Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 20-OCI-249

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (« LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :
  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :
  • le nom de tout agent impliqué;
  • le nom de tout agent témoin;
  • le nom de tout témoin civil;
  • les renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel lié à la santé de personnes identifiables. 

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave (y compris une allégation d’agression sexuelle).

On doit englober dans les «â€‰blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de «â€‰blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur une blessure subie par un homme de 43 ans (le « plaignant »).

L’enquête

Notification de l’UES

Le 2 octobre 2020, vers 12 h 34, le Service de police régional de Durham (SPRD) a communiqué avec l’UES et donné le rapport qui suit.

Le 2 octobre 2020, à 9 h 30, des agents se sont rendus à une résidence, à Whitby, en réponse à un appel concernant un incident familial. La mère du plaignant a déclaré qu’il était en crise de santé mentale et qu’il détruisait des objets dans la maison.

Les agents se sont rendus sur place et ont trouvé le plaignant sur le palier du deuxième étage où il a menacé de s’emparer de leurs armes et de leur tirer dessus. Une arme à impulsions a été déployée sur le plaignant qui s’est figé et est tombé par terre sur le dos, où il a été menotté, pour sa sécurité et celle des policiers.

Les agents ont transporté le plaignant au centre Lakeridge Health (LHC), où les médecins qui l’ont examiné n’ont rien décelé d’anormal. Le plaignant a ensuite été amené à l’unité de crise pour une évaluation en vertu de la Loi sur la santé mentale. Les agents sont restés avec le plaignant et étaient présents lorsqu’il a enfilé une chemise d’hôpital. Ils ont alors remarqué que son bras était très enflé. Ils ont appelé un médecin, qui a ordonné des radiographies. Les radiographies ont révélé une fracture de l’humérus.

Le plaignant devait être admis à l’hôpital pour le traitement de sa blessure et ensuite évalué par l’unité de crise.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 3
Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires (SSJ) de l’UES assignés : 1

Plaignant :

Homme de 43 ans; n’a pas consenti à participer à une entrevue ni à communiquer ses dossiers médicaux


Agents témoins (AT)

AT no 1 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées
AT no 2 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées
AT no 3 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées


Agent impliqué

AI A participé à une entrevue, mais n’a pas consenti à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.


Éléments de preuve

Les lieux

Le lieu de l’appréhension du plaignant était une résidence à Whitby, en Ontario.

Éléments de preuve matériels


L’arme à impulsions de l’AI


Le 5 octobre 2020, un enquêteur spécialiste des sciences judiciaires de l’UES s’est rendu à un établissement du SPRD où il a recueilli des sacs scellés qui contenaient l’arme à impulsions de l’AI ainsi que la cartouche tirée et divers composants de l’arme à impulsions. Le SPRD a déclaré que l’arme à impulsions avait été entreposée dans un endroit sécurisé depuis l’arrestation du plaignant. L’arme à impulsions avait été déclenchée de 9 h 06 min 6 s à 9 h 06 min 7 s, le 2 octobre 2020. [1]

Enregistrements des communications de la police


Appel au 9-1-1


Le 2 octobre 2020, à 8 h 35, la mère du plaignant a appelé le 9-1-1 pour demander que la police vienne chez elle pour faire partir son fils. Elle ne voulait plus que son fils vive chez elle et lui avait demandé de s’en aller. Il avait des troubles de santé mentale et avait reçu un diagnostic de schizophrénie.

Comme la mère du plaignant parlait avec un fort accent, l’opératrice du 9-1-1 avait du mal à la comprendre. Finalement, ayant obtenu et compris suffisamment de renseignements, l’opératrice a consulté le système de gestion des dossiers (SGD) du SPRD et constaté qu’un appel similaire avait été reçu en provenance du même endroit à une autre occasion.

Pendant que la mère du plaignant expliquait ses préoccupations, on pouvait entendre en arrière-plan son autre fils exprimer son mécontentement et ses frustrations à l’égard du plaignant et sa détermination à le faire expulser de la maison.

Le frère du plaignant a parlé à l’opératrice du 9-1-1. Il était furieux et a dit que son frère avait des problèmes de santé mentale, mais il ne savait pas lesquels. Il demandait avec insistance qu’on emmène son frère hors de chez lui pour qu’il obtienne des soins de santé mentale.

Enregistrements des communications


Le 2 octobre 2020, à 8 h 41 min 40 s, l’AI et l’AT no 2 sont envoyés à une adresse, à Whitby, pour un homme qui refuse de quitter cette résidence. L’homme à la présence indésirable est le plaignant, le fils de la personne qui a appelé. Il a consommé de la marijuana plus tôt dans la matinée. On constate que l’homme en question est connu du SPRD et enregistré dans le SGD comme ayant des antécédents de violence et en possession de menottes et d’une matraque. Le superviseur des patrouilles de service est mis au courant de l’appel.

L’AT no 1, qui est dans le secteur, se porte volontaire pour venir en renfort et est affecté à l’appel.

À 9 h 02 min 54 s, un agent de police qui est sur les lieux dit au répartiteur que le plaignant est agité et que les agents tentent de le calmer.

À 9 h 03 min 59 s, l’AT no 1 dit au répartiteur que le plaignant est sous garde et demande qu’on envoie une ambulance. À 9 h 04 min 12 s, il demande où est l’ambulance.

À 9 h 28 min 27 s, l’AT no 1 annonce par radio qu’on va transporter le plaignant en ambulance à l’hôpital et qu’il va l’accompagner dans l’ambulance. À 9 h 30 min 4 s, l’AI dit qu’il suit l’ambulance jusqu’à l’hôpital. À 9 h 44, l’AI dit au répartiteur qu’il est arrivé à l’hôpital.

Éléments obtenus auprès du service de police

Sur demande au SPRD, l’UES a obtenu les documents suivants qu’elle a examinés :
  • Système de répartition assistée par ordinateur - résumé détaillé d’appel;
  • Directive – Soins et contrôle des détenus.
  • Directive – Arrestation et mandat demandés;
  • Directive – Usage de la force par la police;
  • Directive – Personnes en situation de crise et tentative de suicide;
  • Courriel du SPRD concernant les dates de qualification en usage de la force de l’AI et de l’AT no 3;
  • Copie papier de rapport général d’incident;
  • Enregistrement de l’appel au 9-1-1;
  • Enregistrements des communications;
  • Déclaration écrite de l’AT no 3;
  • Notes de l’AT no 3;
  • Notes de l’AT no 2;
  • Notes de l’AT no 1.

Description de l’incident

Le scénario suivant se dégage des éléments de preuve recueillis par l’UES, dont des entrevues avec l’AI, avec deux témoins oculaires de certaines parties de l’incident en question et avec trois agents témoins qui étaient présents au moment de l’arrestation. Vers 8 h 30, une résidente de Whitby – la mère du plaignant – a appelé la police à propos de l’un de ses fils – le plaignant. Elle-même et son autre fils – le propriétaire de la résidence – voulaient que le plaignant s’en aille, mais il refusait de partir. Le frère du plaignant s’est également entretenu avec l’opératrice et lui a fait part de ses frustrations à l’égard du comportement de son frère, en notant que ce dernier avait besoin de soins de santé mentale. Des agents de police ont été envoyés sur les lieux.

L’AI est arrivé en premier, suivi de près par l’AT no 2. Le frère du plaignant a dit à l’AI que son frère vivait chez lui, mais qu’il n’était plus le bienvenu. Le plaignant n’avait pas pris de douche depuis plusieurs semaines et cela, en plus de son autre comportement, rendait sa présence indésirable. Le frère du plaignant et sa mère ont déclaré que le plaignant avait besoin d’une aide psychologique et étaient catégoriques quant au fait qu’ils ne le voulaient plus chez eux.

Les agents sont entrés dans la maison et, du bas d’un escalier, se sont entretenus avec le plaignant, qui était sorti d’une chambre sur le palier du deuxième étage. L’AI s’est chargé de la discussion avec le plaignant. Il a tenté de le persuader de sortir de la maison paisiblement, mais le plaignant ne voulait rien entendre. Au contraire, il a adopté une attitude hostile envers les agents, disant qu’il avait suivi une formation en arts martiaux et avait été un agent des « forces spéciales », et les a menacés de s’emparer de leurs armes.

Quand l’AT no 1 et l’AT no 3 les ont rejoints, l’AI et l’AT no 2 ont décidé de monter de quelques marches dans l’escalier pour poursuivre leurs discussions avec le plaignant. Ils ne sont pas parvenus à apaiser le plaignant qui demeurait déterminé à ne pas quitter la résidence. Sa belligérance s’est intensifiée au point qu’il a donné des coups de pied en l’air, a serré les poings et adopté une position de karaté face à l’AI. Préoccupé par ce comportement, l’AI a dégainé son arme à impulsions et a menacé le plaignant de la décharger sur lui s’il refusait de se mettre à terre.

Comme le plaignant ignorait son ordre, l’AI a déchargé son arme à impulsions sur lui. Les sondes de l’arme à impulsions ont atteint le plaignant, qui a été immédiatement immobilisé et est tombé en arrière sur le plancher. L’AI et les trois autres agents se sont avancés pour saisir le plaignant, puis l’ont menotté dans le dos sans autre incident.

Une fois arrêté, le plaignant s’est calmé. Il a été escorté hors de la maison et emmené à l’hôpital en ambulance, où on lui a diagnostiqué une fracture de l’humérus gauche et on l’a admis pour une évaluation en vertu de la Loi sur la santé mentale.

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 25(1) du Code criminel -- Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :
a) soit à titre de particulier
b) soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
c) soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
d) soit en raison de ses fonctions

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Article 17 de la Loi sur la santé mentale -- Intervention de l’agent de police

17 Si un agent de police a des motifs raisonnables et probables de croire qu’une personne agit ou a agi d’une façon désordonnée et qu’il a des motifs valables de croire que cette personne :
a) soit a menacé ou tenté de s’infliger des lésions corporelles ou menace ou tente de le faire
b) soit s’est comportée ou se comporte avec violence envers une autre personne ou de manière à lui faire craindre qu’elle lui causera des lésions corporelles
c) soit a fait ou fait preuve de son incapacité de prendre soin d’elle-même

et qu’en plus, il est d’avis que cette personne souffre, selon toute apparence, d’un trouble mental d’une nature ou d’un caractère qui aura probablement l’une des conséquences suivantes :
a) elle s’infligera des lésions corporelles graves
b) elle infligera des lésions corporelles graves à une autre personne
c) elle subira un affaiblissement physique grave

et qu’il serait dangereux d’agir selon les termes de l’article 16, il peut amener sous garde cette personne dans un lieu approprié afin qu’elle soit examinée par un médecin.

Analyse et décision du directeur

Le 2 octobre 2020, le plaignant s’est fracturé le bras gauche au cours de son appréhension par des agents du SPRD. L’AI faisait partie des agents qui ont procédé à son arrestation et a été identifié comme agent impliqué aux fins de l’enquête de l’UES. Après avoir évalué le dossier de preuve, j’estime qu’il n’y a aucun motif raisonnable de croire que l’AI a commis une infraction criminelle en lien avec l’arrestation et la blessure du plaignant.

En vertu du paragraphe 25 (1) du Code criminel, les policiers sont exonérés de toute responsabilité criminelle lorsqu’ils ont recours à la force dans l’exécution de leurs fonctions, pour autant que cette force n’excède pas ce qui est raisonnablement nécessaire à l’accomplissement de ce qu’il leur est enjoint ou permis de faire en vertu de la loi. De toute évidence, le plaignant n’avait pas tous ses esprits à ce moment-là. Cela, combiné à la combativité du plaignant et à la possibilité très réelle d’une dispute violente avec son frère si on ne l’éloignait pas de la maison, fournissait à l’AI une base légale pour appréhender le plaignant en vertu de l’article 17 de la Loi sur la santé mentale. La question à trancher porte alors sur le bien-fondé de la force utilisée pour placer le plaignant sous garde.

À mon avis, la décharge unique d’une arme à impulsions – le seul recours important à la force – n’était pas excessive dans les circonstances. Il est vrai que quatre agents étaient sur place à ce moment-là. Cependant, il est tout aussi vrai que le plaignant était sur le point de se battre et que le nombre d’agents ne présentait pas un avantage important du fait de l’espace confiné de l’escalier dans lequel l’interaction se déroulait. Comme le frère du plaignant leur avait dit que son frère n’avait pas suivi les policiers de son plein gré lors de la dernière visite récente de la police à la maison, l’AI avait toutes les raisons de croire que les choses ne se passeraient pas autrement cette fois-ci s’ils décidaient de le maîtriser physiquement. Je ne peux donc pas raisonnablement conclure que l’AI a agi illégalement en neutralisant le plaignant à distance avec son arme à impulsions pour éviter une lutte physique. En fait, cette décharge a eu l’effet souhaité et le plaignant a été arrêté sans incident après être tombé par terre.

En conséquence, même s’il est regrettable que le plaignant se soit cassé le bras lorsqu’il est tombé après avoir reçu la décharge de l’arme à impulsions, je suis convaincu que sa blessure était la conséquence involontaire et malheureuse du recours à la force qui était par ailleurs raisonnablement nécessaire. Il n’y a donc aucun motif de porter des accusations contre l’AI dans cette affaire, et le dossier est clos.


Date : 1er février 2021

Approuvé par voie électronique par

Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) Ces heures sont dérivées de l'horloge interne de l'arme, qui n'est pas nécessairement synchronisée avec l'heure réelle. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.