Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 21-TCI-024

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’exécution de la loi qui enquête sur les incidents mettant en cause un agent et impliquant un décès, une blessure grave, la décharge d’une arme à feu contre une personne ou une allégation d’agression sexuelle. Selon la définition de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales (Loi sur l’UES), « agents » s’entend des agents de police, des agents spéciaux employés par la Commission des parcs du Niagara et des agents de la paix en vertu de la Loi sur l’Assemblée législative. La compétence de l’UES s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux en Ontario.

En vertu de la Loi sur l’UES, le directeur de l’UES doit établir, d’après les preuves recueillies dans le cadre d’une enquête, s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un agent a commis une infraction criminelle. Si de tels motifs existent, le directeur a le pouvoir de faire porter une accusation criminelle contre cet agent. Par contre, en l’absence de tels motifs, le directeur ne peut pas porter d’accusation. Dans ce cas, un rapport d’enquête est rédigé et rendu public, sauf s’il portait sur des allégations d’agression sexuelle, auquel cas le directeur de l’UES peut consulter la personne concernée et exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas publier le rapport pour protéger la vie privée de la personne concernée.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales

En vertu de l’article 34, certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment :
  • le nom d’un agent impliqué, d’un agent témoin, d’un témoin civil ou d’une personne concernée, ainsi que tout renseignement permettant d’identifier ces personnes; 
  • des renseignements qui pourraient amener à ce que l’identité d’une personne ayant signalé avoir été agressée sexuellement soit révélée dans le contexte de l’agression sexuelle; 
  • des renseignements qui, de l’avis du directeur de l’UES, peuvent présenter un risque de préjudice grave pour une personne; 
  • des renseignements qui divulguent des techniques ou méthodes d’enquête; 
  • des renseignements dont la diffusion est interdite ou restreinte par la loi; 
  • des renseignements pour lesquels la protection de la vie privée d’une personne obtenue grâce à leur non-publication l’emporte clairement sur l’intérêt public de les publier.

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée

En vertu de l’article 14 (article relatif à l’exécution de la loi), certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment : 
  •  des renseignements qui révèlent des techniques ou méthodes d’enquête confidentielles utilisées par des organismes chargés de l’exécution de la loi; 
  • des renseignements dont on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 

En vertu de l’article 21 (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment : 
  •  les noms de personnes, y compris des témoins civils et des agents impliqués et témoins; 
  • des renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête. 

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé

En vertu de cette loi, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’exécution de la loi.

Exercice du mandat

En vertu de l’article 15 de la Loi sur l’UES, l’UES peut enquêter sur la conduite d’agents (agents de police, agents spéciaux de la Commission des parcs du Niagara ou agents de la paix en vertu de Loi sur l’Assemblée législative) qui pourrait avoir entraîné un décès, des blessures graves, une agression sexuelle ou la décharge d’une arme à feu contre une personne.

Une personne subit une « blessure grave » qui relève de la compétence de l’UES si, selon le cas : elle subit une blessure pour laquelle elle est admise à l’hôpital, elle souffre d’une fracture du crâne, d’un membre, d’une côte ou d’une vertèbre, elle souffre de brûlures sur une grande partie du corps, ou elle subit une perte de la vision ou de l’ouïe par suite d’une blessure.

De plus, une « blessure grave » désigne toute autre blessure subie par une personne susceptible d’avoir des répercussions sur la santé ou le confort de cette personne et qui n’est pas de nature passagère ou bénigne.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur une blessure grave subie par un homme de 34 ans (« le plaignant »)

L’enquête

Notification de l’UES

Le 20 janvier 2021, à 3 h 15, le Service de police de Toronto (SPT) a avisé l’UES de la blessure du plaignant et donné le rapport suivant : le 20 janvier 2021, à 0 h 16, des agents du SPT sont intervenus en réponse à une plainte au sujet d’un incident domestique impliquant le plaignant. Le plaignant s’est enfui. Les agents l’ont repéré et une interaction s’est ensuivie. Le plaignant a été plaqué à terre et arrêté. Le plaignant a dit aux agents qu’il avait une blessure au nez. Il a été conduit en ambulance à l’hôpital Toronto Western, où on lui a diagnostiqué une fracture du nez. Le plaignant a par la suite été libéré de l’hôpital et replacé sous la garde du SPT.

L’équipe

Date et heure de l’envoi de l’équipe : 20 janvier 2021 à 13 h 12.

Date et heure de l’intervention de l’UES : 20 janvier 2021 à 14 h 10.

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 2

Personne concernée (le « plaignant ») :

Homme de 34 ans, a participé à une entrevue

Le plaignant a participé à une entrevue le 20 janvier 2021.


Agents impliqués

AI A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

L’agent impliqué a participé à une entrevue le 4 février 2021.


Agents témoins

AT no 1 A participé à une entrevue
AT no 2 A participé à une entrevue
AT no 3 A participé à une entrevue
AT no 4 A participé à une entrevue

Les quatre agents ont été désignés en tant qu’agents témoins le 20 janvier 2021 et trois d’entre eux ont participé à une entrevue le jour où ils ont repris leur service, soit le 26 janvier 2021. Le quatrième étant en congé, les enquêteurs de l’UES n’ont pu l’interroger que le 12 février 2021.


Éléments de preuve

Les lieux

L’incident s’est déroulé sur le trottoir ouest de la rue Dufferin, à environ 75 mètres au sud de la rue Dundas Ouest.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou de photographies [1]

Enregistrements des communications

Il s’agit d’enregistrements du 20 janvier 2020 qui ont capturé ce qui suit :

À minuit, le SPT reçoit un appel au 9-1-1 d’une femme au sujet d’un trouble domestique avec le plaignant. Elle dit que le plaignant a cassé le pare-brise de son véhicule dans un stationnement de la rue Dundas Ouest et qu’il est encore là, près de son véhicule. La femme donne une description du plaignant, ainsi que son nom et son adresse.

À 0 h 02, plusieurs unités de police sont appelées à intervenir. Le répartiteur de la police transmet les renseignements recueillis par l’opérateur du 9-1-1. L’opérateur du 9-1-1 reste en ligne avec la femme jusqu’à l’arrivée des agents sur les lieux.

À 0 h 04, la femme dit que le plaignant s’est éloigné de son véhicule; elle ne sait pas où il est, ni où il est allé, mais elle ne pense pas qu’il soit retourné dans l’immeuble. Elle croit que le plaignant a un couteau. Le répartiteur transmet cette information concernant la possibilité d’un couteau aux agents qui interviennent.

À 0 h 08, la femme dit qu’elle voit des véhicules de police arriver à l’immeuble. Un sergent de patrouille est informé de l’appel radio. L’AT no 1 demande une mise à jour de la description du plaignant et de l’endroit vers où il s’est dirigé. Une unité du Groupe d’intervention d’urgence arrive sur le canal de radio.

À 0 h 10, un agent de police dit qu’il est avec la femme qui a appelé le 9-1-1 et, à 0 h 11, l’AT no 1 dit que lui-même et l’AT no 2 sont maintenant dans le secteur à la recherche du plaignant.

À 0 h 13, l’AT no 1 demande si la description du plaignant comprenait une casquette noire.

À 0 h 14, à la demande d’un agent, le répartiteur répète la description du plaignant en commençant par « homme, noir ». Dans une transmission, apparemment de l’AT no 1, on entend des bruits de lutte.

À 0 h 16, l’AI dit au répartiteur qu’il est sur les lieux et que tout est en ordre; il demande une ambulance.

À 0 h 26, l’AI dit que l’ambulance est arrivée.

Vidéo de la caméra corporelle de l’AI

Il s’agit d’enregistrements du 20 janvier 2020 qui ont capturé ce qui suit :

La vidéo commence à 0 h 13 min 13 s. L’AI roule vers l’est sur la rue Dundas Ouest et approche d’un feu rouge, à l’intersection de la rue Dufferin. Un véhicule utilitaire sport (VUS) du SPT [dont on sait maintenant qu’il s’agit de celui conduit par l’AT no 2] est arrêté à l’intersection, dans la voie nord sur la rue Dufferin. L’AI roule lentement vers le sud où une rangée de maisons borde le côté ouest de la rue Dufferin, très près de la chaussée.

À 0 h 13 min 24 s, une personne vêtue de vêtements sombres [maintenant connue pour être le plaignant] marche vers le sud sur le trottoir ouest de la rue Dufferin, à droite de l’AI. L’AI roule à côté du plaignant, puis le dépasse.

À 0 h 13 min 32 s, l’AI s’arrête dans la voie de droite en direction sud, le long du trottoir ouest, et sort de son véhicule.

L’enregistrement audio commence à 0 h 13 min 34 s. L’AI se dirige vers l’arrière de sa voiture de police et dit [traduction] : « Hé l’ami, comment ça va? » Le plaignant marche vers le sud et passe devant une maison [maintenant connue comme étant le 598, rue Dufferin]. Il porte un chapeau sombre, un manteau sombre, un pantalon sombre et des chaussures sombres. Le plaignant est au centre du trottoir. Il regarde un téléphone cellulaire qu’il tient des deux mains devant lui. Le plaignant s’arrête quand il arrive à peu près à la hauteur de l’arrière de la voiture de police de l’AI. Il se tourne vers la gauche pour faire face à l’AI et met son téléphone dans la poche avant droite de sa veste. Il n’a aucune blessure visible. L’AI va derrière sa voiture de police, face au plaignant, et lui demande son nom. Il semble alors être debout sur la chaussée, face au plaignant qui est sur le trottoir et donc légèrement plus haut que lui. Le plaignant et l’AI semblent être à une distance d’un mètre ou deux l’un de l’autre. Le plaignant dit qu’il s’appelle « John » L’AI lui demande où il habite et le plaignant tourne la tête vers le nord et répond : « Là-bas… au [expurgé]. » L’AI lui demande de préciser l’adresse. Le plaignant le fait. À la demande de l’AI, le plaignant donne le numéro de son appartement. L’AI demande au plaignant où il va; le plaignant lui répond qu’il ne fait que prendre une marche.

À 0 h 13 min 59 s, l’AI est devant le plaignant, face à lui. Il demande au plaignant de « venir avec lui pour quelques secondes ». L’AI se tourne légèrement vers la droite. On peut voir l’AT no 1 debout sur le trottoir, l’air nonchalant, à trois ou quatre mètres au nord, devant le 598, rue Dufferin. L’AT no 2 est sorti de sa voiture de police qui est garée cinq ou six mètres derrière celle de l’AI. L’AT no 2 s’approche lentement; il est dans la ruelle devant sa voiture de police. Le plaignant fait un pas vers le nord et dit rapidement : [Traduction] « C’est quoi le problème? C’est quoi le problème? ». L’AT no 1 approche de quelques pas. La caméra corporelle de l’AT no 1 est en marche. L’AI dit : [traduction] « C’est ce type », et le plaignant répète : « C’est quoi le problème? ».

À 0 h 14 min 3 s, l’AT no 1 tend la main droite vers le bras gauche du plaignant que ce dernier tient le long de son corps. L’AI demande au plaignant s’il s’est bagarré avec sa petite amie. Le plaignant déclare qu’il n’a jamais touché qui que ce soit et qu’il n’a rien fait à personne. Il demande de nouveau quel est le problème.

À 0 h 14 min 8 s, l’AI dit au plaignant de mettre les mains dans le dos. L’AT no 1 se place directement à gauche du plaignant, lui saisit le bras gauche et commence à lui tirer le bras gauche dans le dos. L’AI saisit le poignet droit du plaignant de la main gauche et le bras droit du plaignant de la main droite. L’AI tire le poignet droit du plaignant de la hanche vers le centre du dos et vers l’endroit où l’AT no 1 a placé le bras gauche du plaignant, à peu près au niveau de la taille de ce dernier. L’AT no 1 tient l’avant-bras droit du plaignant de la main droite. Le plaignant semble obéir.

À 0 h 14 min 14 s, le plaignant s’écarte de l’AI et de l’AT no 1, qui sont en train de le menotter depuis environ quatre secondes, et fait quelques pas vers le nord. L’AT no 2 intervient et les trois agents luttent avec le plaignant. Ils sont tous debout sur le trottoir et sur la chaussée, derrière la voiture de l’AI. Le plaignant leur dit deux ou trois fois de le lâcher.

À 0 h 14 min 20 s, alors que l’AI, l’AT no 1, l’AT no 2 et le plaignant sont en train de lutter sur le trottoir, l’AI donne un coup de poing de la main droite sur la gauche du visage du plaignant. Le plaignant dit [traduction] : « Tu vas me frapper? Donne-moi un autre coup. Salaud. »

À 0 h 14 min 26 s, l’AI, l’AT no 1 et le plaignant se retrouvent à terre, à l’ouest sur le trottoir. L’AT no 1 est sur le côté droit du plaignant et l’AI à peu près au centre du dos de ce dernier. L’AI, l’AT no 1 et l’AT no 2 luttent avec le plaignant pendant environ 12 secondes en position debout, avant que la lutte se poursuive par terre. La main droite de l’AI est derrière la tête du plaignant, à l’arrière du col de sa veste. Une fois le plaignant à terre, les agents continuent d’essayer de le maîtriser. Le plaignant dit [traduction] « Tu m’as cassé le nez, putain de merde. » Il n’est pas entièrement allongé sur le sol.

Les agents ordonnent de nouveau au plaignant de mettre les mains dans le dos. Le plaignant continue de relever le buste en avant. L’AI avertit le plaignant qu’on va de nouveau le frapper. L’AT no 1 maintient la tête du plaignant vers le sol ou près du sol. L’AI dit au plaignant de cesser de résister. Le plaignant est perpendiculaire au trottoir, les pieds à l’est vers la rue Dufferin. Sa tête est dessus ou très proche d’un petit muret en béton qui borde la pelouse sur le devant du 598, rue Dufferin.

À 0 h 15 min 23 s, l’AI, l’AT no 1 et l’AT no 2 essayent de menotter le plaignant; l’AI lui dit de se détendre.

À 0 h 15 min 33 s, après avoir lutté au sol avec le plaignant pendant environ une minute, l’AI, l’AT no 1 et l’AT no 2 parviennent enfin à le menotter. Deux autres agents de police [maintenant connus comme étant l’AT no 3 et l’AT no 4] sont debout près des pieds du plaignant. Un des agents dit que le plaignant saigne; l’AI dit que le plaignant est [traduction] « tombé sur ce truc » quand ils l’ont plaqué à terre.

À 0 h 16 min 5 s, l’AI demande au répartiteur d’envoyer une ambulance.

À 0 h 16 min 51 s, l’AT no 2 et l’AT no 3 aident le plaignant à se relever. Le plaignant regarde les agents un à un et dit [traduction] : « Qui m’a frappé? » Il regarde ensuite directement l’AI et dit [traduction] : « Regarde ce que vous m’avez fait. » Le plaignant a du sang qui coule de son nez et autour de sa bouche. L’AI dit [traduction] : « C’est quand vous avez atterri sur ça » (faisant référence aux briques qui bordent le jardin).

À 0 h 19 min 30 s, le plaignant est à l’arrière du véhicule de police de l’AT no 1 et de l’AT no 2.

À 0 h 20 min 30 s, l’AI se frotte la main droite. Il a mentionné plus tard que ses jointures lui faisaient mal et qu’il avait une entaille et du sang sur la jointure centrale.

À 0 h 20 min 58 s, l’AI parle avec l’AT no 3 et l’AT no 4 au sujet du sang sur le sol à l’endroit où se trouvait la tête du plaignant et dit que la tête du plaignant « est allée directement sur ça ».

À 0 h 25 min 00 s, l’ambulance arrive. Deux secondes plus tard, le plaignant est conduit de la voiture de police à l’ambulance où on le fait entrer.

Vidéo de la caméra corporelle portée par l’AT no 2

Il s’agit d’un enregistrement du 20 janvier 2020 qui a capturé ce qui suit :

La vidéo commence à 0 h 13 min 57 s. L’AT no 2 est sorti de son véhicule de police et s’approche de l’AI et du plaignant. L’AT no 1 est devant l’AT no 2 sur le trottoir et marche sans se presser vers l’AI et le plaignant. L’AI, la main droite à l’intérieur de son gilet pare-balles, saisit le poignet droit du plaignant.

À 0 h 14 min 0 s, le plaignant, qui fait face à l’est devant l’AI, fait un quart de tour puis fait trois pas vers le nord; l’AI tient toujours son poignet droit. L’AT no 1 s’arrête à gauche du plaignant.

À 0 h 14 min 4 s, le plaignant s’arrête. L’AI tient le poignet droit du plaignant; l’AT no 1 saisit le bras gauche du plaignant à la hauteur du coude.

À 0 h 14 min 8 s, l’AI saisit le bras droit du plaignant à deux mains tandis que l’AT no 1 saisit le bras gauche du plaignant. L’AI et l’AT no 1 tirent les bras du plaignant dans son dos. Le plaignant reste immobile pendant que l’AI et l’AT no 1 lui mettent les mains dans le dos. Le plaignant tire ensuite ses bras pour tenter de se dégager de l’AI et de l’AT no 1 et avance vers le nord. L’AT no 2 vient en aide à l’AI et l’AT no 1.

À 0 h 14 min 26 s, le plaignant est tourné vers l’ouest, à genoux. Le plaignant est ensuite à plat ventre et l’AT no 1 sur lui et sur sa droite. L’AI est au-dessus de l’AT no 1 et à gauche. L’AI, l’AT no 2 et le plaignant ne sont pas entièrement par terre. L’AT no 1 tente de saisir le bras droit du plaignant. Le plaignant tire son bras en arrière pour empêcher l’AT no 1 de le saisir. L’AI semble tenir le poignet gauche du plaignant. Le plaignant ne veut pas tendre la main droite. L’AT no 2 place une menotte sur le poignet gauche du plaignant.

À 0 h 15 min 18 s, l’AT no 3 et l’AT no 4 s’approchent. L’un d’eux demande si le plaignant est « menotté » et quelqu’un répond par l’affirmative.

À 0 h 16 min 10 s, on aide le plaignant à s’asseoir. L’AT no 2 fouille le côté gauche du plaignant et retire une paire de ciseaux à manche orange de la poche de sa veste. L’AT no 2 pose les ciseaux par terre. Le plaignant est conduit devant un véhicule de police. L’AT no 2 fouille le côté gauche du plaignant. On fait s’assoir le plaignant sur le siège arrière de la voiture de police de l’AT no 1 et de l’AT no 2 et on lui a dit qu’il est enregistré sur vidéo et audio. L’AT no 2 discute du transport du plaignant à l’hôpital.

Vidéo de la caméra corporelle portée par

l’AT no 1
L’enregistrement a été réalisé le 20 janvier 2021 et la majorité des images de la caméra corporelle de l’AT no 1 sont identiques à celles de l’AI en ce qui concerne l’interaction avec le plaignant, sauf que celle de l’AT no 1 montre l’interaction physique avec le plaignant sous un angle différent de celui de la caméra de l’AI.

Résumé de la vidéo du système de caméra embarquée du véhicule de l’AT no 1 et de l’AT no 2

Il s’agit d’une vidéo enregistrée le 20 janvier 2021. La vidéo, d’une durée de 18 minutes et 21 secondes, n’a pas d’horodatage et montre ce qui suit :

Le plaignant est penché sur le capot d’une voiture de police tandis qu’un agent le fouille. Une ambulance attend en arrière-plan;

À la marque de 19 secondes dans la vidéo, le plaignant est escorté jusqu’au côté passager du véhicule de police où on le fait s’asseoir à l’arrière;

Le plaignant est menotté dans le dos. Il portait un manteau jusqu’à la taille, un T-shirt en dessous, et un jean;

Le plaignant a une blessure visible au nez et du sang semble suinter de sa narine gauche.

La vidéo ne montre pas l’arrestation physique et la lutte subséquente entre le plaignant et les agents.

Éléments obtenus auprès du service de police

Le SPT a remis les documents suivants à l’UES entre le 20 janvier et le 3 février 2021 :
  • Rapport de détails d’événement du système de répartition assistée par ordinateur;
  • Enregistrements des communications;
  • Notes de l’AI et des ATs;
  • Politique du SPT – libération;
  • Politique du SPT – recours à la force et annexes;
  • SPT – rapport général d’incident (x2);
  • SPT – le plaignant – information;
  • SPT – vidéo de l’admission au poste;
  • SPT – vidéo des caméras corporelles de l’AI et des ATs;
  • SPT – vidéo de la caméra à bord du véhicule de l’AT no 1 et de l’AT no 2;
  • Photos prises par le SPT;
  • Photos des lieux prises par le SPT.

Description de l’incident

Les principaux éléments de cet incident ressortent clairement des vidéos enregistrées par les caméras corporelles des agents sur les lieux et des déclarations du plaignant, de l’AI et de deux autres agents qui ont participé à l’arrestation. Le 20 janvier 2021, vers minuit, une femme a appelé le 9-1-1 pour signaler des troubles. Elle a expliqué qu’elle s’était disputée avec son petit ami – le plaignant – dans un stationnement de la rue Dundas Ouest. Elle a affirmé que le plaignant avait essayé de verser de l’eau bouillante sur elle et qu’il était en train de frapper et d’endommager le véhicule dans laquelle elle se trouvait. La femme a ajouté que le plaignant était peut-être armé d’un couteau. Des agents ont été envoyés sur les lieux pour enquêter.

L’AI, au volant d’un VUS portant les inscriptions du SPT, est arrivé dans le secteur, à l’intersection des rues Dufferin et Dundas Ouest. Pendant que d’autres agents s’occupaient de la femme, l’AI a tenté de retrouver le plaignant, qui avait apparemment quitté les lieux. Vers 0 h 13, l’AI a repéré le plaignant qui marchait vers le sud sur le trottoir ouest de la rue Dufferin, à environ 70 mètres au sud de la rue Dundas Ouest. L’agent a dépassé le plaignant et arrêté son véhicule le long du trottoir un peu plus loin. Il est sorti de son véhicule et s’est dirigé vers l’arrière de celui-ci.

Quand le plaignant, qui marchait en regardant son téléphone cellulaire, est arrivé près de l’arrière du véhicule de police, l’AI lui a demandé son nom. Il a répondu qu’il s’appelait John et a dit à l’AI qu’il était juste sorti pour se dégourdir. Il a nié la suggestion de l’AI selon laquelle il venait de se disputer avec sa petite amie et a demandé quel était le problème. L’AI et l’AT no 1 – qui venait d’arriver sur les lieux avec son partenaire, l’AT no 2, à bord de leur véhicule de police – ont tiré les bras du plaignant dans le dos.

Quelques secondes plus tard, le plaignant a tiré violemment sur son bras droit pour se dégager l’emprise de l’AI et a tenté de s’enfuir vers le nord. Il n’a pu faire qu’un pas ou deux avant que les trois agents s’interposent. Une lutte s’est ensuivie entre les agents et le plaignant qui tentait de se libérer. À un moment donné, le plaignant s’est tourné vers l’AI qui a réagi en lui donnant deux coups de poing au visage. Le plaignant a ensuite été plaqué à terre et il semble que son visage a alors frappé un muret qui bordait le devant de la propriété au 598, rue Dufferin. La lutte s’est poursuivie brièvement à terre jusqu’à ce que les agents parviennent à menotter le plaignant dans le dos. Il était alors environ 0 h 16.

Les agents ont ensuite relevé le plaignant et l’ont fait s’assoir à l’arrière de la voiture de police de l’AT no 1 et de l’AT no 2 en attendant l’arrivée d’une ambulance. Le plaignant a été conduit de là à l’hôpital où on lui a diagnostiqué une fracture du nez.

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 25(1) du Code criminel -- Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :
a) soit à titre de particulier
b) soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
c) soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
d) soit en raison de ses fonctions
est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.
                    

Article 29, Code criminel – Obligation de la personne qui opère une arrestation

29 (1) Quiconque exécute un acte judiciaire ou un mandat est tenu de l’avoir sur soi, si la chose est possible, et de le produire lorsque demande lui en est faite.
(2) Quiconque arrête une personne avec ou sans mandat est tenu de donner à cette personne, si la chose est possible, avis :
a) soit de l’acte judiciaire ou du mandat aux termes duquel il opère l’arrestation
b) soit du motif de l’arrestation.

(3) L’omission de se conformer aux paragraphes (1) ou (2) ne prive pas, d’elle-même, une personne qui exécute un acte judiciaire ou un mandat, ou une personne qui opère une arrestation, ou celles qui lui prêtent main-forte, de la protection contre la responsabilité pénale.

Analyse et décision du directeur

Le 20 janvier 2021, le plaignant a subi une blessure grave au cours de son arrestation par des agents du SPT, à Toronto. L’un de ces agents – l’AI – a été désigné comme agent impliqué aux fins de l’enquête de l’UES. Après avoir évalué le dossier de preuve, j’estime qu’il n’y a aucun motif raisonnable de croire que l’AI ait commis une infraction criminelle en lien avec l’arrestation et la blessure du plaignant.

En vertu du paragraphe 25 (1) du Code criminel, les policiers sont exonérés de toute responsabilité criminelle lorsqu’ils ont recours à la force dans l’exécution de leurs fonctions, pour autant que cette force n’excède pas ce qui est raisonnablement nécessaire à l’accomplissement de ce qu’il leur est enjoint ou permis de faire en vertu de la loi. L’AI, l’AT no 1 et l’AT no 2 savaient, d’après les renseignements transmis par le centre de répartition, que le plaignant venait présumément d’endommager le véhicule de sa petite amie au cours d’une querelle. Dans les circonstances, je suis convaincu que l’arrestation du plaignant était justifiée.

La question se pose alors de savoir si l’arrestation du plaignant, bien que fondée sur des motifs raisonnables et probables de croire qu’il avait commis une infraction, était néanmoins illégale en vertu de l’article 29 du Code criminel. Cet article stipule en partie que « quiconque arrête une personne avec ou sans mandat est tenu de donner à cette personne, si la chose est possible, avis du motif de l’arrestation. »

On peut se demander si l’AI a respecté l’article 29. D’après la vidéo de sa caméra corporelle, il ne semble pas que l’agent ait avisé le plaignant de l’infraction précise pour laquelle on le plaçait sous garde avant que l’altercation n’éclate. Néanmoins, l’AI a mentionné au plaignant, juste avant de lui ordonner de mettre ses mains dans le dos, que les agents étaient là à cause de la querelle avec sa petite amie. Peu après, le plaignant a commencé de résister vigoureusement, ce qui suggère que l’agent n’a pas été en mesure de préciser davantage la raison de l’arrestation avant que le plaignant soit maîtrisé. Quoi qu’il en soit, aux fins de l’analyse de la conformité au paragraphe 25 (1), comme le paragraphe 29 (3) stipule explicitement que le non-respect de l’article 29 ne prive pas la personne qui procède à l’arrestation de la protection contre la responsabilité pénale, je ne peux raisonnablement conclure que l’AI n’exerçait pas une fonction légitime. La question porte alors sur le bien-fondé de la force utilisée par les agents pour procéder à l’arrestation du plaignant.

À mon avis, la preuve ne permet pas d’établir raisonnablement que la force utilisée contre le plaignant était excessive. Bien que les deux coups de poing assénés par l’AI, peu après le début de la lutte et en présence de deux autres agents qui l’aidaient, étaient peut-être à la limite supérieure de ce qui était admissible dans les circonstances, je ne suis pas convaincu, pour des motifs raisonnables, que ce recours à la force a franchi cette limite. La loi n’oblige pas les policiers impliqués dans des situations instables à mesurer avec précision la force avec laquelle ils réagissent. Au contraire, étant donné la rapidité à laquelle ces situations évoluent, la réaction doit être raisonnable, sans être nécessairement mesurée avec précision : R. v. Baxter (1975), 27 CCC (2 d) 96 (Ont. C.A.); R. c. Nasogaluak, [2010] 1 R.C.S 206. L’AI savait que la petite amie du plaignant avait dit à la police que le plaignant était probablement en possession d’un couteau. Plus important encore, au moment des coups de poings, la vidéo de la caméra corporelle de l’AI montre que le plaignant confrontait l’AI et était retenu par l’AT no 1 et l’AT no 2. Il semble que le plaignant voulait s’en prendre à l’AI. Même si je ne suis pas nécessairement convaincu que le plaignant était sur le point d’attaquer l’AI (il tentait peut-être simplement d’échapper aux deux agents qui le retenaient en se débattant dans la direction de l’AI), cette évaluation est faite avec le privilège du temps. L’AI devait juger rapidement la situation, et je ne pense pas que sa crainte que le plaignant soit sur le point de le frapper ou de le pousser violemment était déraisonnable. Dans ce contexte, je ne suis pas convaincu que les deux coups de poing, frappés en succession rapide en réponse à une agression raisonnablement appréhendée, aient franchi les limites du recours à la force justifiable dans les circonstances.

Quant au placage à terre, au cours duquel il semble que le plaignant se soit cogné le visage sur un petit muret bordant un jardin voisin, je ne peux pas blâmer les agents d’avoir décidé de faire ce placage à terre étant donné l’intention du plaignant de s’échapper et la résistance qu’il leur opposait. De plus, même s’il se peut que le plaignant ait subi sa fracture à ce moment-là, la preuve n’établit pas raisonnablement que le placage à terre ait été exécuté de façon trop violente ou sans la prudence nécessaire, compte tenu de l’emplacement de la bordure.

Pour les raisons qui précèdent, il n’y a aucun motif raisonnable de croire que l’AI se soit conduit autrement que dans les limites du droit criminel. Il n’y a donc aucun motif de porter des accusations contre l’agent dans cette affaire, et le dossier est clos.


Date : 21 mai 2021



Approuvé par voie électronique par

Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

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