de police régional de Niagara (SPRN) a informé l’UES que le plaignant s’était infligé des blessures avec un couteau.

Selon le SPRN, cet après-midi-là, à 15 h 48, des agents s’étaient rendus à une résidence située sur l’avenue Russell, à St. Catharines, afin de donner suite à un appel concernant un homme armé d’un couteau. L’appelant était le TC n° 2, soit le frère du plaignant.

Des membres de l’unité d’intervention en cas d’urgence du SPRN et des négociateurs en situation de crise se sont rendus à la résidence. C’est en présence des policiers que le plaignant s’est coupé le cou et a commencé à ouvrir ses blessures. Il ne semblait pas avoir de signes vitaux sur les lieux, mais a été transporté à l’hôpital général de St. Catharines. Sa mort n’avait pas été constatée au moment de la notification.

Le SPRN a indiqué que 10 à 16 policiers étaient impliqués dans l’affaire. Une cartouche d’arme à impulsions et le couteau utilisé par le plaignant étaient toujours sur place. Les lieux avaient été protégés.

À 19 h 11, le SPRN a informé l’UES de la mort du plaignant.
   

L’équipe
 

Date et heure de l’envoi de l’équipe : Le 24 juin 2021 à 21 h 1

Date et heure d’arrivée de l’UES sur les lieux : Le 24 juin 2021 à 21 h 12

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 3

Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 2

Personne concernée (le « plaignant ») :

Homme de 31 ans, mort



Témoins civils (TC)
 

TC n° 1 N’a pas participé à une entrevue (plus proche parent)

TC n° 2 N’a pas participé à une entrevue (plus proche parent)

TC n° 3 A participé à une entrevue

TC n° 4 A participé à une entrevue

TC n° 5 A participé à une entrevue

TC n° 6 A participé à une entrevue

TC n° 7 A participé à une entrevue

Les témoins civils ont participé à une entrevue entre le 25 et le 30 juin 2021.

Agents impliqués (AI)
 

AI n° 1 A participé à une entrevue, mais n’a pas consenti à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.

AI n° 2 A participé à une entrevue, mais n’a pas consenti à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.

AI n° 3 A participé à une entrevue, mais n’a pas consenti à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.

Les agents impliqués ont participé à une entrevue le 8 juillet 2021.


Agents témoins (AT)
 

AT n° 1 A participé à une entrevue

AT n° 2 A participé à une entrevue

AT n° 3 A participé à une entrevue

AT n° 4 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées

AT n° 5 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées

AT n° 6 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées

AT n° 7 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées

AT n° 8 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées

AT n° 9 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées

AT n° 10 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées

AT n° 11 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées

AT n° 12 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées

AT n° 13 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées

 AT n° 14 A participé à une entrevue

AT n° 15 A participé à une entrevue

AT n° 16 A participé à une entrevue

AT n° 17 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées

AT n° 18 A participé à une entrevue

AT n° 19 A participé à une entrevue

AT n° 20 A participé à une entrevue

AT n° 21 A participé à une entrevue

AT n° 22 A participé à une entrevue

AT n° 23 A participé à une entrevue

Les agents témoins ont participé à une entrevue entre le 2 juillet 2021 et le 8 septembre 2021.


Éléments de preuve

Les lieux 
 

La résidence de l’avenue Russell est une maison à deux étages qui a été convertie en deux appartements séparés. Le plaignant et le TC n° 2 habitaient dans l’appartement supérieur.

Un certain nombre de cartouches d’une arme à impulsions ont été trouvées dans la chambre à coucher sud. Un certain nombre de sondes d’une arme à impulsions, portes de cartouches d’armes à impulsions, de fils d’une arme à impulsions et d’étiquettes AFID d’une arme à impulsions ont également été récupérés dans la chambre à coucher. Un grand couteau de cuisine a été retrouvé entre le lit et le mur de la chambre. Des taches de sang étaient visibles sur le sol le long du mur sud de la chambre, qui est la pièce occupée par le plaignant (comme le montrent les photos du SPRN).

Éléments de preuve matériels
 

L’UES a recueilli à l’intérieur de la résidence ce qui suit :


• Quatre cartouches d’une arme à impulsions
• Couteau de cuisine Victorinox
• Sondes des armes à impulsions déployées
• Fils des armes à impulsions déployées
• Étiquettes AFID d’une arme à impulsions déployée
• Portes d’une cartouche d’arme à impulsions déployée
• Linge de cuisine.
  

Figure one

Image 1 – Le couteau du plaignant.




Éléments de preuves médicolégaux   
 

Renseignements téléchargés de l’arme à impulsions

L’arme à impulsions portée par l’AI n° 3 a été déployée à 18 h 10 min 15 s, pendant cinq secondes [1].

L’arme à impulsions portée par l’AT n° 16 a été déployée à 18 h 10 min 29 s, pendant cinq secondes.

L’arme à impulsions portée par l’AT n° 15 a été déployée à 18 h 10 min 32 s, pendant six secondes, et de nouveau à 18 h 10 min 39 s, pendant neuf secondes.

L’arme à impulsions portée par l’AT n° 21 a été déployée à 18 h 10 min 38 s, pendant cinq secondes.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou de photographies [2]
 

Enregistrement des répartiteurs/Enregistrements des communications

Le 24 juin 2021, à 15 h 48, TC n° 2 a appelé le SPRN pour signaler que son frère, le plaignant, souffrait de troubles affectifs bipolaires, était en état de psychose et refusait d’aller à l’hôpital. Le TC n° 2 a déclaré que ses troubles avaient commencé la veille et que son comportement s’était depuis aggravé. Il a déclaré que son frère n’était pas violent, mais qu’il l’avait menacé avec un petit couteau de poche, que son frère avait depuis rangé. Le TC n° 2 a déclaré que son frère ne distinguait pas la réalité de ses pensées.

Les renseignements ont été envoyés aux agents en patrouille, avec une note du répartiteur indiquant que la personne (le plaignant) n’était pas violente.

À 16 h, l’AT n° 2 a signalé qu’il était avec le plaignant. À 16 h 3, on a indiqué que les agents de police [AT n° 4 et TC n° 7] parlaient avec le plaignant. Selon les renseignements recueillis, il avait fallu, la dernière fois, huit agents de police pour emmener le plaignant à l’hôpital.

À 16 h 10, l’AT n° 3 a demandé aux agents de police d’attendre d’avoir des raisons (d’appréhender le plaignant) avant de monter à l’étage pour se charger de lui.

D’autres agents de police ont signalé qu’ils étaient arrivés à la résidence. À 16 h 16, l’AT n° 23 a demandé le silence radio et a indiqué qu’ils avaient mis une personne sous garde. À 16 h 20, l’AT n° 23 a indiqué qu’ils essayaient de communiquer avec l’homme, mais qu’il [le plaignant] ne coopérait pas. À 16 h 23, les agents ont demandé le silence et, à 16 h 24, l’AT n° 3 a demandé que des négociateurs soient dépêchés sur place. Il a indiqué que le plaignant était armé d’un couteau qu’il tenait sous sa gorge. L’AT n° 3 a demandé conseil à l’AT n° 5, qui était un ancien membre de l’unité d’intervention en cas d’urgence du SPRN, et l’AT n° 5 a demandé aux agents de reculer et d’isoler le plaignant dans une pièce. À 16 h 31, l’AT n° 21, superviseur de l’unité, a indiqué qu’une équipe de celle-ci était en train de se préparer à intervenir.

À 16 h 34, l’AT n° 6, qui était avec l’AT n° 3, a signalé qu’ils tenaient le plaignant en joue. À 16 h 39, l’AT n° 5 était arrivé et il a signalé que le plaignant était accroupi à côté d’un lit et qu’il tenait un couteau sous sa gorge. L’AT n° 5 a indiqué que le plaignant se trouvait un peu trop loin pour qu’une arme à impulsions puisse être déployée efficacement.

À 16 h 43, l’AT n° 17 a demandé que le négociateur se présente au poste de commandement. L’AT n° 5 l’a informé que l’AI n° 2 était déjà en train de négocier avec le plaignant, derrière une équipe de protection dans le couloir. À 16 h 49, on a signalé que l’unité d’intervention en cas d’urgence avait remplacé les agents de patrouille en uniforme dans l’appartement.

À 16 h 51, un agent de police a signalé que l’AI n° 2 négociait très bien avec le plaignant, mais que ce dernier tenait toujours le couteau.

À 16 h 50, l’AT n° 15, chef de l’équipe Alpha 1 de l’unité d’intervention en cas d’urgence, a demandé à l’équipe Alpha 2 de l’unité de procéder à une évaluation plus approfondie du périmètre à leur arrivée, car le plaignant pouvait s’enfuir par le balcon supérieur.

À 16 h 51, un agent de police à l’intérieur de l’appartement a signalé que l’AI n° 2 se débrouillait très bien et avait établi un bon rapport avec le plaignant, qui tenait toujours le couteau.

À 16 h 59, l’AI n° 1 est arrivé dans la zone de rassemblement et a pris le contrôle de la situation. D’autres rapports indiquaient que le plaignant continuait d’être en contact avec l’AI n° 2.

Un agent de l’unité d’intervention en cas d’urgence a indiqué à l’un des autres membres de l’équipe Alpha 2 qu’ils pouvaient placer une échelle, mais qu’ils ne devaient pas y monter, afin de poursuivre les négociations en cours. L’agent ne voulait pas que quelqu’un fasse du bruit sur le balcon supérieur.

À 17 h 14, on a indiqué que le plaignant ne tenait plus le couteau. On a également indiqué que sa tête oscillait et qu’il semblait perdre connaissance. À 17 h 23, le plaignant semblait ressentir des émotions en dents de scie, fixait occasionnellement le couteau et refusait de s’en éloigner.

À 17 h 27, on a averti les agents de police que le plaignant, lorsqu’il avait été appréhendé en décembre 2020, avait fait des commentaires sur le fait de désarmer un agent de police.

À 18 h 6, on a indiqué que le plaignant avait repris le couteau et que les interactions entre l’AI n° 2 et le plaignant étaient de moins en moins nombreuses. À 18 h 10, l’AT n° 21 a dit : « Ils y vont ».

À 18 h 10, on a signalé que le plaignant avait une coupure au cou et qu’il utilisait ses mains pour ouvrir ses propres blessures. À 18 h 11, un agent de police a signalé qu’ils essayaient d’immobiliser le plaignant et que des armes à impulsions avaient été déployées, mais que le plaignant s’agrippait à sa blessure au cou et essayait de l’ouvrir. À 18 h 13, on a signalé que le plaignant se débattait toujours.

Éléments obtenus du service de police
 

L’UES a examiné les éléments et documents suivants que lui a remis, à sa demande, le SPRN entre le 29 juin et le 2 septembre 2021 :


• Communications radio et téléphoniques
• Rapport de la répartition assistée par ordinateur
• Photos d’un échange de messages texte entre agents
• Photo prise par l’AT n° 15
• Ordre général de l’unité d’intervention en cas d’urgence
• Correspondance interne du SPRN concernant le déploiement des équipes mobiles en situation de crise
• Liste des agents impliqués
• Notes de tous les agents témoins désignés
• Graphiques des armes à impulsions déployées au cours de l’incident.

Éléments obtenus auprès d’autres sources
 

L’UES a obtenu et examiné les documents suivants auprès d’autres sources entre le 25 juin et le 20 juillet 2021 :


• Dossiers médicaux du Système de santé de Niagara
• Enregistrements vidéo d’un système de sécurité
• Photographies enregistrées par le TC n° 5
• Captures d’écran de messages texte entre le TC n° 5 et le TC n° 2
• Photographies et des enregistrements vidéo captés par le TC n° 4
• Photographies prises par le TC n° 3

Description de l’incident

Le scénario suivant se dégage des preuves recueillies par l’UES, qui comprenait des entrevues avec le TC n° 6 (la mère du plaignant), chacun des agents impliqués, plusieurs témoins civils et des agents de police qui ont eu affaire au plaignant dans les moments précédant sa mort.

Dans l’après-midi du 24 juin 2021, le TC n° 2 a appelé la police pour demander de l’aide pour son frère, le plaignant. Ce dernier, qui vivait avec le TC n° 2 dans l’appartement du deuxième étage d’une maison de l’avenue Russell, à St. Catharines, était en détresse mentale. Lorsque le TC n° 2 lui a demandé s’il voulait aller à l’hôpital pour obtenir de l’aide, le plaignant a refusé et a menacé son frère avec un couteau de poche. Inquiet du geste et du bien-être de son frère, le TC n° 2 a quitté l’appartement et a composé le 9-1-1.

Le plaignant souffrait d’une maladie mentale et avait reçu un diagnostic de troubles affectifs bipolaires. En raison de son état, il a été hospitalisé à plusieurs reprises, souvent avec l’aide de la police. Plus récemment, le plaignant avait été appréhendé en décembre 2020 par des agents et admis à l’hôpital, où il avait passé plusieurs semaines avant d’être libéré. La détérioration de la santé mentale du plaignant avait été remarquée par sa famille la veille, le 23 juin 2021. Le plaignant était agité et hyperactif. Lors d’une conversation avec TC n° 2 ce soir-là, le plaignant a semblé se rendre compte qu’il n’allait pas bien et a accepté d’aller chercher ses médicaments à l’hôpital. Il ne semble pas l’avoir fait. Le lendemain, lorsque son frère est rentré du travail, le plaignant était dans un état extrêmement agité.

Le plaignant était sur son lit dans la chambre située à l’extrémité nord de l’appartement lorsque les premiers agents de police du SPRN sont arrivés vers 16 h. À la demande de l’un des agents, le plaignant a laissé tomber le couteau sur le lit. Il a pu répondre de manière intelligible à certaines des questions des agents, mais certaines de ses réponses étaient incohérentes. Le plaignant a nié vouloir se faire du mal ou faire du mal à autrui. À un moment donné, toujours à la demande d’un agent, le plaignant a ramassé le couteau de poche et l’a jeté sur le balcon juste à l’extérieur de la chambre. Il a dit aux agents qu’il ne voulait pas qu’ils soient là.

Peu après avoir jeté le couteau de poche, le plaignant s’est levé et s’est dirigé rapidement vers l’avant de l’appartement, prenant au passage un couteau dans la cuisine. Plusieurs agents l’ont suivi et le plaignant s’est rendu dans une autre chambre, à l’extrémité sud de l’appartement, et s’est assis sur le sol près du lit. Le plaignant a refusé de lâcher le couteau alors que les agents, l’arme pointée vers lui à quelques mètres de distance, lui demandaient de coopérer. Alors que la situation se poursuivait, le comportement du plaignant oscillait entre des moments de calme et de détresse. Il a porté le couteau à son cou et a déclaré qu’il voulait mourir. Les agents lui ont dit qu’ils ne voulaient pas lui faire de mal.

Vers 16 h 30, un négociateur professionnel, soit l’AI n° 2, est arrivé sur les lieux et a pris l’initiative de communiquer avec le plaignant, qui était réceptif. Les deux hommes ont entamé une conversation. À la demande de l’agent, le plaignant a déposé le couteau à une certaine distance sous le lit à côté de lui. On lui a alors demandé de le pousser plus loin de lui. Au cours de l’heure et demie suivante, les deux personnes ont parlé de ce que le plaignant aime au Canada et en Inde, de son intérêt pour les motocyclettes et de son père. Le plaignant a expliqué qu’il avait souffert de toxicomanie pendant de nombreuses années et a reconnu qu’il avait besoin d’aide pour ses troubles mentaux. Lorsqu’on lui a demandé s’il voulait parler à sa mère et à son frère qui étaient à l’extérieur, le plaignant a refusé. À un moment donné, à la demande du plaignant, l’AI n° 2 a fait jouer sur son téléphone une chanson de Katy Perry que l’homme aimait.

Au fur et à mesure que le temps passait, les communications entre l’AI n° 2 et le plaignant ont diminué. Le plaignant a d’abord refusé de boire dans une bouteille d’eau que l’AI n° 2 avait fait rouler vers lui, pensant qu’elle pouvait être empoisonnée. Il s’est impatienté avec l’AI n° 2 et lui a dit qu’il ne lui faisait pas confiance. Le plaignant a ramassé le couteau sur le sol avec sa main gauche et semblait regarder au loin. Il a cessé de regarder les agents et a commencé à chanter.

Vers 18 h 10, alors que le plaignant penchait la tête en arrière pour boire dans la bouteille d’eau, il a été atteint par des sondes d’une arme à impulsions. Il a crié de douleur et a été temporairement immobilisé. Plusieurs agents se sont précipités sur lui alors qu’il était allongé sur le sol et tentait de contrôler ses bras et ses jambes. Le plaignant s’est débattu et a réussi à amener le couteau vers le côté gauche de son cou et à se poignarder. Les agents ont finalement réussi à retirer le couteau du cou et des mains du plaignant, mais ils ont continué à se battre avec lui alors qu’il tentait de se blesser davantage. Après plusieurs autres décharges d’armes à impulsions et l’arrivée d’autres agents, le plaignant a été maîtrisé et on a attaché ses mains et ses pieds.

Le plaignant avait subi de graves blessures et perdait beaucoup de sang. Il a été emmené à l’extérieur, sur le balcon avant de la maison, où des ambulanciers et des agents lui ont prodigué des soins d’urgence. Le plaignant a été placé sur une civière, transporté au rez-de-chaussée et placé dans une ambulance, puis transporté à l’hôpital. Il n’a pas pu être réanimé et sa mort a été constatée à 19 h 11.

Cause du décès

Le médecin légiste qui a pratiqué l’autopsie a estimé, à titre préliminaire, que le décès du plaignant était attribuable à un « coup de couteau au cou ». La blessure avait pénétré la trachée et la veine jugulaire gauche du plaignant.

Dispositions législatives pertinentes

Articles 219 et 220 du Code criminel -- Négligence criminelle qui cause des lésions corporelles

219 (1) est coupable d’une négligence criminelle quiconque :
a) soit en faisant quelque chose;
b) soit en omettant de faire quelque chose qui est de son devoir d’accomplir, montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui.


(2) Pour l’application du présent article, devoir désigne une obligation imposée par la loi.                  

220 Quiconque, par négligence criminelle, cause la mort d’une autre personne est coupable d’un acte criminel passible :

a) s’il y a usage d’une arme à feu lors de la perpétration de l’infraction, de l’emprisonnement à perpétuité, la peine minimale étant de quatre ans;
b) dans les autres cas, de l’emprisonnement à perpétuité.

L’article 215 du Code criminel – Défaut de fournir les choses nécessaires à l’existence

215 (1) Toute personne est légalement tenue :

c) de fournir les choses nécessaires à l’existence d’une personne à sa charge, si cette personne est incapable, à la fois :
(i) par suite de détention, d’âge, de maladie, de troubles mentaux, ou pour une autre cause, de se soustraire à cette charge,
(ii) de pourvoir aux choses nécessaires à sa propre existence.

(2) Commet une infraction quiconque, ayant une obligation légale au sens du paragraphe (1), omet, sans excuse légitime, de remplir cette obligation, si :
b) à l’égard d’une obligation imposée par l’alinéa (1)c), l’omission de remplir l’obligation met en danger la vie de la personne envers laquelle cette obligation doit être remplie, ou cause, ou est de nature à causer, un tort permanent à la santé de cette personne.

Analyse et décision du directeur

Le plaignant est mort le 24 juin 2021 d’une blessure qu’il s’est lui-même infligée. Comme des agents du SPRN étaient présents au moment où le plaignant a été blessé, l’UES a été informée de la situation et a ouvert une enquête. Trois agents du SPRN, soit l’AI n° 1, n° 2 et n° 3, ont été désignés comme étant les agents impliqués. L’enquête est maintenant terminée. D’après mon évaluation des preuves, il n’y a pas de motifs raisonnables de croire que l’un des agents impliqués a commis une infraction criminelle relativement à la mort du plaignant.

Les infractions à examiner sont le défaut de fournir les choses nécessaires à l’existence et la négligence criminelle qui cause des lésions corporelles, en violation des articles 215 et 220 du Code criminel. La première infraction est fondée, en partie, sur une conduite qui constitue un écart marqué par rapport au niveau de soin qu’une personne raisonnable aurait exercé dans les circonstances. La seconde est réservée aux cas plus graves de négligence qui démontrent une insouciance délibérée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui. La conduite contestée doit constituer un écart marqué et substantiel par rapport à une norme de diligence raisonnable pour justifier la responsabilité de l’infraction. Dans le cas présent, la question est de savoir s’il y a eu un manque de diligence de la part des agents qui ont principalement déterminé l’intervention de la police envers le plaignant — l’AI n° 1, qui a la responsabilité globale du commandement des opérations de police, l’AI n° 2, le négociateur principal, et l’AI n° 3, l’agent de l’unité d’intervention en cas d’urgence qui a initialement déchargé son arme à impulsions — qui a contribué à la mort du plaignant et/ou qui était suffisamment flagrant pour entraîner une sanction pénale. À mon avis, ce n’est pas le cas.

Tout d’abord, il convient de noter que les agents étaient en tout temps légalement placés. Ils avaient été appelés sur les lieux après avoir été informés que le plaignant était en état de détresse mentale et en possession d’un couteau de poche qu’il avait brandi en direction de son frère. Le premier devoir d’un agent est de préserver la vie. Dans les circonstances, les agents avaient le devoir de se rendre à l’appartement du plaignant pour faire ce qui était raisonnablement dans leur pouvoir pour empêcher que le plaignant ou d’autres personnes ne subissent un préjudice.

Je suis également convaincu que l’opération de police qui s’est déroulée ce jour-là, y compris les rôles joués par les AI n° 1, n° 2 et n° 3, a été menée avec le soin et l’attention voulus pour la santé et le bien-être du plaignant, malgré la mort tragique de ce dernier. Parmi les premières personnes arrivées sur les lieux, il y avait un groupe de l’équipe mobile d’intervention rapide en cas de crise (EMIRCC), qui associe un agent spécialement formé à un professionnel de la santé mentale — dans ce cas, l’AT n° 4 et le TC n° 7, respectivement. L’EMIRCC fait partie des efforts du service de police pour traiter plus efficacement les appels de service concernant des personnes en état de détresse mentale. Le TC n° 7 s’est entretenu avec le plaignant dans sa chambre pendant environ dix minutes et a tenté d’évaluer s’il y avait des raisons de l’appréhender en vertu de la Loi sur la santé mentale. Bien qu’il ait répondu à certaines de ses questions, le plaignant semblait distant par moments et paranoïaque — il riait de façon inappropriée, chuchotait et agitait les bras. Ne sachant pas s’il y avait une base légale pour placer le plaignant sous garde, le TC n° 7 a décidé de retourner au rez-de-chaussée pour parler avec le frère du plaignant, le TC n° 2. Peu de temps après, le plaignant s’est emparé d’un autre couteau dans la cuisine.

La décision de faire appel à un négociateur en situation de crise, soit l’AI n° 2, et à l’unité d’intervention en cas d’urgence, dont l’AI n° 3 était membre, était également justifiée. Lorsque l’AI n° 2 s’est rendu sur les lieux peu après 16 h 30, le plaignant se trouvait dans une chambre avec un couteau sous le cou et la situation avait clairement dégénéré, ce qui excluait toute autre intervention de l’EMIRCC. Le plan consistait à donner aux négociateurs toutes les chances de résoudre la situation de manière pacifique. Ainsi, au cours de l’heure et demie qui a suivi, l’AI n° 2 a tenté d’établir une relation avec le plaignant et y est parvenu. Il a réussi à lui faire lâcher le couteau et a engagé une conversation avec lui sur ses goûts et ses intérêts. L’AI n° 2 avait également pris connaissance des conseils reçus d’un psychiatre judiciaire qui avait été consulté au sujet de la situation. Lorsque l’AI n° 2 a estimé à quelques reprises qu’il avait établi une bonne relation avec le plaignant, il l’a encouragé à se rendre à l’hôpital avec les agents pour obtenir de l’aide. Bien que le plaignant ait refusé l’offre avec fermeté, ce n’est pas faute d’avoir essayé. Les efforts de l’AI n° 2, comme le montre clairement le dossier, ont toujours été empreints de tact et de mesure.

Je suis également convaincu que l’unité d’intervention en cas d’urgence, et notamment l’AI n° 3, n’ont pas transgressé les limites de la prudence prescrites par le droit pénal tout au long de leur intervention dans l’affaire. L’unité d’intervention en cas d’urgence a été appelée à se rendre à l’appartement, de manière raisonnable à mon avis, après que le plaignant se soit emparé d’un couteau de cuisine de taille plus importante et se soit enfui dans la chambre la plus au sud de la résidence. Compte tenu de son état d’esprit et du fait qu’il était en possession d’une arme capable d’infliger des lésions corporelles graves ou la mort, je ne peux pas reprocher aux agents de l’unité d’intervention en cas d’urgence (quatre à cinq d’entre eux tout au long de la situation) d’être restés dans la chambre, notamment si l’AI n° 2 allait poursuivre les négociations depuis cette pièce.

Les agents, équipés de diverses armes, soit des armes à impulsions, d’un fusil, d’une arme de calibre de 37 mm (ARWEN) et d’un bouclier, sont restés relativement passifs tout au long de l’incident; ils se tenaient à côté et derrière l’AI n° 2 pendant qu’il essayait de faire avancer ses conversations avec le plaignant. Ce n’est que lorsque les négociations ont commencé à échouer, et qu’il semblait que le plaignant était sur le point de se faire du mal avec le couteau, que l’AI n° 3 a déchargé son arme à impulsions. Il ne l’a fait qu’après avoir reçu le « pouvoir de réaction » de l’AI n° 1 pour intervenir si l’homme allait s’infliger des blessures corporelles de façon imminente.

Les agents ont raisonnablement cru qu’ils avaient atteint ce point, car le comportement du plaignant s’est aggravé peu après 18 h. Dans ces circonstances, je suis convaincu que l’AI n° 3 a agi raisonnablement en tentant de neutraliser temporairement le plaignant à distance en déployant son arme à impulsions au moment où il l’a fait. S’il avait réussi, le plaignant aurait été immobilisé assez longtemps pour qu’on puisse l’appréhender en toute sécurité, et ce, avant qu’il ne se fasse du mal.

Je ne suis pas non plus en mesure de conclure que les décharges de l’arme à impulsions qui ont suivi, et l’effort collectif pour maîtriser physiquement le plaignant au cours de la bataille après que l’AI n° 3 a déchargé son arme, étaient déraisonnables. À ce moment-là, les agents essayaient désespérément d’empêcher le plaignant de se faire du mal.

Enfin, une fois que les membres du plaignant ont été sécurisés, rien n’indique que les agents ont agi sans répartie appropriée pour prodiguer des soins médicaux.

Y a-t-il eu des moments où une intervention plus décisive des agents aurait pu aboutir à un meilleur résultat? Peut-être. On note, dans cette veine, que le plaignant s’est dépossédé pendant un certain temps, à deux reprises, du couteau qu’il tenait. On peut soutenir qu’un affrontement physique à ces occasions aurait pu permettre de l’appréhender en toute sécurité. Bien sûr, une telle spéculation reste, dans une large mesure, qu’une spéculation. C’est particulièrement vrai compte tenu de la situation dans laquelle se trouvaient les agents. Les deux fois où le plaignant a laissé tomber le couteau, par exemple, il a pris soin de le garder à portée de main; en fait, à la deuxième occasion, il a expressément refusé, à la demande de l’AI n° 2, de donner un coup de pied au couteau. Dans ces circonstances, les agents avaient des raisons de craindre que tout mouvement agressif de leur part puisse amener le plaignant à saisir le couteau et à l’utiliser pour faire du mal. De plus, il avait été décidé que la police ferait tout son possible pour résoudre la situation de manière pacifique et sans recourir à la force. Cette stratégie n’était pas déraisonnable, d’autant plus que les négociations de l’AI n° 2 semblaient aboutir pendant un certain temps.

Le nombre d’agents qui sont intervenus sur les lieux et qui se trouvaient dans la chambre avec le plaignant doit également être examiné. J’admets que la nature et l’étendue de la présence policière ont probablement contribué au stress que ressentait le plaignant et qu’elles étaient, dans une certaine mesure, à contre-courant de l’objectif global de la police en matière de désescalade. Toutefois, la police était dans une position difficile. Le plaignant était en possession d’un couteau et représentait un danger réel et imminent pour lui-même et pour autrui. Ils savaient également que plus d’une demi-douzaine d’agents de police avaient dû maîtriser le plaignant la dernière fois qu’il avait été appréhendé et admis à l’hôpital. Dans le cas présent, le plaignant a fait preuve d’une force incroyable après avoir été atteint d’une arme à impulsions et pendant un certain temps après s’être infligé la blessure mortelle à l’aide d’un couteau. Il a fallu environ six agents de l’unité d’intervention en cas d’urgence pour le maîtriser. Dans ces circonstances, si la force utilisée était plus importante qu’il ne le fallait, elle n’était pas démesurée compte tenu des impératifs concurrents en jeu.

Pour les raisons qui précèdent, comme je suis convaincu que les AI n° 1, n° 2 et n° 3 se sont comportés de manière légale tout au long des événements qui ont abouti à la mort du plaignant, il n’y a pas lieu de porter des accusations criminelles dans cette affaire. Le dossier est clos.


Date : Le 21 octobre 2021

Approuvé électroniquement par


Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) Les temps indiqués sont les temps enregistrés dans les données internes de l'arme à impulsions. [Retour au texte]
  • 2) Les enregistrements suivants contiennent des renseignements personnels sensibles et ne sont pas divulgués en vertu de du paragraphe 34(2) de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales. Les parties importantes des enregistrements sont résumées ci-dessous. [Retour au texte]

Note:

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